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Lettres de la Vendée/I/21

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Treuttel et Würtz (Ip. 145-153).

LETTRE XXI.

De Mauléon, 17 vendémiaire, an 4 républicain.


OH ! ma Clémence ! que tu avois raison : imprudente, j’osois douter de la sagesse de tes avis. Qu’ai-je fait ?… où suis-je ?… que vais-je devenir ?… Ah ! fatale journée, le charme est rompu, le voile est tombé ; le passé fait peut-être ma honte, et le présent fait mon désespoir. Funeste crédulité, ma présomption m’a perdue : oh ! ma chère amie, quel récit à te faire ; mais tout s’épure en arrivant jusques à toi. Je t’ai dit hier l’heureuse journée que nous avions passée ; on se retira un peu tard ; Maurice étoit mieux, je t’ai même dit qu’il étoit plus animé qu’à l’ordinaire. Je crois bien que le vin et les réflexions de l’hôtesse y avoient contribué ; je les suivis et ne rentrai que lorsqu’il fut couché ; son lit est dans une alcove ; le mien est derrière un paravent près de la fenêtre. Pendant la nuit, je l’entendis plusieurs fois dans une agitation violente ; il parloit seul, sembloit rêver, et prononçoit souvent mon nom. Je crus d’abord qu’il étoit souffrant et qu’il m’appeloit : je me levai assise, et j’écoutai : je l’entendis alors qui sanglotoit en dormant, avec des soupirs étouffés. Il répétoit d’un accent terrible : — jamais… quoi jamais… — Je craignis que ce ne fut un délire. Je ne quitte que ma robe pour me coucher ; je me jettai en bas du lit, je prends la lumière, et vais à lui. — Qu’avez-vous, lui dis-je ? — Sa tête étoit nue ; son visage animé ; il me regarda un moment sans me répondre, avec des yeux fixes et égarés.

J’eus peur. Je lui répétai encore : — Maurice, qu’avez-vous ? répondez-moi. — Alors, par un mouvement violent, il se leva à demi, me saisit la main dont je tenois la lumière ; elle tomba et s’éteignit ; il porta mon bras à sa bouche ; et l’y tint collé en le pressant de ses lèvres ; je ne cessois de lui dire : — Qu’avez-vous ? Qu’est ce ! vous me faites mourir de frayeur ; — sans me répondre que par des accents étouffés, il me serra entre ses bras et m’attira à lui. Je sentois son visage brûlant sur le mien, et ses lèvres pressées sur les miennes, m’ôtèrent quelques tems l’usage de la voix. Je parvins à me dégager un moment, et je m’écriai ; — ah ! malheureux,… cruel… vous m’accablez de douleur. — Ses bras se relâchèrent, et je pus me relever ; alors il se précipita de son lit en s’écriant : — mourir, mourir ensuite. — Dans l’obscurité je m’étois éloignée et retirée derrière le paravent : je l’entendois parcourir la chambre ; un meuble qu’il renversa dans la cheminée, répandit le feu qui étoit couvert : à cette lueur obscure, il m’apperçut, et s’arrêta ; d’effroi et de foiblesse je me laissai tomber assise sur mes talons, la tête cachée dans mes deux mains appuyées sur mes genoux, et je m’écriai : — malheureux Maurice, que voulez-vous de moi, est-ce ma mort ? Je te conjure, au nom de Dieu, aie pitié d’une infortunée. — Il vint à moi sans parler, et essaya de me relever ; je me roidis dans l’attitude où j’étois, et je m’écriai encore : — malheureux Maurice. — La voix me manqua : je me sentis suffoquée ; je pus dire seulement : — je me meurs. Il me quitta, courut précipitamment à son alcove, je l’entendis tomber et se débattre ; il poussoit par intervalle des gémissemens sourds. Nous restâmes ainsi près d’un quart-d’heure, l’un et l’autre, dans le silence ; je crus alors qu’il n’étoit plus ; je l’appelai : — Maurice ? — Ne craignez plus, me dit-il, mais ne m’approchez pas. — Le jour commençoit à poindre ; j’entendis en même-temps du mouvement derrière ses rideaux : je distinguai qu’il s’habilloit ; il revint au milieu de la chambre, et me dit : — rassurez-vous ; pardonnez-moi si vous le pouvez, ne me haïssez pas. J’ai été dans un accès de fureur, je ne me connoissois plus ; mais c’en est fait ; vous ne me verrez jamais, et je me ferai justice. — Il m’effraya encore plus. Je lui criai : — où vas-tu malheureux ? — Mais sans me répondre, il poussa la porte et descendit ; j’entendis celle de la rue rouler sur ses gonds ; ma fenêtre y donne, je l’ouvris ; il étoit déjà loin, marchant à pas précipités. Je restai seule, immobile, et je crois que je perdis quelque temps l’usage de mes sens. Je me retrouvai assise sur mon lit, et baignée de larmes ; il étoit jour, j’entendois déjà du bruit dans la maison ; je ne savois que faire, quel parti prendre, que dire ! qu’alloit-on penser de moi ? heureusement l’usage n’est pas d’entrer chez nous le matin, avant que je sorte de la chambre. Je suis restée plus de deux heures dans cet état, sans pouvoir prendre aucune résolution ; enfin, je me détermine à aller chez la femme du vieux cavalier, peut-être, savoient-ils ce que cet infortuné étoit devenu ; je descends doucement sans être apperçue ; au détour de la rue, je la rencontre ; — vous voilà, dit-elle, j’allois vous chercher ; qu’est-il donc arrivé ?… et Maurice, dis-je ?… — elle voulut me ramener, je préférai de la suivre ; j’appris en chemin, que Maurice étoit venu chez eux le matin, qu’il leur avoit dit, d’un air égaré : — il faut que je parte, prenez soin d’elle ; si à la paix, vous pouvez la reconduire dans sa famille, vous êtes sûrs d’une bonne récompense ; elle n’est pas ma femme ; c’est à elle à vous dire son nom. — Mon mari lui a dit : — tu ne partiras pas, je te garde ; où iras-tu ?… — Deux de nos jeunes gens étoient à boire ; l’un d’eux lui a conté toute votre histoire avec le commandant ; tout-à-coup, il a pris son sabre sous le bras, et a sauté les escaliers ; mon mari l’a suivi ; en arrivant, nous ne trouvâmes personne à la maison ; — on ne sait ce que ceci peut devenir, dit la femme, fermons toujours la porte… — Je me hâte de t’écrire, afin qu’à tout événement, tu aies nouvelles de moi ; je me sens à peine ; il est onze heures, et nous n’entendons parler de rien… Oh ! ma chère, quelle scène ! et plût à Dieu encore que ce fut la dernière… la femme veut sortir et savoir ce qui se passe ; on entend beaucoup de rumeur dans la ville ; des patrouilles armées parcourent les rues. Je ferme ma lettre, et je la lui donne pour la jetter à la boîte de la poste ; elle veut que je m’enferme dans le cabinet jusques à son retour. Oh ! ma Clémence, lève pour moi tes mains au ciel ! si cette lettre te parvient, que ta pitié…ta pitié, ah ! c’est elle dont j’ai besoin. Le désordre de ma lettre, celui de mon ame, lui sert trop d’excuse. Adieu, hélas ! peut-être pour jamais, adieu.