Lettres de la Vendée/I/10
LETTRE X.
Il y a trois jours, ma chère,
que je n’ai pris la plume pour t’écrire,
et cependant nous avions quelque séjour
ici ; mais je ne sais… il a regné
dans cette maison beaucoup de petites
gênes. Comme l’endroit est assez commerçant, et que mes vêtemens
avoient besoin d’être réparés, j’ai employé
une partie de la somme que tu
m’as envoyée, à cet usage ; et pour
éviter de me promener dans la ville,
je proposois aux filles de l’hôtesse, de
me faire mes emplettes ; j’en suis fâchée à présent ; car, prenant de-là occasion de me voir, elles me faisoient,
aux moindres objets, descendre chez
elles, soit pour examiner les marchandises,
ou en disputer le prix ; enfin,
pour finir tous ces embarras, j’ai tout
de suite pris ce qui me convenoit, et
leur ai acheté à chacune un grand mouchoir
d’indienne. Tout cela m’a donné
de l’ouvrage ; car, malgré leur offre, je
n’ai point voulu qu’elles travaillassent
avec moi, j’ai ce matin, moi-même,
repassé le linge de Maurice et
le mien, qu’elles m’avoient blanchi ces jours-ci ; j’étois un peu novice,
mais enfin je m’en suis tirée. Me
voilà, chère Clémence, tout-à-fait
ménagère. Mon gendarme est toujours
étonné quand il me voit occupée de
ces détails, et sur-tout lorsqu’ils sont
pour lui ; il me fait des excuses qui
contrastent parfaitement avec le plaisir qu’il en ressent ; cependant, depuis
quelques jours,
je le trouve plus gêné
avec moi ; cette petite indisposition
que j’ai eue la nuit, où je l’avois
attendu, lui a donné beaucoup d’inquiétude ;
il semble craindre que je
ne l’attribue à l’effroi qu’il m’a causé
lorsque je le vis, en m’éveillant, tout
debout aux pieds de mon lit, car tous
les jours, en me demandant comment
je me trouve,
il ajoute des regrets
d’avoir troublé mon sommeil, et d’être
entré si tard dans ma chambre, il dit être excusable par l’inquiétude que lui a causé son éloignement ; et quand
je le rassure et veux lui ôter cette idée,
ses yeux, ses mains, tous ses mouvemens me remercient avec la plus
touchante expression. Vraiment, ma
chère, je t’avoue que,
malgré que je
n’étois pas contente de ce qui s’étoit
passé, je n’ai pas le courage de me fâcher ;
d’ailleurs,
fatigué comme il devoit l’être, il pouvoit avoir besoin de
quelque chose chez moi, car tu juges
bien que nos appartemens ne sont pas brillans,
et que nous sommes trop
heureux quand nous trouvons chacun
un gîte pour nous loger ; aussi-tôt
qu’il y a une chambre, il me la donne,
et alors il dort dans son manteau,
ou sur un lit quelque part dans la maison. J’ignore encore combien nous
serons ici : Maurice n’en sait rien lui-même, car on n’a point encore reçu
d’ordre ; je voudrois en être partie ; je m’y déplais ; je ne pourrois rendre
pourquoi ; mais l’empressement de
l’hôtesse et de ses filles me gêne ; je
suis continuellement forcée de les remercier
de leur attention ; elles voudroient
que j’allasse chez elle le soir,
mais j’aime bien mieux rester chez moi, même lorsque je suis seule,
ce qui arrive actuellement assez souvent ;
comme nous séjournons ici, on envoie
Maurice en détachement avec
quelques autres, pour les alentours de
la ville ; on craint des bandes cachées
dans les bois ; tout cela m’est bien
désagréable, car, pendant son absence,
ces femmes sont encore plus après
moi ; elles ont l’air de craindre que
je ne m’ennuie ; or, comme elles
vendent des livres, il y vient beaucoup de monde ; grand motif qui me détermine encore plus que le reste à n’y point aller. Ma bonne Clémence, écris-moi ; tes lettres m’apportent le seul bonheur que je puisse
connoître ; chaque fois que j’en reçois, la plus douce illusion vient faire trève à mes peines ; je me crois avec toi ; je t’écoute, il me semble t’entendre, comme dans ces temps heureux, où tout en me grondant de mes étourderies, tu venois encore les partager, et prendre ma défense auprès de ma mère, qui te disoit toujours : — Vous la gâtez, Clémence, elle ne sera jamais raisonnable. — Hélas ! ma chère, j’apprends à la devenir à l’école du malheur ; et dans ce moment, où j’aurois tant besoin de toi, ce n’est plus que ton souvenir qui m’aide à me conduire ; par-tout où je vais, il me suit. Ah ! ma chère, je t’ai bien fait voyager ; dans mes promenades sur-tout, je cherche machinalement les mêmes sites, les mêmes images des endroits où nous allions ensemble, les mêmes effets de jour où le soleil entroit dans ta chambre, et fixoit sa lumière sur le portrait de ta mère ; chère cousine, j’imagine, qu’en le regardant aujourd’hui, un soupir t’échappe pour ta pauvre Louise. Que j’étois heureuse alors ? Que ta tendresse, en le critiquant, me faisoit bouder et recommencer mon ouvrage. Toutes ces scènes me sont encore présentes ; et tout ce qui m’y ramène me donne un moment de bonheur.
Hier, en nous promenant dans un chemin près de la maison, Maurice remarqua une plante tout-à-fait semblable à celle qui a la forme d’une petite pomme rouge, et que tu prétendois être si rare, de laquelle tu voulois faire naître des fruits excellens ; tu te rappelles ta belle plantation, eh bien ! ma chère, cet ornement de ton parterre, qui devoit, dans sa croissance, faire mes délices, et nous rendre encore plus cher le terrein sur lequel il étoit. Ah ! tu avois raison, c’étoit ton ouvrage ; je le trouvai dans un coin abandonné, sans culture ; c’étoit absolument le même ; j’en faisois l’examen en tressaillant ; je me baissai avec un sentiment religieux, pour recueillir cette plante, que tu aimois, que tu avois élevée dans l’enclos de notre maison ; Maurice, sans deviner le sujet de mon émotion, se mit à en ramasser aussi, et nous en rapportâmes plusieurs. Chère Clémence, si je suis assez heureuse pour te rejoindre bientôt, je les planterai près des tiennes ; nous les verrons croître ensemble ; elles dateront des peines et de l’exil que j’ai souffert loin de toi ; je voudrois pouvoir te les faire parvenir, tu leur donnerois tes soins ; et si ta Louise ne peut revenir, si mes yeux se ferment avant, tu les garderois ; elles te rappelleroient le tendre sentiment qui me les fit arracher d’un lieu sauvage, pour te les rapporter.