Lettres de la Vendée/I/24
LETTRE XXIV.
Nous avons prolongé notre séjour ;
l’aisance, la sûreté, et aussi un peu
ma santé, en sont causes. Mon loisir
te vaudra le plaisir de recevoir une
lettre plus tranquille : tu vois que je
te juge avec ma tendre confiance ; tu
dois connoître notre bonne hôtesse ;
car elle te connoît parfaitement, et
dit, t’avoir vu plusieurs fois. Elle est
née ici : son père étoit un bon artisan.
Elle fut de bonne heure orpheline, et
ses parens la marièrent jeune. Son
mari, qui est du même lieu, servoit
alors dans un régiment qui fut embarqué pour l’Amérique ; elle le suivit,
étant grosse, et accoucha à
Rennes, où elle fut obligée de rester.
Son enfant mourut ; et ma mère, qui
étoit venue de Bois-Guéraut, à Rennes,
pour ses couches, l’ayant connue,
la prit pour nourrice, et l’emmena.
Elle resta chez nous, deux
ans, jusque au retour de son mari,
qui ayant eu son congé, se plaça
cavalier de maréchaussée. Alors, son
service n’exigeant pas de déplacemens
éloignés, elle put continuer un commerce
de mercerie, qu’elle tient encore.
Les événemens de la guerre,
dans la Vendée, ayant fait rassembler
les gendarmes aux armées, elle voulut
le suivre. Il paroît qu’ils sont aimés
et estimés dans leur pays : il vient
chez eux beaucoup de monde, que
nous ne voyons pas ; car nous sommes au secret ; elle a reçu ce matin, une
lettre de son mari, qui m’a fait grand
plaisir : sans entrer dans des détails,
il lui apprend d’abord que le commandant
n’est pas mort ; on le porta
chez lui, après le coup. Si comme on le
croit, il en revient, cela rend l’affaire
de Maurice un peu moins mauvaise.
La scène s’étoit passée dans une
rue étroite, et peu habitée ; le commandant
avoit été forcé de mettre le
sabre à la main ; le vieux cavalier,
qui suivoit Maurice, arriva à temps,
pour l’entraîner hors de la ville, et le
mettre en sûreté, dans le bois où nous
le trouvâmes. Ce bon cavalier a vu
aussi nos hôtesses, et les a instruites
et rassurées. Elles ont promis
qu’elles m’écriroient, dès que cela
seroit possible ; elles lui ont remis
notre mince bagage. Nous comptons passer ici encore un jour, peut-être
deux, pour quelques arrangemens de
marche, dont je te ferai part. À demain,
ma chère, je continuerai, avant l’heure de la poste.