Lettres de Fadette/Cinquième série/05

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Imprimé au « Devoir » (Cinquième sériep. 15-18).

V

Pendant L’Épidémie


J’aimais tant les cloches qui mettent dans l’air de grands frissons harmonieux : elles m’apportaient la joie, la prière, et leur tristesse même m’était douce. Aujourd’hui elles me font peur : je tremble quand leurs coups espacés et lugubres se dispersent dans l’air. Du matin au soir les glas sonnent et les cloches des églises se remplacent pour sonner les adieux de tous ceux qui s’en vont ! Partout il y a des rumeurs de mort et le fléau guette et désigne ses victimes de son doigt terrible : elles tombent, luttent, et trop souvent, hélas ! elles ne se relèvent pas.

La tristesse nous enveloppe et quand nous ne pleurons pas sur nos deuils, nos amis sont frappés et nous nous désolons avec eux. Les tentations d’apathie découragée n’ont jamais été si fortes : rien ne semble valoir la peine d’être fait et nous vivons inactifs dans l’attente de choses terribles. C’est mal, c’est le geste de la mollesse égoïste qui ne sait pas se vaincre. C’est quand tout va mal qu’il faut hausser son courage à la hauteur de l’épreuve, et c’est quand il y a tant de malheureux que nous leur devons notre activité, notre énergie et l’espérance toujours vivante des âmes chrétiennes.

C’est dans les grandes épreuves publiques que nous sentons fortement que nous n’avons pas le droit de vivre seuls, à l’écart, dans une paix égoïste qui ne s’inquiète que de ses propres besoins. Et cette sympathie qu’éveille le malheur ne doit pas être un simple mouvement de notre sensibilité. Laissons-la s’extérioriser dans tous les actes de charité, depuis l’aumône matérielle si facile à faire, jusqu’à l’aumône spirituelle que nous hésitons trop souvent à offrir à ceux qui pleurent désespérément.

Les hôpitaux, l’Assistance Maternelle, l’hôpital Sainte-Justine, toutes les organisations improvisées pour combattre la grippe ont besoin d’argent, de hardes, de victuailles et c’est à ceux qui ne donnent pas leur temps en exposant leur vie, qu’on demande de donner généreusement leur argent.

Mais n’oublions pas les détresses morales. Allons à ceux qui ne tendent pas la main mais qui se renferment dans leur douleur, et demandons aux anges de nous accompagner et de nous inspirer les paroles qui ouvrent les cœurs blessés.

Ce qui rend la douleur insupportable, c’est de la porter seul, de la sentir cruelle et inexplicable, de ne pas comprendre que même quand Il frappe, Dieu nous aime.

Si vous avez compris cela, vous qui me lisez, vous devez aux malheureux de le leur faire voir, non en prêchant, mais en offrant une sympathie si délicate et si comprenante, que les âmes douloureuses vous admettent librement dans l’intimité de leur chagrin. Alors, sans effort, laissant simplement déborder la vérité qui remplit votre cœur, vous la communiquerez à ceux qui ont besoin de secours pour sortir des ténèbres du doute et de la révolte.

Toutes les âmes ont faim de Dieu : les unes le savent et Le cherchent ; les autres l’ignorent et quelquefois Le fuient. Ces dernières nous attendent peut-être : n’ayons pas, la « timidité du Divin » nous dit le poète : nous nous taisons en effet, quand nous devrions faire rayonner au dehors la vérité qui nous fut donnée gratuitement pour la répandre.