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Lettres de la Vendée/II/36

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Treuttel et Würtz (IIp. 94-98).

LETTRE XXXVI.

Plouën, 6 frimaire, an 4 républicain.


En vérité, ma chère, je commence à croire que je suis née pour les circonstances extraordinaires ; et pour peu que cela continue, mon histoire deviendra tout-à-fait un roman ; mais il faut t’instruire de ce nouvel événement. Tu n’as, sans doute, pas oubliée ma bonne dévote à Parthenay, qui eut, pour Maurice et pour moi, des bontés dont le souvenir me restera toujours ; hé bien, cousine, par une généalogie trop longue à te détailler dans une lettre, elle se trouve notre parente ; c’est-à-dire, petite cousine de ma mère ; tu juges bien de la surprise où nous avons tous été. Maman ne l’a jamais vu, mais se rappelle bien son père, qu’elle a beaucoup connu dans son enfance, qui partit de sa province sans être marié, et qu’on n’y a jamais revu depuis ; on a su seulement qu’il s’étoit établi. Un procès considérable lui fit perdre le bien qu’il avoit ici, et l’en éloigna. Or, voici comme tout cela nous est revenu ; j’en avois beaucoup parlé à maman, et du désir que je conserve de les revoir un jour ; en attendant, je leur écrivis en ne leur cachant plus rien de ma condition ni de mon existence ; et leur promettant qu’aussitôt que Maurice le pourroit, il iroit leur porter ma reconnoissance et celle de ma famille ; la réponse étoit adressée à ma mère, et nous, y trouvâmes tout ce que je viens de te raconter ; elle m’écrivoit aussi des félicitations sans nombre ; mon nom lui avoit tout appris : ma mère en fut touchée ; le style de sa lettre est extrêmement sensible ; notre bonne dévote sait aimer ses enfans, sa famille, ses amis, comme les anges. Je vis avec plaisir, l’impression que faisoit cette bonne parente. Mon père proposa tout de suite de l’aller voir ; mais ma mère s’y opposa, à cause de la saison trop avancée ; il fut décidé qu’on alloit leur écrire, en les assurant qu’au premier jour de printemps, mon père iroit avec mon frère ; ils se proposent de les ramener passer le reste de la belle saison avec nous. Tu vois, ma chère, de nouvelles connoissances à faire, et un nouveau cousinage ; car tu seras forcée d’être aussi leur cousine et leur amie ; ce qu’elles ont fait pour ta Louise ; m’est un garant que tu les aimeras.

À présent, mon ange, il ne faut plus que s’armer de patience, pour t’attendre encore ; l’espérance que tu nous donnes nous console ; maman voudroit bien te voir ici la semaine prochaine, pour des arrangemens où elle a besoin d’avoir sa Clémence ; moi, je ne sais plus ce que je peux espérer ; tes retards m’affligent, me désolent, j’en souffre continuellement ; je n’ose me livrer à rien ; tes lettres ne m’apprennent pas ce que je dois faire ; et malgré tout mon bonheur, une crainte secrette m’avertit qu’il ne sera peut-être pas long. Songes, chère cousine, que tu ne peux me laisser plus long-temps seule ; dans ce que je vois autour de moi, je devine ton ouvrage ; mais ce que tu m’écris, m’apprend qu’il faut être prudente, et me donne une timidité extrême ; d’ailleurs, tu connois ma mère, sa pénétration ; habituée à ne lui rien cacher, chaque instant peut me trahir. Ô ma chère, viens à mon secours, pendant qu’il en est temps encore !