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Lettres de la Vendée/II/29

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Treuttel et Würtz (IIp. 39-41).

LETTRE XXIX.

Du 13.


Je quitte, je reprends mon journal ; et quand j’ai été long-temps hors de moi-même, je me retrouve, en me croyant avec toi. Nous étions seuls, sous mon vestibule de feuillages ; la nourrice s’étoit endormie, après diner, et Maurice étoit assis sur notre banc, à côté de moi. — Il est vraisemblable, me dit-il, que cette paix-ci se fera. Vos premiers pas seront pour vous rejoindre à votre famille. Monsieur votre frère sera avec vous, pour vous conduire ; je ne vous serai plus nécessaire. — Vous vous croirez quitte, lui dis-je, mais moi ? voulez-vous me croire quitte envers vous, Maurice ? — Vos craintes me plaisent ; vos doutes m’offensent. — Il avoit pris mes deux mains dans les siennes, et penchant sa tête, il les pressa contre son front. — Ah ! dit-il, pardonnez ; je vois ce que vous pensez, et je n’oserois douter de la bonté de votre cœur ; cela seul vous acquiteroit mille fois ; mais un tel bonheur, passe toutes les espérances : m’y livrer, et les perdre, seroit au-dessus d’un courage d’homme. — Eh bien ! lui dis-je, fiez-vous à celui d’une femme ; j’aime à croire inutile, de vous répéter ce que j’ai dit une fois ; ce seroit vous soupçonner d’avoir pu l’oublier. — Ses bras, passés autour de moi, me répondirent avec une expression ! te l’avouerai-je, ma chère, avec une expression qui,… ne me déplût pas. La nourrice s’éveilla, et je me levai, en lui laissant une de mes mains, dont il ne put long-temps, séparer ses lèvres. Ma Clémence, j’invoque ton indulgence ; ta sévérité me tueroit, et ne me guériroit pas. Le sort en est jetté, ne me condamne pas ! si ce que j’éprouve, est sentiment, penchant, mouvement trop tendre de mon cœur, amour, si tu veux, ah ! n’oublie pas que j’en avois donné, avant d’en prendre ; le retour n’étoit-il pas une dette de la reconnoissance ; l’ingratitude n’étoit-elle pas un crime ? Que ton cœur me justifie ; sans lui, je serai à plaindre ; avec lui, je serai tranquille. L’amour pur et vrai, donne des forces à l’amitié : je t’aime d’avantage ; j’aime d’avantage tout ce que je dois aimer, depuis,… depuis que j’aime.