Aller au contenu

Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/III. À Antonin

La bibliothèque libre.
Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 257-259).
III.
Pline à Antonin.

Que vous ayez plusieurs fois rempli le consulat avec autant de gloire que les consuls de l’ancienne Rome ; que vous vous soyez conduit dans le gouvernement d’Asie d’une manière qui n’a guère d’exemples, je dirais qui n’en a point, si votre modestie pouvait me le pardonner ; enfin, que vous soyez le premier de Rome, par votre intégrité et par l’ascendant de vos vertus, non moins que par l’autorité de votre âge ; tout cela, sans doute, mérite nos hommages et notre vénération. Cependant, je vous admire bien plus dans la liberté de la vie privée. Car il n’est pas moins rare que difficile de savoir tempérer l’austérité par la grâce, la gravité par l’enjouement ; et c’est à quoi vous réussissez à merveille, soit dans vos entretiens, soit dans vos ouvrages. On ne peut vous entendre parler sans se représenter ce vieillard d’Homère[1], dont les paroles coulaient plus douces que le miel ; ni vous lire, sans croire que les abeilles composent le tissu de vos ouvrages de la plus pure essence des fleurs.

C’est ce qui m’est arrivé, quand j’ai lu dernièrement vos épigrammes grecques et vos iambes. Que d’élégance ! que d’agrément ! que de douceur ! Quel goût de l’antiquité ! quelle finesse et quelle justesse à la fois ! Je croyais lire Callimaque, Hérode, ou d’autres auteurs plus délicats encore, s’il y en a ; car certainement ces deux poètes n’ont pas excellé dans ces deux sortes de poésies, et l’un même n’a composé que dans un seul. Est-il possible qu’un homme né à Rome parle si bien grec ? En vérité[2], je ne crois pas que dans Athènes même on possède mieux l’atticisme. Vous dirai-je tout ce que je pense ? J’envie aux Grecs la préférence que vous avez accordée à leur langue sur la nôtre : car il n’est pas difficile de deviner ce que vous auriez pu faire dans votre propre langue, quand vous avez su trouver tant de beautés dans une langue étrangère. Adieu.


  1. Ce vieillard d’Homère. Nestor. Au lieu de traduire la prose de Pline, je ne sais pourquoi De Sacy avait préféré traduire le vers de l’Iliade, dans lequel Homère caractérise l’éloquence de Nestor. (Iliad. i, 249.)
  2. En vérité. Nous avons écrit medius fidius, parce que l’usage a prévalu de l’employer ainsi, quoiqu’il eût été plus exact de dire me Dius Fidius. C’est une sorte d’affirmation énergique, qui a le même sens que me Hercule. « Dius fidius et Deus fidius, dit Forcellini, est Jovis filius, quem Sancum, vel Sanguin sabina lingua, Herculem grœca appellari putabant. »