Lettres de la Vendée/II/36
LETTRE XXXVI.
En vérité,
ma chère, je commence
à croire que je suis née pour
les circonstances extraordinaires ; et
pour peu que cela continue, mon histoire
deviendra tout-à-fait un roman ;
mais il faut t’instruire de ce nouvel événement.
Tu n’as, sans doute, pas oubliée
ma bonne dévote à Parthenay, qui
eut, pour Maurice et pour moi, des
bontés dont le souvenir me restera
toujours ; hé bien, cousine, par une
généalogie trop longue à te détailler
dans une lettre, elle se trouve notre
parente ; c’est-à-dire, petite cousine de ma mère ; tu juges bien de la surprise
où nous avons tous été. Maman
ne l’a jamais vu, mais se rappelle
bien son père, qu’elle a beaucoup
connu dans son enfance, qui
partit de sa province sans être marié,
et qu’on n’y a jamais revu depuis ; on
a su seulement qu’il s’étoit établi. Un
procès considérable lui fit perdre le
bien qu’il avoit ici,
et l’en éloigna.
Or, voici comme tout cela nous est
revenu ; j’en avois beaucoup parlé à
maman, et du désir que je conserve
de les revoir un jour ; en attendant, je
leur écrivis en ne leur cachant plus
rien de ma condition ni de mon existence ;
et leur promettant qu’aussitôt
que Maurice le pourroit, il iroit leur
porter ma reconnoissance et celle de
ma famille ; la réponse étoit adressée
à ma mère, et nous, y trouvâmes tout ce que je viens de te raconter ; elle m’écrivoit
aussi des félicitations sans nombre ;
mon nom lui avoit tout appris :
ma mère en fut touchée ; le style de sa
lettre est extrêmement sensible ; notre
bonne dévote sait aimer ses enfans,
sa famille, ses amis, comme les anges.
Je vis avec plaisir, l’impression que
faisoit cette bonne parente. Mon
père proposa tout de suite de l’aller
voir ; mais ma mère s’y opposa, à
cause de la saison trop avancée ; il fut
décidé qu’on alloit leur écrire, en les
assurant qu’au premier jour de printemps,
mon père iroit avec mon frère ;
ils se proposent de les ramener passer le
reste de la belle saison avec nous. Tu
vois, ma chère,
de nouvelles connoissances
à faire,
et un nouveau
cousinage ; car tu seras forcée d’être
aussi leur cousine et leur amie ; ce qu’elles ont fait pour ta Louise ; m’est un garant
que tu les aimeras.
À présent, mon ange, il ne faut plus que s’armer de patience, pour t’attendre encore ; l’espérance que tu nous donnes nous console ; maman voudroit bien te voir ici la semaine prochaine, pour des arrangemens où elle a besoin d’avoir sa Clémence ; moi, je ne sais plus ce que je peux espérer ; tes retards m’affligent, me désolent, j’en souffre continuellement ; je n’ose me livrer à rien ; tes lettres ne m’apprennent pas ce que je dois faire ; et malgré tout mon bonheur, une crainte secrette m’avertit qu’il ne sera peut-être pas long. Songes, chère cousine, que tu ne peux me laisser plus long-temps seule ; dans ce que je vois autour de moi, je devine ton ouvrage ; mais ce que tu m’écris, m’apprend qu’il faut être prudente, et me donne une timidité extrême ; d’ailleurs, tu connois ma mère, sa pénétration ; habituée à ne lui rien cacher, chaque instant peut me trahir. Ô ma chère, viens à mon secours, pendant qu’il en est temps encore !