Lettres de la Vendée/II/30
LETTRE XXX.
JE relis ma lettre, et je ne sais si je
dois te l’envoyer. Je suis effrayée de
ce que j’ai écrit ; mais je rougirois
davantage de m’être cachée un moment,
que de t’avoir laissé lire
dans mon cœur ; rassure-toi, cependant,
il sera toujours digne du tien.
Les événemens, si hors du cours ordinaire
des choses ; les circonstances,
si différentes de nos habitudes communes ;
ma position, si étrange, ah !
ma chère, j’ai vécu dix années en deux
mois, sans conseil, sans guide,
sans appui. J’ai toujours été forcé de chercher les motifs et les règles de ma
conduite, dans mon propre cœur.
Seras-tu surprise, si quelquefois je lui
cède ; ma raison, qui me dit toujours ce
qu’il faut faire, me suffit pour agir,
mais ne me sert pas toujours assez pour
savoir ce qu’il faut taire ou dire.
Aussi, le caractère auquel j’ai à faire,
est peut-être le plus embarrassant
pour moi ; sa contrainte me gêne ; sa
réserve me donne une assurance que
je n’aurois pas ; ses craintes me
rassurent ; ses inquiétudes me
tourmentent ; son chagrin m’afflige, et
sa peine me tue. J’ai vu nos jeunes
amoureux de ville ; il me semble,
que je serois bien plus d’aplomb avec eux.
Leur suffisance et leur satisfaction personnelle,
mettent toujours notre générosité
à son aise : leur assurance nous
dispense de les rassurer, et nous ne sommes jamais obligées d’encourager
leurs espérances ; ils ne nous laissent
qu’un rôle facile, celui de tenir éloignées
leurs prétentions ; et jamais ils
ne nous exposent à la crainte d’être
injustes. Toujours si contents d’eux-mêmes,
ils n’ont pas besoin de l’être
de nous. Ici, c’est tout le contraire ;
vous devez toujours dire : n’osez-pas ;
et moi, je dois dire : osez. Une réserve
sévère l’éloigneroit de moi, pour
toujours, et me rendroit l’exemple
d’une ingratitude et d’une légèreté
bien méprisables. J’aurois fait le malheur
d’un jeune homme, après lui
avoir donné des espérances ; c’est un
devoir aujourd’hui, il ne doit jamais
se plaindre de mon cœur ; ses manières
mêmes, depuis ce que je lui ai dit,
me le rendent plus sacré encore. Ô ma
chère ! si tu voyois sa douleur ; les efforts qu’il semble se faire, pour
s’habituer, à ce qu’il voit, dans l’avenir.
Il me dit quelquefois : — lorsque vous
serez heureuse, tout ce que vous avez
éprouvée, ne sera plus pour vous qu’un
songe. — Il me fait des questions sur
les environs de notre demeure ; de
celle où je compte retrouver ma
famille. On diroit qu’il me fait peindre
un tableau dans sa mémoire, pour
y conserver des souvenirs. J’ajoute
toujours : — nous nous y promènerons
ensemble ; et vous nous mènerez un
jour, aussi, à la ferme de votre père.
— Hier, nous nous promenions dans
la forêt, aux environs du camp, avec
la nourrice ; nous rencontrâmes Stofflet ;
il nous aborda. — Je m’assure,
nous dit-il, que la même pensée nous
occupe ; ce qui se fait à Rennes : je
n’en ai point encore de nouvelles positives ; mais je sais, indirectement,
que les affaires ont bien commencé ;
nous pourrons, j’espère, rendre la liberté
à notre prisonnier ; s’il la veut,
toutefois, ajouta-t-il, en regardant
Maurice, qui ne lui répondit que par
un sourire peiné. — S’il la veut ? dis-je ;
c’est son droit ; s’il l’engage,
il est juste de lui en tenir compte.
Stofflet lui parla ensuite, avec intérêt,
de ses affaires. — J’y songe peu, lui
dit Maurice, le sort général fera le
mien. — Pas tout-à-fait ; vous oubliez
votre commandant : au reste, puisqu’il
n’est pas mort, peut-être n’a-t-on
pas commencé de procédure. À tout
hazard ; si l’amnistie a lieu, vous
passerez pour un des nôtres, et nous
vous y ferons comprendre. — Maurice
remercia par une simple inclination ;
il rallentit son pas, se trouva derrière nous, et nous suivit de loin. — Ce jeune
homme n’est pas heureux, nous dit Stofflet
quand nous fûmes seuls ; sa
situation m’intéresse ; il faut lui assurer
sa libre existence. Si tout ceci finit,
il pourroit être embarrassé : ayez-moi
ses noms, je tâcherai d’arranger le
reste. — Nous convînmes, qu’en cas de
capitulation, il l’y feroit comprendre
nominativement, comme lui étant
personnellement attaché ; nous convînmes
de plus, que cette mesure resteroit
entre nous ; je craignois la fierté
républicaine. Maurice ne nous rejoignit
point ; vers le soir, il vint à notre
hutte, et y resta peu. Je t’assure que
je me crois obligée de le surveiller ; la
nourrice le trouve très-changé. Notre
courage vaut mieux, je crois, que
celui des hommes ; nos peines s’exhalent,
et nous laissent nos forces : leurs chagrins se concentrent et les tuent :
ils prétendent qu’ils sont plus profondément
affectés ; et que nous ne sentons
que vivement et légèrement.
Qu’ils conviennent, au moins, que
notre action vaut mieux que leurs passions ;
et cependant, nous voulons
qu’ils en aient ! Est-ce notre amour
propre, qui nous rend inconséquentes ?
Tu me trouves, peut-être, bien courageuse aujourd’hui ; mais, ma chère, c’est encore à toi, que je dois cela. J’attends tes ordres ; mon frère va bientôt être de retour ; alors il me semble que je n’aurai qu’à suivre ce que le conseil suprême aura imaginé. Je ne sais, chère Clémence, si tu sens bien l’importance de ce que j’exige de toi, mais il est sûr que jamais secours n’ont été si vivement désirés, et reçus avec autant de reconnoissance qu’ils le seront, par ta Louise ; j’appelle secours, tous les conseils que ta tendre amitié va me dicter ; ma tranquillité, mes espérances, en dépendent. Je m’endors, en me reposant dans ton sein. Ma Clémence, mon cœur est toujours avec toi.