Lettres de la Vendée/II/27
LETTRE XXVII.
Qui penses-tu, cousine,
sera mon messager, et te remettra ma lettre.
Qui devines ? la nourrice ? Maurice ?
le soldat ? rien de tout cela. Tu embrasseras
le messager ; et puisque ce
n’est pas moi, c’est donc mon frère ?
lui-même ; il m’annonça hier, cela,
froidement, et je lui dis, qu’il avoit
un grand fond de gaieté, pour se permettre
de semblables plaisanteries.
L’explication m’apprit que l’offre d’un
amnistie et d’une trève,
étoit accompagnée
d’une invitation d’envoyer, à Rennes, six députés, avec des sauf-conduits ; mon frère est un des six.
Ils partent demain. Mon sang circule
plus à l’aise ; et depuis long-temps,
je n’avois respiré aussi librement.
Je te reverrai, j’ose le croire ; cet
heureux moment, dont j’ai si souvent
désespéré, ne me paroît plus
une chimère. Si des craintes, des inquiétudes,
viennent, je les repousse.
Je crois à la providence ; je n’oserois
gâter les bons instans qu’elle m’envoie,
et je veux jouir, aujourd’hui, de mes
espérances, et voir la réalité à demain.
Mon frère a très-bien accueilli Maurice ; cependant, je ne sais si ma dernière campagne m’a fait perdre l’usage des
belles manières ; mais je trouve que
celles de mon frère sont un peu froides
et contraintes. L’opinion et l’esprit
de parti, iroient-ils jusqu’à lui
rendre pénibles, les obligations que nous avons à ce jeune homme ! car,
ce que nous appelons différence d’état
et de rang, ne peut pas aller jusques
là. Toute la gratitude de mon
frère, s’est exprimée en éloges,
et en assurance de celle de nos parens. Maurice
lui repétoit, qu’il se croyoit heureux
d’avoir pu nous rendre service.
Le croirois-tu, ma chère, j’ai souvent
été obligée de prendre la parole, pour
empêcher que l’entretien ne dégénérât
en complimens, et le ramener aux
affaires d’intérêt général. Enfin, mon
frère lui a demandé quels étoient ses
projets pour l’avenir ; j’ai trouvé cette
question un peu prompte. Maurice
lui a dit, que dès que je croirois ses
engagemens remplis envers moi et les
miens, il disposeroit de lui-même.
Dans l’après-midi, Stofflet l’a fait
demander ; ils sont revenus ensemble, une demi-heure après,
à notre cabane.
Stofflet, dont tu as sûrement
entendu beaucoup parler,
est un homme d’une taille moyenne et forte ;
il n’a de remarquable, que des yeux
d’une grande vivacité. Il me félicita
d’assez bonne grâce, sur les succès de
mon voyage, et sur les soins de mon
guide, et me dit, en nous quittant :
— Mademoiselle, pendant l’absence de
monsieur votre frère, je crois que
vous serez plus en sûreté ici, que partout
ailleurs ; si vous avez besoin de
mon service, vous voudrez bien me
le faire savoir.
— Il voulut que Maurice ne le suivit point, et qu’il restat
avec nous. Il ajouta, en le regardant,
que la trève levoit tout obstacle. Nous
avons passé le reste de la soirée, seuls, mon frère et moi ; nous sommes convenus de ne rien faire dire à nos parens, jusqu’au moment que sa mission
soit terminée ; ce seroit exposer
la tranquillité de leur retraite. Il m’a
fait encore plusieurs questions, sur
Maurice, et j’ai été obligée d’abréger
beaucoup mes réponses, pour éviter
des explications embarrassantes : j’ai dit
seulement, que ne pouvant reparoître
chez lui, ni dans aucune armée, à
cause de son affaire, dont j’avois été
la seule occasion, il me sembloit que
nous ne pouvions nous dispenser de
le garder, jusques à de nouveaux événemens ; ma petite supériorité d’âge ne m’a pas été inutile, pour me rendre
un peu maîtresse de cette conversation.
Je l’ai quitté vers le milieu
de la nuit ; j’en emploie le reste à t’écrire,
à côté de la bonne nourrice, qui
dort et ronfle dans une hutte, construite
en une heure, par les soins du savant Lapointe, près celle du frère.
Il s’est aussi chargé de trouver un gîte
d’ami, pour lui et Maurice. Mes yeux
se ferment, ma Clémence, tandis que
mon cœur est ouvert pour toi. Nos
ambassadeurs partent demain au jour ;
je te recommande le mien. J’aurai le loisir de t’écrire pendant son absence,
et je t’embrasse, comme si je te voyois.