Aller au contenu

Lettres de la Vendée/I/09

La bibliothèque libre.


Treuttel et Würtz (Ip. 51-56).

LETTRE IX.

Mauléon, 20 fructidor, an 3 républicain.


Je crains, ma chère amie, de devenir folle, j’ai des visions ; écoute, et n’aies pas peur : je te mandais, avant-hier, que Maurice devoit être deux jours dehors, je me suis un peu ennuyée. Nous sommes logés chez une femme qui loue de vieux livres ; elle a ses deux filles avec qui j’avois passé la soirée en bas ; elles sont assez gaies ; leur mère est une petite vieille qui ressemble à un furet ; je gagnois du temps, croyant que Maurice arriveroit ; vers les onze heures je remontai, et je passai encore une heure à l’attendre et à lire, enfin, le sommeil m’accablant, je me mis dans mon lit ; seulement je gardai mes habits ; je jettai la couverture sur moi, et je laissai la lumière sous la cheminée ; je veillai encore quelque temps, et je m’endormis. Il me sembla que j’errois la nuit, pendant un orage, dans une forêt, et poursuivie par des sauvages armés de massues énormes ; chaque éclair me découvroit un pays délicieux, et l’obscurité me replaçoit parmi les ronces et les épines qui me déchiroient ; la foudre frappoit des arbres qui s’écrouloient sur moi ; de quelque côté que je voulois fuir, je ne voyois que des flammes, et ces vilains sauvages prêts à m’écraser ; au milieu d’un de ces éclairs, qui me rendoient un moment mon joli paysage, je vois devant moi une figure brillante, comme un ange, de lumière : tu penses bien que je me jette dans ses bras, et me voilà enlevée, très-doucement, au milieu des airs, et déposée sur un rocher élevé, d’où je voyois parfaitement le beau pays que m’avoient montré de temps en temps les éclairs : le plaisant est que, soit la faute des ronces ou des vents, mes vêtemens n’existoient plus, et je n’étois voilée que par les aîles de mon bel ange ; mais il me pressoit si fort entre ses bras, que je m’éveillai presque étouffée, et je vois devant mon lit, une grande figure blanche, dont la sombre lueur de ma chambre ne me laissoit distinguer que les yeux ardens et enflammés comme les éclairs que je venois de voir ; d’effroi je jette un cri, et ma couverture étoit levée. Je me précipite en bas du lit, du côté opposé ; alors, une voix, que je reconnus bientôt, me dit : — Qu’avez-vous ? n’ayez pas peur, c’est moi, c’est moi. — J’étois dans un état violent, et j’avois un tremblement général dans toute ma personne ; le lit étoit entre lui et moi ; il n’osoit s’approcher, apparemment de peur d’augmenter mon effroi. Il s’éloigna vers la cheminée, en me répétant : — Rassurez-vous, c’est moi, vous n’avez rien à craindre. — Je repris peu à peu mes sens ; il me tendit un verre plein d’eau, d’un côté du lit à l’autre, et se mit à essayer d’allumer du feu avec le balai et du papier ; il tira un grand fauteuil de tapisserie qui étoit près du lit, et le plaça près de la cheminée ; il étendit sur le fauteuil la couverture du lit, il vint ensuite me prendre, et me fit asseoir ; défit son grand manteau blanc, qui m’avoit fait tant de peur, et le déploya sur mes genoux ; j’avois le frisson. — Personne n’est levé, me dit-il, il est trois heures, et j’avois voulu voir, en rentrant, si vous n’aviez besoin de rien. — Il avoit l’air embarrassé, il ne savoit s’il devoit s’approcher ou s’éloigner de moi ; je me sentois défaillir ; il fit chauffer du vin, j’en pris un peu, et mes forces me revinrent ; nous restâmes ainsi jusques au jour ; dès qu’il entendit du bruit dans la maison, il descendit pour me chercher du secours ; je me levai alors, et je voulus essayer de marcher ; je me sentois le bas du visage brûlant, et qui me cuisoit beaucoup ; je vis au miroir, qu’il étoit rouge en différentes places ; apparemment qu’en m’agitant dans le lit, pendant mon rêve, la toile qui n’est pas très-fine, m’avoit froissée. En rentrant, il me demanda si je voulois un médecin ; je me sentois mieux ; je dormis deux heures dans mon fauteuil ; nous déjeûnâmes ensuite, et j’en fus quitte pour un ébranlement de nerfs, qui m’a duré deux jours. Voilà mon songe, cousine, si tu es interprète, tu m’en diras ton avis. Aime-moi, même en songe, comme je t’aime bien éveillée.