Lettres de la Vendée/II/25

La bibliothèque libre.


Treuttel et Würtz (IIp. 1-13).

LETTRE XXV.

De Château-Gontier, 26 vendémiaire, an 4 républicain.


Je continue ma lettre, chère amie ; et avant d’entreprendre, je crois que, te faire part d’avance de nos projets, c’est fortifier nos espérances ; c’est appeler sur nous les regards de la providence ; c’est mettre la fortune de notre côté. Nous avons eu quelques moyens ici, d’être instruits des événemens qui règlent notre destinée ; nous avons su, d’abord, que la paix de Charette est signée définitivement. On nous parle ici, de celle de Stofflet ; mais ils ont eu une grande affaire, près de Dol, où ils ont perdu, dit-on, beaucoup de monde. Me voilà sous le poids de nouvelles inquiétudes, pour mon frère. Cependant, il n’y a pas à balancer ; ce parti est le seul pour nous : ni Maurice, ni moi, ne pouvons retourner en arrière : notre sort est écrit ; et nous ne pouvons le lire, que là où nous allons. Après bien des incertitudes, et des variantes, voici ce que nous avons résolu : tu te souviens que lors de notre halte, chez les sabotiers, je t’ai dit que l’un d’eux, paroissoit assez au fait de cette guerre, et y avoit pris part ; au milieu de nos irrésolutions, le souvenir de cet homme revint à Maurice ; il voulut y aller ; notre hôtesse s’en chargea ; il s’est trouvé que nous avions deviné juste ; et cet homme, moitié comptant, moitié promesses, s’est déterminé à venir avec nous, et nous servir de guide ; il connoît le pays. Nous ne pouvons plus penser à aller à Mayenne ; ils n’y sont plus. On présume qu’après leur affaire de Dol, ils se sont retirés plus loin, sans trop s’éloigner de la mer. Notre marche est de suivre la rive droite de la rivière de Mayenne ; il y a peu de troupes réglées de ce côté, et si nous rencontrons quelques bandes des gens de Stofflet, notre ressource est de nous y réunir, pour tâcher de gagner le lieu où il est. Vraisemblablement, mon frère sera resté près de lui, avec le gros de leurs troupes ; du moins, nous pouvons espérer d’apprendre là, de ses nouvelles. Notre séjour, ici, ne peut se prolonger plus long-temps ; et nous partons demain, à l’entrée de la nuit. Ce temps, qui me reste, t’appartient ; je l’emploie, et je le prolonge à-la-fois, en te le consacrant. Qui sait, si cette lettre, n’est pas la dernière que tu recevras de moi ? Qui sait, si ces lignes, ne sont pas les dernières que tracera ma main, et que mon cœur t’adressera ? Je te parle encore, et je me hâte de mettre au profit de notre amitié, tous les instans qui lui restent. Me voilà, pourtant, avec une perspective devant moi ; l’espérance commence à rentrer dans mon ame : il y a bien long-temps que je n’ose plus penser à l’avenir. Ah ! si jamais la tranquillité me ramène les heureux jours que je passai dans le sein de ma famille, c’est alors que mon ame renaîtra pour jouir du bonheur ; les peines que j’ai souffertes, y mettront un nouveau prix encore, ma chère. Quel réveil, ce sera pour ta Louise, que de se retrouver dans tes bras, depuis que je suis loin de toi. Que de momens affreux, où je crus tout anéanti pour moi ; où ton souvenir, celui de ma mère, de mon père, me déchiroit par le sentiment de ce que j’avois perdu ; je me retrouve aujourd’hui ma force et mon courage ; toutes mes facultés cherchent, dehors de moi, un point où s’arrêter. Je me sens fatiguée physiquement ; mais ma pensée est dans une activité continuelle. Je suis presque contrariée, de voir ceux qui m’entourent, ne pas partager mes craintes et mes espérances ; ma bonne nourrice, arrange ses affaires tranquillement, et dit, froidement : — il faut faire cela, et puis, nous verrons. — Maurice, l’écoute d’un air accablé : il paroît être dans une situation d’ame, absolument contraire à la mienne ; il semble craindre, à mesure que j’espère, et, par des mots qui lui échappent, décidé à me quitter, et à s’éloigner, dès que je serai arrivée au terme. Tu juges, si je dois lui laisser cette offensante idée. D’autres fois, je le vois impatient de partir ; les délais le tourmentent ; sa situation le fatigue ; il évite nos tête-à-têtes, et paroîtroit vouloir s’accoutumer à mon absence. Je le suis des yeux, et il ne se doute pas que je le devine. Je le connois, maintenant, et pas un mouvement de son cœur ne m’échappe : hier au soir, comme nous étions tous trois, seuls, auprès du feu, je causois, avec ma nourrice, de ma famille ; elle se rappelle mon frère, qu’elle dit avoir vu bien petit ; cet entretien, que je prolongeois de mes souvenirs et de mes espérances, donnoit beaucoup de charmes à cette soirée : je me sentois à l’aise, chez cette bonne femme, qui m’avoit nourrie ; je me retrouvois dans les bras de celle à qui mes parens m’avoient confiée, dans mon enfance. Maurice, même, avec lequel je n’avois plus cette contrainte, suite de celle où j’étois forcée de le tenir avec moi, je t’avoue, ma chère, que depuis ce que je lui ai dit, mon cœur est plus tranquille ; il me semble que j’ai rempli, et ce que je lui devois, et ce que je me devois à moi-même. Après ce qui s’étoit passé, les expressions qui lui échappèrent, les mouvemens, où son ame paroissoit s’exalter, tout m’a dû faire croire qu’il en étoit heureux ; et cependant, je me trouve aujourd’hui, presque suppliante, pour qu’il ne nous quitte pas, et qu’il ne s’expose pas aux dangers qu’il ne pourroit éviter. — Maurice, lui disois-je, mon cher Maurice, voudriez-vous laisser votre tâche imparfaite ? Ne m’avez-vous pas promis de me remettre à ma famille ? et n’est-ce pas là, où vous devez jouir de toute la reconnoissance que nous vous devons tous ? Songez-vous au bonheur que vous leur donnerez, en leur rendant leur fille ; et, les peines de celle que vous avez sauvée, ne vous sont-elles plus rien ? mon cœur n’est-il plus, pour vous, une assez douce récompense ? — En achevant ces mots, je serrois sa main dans les miennes. — Bonne nourrice, aidez-moi ; que deviendra-t-il s’il nous quitte ? — Il n’importe, dit-il ; tranquille sur votre vie, le reste m’inquiète peu. — Quoi ! ajoutois-je, m’abandonneriez-vous, dans ce moment, où… — Oh ! jamais, jamais ; je vous remettrai dans les bras de votre famille ; mais après, n’en exigez pas davantage. Je n’aurai plus que mes souvenirs ; ils me resteront jusqu’au temps où il n’y aura plus rien pour moi. Un moment, un éclair de bonheur a passé ; la réflexion m’a rendu à ce qui m’entoure. Il faut subir son sort. — Je ne sais, ma chère, si le ton de ces paroles, ou l’expression triste qu’il y mit, fit changer ma pensée ; car, voyant alors tout ce qui me restoit à faire pour réaliser les espérances que je lui avois données, mon cœur se serra ; des pressentimens douloureux me faisoient prévoir des obstacles qui détruiroient peut-être tous mes projets ; je n’osois lui en parler ; je le regardois sans rien dire ; je me sentois les yeux humides. Cette triste pensée de le quitter, d’avoir fait son malheur, soulevoit mon ame et l’accabloit. Cette cruelle ingratitude, à laquelle mes parens pouvoient me condamner, et qui ne m’étoit pas encore venue à l’esprit, ou plutôt que j’en avois éloignée, se représentoit avec une force qui m’ôtoit presque le courage d’aller chercher tant de peines. J’eus un moment où je desirois l’anéantissement pour ne plus voir l’avenir ; c’est alors que je sentis tout le mal que j’avois fait, en flattant la passion de ce jeune homme. Je n’écoutai que mon cœur, il me mena trop loin ; je vois aujourd’hui tous les chagrins et tout le malheur qui nous restent à souffrir… Chère Clémence ! que sont les hommes ? que leur cruel orgueil a fait de victimes… Ne crois pas que je rougisse jamais de ce que j’ai fait, ma raison l’approuvoit, et mon cœur n’a marché qu’avec elle ; si j’étois seule, je serois fière de mes sentimens ; je les lui devois tous ; je ne pourrois supporter l’idée qu’il me crut capable d’un calcul odieux, qui l’éloigneroit de moi. Non, non, ma chère, toi, qui es ma seule amie, toi la seule, à qui je puisse montrer ce cœur tel qu’il est, entends ses sermens : jamais un seul moment il ne sera coupable à son égard ; je ne serai point sa femme malgré ma famille ; jamais mes respectables parens n’ont eu à se plaindre de moi, et j’espère mourir comme j’ai vécu ; mais, ma Clémence, jamais une autre union ne me rendra ce que je perdrois, jamais d’autres liens ne me donneront un bonheur qui ne seroit plus fait pour moi ; j’aime à penser, qu’au milieu de ses peines, il ne m’en accusera pas ; qu’il sentira que je suis autant leur victime que lui ; je partagerai tout, et rien ne me coûtera pour le faire parvenir à ce qu’il desire, et qu’il a si bien mérité. Sans plus lui en parler, je ne néglige rien de ce qui peut lui prouver que je n’ai point changé ; et pour lui ôter ces inquiétudes, je lui peins la joie où seront mes parens en me revoyant, et combien ils sont bons et sensibles. Il m’écoute avec attendrissement ; je le vois s’efforcer de me cacher ses doutes, craindre même de détruire ce qu’il croit une erreur, et me savoir gré de ce que j’imagine faire pour lui ; mais il reçoit tout cela avec une tristesse concentrée, qu’il veut me cacher, et que je ne devine que trop bien. Ô ! ma chère, je suis prête à tout ; j’ignore ce que je dois souffrir encore ; j’élève mon ame pure vers Dieu ; il écoutera peut-être mes prières. Et toi, toi sur la terre, à qui j’envoie les vœux de mon cœur, rends justice à ta Louise, et que l’aveu du tien m’assure que je suis toujours digne de t’aimer, et me console de celui que je n’obtiendrai peut-être jamais.