Lettres de la Vendée/I/09
LETTRE IX.
Je crains, ma chère amie, de devenir
folle, j’ai des visions ; écoute, et n’aies
pas peur : je te mandais, avant-hier,
que Maurice devoit être deux jours
dehors, je me suis un peu ennuyée.
Nous sommes logés chez une femme
qui loue de vieux livres ; elle a ses
deux filles avec qui j’avois passé la
soirée en bas ; elles sont assez gaies ;
leur mère est une petite vieille qui
ressemble à un furet ; je gagnois du
temps, croyant que Maurice arriveroit ;
vers les onze heures je remontai,
et je passai encore une heure à l’attendre
et à lire, enfin, le sommeil m’accablant, je me mis dans mon lit ;
seulement je gardai mes habits ; je
jettai la couverture sur moi, et je laissai
la lumière sous la cheminée ; je veillai
encore quelque temps, et je m’endormis.
Il me sembla que j’errois la nuit,
pendant un orage, dans une forêt,
et poursuivie par des sauvages armés
de massues énormes ; chaque éclair
me découvroit un pays délicieux, et
l’obscurité me replaçoit parmi les ronces
et les épines qui me déchiroient ;
la foudre frappoit des arbres qui s’écrouloient
sur moi ; de quelque côté que
je voulois fuir, je ne voyois que des
flammes, et ces vilains sauvages prêts
à m’écraser ; au milieu d’un de ces
éclairs, qui me rendoient un moment
mon joli paysage, je vois devant moi
une figure brillante, comme un ange,
de lumière : tu penses bien que je me jette dans ses bras, et me voilà enlevée,
très-doucement, au milieu des
airs, et déposée sur un rocher élevé,
d’où je voyois parfaitement le beau
pays que m’avoient montré de temps
en temps les éclairs : le plaisant est
que, soit la faute des ronces ou des
vents, mes vêtemens n’existoient plus,
et je n’étois voilée que par les aîles de
mon bel ange ; mais il me pressoit
si fort entre ses bras, que je m’éveillai
presque étouffée, et je vois devant mon
lit, une grande figure blanche, dont la
sombre lueur de ma chambre ne me
laissoit distinguer que les yeux ardens
et enflammés comme les éclairs que je
venois de voir ; d’effroi je jette un cri,
et ma couverture étoit levée. Je me
précipite en bas du lit, du côté opposé ;
alors, une voix, que je reconnus bientôt,
me dit : — Qu’avez-vous ? n’ayez pas peur, c’est moi, c’est moi.
— J’étois dans un état violent, et j’avois
un tremblement général dans toute
ma personne ; le lit étoit entre lui
et moi ; il n’osoit s’approcher, apparemment
de peur d’augmenter mon
effroi. Il s’éloigna vers la cheminée,
en me répétant : — Rassurez-vous,
c’est moi, vous n’avez rien à craindre.
— Je repris peu à peu mes sens ; il
me tendit un verre plein d’eau, d’un
côté du lit à l’autre, et se mit à
essayer d’allumer du feu avec le balai
et du papier ; il tira un grand fauteuil
de tapisserie qui étoit près du
lit, et le plaça près de la cheminée ;
il étendit sur le fauteuil la couverture
du lit, il vint ensuite me prendre,
et me fit asseoir ; défit son grand
manteau blanc, qui m’avoit fait tant
de peur, et le déploya sur mes genoux ; j’avois le frisson. — Personne n’est
levé, me dit-il, il est trois heures,
et j’avois voulu voir, en rentrant, si
vous n’aviez besoin de rien. — Il avoit
l’air embarrassé, il ne savoit s’il devoit
s’approcher ou s’éloigner de moi ; je
me sentois défaillir ; il fit chauffer du
vin, j’en pris un peu, et mes forces
me revinrent ; nous restâmes ainsi
jusques au jour ; dès qu’il entendit
du bruit dans la maison, il descendit
pour me chercher du secours ; je me
levai alors, et je voulus essayer de marcher ;
je me sentois le bas du visage
brûlant, et qui me cuisoit beaucoup ;
je vis au miroir, qu’il étoit rouge en
différentes places ; apparemment qu’en
m’agitant dans le lit, pendant mon
rêve, la toile qui n’est pas très-fine,
m’avoit froissée. En rentrant, il me
demanda si je voulois un médecin ; je me sentois mieux ; je
dormis deux
heures dans mon fauteuil ; nous déjeûnâmes ensuite,
et j’en fus quitte
pour un ébranlement de nerfs, qui
m’a duré deux jours. Voilà mon songe,
cousine, si tu es interprète, tu m’en
diras ton avis. Aime-moi, même en
songe, comme je t’aime bien éveillée.