Lettres de la Vendée/I/16
LETTRE XVI.
Aujourd’hui mon ame est triste…
je ne retrouverai plus, chère amie,
cette sorte de gaîté que je parvenois
au moins à feindre ; je suis affaissée
sous le poids des souvenirs et des
craintes, l’avenir ne me promet rien
de mieux ; peut-être est-il un terme
à notre courage ? et les efforts pour le
relever, lorsqu’ils sont vains, ne servent
qu’à épuiser ses forces et à nous
avertir de notre foiblesse ; mon ame
est triste, et je t’écris pour moi, parce
que j’y trouve, ou du moins j’espère,
un moment d’intervalle ; c’est être hors de moi-même et toute en toi ;
ce n’est pas du dehors que viennent
mes peines ; Maurice est à-peu-près
aussi bien qu’il peut être. Sa reconnoissance
me paie bien mes soins,
et je trouve une sorte de douceur à
m’acquitter. Il paroît même plus à
son aise depuis qu’il semble que c’est
lui qui m’est redevable ; hier, après
les petits soins d’une garde malade,
— il faut, me disoit-il, il faut, dès que
je serai sorti, il faut, qu’à tout prix,
j’essaie de vous ramener à votre famille,
il le faut… Quelle vie vous
menez ici ! que vous devez souffrir
tous les jours ! le chemin ne sera peut-être
pas impossible ; et, en cas de malheur,
si nous venions à être arrêtés,
une femme court moins de danger ;
si nous arrivons, au retour je serai
seul ; le sort qui m’attend n’est pas beaucoup à ménager ; — je l’assurai que
je prenois mon sort très en patience ;
que sa conduite, ses égards pour
moi, me rendoient ma situation bien
moins pénible, et que rien au monde
ne me feroit consentir à le laisser
s’exposer pour moi. Le médecin lui
donne des soins particuliers, me
dit toujours qu’il me le rendra. Ainsi
mon mal est en moi, et vient de
moi, c’est peut-être ce qui me le rend
plus sensible ; n’as-tu jamais éprouvé
ces délaissemens de l’ame, cette mélancolie
qui, de ses mains grises, ternit
et décolore tout ce qu’elle touche ;
c’est au moral cette sorte de malaise,
que l’on ressent quelquefois sans
pouvoir dire où l’on souffre. Les maux
cuisans comme les douleurs aigues,
donnent un ressort qui ressemble au
courage ; on se relève, mais l’abbattement se traîne ; on souffre, et l’on
manque de force pour crier, on ne
peut que se plaindre.
En relisant ma lettre, je ne sais si je te l’enverrai, c’est une vraie lettre d’hôpital ; c’est assez d’y être, je ne veux pas t’y mettre ; cependant tu auras la lettre ; tu n’es pas de celles qui n’aiment de leurs amis que leur gaîté ; je te dois tout moi-même, et mon amitié ne fera grace de rien à la tienne. Je t’aime assez pour vouloir que tu me prennes telle que je me trouve.