Lettres de Fadette/Première série/07
VI
Les bonnes petites choses
Toutes ces feuilles blanches éparses sur ma table me sollicitent de les couvrir de petites choses que vous lirez et que je voudrais bien que vous aimiez. Ces pensées qui passent entre nous ne vous paraissent-elles pas comme de nombreux fils d’or ténus, à peine visibles, et solides pourtant, qui relient nos âmes depuis bientôt deux ans ?
Quelques-uns d’entre vous m’ont déjà dit que j’avais pu les aider un peu. J’en ai été fière, et je l’ai cru. Je sais, par expérience, qu’il y a des heures dans la vie où la plus petite chose peut ranimer un courage fatigué et faire sourire un cœur triste.
Eh bien, j’ai été cette petite chose : la main tendue à celle qui traverse en tremblant la passerelle étroite ; la petite lueur qui perce la nuit et fait retrouver le sentier perdu ; la bonne caresse du chien qui vous lèche la main quand il voit vos yeux pleins de larmes ; la fleur qui rend la chambre d’exil moins froide.
Et d’avoir été quelquefois une bonne petite chose dans votre vie me rend toute heureuse. C’était mon ambition quand je consentis à chercher votre sympathie.
Les bonnes petites choses font la vie meilleure et plus pleine, et les sages et les heureux de ce monde sont ceux qui sont attentifs et savent les découvrir à travers les banalités courantes. Les bonnes petites choses nuancent délicieusement le bonheur et empêchent la tristesse d’être trop accablante. Ne les dédaignons pas, quand elles passent à notre portée, et surtout ayons les yeux ouverts afin de les voir passer.
On entend beaucoup de plaintes et de lamentations sur les ennuis et les duretés de la vie, et il me semble que bien peu songent à bénir ses douceurs et ses joies. Et cependant, non seulement elles sont nombreuses, mais suffisantes pour équilibrer les plateaux de la balance.
Autrement, la vie ne serait pas le suprême bienfait de Dieu dont nous devons lui être reconnaissants. Autrement, nous détesterions la vie, et malgré nos déclamations et nos jérémiades, nous l’aimons, la vie ; nous l’aimons en l’accusant, en l’injuriant quelquefois, mais comme nous nous y cramponnons quand nous sommes menacés de la perdre. Je reproche ce grand mensonge à l’humanité et j’aime les êtres sincères qui aiment la vie, et qui le disent même quand la souffrance les déchire.
Aimer la vie, c’est mieux aimer le bon Dieu, et Il doit vouloir que nous la bénissions.
Ce serait une bonne œuvre de faire aimer la vie aux autres, et pour cela il ne s’agit que de la leur rendre aimable. Ah ! les pauvres autres ! C’est trop souvent sur eux que pleuvent nos mécontentements et nos injustes rancunes. Chacun n’a-t-il pas assez de son fardeau ? Où est la justice de celui qui charge son voisin de ce qui l’écrase ? Observez bien autour de vous : Qui sont les heureux ? Ni les plus riches, ni les plus favorisés du sort : ce sont ceux qui se contentent de ce qu’ils ont et qui font, de la joie qu’ils donnent aux autres, un des éléments de leur bonheur.
Essayons de trouver ce bonheur. C’est si facile d’aimer les autres et de se contenter de ce que l’on a !