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Lettres choisies du révérend père De Smet/ 26

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Victor Devaux et Cie ; H. Repos et Cie (p. 370-385).
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XXVI


Université de Saint-Louis, 23 décembre 1857.

Un accident funeste et bien déplorable vient de nous priver d’un de nos missionnaires les plus zélés et les plus infatigables. Le R. Père J.-B. Duerinok, supérieur de la mission de Sainte-Marie, chez les Potowatomies, dans le territoire du Kansas, a péri, le 9 de ce mois, en descendant le Missouri dans une petite barque. Ce sera pour cette belle chrétienté indienne une perte vraiment irréparable.

Je ne saurais vous dire quelle affliction nous a causée cette désolante nouvelle. Les premiers bruits nous en parvinrent le dimanche 13 décembre. Nous l’attendions à Saint-Louis, où il avait été appelé par ses supérieurs, pour s’y préparer à faire les derniers vœux dans la Compagnie. Une lettre, datée du 24 novembre dernier, dans laquelle il annonçait le temps de son départ de la mission, était arrivée quelques jours auparavant. En voici un extrait :

«  J’ai l’intention de me rendre à la ville de Leavenworth et de là à Saint-Louis, dans le courant de cette semaine. Les chefs de la tribu, les guerriers, les sages, les vieillards, les jeunes gens, tous sont convenus d’envoyer à Washington une députation, ou plutôt deux, l’une composée d’indiens de la prairie, Potowatomies non convertis, et l’autre d’indiens de Sainte-Marie. Ces derniers m’ont mis sur la liste, afin que je les accompagne à Washington pour avancer les intérêts de la mission et pour les aider à atteindre, avec plus de certitude, l’objet de leur démarche auprès du gouvernement. Il appartiendra au supérieur de décider sur ce que j’aurai à faire  ; quelle que soit sa décision, que je doive aller ou rester, je serai également content.  »

La première nouvelle de la mort du zélé missionnaire, quoique encore peu précise, était accompagnée de circonstances qui laissaient à peine quelques doutes sur son sort. Deux ou trois jours après, nous apprîmes des détails certains sur sa perte. Il s’était rendu de la mission de Sainte-Marie à Leavenworth à cheval  ; c’est une distance d’environ quatre-vingts milles anglais. De là il se rendit en voiture à cinquante milles plus loin, à la ville de Kansas. Il partit ensuite de Kansas dans une barque, avec quatre autres voyageurs, dans l’intention de descendre la rivière Missouri jusqu’à un endroit où ils trouveraient des bateaux à vapeur  ; ceux-ci à cause de la baisse des eaux dans cette saison de l’année, ne peuvent remonter le fleuve jusqu’à Leavenworth. Descendre la rivière est une entreprise très-dangereuse, vu la rapidité du courant et les nombreux chicots ou arbres entiers, détachés des côtes et enfoncés dans la vase. Il suffit de frapper contre l’un d’eux pour faire chavirer l’embarcation. Chaque année, un bon nombre de bateaux à vapeur se perdent contre ces écueils. Le danger n’était certainement point inconnu au P. Duerinck  ; mais, enfant d’obéissance et homme de zèle, il croyait, sans doute, ne pas devoir reculer devant un péril que tant de voyageurs affrontent tous les jours. Ce dévouement lui coûta la vie. À vingt-cinq milles plus bas que Kansas City, point de leur départ situé entre les villes de Wayne et de Liberty, la nacelle donna contre un chicot, et se renversa. Les cinq voyageurs furent jetés à l’eau, sauf deux, qui parvinrent à s’accrocher aux bords de la nacelle et à s’y maintenir jusqu’à ce que le courant les déposât sur un banc de sable. Les trois autres périrent, parmi lesquels le P. Duerinck.

Le P. Jean-Baptiste Duerinck était né à Saint-Gilles, lez-Termonde, le 8 mai 1809. Formé à la piété dès son enfance par les leçons et les exemples de ses pieux parents, il jeta dès lors les fondements des vertus chrétiennes et religieuses dont il donna, dans la suite, de si beaux exemples. Élève du collège de Termonde, son excellente conduite et ses succès dans les classes lui attirèrent l’estime et l’affection de ses professeurs et de ses condisciples.

Il avait un désir ardent de dévouer sa vie à la conversion des sauvages de l’Amérique. Après avoir obtenu le consentement de ses parents, il s’embarqua à Anvers, le 27 octobre 1833, et entra dans la Compagnie de Jésus au Missouri, où il commença son noviciat à Saint-Stanislas, près du village de Florissant, au commencement de l’année suivante, le 16 janvier 1834. Ayant fini son temps d’épreuve, il passa plusieurs années dans nos différents collèges. Son talent pour les affaires lui fit confier successivement la charge de procureur ou d’économe dans nos maisons de Cincinnati, de Saint-Louis, de Bardstown.

Partout le P. Duerinck montra une exactitude exemplaire à remplir tous ses devoirs, et donna constamment l’exemple des vertus qui font le véritable religieux. Son zèle, son dévouement aussi bien que la franchise de son caractère, lui gagnèrent les cœurs, non-seulement de ses collègues, mais aussi des étrangers et même des protestants.

Grand admirateur des merveilles de la nature, il consacrait ses heures de loisir à en sonder les secrets, et à y contempler la beauté et la puissance du Créateur. Il s’attachait surtout à l’étude de la botanique, et il acquit une connaissance vaste et approfondie de cette branche de l’histoire naturelle. Il traversa une grande partie de l’Ohio et de l’Illinois à la recherche de fleurs curieuses et de toutes sortes de plantes rares, et en fit une collection, belle, exquise même, que l’on conserve au collège Saint-François-Xavier, à Cincinnati. La société de botanique de cette ville admit le P. Duerinck comme membre perpétuel et lui offrit la chaire de professeur  ; mais sa modestie et ses nombreux devoirs ne lui permirent pas d’accepter cette charge. Une nouvelle plante qu’il découvrit, et qui reçut, en son honneur, le nom de Prunus Duerinckiana, montre combien l’on estimait ses recherches en ce genre.

Le trait distinctif de son caractère était une grande énergie naturelle, jointe à un zèle ardent pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Lorsqu’il s’agissait de gagner son prochain à Dieu, nul obstacle ne semblait pouvoir l’arrêter. Il se faisait tout à tous, selon l’exemple de Saint Paul, pour les gagner tous à Jésus-Christ. Il avait admirablement adapté ses manières aux coutumes et aux idées de ce pays. S’il ne put convertir les nombreux protestants avec lesquels il était en relation, il manqua du moins rarement de gagner leur bienveillance, et c’est un grand pas de fait vers leur conversion, que de leur faire estimer le prêtre catholique.

En 1849, le P. Duerinck fut envoyé parmi les Indiens. C’était l’accomplissement du désir qui l’avait conduit en Amérique. Il employa toute son énergie et tous ses talents à cette œuvre difficile. La mission des Potowatomies, dont il devint supérieur, lui doit en grande partie sa prospérité actuelle. La plupart des sauvages de cette tribu avaient été convertis depuis plusieurs années ; il s’agissait donc surtout de consolider l’œuvre de leur conversion, en les attachant à la vie civilisée et en les amenant à préférer l’agriculture et les autres arts utiles aux plaisirs de la chasse et à l’insouciance si-caractéristique de la vie sauvage. Déjà, avant lui, les missionnaires leur avaient persuadé de cultiver quelques petits champs, en les animant par leur exemple et par les motifs de la foi. On avait trouvé que lorsqu’il s’agit du labeur agricole, les motifs de religion sont les seuls qui aient quelque empire sur les cœurs des Indiens, et on était parvenu à les faire travailler en esprit de pénitence. Profitant de cette foi vive et simple, le P. Duerinck s’efforça de les exciter à entreprendre de grands travaux, et, en leur faisant trouver une certaine abondance par la culture, il leur fit oublier presque entièrement la vie vagabonde des plaines et des forêts. Dans le dessein de former les sauvages à un travail intelligent, des écoles d’arts et métiers avaient été établies pour les jeunes gens de la tribu. Il fit deux voyages à Washington afin d’intéresser le gouvernement à cette œuvre et d’en solliciter des secours. Ces écoles ont obtenu un subside permanent.

Durant ces dernières années, la mission de Sainte-Marie a été exposée à de grands dangers de démoralisation  ; d’abord, par le grand nombre de caravanes qui ont traversé ces parages depuis la découverte des mines d’or de la Californie, et ensuite à cause de l’immense émigration qui se fait vers le Kansas, érigé récemment en territoire. Au milieu de ces dangers, les néophytes, grâce aux soins des missionnaires, ont su conserver leur ancienne régularité et leur primitive ferveur.

Au son de la cloche, les sauvages s’assemblent avec la même piété qu’autrefois, soit à l’église, soit dans leurs demeures. Les confessions et les communions ne sont pas moins nombreuses. Tous, sans excepter les protestants, admirent le zèle et la piété des Indiens de cette contrée.

Jusqu’à présent les néophytes ont su maintenir la paix avec les blancs. Chose rare  ; car ordinairement l’approche des blancs est le signal d’une guerre d’extermination. Toutefois, on ne peut se dissimuler les dangers de la situation présente. Les Potowatomies sont déjà entourés de blancs, avides de prendre possession de trente milles carrés ou 19, 200 arpents de terre que le gouvernement leur a solennellement alloués par traité. C’est surtout dans une situation pareille et toute nouvelle que la mort du P. Duerinck, leur père et bienfaiteur, qui leur était si tendrement dévoué et qu’ils consultaient dans leurs entreprises importantes et dans toutes leurs difficultés, se fera vivement sentir. Sa perte est, sans contredit, un véritable malheur pour cette intéressante tribu.

Le P. Duerinck a été surintendant des écoles catholiques parmi les Potowatomies. Plusieurs de ses lettres ont été publiées dans les documents annuels qui accompagnent le message du président des États-Unis. Elles se trouvent dans le Report of the Secretary of the Interior, tome Ier. Toutes portent la date de St Mary’s Potowatomie Mission, Kansas territory. En voici la liste et les dates : 1re lettre, 24 septembre 1852, pp. 379-381 du Report. — 2e lettre, 31 août 1853, pp. 325-327. — 3e lettre, 25 septembre 1854, pp. 317-319. — 4e lettre, 1er octobre 1855, pp. 422-425. — 5e lettre, 20 octobre 1856, pp. 666-669. — 6e lettre, septembre 1857. Cette dernière a été publiée, le 17 octobre dernier, dans le Boston Pilot, et paraîtra, comme les autres, dans le prochain rapport du secrétaire de l’intérieur.

Les officiers ou agents du gouvernement des États-Unis ont toujours rendu les témoignages les plus honorables au zèle et au succès du P. Duerinck. En 1855, le major G. W. Clarke, inspecteur du gouvernement auprès des Potowatomies, faisant son rapport annuel au commissaire des affaires indiennes des deux écoles établies à la mission, l’une sous la direction des Pères, l’autre sous celle des Dames du Sacré-Cœur, s’exprimait ainsi

«  Je ne saurais parler en termes trop favorables de la condition de ces deux établissements. Outre le cours ordinaire d’instruction littéraire qu’on donne aux filles, elles apprennent à coudre, à tricoter, à broder et tous les autres travaux d’un bon ménage. Une école industrielle est attachée à l’institution des garçons. On y enseigne aux jeunes gens les arts utiles et pratiques, tels que l’agriculture, l’horticulture, etc. Le P. Duerinck est un homme doué d’une grande énergie. Il s’entend bien aux affaires. Il est entièrement dévoué au bien-être des Potowatomies, dont il s’est montré l’ami et le père, et lesquels, de leur côté, ont pour lui la plus haute estime. Je n’hésite aucunement à exprimer ma conviction sur l’utilité de cet établissement. On en voit les effets dans les maisons proprement tenues et les petits champs bien cultivés des Indiens de la mission, et dans l’esprit d’ordre qui règne aux alentours.  »

Dans son rapport de 1856, le major Clarke renouvelle son approbation. «  Depuis l’année dernière, — dit-il, — les Indiens de cette agence ont fait des progrès sensibles. Ils ont cultivé des champs plus étendus et ont manifesté, en diverses manières, leur désir de se conformer aux coutumes de la vie civilisée… L’école de la mission de Sainte-Marie occupe le premier rang parmi les écoles des missions (protestantes), et mérite mes louanges les plus sincères. Les travaux du P. Duerinck et le zèle des Dames du Sacré-Cœur, qui ont soin de cet établissement, servent non-seulement à améliorer la génération naissante et à la former aux coutumes de la vie civilisée  ; mais leur bon exemple et leurs conseils ont évidemment une grande influence sur le bien-être de la population adulte.  »

Les nombreux émigrés qui se sont fixés dans le voisinage de la mission ont toujours montré la plus haute estime pour le P. Duerinck.

Les feuilles publiques ont annoncé sa mort comme une calamité qui non-seulement laissera un grand vide dans la mission indienne, mais causera de vifs regrets à ses nombreux amis, dans différents États, et surtout aux habitants du nouveau territoire, qui ont eu le bonheur de le connaître.[1] Il jouissait de l’estime universelle.

Voici l’hommage rendu à la mémoire du P. Duerinck par ses confrères de la mission de Sainte-Marie parmi les Potowatomies.

«  Le R. P. Duerinck, que nous regrettons tous avec larmes, était arrivé à la mission de Sainte-Marie au commencement de novembre 1849, dans les circonstances les plus critiques et les plus embarrassantes, au jugement de tout homme versé dans les affaires. La mission venait d’accepter une école de garçons et une autre de filles, à des conditions si onéreuses, que le bon sens les déclarait intolérables. On ne s’était obligé à rien moins qu’à entretenir annuellement environ 120 enfants pensionnaires pour la somme modique de cinquante piastres par tête (250 francs), c’est-à-dire que pour moins de 70 centimes par jour (et cela aux États-Unis), il fallait fournir à chaque enfant, logis, nourriture, habillement, livres, papiers, etc. ; tandis qu’aucun maître d’hôtel de l’endroit n’eût consenti à loger seulement quelqu’un pour moins de cinq piastres (25 francs) par semaine. De plus, le gouvernement des États-Unis avait alloué une somme pour l’ameublement ou la construction des édifices, et, par un surcroît de circonstances malheureuses, la tâche était à peine commencée, que l’argent était déjà totalement dépensé. Eh bien, grâce à l’intelligence et à l’activité du P. Duerinck, la mission fit face à toutes les dépenses et triompha de tous les obstacles. Mais qu’il lui en coûta de peines et de fatigues pour mettre sa grande famille, ses chers enfants indiens à l’abri de l’indigence  ! Traverser d’immenses déserts pour acheter des animaux à un bas prix et les amener à Sainte-Marie  ; descendre et remonter le Missouri, l’espace de plusieurs centaines de milles  ; être continuellement aux aguets afin de découvrir une occasion favorable pour le placement et la disposition des produits de la ferme  ; s’évertuer de toutes les manières à trouver des moyens de subsistance  ; inventer toujours de nouvelles ressources, former de meilleurs plans, et exécuter de nouveaux projets pour aller au-devant des besoins de ceux qui lui étaient confiés, voilà ce que le P. Duerinck a noblement entrepris pour le bien de sa mission, et en quoi il a parfaitement réussi.

«  Le Père avait le caractère fortement trempé, ou plutôt une âme vertueusement courageuse. Les infirmités auxquelles il était sujet ne lui arrachaient aucune plainte, ni ne produisaient la moindre altération dans l’affabilité de ses manières. Pour lui, l’hiver semblait avoir perdu ses frimas, et l’été ses chaleurs étouffantes. Sans cesse il bravait l’intempérie des saisons. Nous l’avons vu entreprendre un long voyage par le plus grand froid, et le continuer en dépit du souffle glaçant de l’aquilon, si bien qu’en arrivant dans la maison où il se proposait sait de loger, il s’aperçut que ses mains étaient gelées, en sorte que, pour n’en pas perdre l’usage, il lui fallut les baigner dans une eau glacée. Il négligeait son sommeil  ; il oubliait ses repas  ; il était prêt à s’imposer tous les sacrifices, dans l’intérêt de ses chers sauvages. Au milieu de tant de travaux et de fatigues, il jouissait d’une humeur toujours égale, avait le front serein, était patient et non moins également aimable. Ni les difficultés pécuniaires, ni les embarras de toute espèce, qui lui survenaient à chaque instant, ne pouvaient troubler la paix de son âme. La pratique de l’humilité lui était, pour ainsi dire, naturelle : jamais rien de prétentieux, rien d’affecté ne se remarqua dans son air  ; jamais une parole qui, même de loin, sentît la vanité. Il ignorait complètement ces allusions raffinées par où l’amour-propre cherche quelquefois à donner de l’importance à la personnalité. Quoique supérieur et hautement estimé de toux ceux qui savent apprécier les bonnes manières, son grand plaisir était de s’appliquer, comme le dernier des domestiques, aux ouvrages les plus vils. Il était tellement mort à tout ce qui s’appelle orgueil de la vie, qu’il n’opposa jamais qu’un visage imperturbable aux reproches amers, aux insolents outrages qu’il recevait quelquefois des gens de peu d’éducation. Bien souvent, à la première occasion, il se vengeait des inconvenances qu’on se serait permises envers lui, en rendant un service à la personne qui l’avait offensé. Quand on lui reprochait d’être trop bon à l’égard de certaines gens qu’on savait être ennemis avoués des catholiques : «  Eh bien, — répondait-il, — nous les «  forcerons à nous aimer.  » Le P. Duerinck était charitable, mais d’une charité prudente et éclairée. En somme, nul prêtre n’a fait plus de bien aux Indiens de ces contrées. Il assistait généreusement les infirmes  ; il comprenait mieux que tout autre par quelle voie on procure aux sauvages le bienfait de la civilisation  ; il les aidait de toutes les manières, et récompensait leur industrie. Cela lui réussit si bien, que les Potowatomies de Sainte-Marie l’emportent de beaucoup sur ceux des autres villages par les qualités qui font les bons citoyens. Ceux qui ont eu avec le Père des liaisons plus intimes savent jusqu’où s’étendaient ses libéralités, et les prières de ceux qu’il a obligés, inspirées par la plus sincère reconnaissance, ne manqueront pas d’appeler sur les bons Potowatomies les bénédictions du Dieu de miséricorde.

«  La mort du bon P. Duerinck, écrivait un de ses inférieurs, est une perte incomparable. En lui, Sainte-Marie a perdu l’homme qui en était l’âme et la vie  ; les Indiens, un insigne bienfaiteur  ; les veuves, un bon conseiller  ; la mission, un excellent supérieur  ; et nous, le meilleur des pères. Ce coup, aussi fatal qu’imprévu, a jeté tout le monde dans le deuil le plus amer. Rien ne pourrait nous consoler d’un accident si subit, si nous ne savions que neuf années de peines et d’abnégation, de combats continuels contre ses propres inclinations entrepris et soutenus pour la plus grande gloire de Dieu, sont la meilleure de toutes les préparations à une sainte mort.  »

À cet éloge fraternel, j’ajouterai l’hommage, que l’agent du gouvernement, le colonel Murphy, a rendu au R. P. Duerinck. Lorsqu’il eut appris sa mort, il écrivit, en ces termes, au major Haverty, surintendant des affaires indiennes à Saint-Louis :

«  L’école-modèle de la mission de Sainte-Marie continue, sans intermission, sous ses anciens et diligents directeurs, ses opérations salutaires, suivant son système habituel et régulier. Dans ce moment (14 décembre), la mission et tout le voisinage sont plongés dans un deuil bien profond, causé par la mort subite et inattendue de son supérieur, le R. P. Duerinck. Je regarde cette perte comme une des plus grandes calamités qui pussent arriver à la nation des Potowatomies, dont il était l’ami dévoué et le père. C’est un de ces décrets de la Providence, dont la sagesse est infinie, auxquels nous devons nous soumettre en toute humilité. Espérons pour l’école de la mission de Sainte-Marie que le vide occasionné par le décès du P. Duerinck y pourra être rempli. Pour moi, j’en doute beaucoup. Dans l’entre-temps les enfants continueront à recevoir l’instruction. Ce sont les pères de famille, surtout et les jeunes gens qui souffrent le plus en perdant les bons avis et l’exemple de cet homme aussi vertueux que distingué. »

Voilà une lettre consolante pour les missionnaires de fait, et encourageante pour ceux que Dieu appelle à le devenir.

Puisse la généreuse Belgique nous envoyer de nouveaux apôtres, tant pour répondre à des besoins toujours croissants que pour remplacer ceux de nos missionnaires qu’une mort prématurée moissonne, hélas ! trop fréquemment !

Je recommande à vos saints sacrifices et à vos prières, ainsi qu’aux pieux souvenirs de tous nos chers frères de Belgique, le repos de l’âme du R. P. Duerinck.

Agréez, etc…

P. J. De Smet, S. J.
  1. Le P. De Smet, écrivant sa lettre le 23 décembre 1857, ne pouvait avoir connaissance de l’article suivant, où le Freeman’s Journal de New-York, du 2 janvier 1858, rend hommage aux vertus du religieux défunt. «  La mort si regrettable du P. Duerinck suffit en elle-même pour éveiller toutes les sympathies des catholiques  ; mais cette sympathie est augmentée par la réflexion qu’il était proche parent du P. De Smet. Le P. Duerinck, comme son cousin, a été un dévoué et zélé missionnaire parmi les Indiens. Depuis plusieurs années, il était chargé de la mission de Sainte-Marie. Ses supérieurs lui ayant donné l’ordre de revenir à Saint-Louis pour sa profession, il ne put trouver de steamboat pour son voyage, à cause des eaux basses du Missouri. Il s’embarqua donc sur un frêle canot avec quatre autres passagers  ; mais l’embarcation a été défoncée par un chicot, et le digne Père a été noyé avec deux de ses compagnons. Le P. Duerinck avait été notre professeur et était resté notre ami. Nous pouvons rendre témoignage que la Compagnie perd en lui un membre précieux, la religion un prêtre zélé, ses fidèles et ses néophytes indiens un père tendre et vénéré.  »