Lettres de la Vendée/II/31
LETTRE XXXI.
Voilà des nouvelles, et point de tes
nouvelles. Tu n’es point venue à Rennes ;
tu es restée à Nantes, près de
ta mère malade. Mon frère ne t’a point
vu ; je n’ai point de lettre de toi. Tout
l’échafaudage de mon bonheur est
renversé : toutes mes mesures sont rompues.
Tu me manques, tout me manque ;
et me voilà réduite à moi-même.
Navire, battu de l’orage, sans gouvernail,
et sans pilote ; ce contre-temps
est au-dessus de mon courage ; et cependant
il faut le retrouver : il faut
faire sans toi, tout ce que j’aurois laissé aux soins de ton amitié ; il m’étoit
si doux de me reposer sur elle ; je
me disois : où ma Clémence sera, je
n’ai plus qu’à me laisser conduire ; et
je m’abandonnois à toi, comme César
à sa fortune. C’est donc à moi à t’apprendre
ce qui m’intéresse, tandis que
je comptois l’apprendre de toi ; ce nœud
si difficile que je prévoyois et que j’espérois
laisser dénouer à tes mains amies,
il faudra que mes mains tremblantes
fassent tous les efforts, et peut-être ne
réussissent pas : prête à prendre le port,
j’y échouerai, faute de tes soins pour
m’y conduire ; cependant tu blâmerois
plus encore mon découragement que
mes regrets ; et si je n’ai pas mérité du
ciel qu’il m’accorde ton secours, je
dois au moins mériter de lui, qu’il me
donne ce qui peut y suppléer. La
lettre de mon frère, m’envoie peu de détail. Ils augurent bien cependant de
leur mission : le lendemain, devoit
être le jour de leur première entrevue.
Il paroît que l’on désire la paix de part
et d’autre. Mon frère ne parle point de
mes parens ; n’osant rien confier à une
lettre, il me dit seulement qu’il a pris
les mesures, pour qu’ils soient instruits
dès que la paix seroit signée, afin
qu’ils puissent se rendre en sûreté
chez eux : il remet à son retour, tout
ce qui les intéresse. Ma dépêche te
sera portée par le retour de l’exprès,
envoyé de Nantes ; ainsi, je suis aux
ordres des affaires publiques, et n’ai
le temps de te parler de toi, ni de moi.
Maurice est un peu malade depuis
hier ; on lui a tiré du sang ce matin.
Il ne paroît pas inquiet et le chirurgien
m’a rassurée ; je ne suis pas cependant
tranquille, sur-tout au moment d’un départ. Il m’a parlé, ce
matin, long-temps, de ma famille ;
il s’est beaucoup informé du caractère
de mes parens, sur-tout de ma mère.
Je vois qu’il les craint ; les dames, me
disoit-il, se font plus difficilement
aux idées nouvelles ; pour un homme,
un soldat est un homme ; pour une
femme, c’est toujours un soldat. Je
vois avec chagrin, que je ne puis dissiper
ses craintes ; et même il me les
communique. Cependant, le moment
approche ; quelques soient les circonstances,
mon amie, je tâcherai de concilier
ce que je leur devrai, et ce que
je me dois. Souffres que j’ajoute, ce
que je te dois ; j’aime à t’avoir pour
témoin, et pour juge ; ta présence ne
me permettra, j’espère, ni foiblesses,
ni ce qui seroit lâcheté. Adieu, amie.