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Lettres de la Vendée/II/34

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Treuttel et Würtz (IIp. 75-79).

LETTRE XXXIV.

Du Château de Plouën, 2 frimaire, an 4 républicain.


Chère et bonne cousine, je t’appelle pour partager l’ivresse de mon bonheur ; tu manques à ta Louise, à sa famille entière ; nous avons besoin de ton sein, pour épancher notre joie ; tu m’aiderois à l’épanouir, et je sens que ton ame nous seroit utile à tous ; elle doubleroit nos moyens, ainsi que nos affections. Toi qui sais si bien aimer, si bien sentir le bonheur de l’être, viens, ma douce amie, viens embellir le nôtre de ta grace et des charmes que tu emploies pour faire entendre ton cœur ; nous ne savons qu’être heureux ; viens donner la vie aux sentimens que nous éprouvons. Nous t’attendons, et n’osons sans toi, célébrer la fête ; notre réunion n’est pas encore complette : pourquoi faut-il que ta tendre mère ne soit pas encore en état de supporter le voyage ; tu dois cependant t’en rapporter aux soins de notre amitié, bonne Clémence ; je partagerois tes inquiétudes ; tu aurois, la douce satisfaction de la voir revenir au milieu de tes amis, de ses enfans. Combien ce titre m’étois doux ; il ajoutoit à notre union, en, nous faisant l’illusion d’être sœurs ; si elle étoit ici avec toi, c’est alors que celle de mes beaux jours renaîtroit ; tout ce que j’ai souffert ne seroit plus qu’un songe. Depuis que je suis ici, chaque pas me rappelle et me remet à mes douces habitudes. L’enthousiasme et les élans de mon cœur, qui exaltent un peu ma tête, y mettent seuls des différences. Mes yeux ne s’arrêtent point sur ma mère, sans qu’il ne me prenne envie de me jetter dans ses bras, et d’y pleurer à mon aise tout ce que j’aurois perdu, si la tendre pitié de Maurice ne m’eut sauvée. En recevant ses embrassemens, et ceux de mon père, je suis hors de moi ; et pour la première fois de ma vie, je n’ose me livrer à toute la sensibilité que j’éprouve ; je crains de les émouvoir trop eux-mêmes ; je crois aussi que mon frère me gêne ; avec un caractère plus tranquille que le mien, il semble trouver tous ces événemens naturels ; et ces hommes, d’ailleurs, regardent toujours ces épanchemens comme peu nécessaires au bonheur ; mon père, seulement, dont la tendre bonté répond à nos cœurs, partage notre ivresse ; et ce n’est que lorsque je suis seule avec eux, que je me retrouve ; mais toi, ma chère, toi, l’aimable tiers que nous désirons tous, quand viendras-tu ? Je ne te parle pas des autres raisons dont ta Louise fait les siennes, pour te désirer plus encore ; mais ce que tu as fait déjà, demande que le reste soit ton ouvrage. Je t’attends ; tous mes intérêts sont dans tes mains ; je ne puis respirer ici plus long-temps sans toi ; chère et tendre cousine, ta prudence ne m’est pas seulement nécessaire, mais ton indulgence, ton amitié, ta tendre amitié, sont devenues mon bien, et je les invoque du plus profond de mon cœur.

C’est un exprès qui te porte ma lettre ; si elle peut te décider, gardes-le ; il pourra t’être utile, pour tes arrangemens de voyage. Je compte qu’il te remettra un mot de ma mère. Puissent toutes nos prières, avoir du succès, et te faire remplir notre attente.