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Lettres de Pline le Jeune/Tome premier/Panckoucke 1826/L5 XVII. À Spurinna

La bibliothèque libre.
Traduction par Louis de Sacy revue et corrigée par Jules Pierrot.
éditeur Panckoucke (p. 401-403).
XVII.
Pline à Spurinna.

Je sais combien vous vous intéressez à la prospérité des belles-lettres, et avec quelle joie vous apprenez que des jeunes gens d’une naissance illustre marchent dignement sur les traces de leurs ancêtres. Je m’empresse donc de vous dire que je suis allé hier entendre Calpurnius Pison. Le poème qu’il a lu avait pour titre les Métamorphoses en astres[1], sujet vaste et brillant. Il l’a traité en vers élégiaques, d’un tour coulant, aimable et facile, mais plein de majesté, quand l’occasion le demande. Son style, par une agréable variété, tantôt s’élève et tantôt s’abaisse : il sait mêler, avec un talent qui ne se dément jamais, la noblesse et la simplicité, la légèreté et la grandeur, la sévérité et l’agrément. La douceur de son accent faisait valoir son ouvrage ; et sa modestie faisait valoir le charme de sa voix. Il rougissait, et l’on voyait sur son visage cette crainte qui recommande si bien un lecteur : la timidité a, dans l’homme de lettres, je ne sais quelle grâce, que n’a pas la confiance.

Je pourrais ajouter beaucoup d’autres particularités, qui ne sont ni moins remarquables dans un homme de cet âge, ni moins rares dans un homme de cette condition ; mais il faut abréger. La lecture finie, j’embrassai Pison à plusieurs reprises ; et persuadé qu’il n’y a point de plus puissant aiguillon que la louange, je l’engageai à continuer comme il avait commencé, et à illustrer ses descendans, comme il avait été illustré par ses aïeux. Je félicitai son excellente mère ; je félicitai son frère qui, dans cette occasion, ne se fit pas moins remarquer par sa tendresse fraternelle, que Calpurnius par son esprit : tant son inquiétude et ensuite sa joie se manifestèrent vivement pendant la lecture ! Fasse le ciel que j’aie souvent de semblables nouvelles à vous mander ! J’aime assez mon siècle, pour souhaiter qu’il soit riche en talens, et que nos patriciens n’attachent pas toute leur noblesse aux images de leurs ancêtres. Quant aux Pisons, nul doute que les images muettes de leurs pères n’applaudissent à leurs vertus, n’encouragent leurs efforts, et (ce qui suffit à la gloire des deux frères) ne les avouent pour leur sang. Adieu.


  1. Les métamorphoses en astres. On n’est pas d’accord sur le titre du poëme de Calpurnius Pison : nous avons choisi celui qui nous a paru cadrer le mieux avec les éloges de Pline et avec le sens général de sa lettre. Au lieu de la leçon καταστερισμῶν, De Sacy avait adopté ἐρωτοπαίγνιον, c’est-à-dire, Poëme badin sur l’amour. Un pareil sujet ne nous semblerait nullement digne des louanges que lui donne Pline, eruditam sane luculentamque materiam. Nous ne voyons pas non plus comment, pour avoir composé des vers sur l’amour, on aurait pu dire qu’un jeune homme, d’une naissance illustre, marchait dignement sur les traces de ses aïeux. Le sujet des métamorphoses, au contraire, exigeait de la science, élevait la pensée de l’auteur à de sublimes considérations, et prêtait à une multitude de détails où l’on pouvait faire preuve d’un esprit profond et étendu. La manière dont De Sacy avait traduit la leçon qu’il adoptait, n’était pas propre à la faire goûter : « Le poëme qu’il a lu, disait-il, était intitulé : L’Amour dupé, sujet riche et galant. » Ἑρωτοπαίγνιον ne signifie pas l’amour dupé, et luculentus n’a jamais voulu dire galant.