Lettres et opuscules/26

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Texte établi par Ludovic Brunet auteur de la Préface, Dussaut & Proulx Imp. (p. 181-183).


ÇÀ ET LÀ


I l vient de mourir en France un écrivain qui s’était fait une réputation, grâce à ses excentricités. Je veux parler de M. Barbey d’Aurevilly. Ultramontain outré, il a combattu avec violence les libres-penseurs, tout en écrivant tranquillement des romans à faire rougir un bataillon.

On rencontre dans ses œuvres de critique très considérables, des pages charmantes et des considérations saugrenues, des réflexions pénétrantes et des lieux communs empanachés d’un style apocalyptique.

Sa personne n’était pas moins extraordinaire que ses écrits.

C’était avant tout un adepte du dandysme. Mais en cela comme en toute autre chose, il y mettait une note d’extravagance, portait des pantalons blancs rayés de rouge, des manchettes empruntées aux siècles derniers et des redingotes d’époque inconnue.

Au fond c’était le désir d’attirer à tout prix l’attention, d’épater les bourgeois.

Il avait conservé, en les outrant, les manies à la mode en 1830.

On se rappelle que Théophile Gauthier portait souvent alors le turban et les vêtements turcs, et Timothée Trimm, l’illustre chroniqueur, s’était rendu célèbre en s’affublant d’habits aux nuances extraordinaires et surtout d’énormes et flamboyantes cravates.

La dernière chronique n’a pas plu à nos lectrices, si on en juge par certaines correspondances fort piquantes que nous avons reçues.

Parler des femmes, même contre elles, c’est montrer qu’elles nous occupent. Au fond, nous croyons leur importance sociale et politique très grande. Aussi, dans notre journal, la chronique est spécialement écrite pour elles, et si elle les attaque quelquefois, c’est afin de se faire lire.

La chronique est l’article que les femmes li sent le plus facilement, car elle est chose légère ; elle parle gravement de choses futiles, et légèrement de chose graves, pèse des œufs de mouche dans des balances de toile d’araignée, ne touche à la politique que du bout de l’aile, se rit de tout et d’elle-même ; elle sourit à travers ses larmes et ses joues sont encore humides que déjà elle remplit les airs de l’éclat de sa gaieté. Comment, après cela, ne pas plaire aux femmes !