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Lettres de la Vendée/I/16

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Treuttel et Würtz (Ip. 96-99).

LETTRE XVI.

Mauléon, du 8 vendémiaire, toujours à l’hôpital, an 4 républicain.


Aujourd’hui mon ame est triste… je ne retrouverai plus, chère amie, cette sorte de gaîté que je parvenois au moins à feindre ; je suis affaissée sous le poids des souvenirs et des craintes, l’avenir ne me promet rien de mieux ; peut-être est-il un terme à notre courage ? et les efforts pour le relever, lorsqu’ils sont vains, ne servent qu’à épuiser ses forces et à nous avertir de notre foiblesse ; mon ame est triste, et je t’écris pour moi, parce que j’y trouve, ou du moins j’espère, un moment d’intervalle ; c’est être hors de moi-même et toute en toi ; ce n’est pas du dehors que viennent mes peines ; Maurice est à-peu-près aussi bien qu’il peut être. Sa reconnoissance me paie bien mes soins, et je trouve une sorte de douceur à m’acquitter. Il paroît même plus à son aise depuis qu’il semble que c’est lui qui m’est redevable ; hier, après les petits soins d’une garde malade, — il faut, me disoit-il, il faut, dès que je serai sorti, il faut, qu’à tout prix, j’essaie de vous ramener à votre famille, il le faut… Quelle vie vous menez ici ! que vous devez souffrir tous les jours ! le chemin ne sera peut-être pas impossible ; et, en cas de malheur, si nous venions à être arrêtés, une femme court moins de danger ; si nous arrivons, au retour je serai seul ; le sort qui m’attend n’est pas beaucoup à ménager ; — je l’assurai que je prenois mon sort très en patience ; que sa conduite, ses égards pour moi, me rendoient ma situation bien moins pénible, et que rien au monde ne me feroit consentir à le laisser s’exposer pour moi. Le médecin lui donne des soins particuliers, me dit toujours qu’il me le rendra. Ainsi mon mal est en moi, et vient de moi, c’est peut-être ce qui me le rend plus sensible ; n’as-tu jamais éprouvé ces délaissemens de l’ame, cette mélancolie qui, de ses mains grises, ternit et décolore tout ce qu’elle touche ; c’est au moral cette sorte de malaise, que l’on ressent quelquefois sans pouvoir dire où l’on souffre. Les maux cuisans comme les douleurs aigues, donnent un ressort qui ressemble au courage ; on se relève, mais l’abbattement se traîne ; on souffre, et l’on manque de force pour crier, on ne peut que se plaindre.

En relisant ma lettre, je ne sais si je te l’enverrai, c’est une vraie lettre d’hôpital ; c’est assez d’y être, je ne veux pas t’y mettre ; cependant tu auras la lettre ; tu n’es pas de celles qui n’aiment de leurs amis que leur gaîté ; je te dois tout moi-même, et mon amitié ne fera grace de rien à la tienne. Je t’aime assez pour vouloir que tu me prennes telle que je me trouve.