Lettres de Fadette/Première série/22

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XXI

Elles savent aimer


Une des grandes vérités qui m’a frappée et qui ressort de la lecture de tous les Évangiles de la semaine sainte et de Pâques, c’est la fidélité et le courage féminins constamment mis en opposition avec la lâcheté des apôtres et des disciples du Christ. D’abord, Judas le trahit et le vend ! Pierre le renie, et tous les disciples s’enfuient pour n’être pas compromis. Quand Jésus écrase sous le fardeau de la croix, pas un ami n’est là pour l’aider, et c’est un étranger qu’on oblige à le secourir. Cependant, sa mère et toutes les saintes femmes l’ont suivi et ne le perdent pas de vue. Sainte Véronique n’a pas peur d’écarter les soldats pour s’approcher de Lui dans un élan de pitié touchante et brave. Et elles le suivent au Calvaire, jusqu’à son dernier soupir ; elles ne le quittent plus, et quand il est dans le tombeau, elles y reviennent : douloureusement obstinées, elles méritent de Le voir et de L’entendre quand Il ressuscite, et cette faveur est le couronnement et la glorification de la fidélité de leur cœur.

Il a fallu que les apôtres apprissent à aimer et à ne pas trembler. Elles l’ont su sans l’apprendre.

De cela, nous devons être fières ! On nous raille si souvent, on a tant de plaisir à faire remarquer notre légèreté et notre caprice, notre faiblesse et notre inconstance, que c’est un grand bonheur pour nous de relire ces belles pages où « notre » supériorité éclate et reçoit une si magnifique récompense.

Ayons donc une très haute opinion de nous-mêmes, non pour en tirer vanité, mais pour nous rendre inaccessibles à tout ce qui, en nous amoindrissant, nous mettrait à trop bon marché. Laissons aux hommes ces supériorités que leur orgueil réclame ; ils ont beau faire, ils ne nous enlèveront pas celle-ci qui est de puiser dans la souffrance des êtres aimés des forces miraculeuses pour les soutenir, pour leur pardonner, pour les aimer à travers toutes les obscurités et les défaillances humaines.

Soyons glorieuses de savoir aimer profondément, bravement, toujours, avec une confiance indéracinable dans la puissance de notre amour pour vaincre les obstacles. Si vous aimez ainsi, vous ne direz jamais : « J’en ai fait assez ! » ou : « Je ne puis endurer davantage… » vous irez comme les saintes femmes jusqu’au Calvaire, jusqu’à la mort, jusqu’après la mort, tenant votre amour de toutes vos forces morales et physiques pour qu’il ne tombe pas, fermant les yeux s’il le faut, ne comprenant pas, si c’est mieux, et attendant, douloureusement obstinées, la résurrection de ces cœurs que votre amour finira par animer et vivifier, pauvres petites âmes désolées et fidèles.