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Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne/Lettres/Joseph/juillet 1788

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Au mois de juillet.

Au Camp sous Oczakow.


LE prince me dit un jour : Cette chienne de place m’embarrasse. Je lui repondis : — Elle vous embarrassera long-tems si vous ne vous y prenez pas plus vigoureusement. Faites une fausse attaque d’un côté, et sautez, de l’autre, dans le retranchement, entrez pêle-mêle, avec la garnison, dans la vieille forteresse, et vous l’aurez. — Croyez-vous, me dit-il, que c’est comme votre Sabatsch, défendu par mille hommes, et pris par vingt mille ?

Je lui repondis qu’il ne devoit s’en souvenir que pour en parler avec respect, et imiter une attaque faite avec tant de vigueur par deux bataillons et S. M. l’Empereur lui-même, qui jugea le moment où l’on devoit donner l’assaut, au milieu des coups de fusil qu’on tiroit de tous les côtes. Le lendemain, lorsque le prince étoit allé visiter une batterie de 16 pièces de canon qu’il avoit établie lui-même en plein champ, à 80 toises du retranchement, il se ressouvint de notre conversation de la veille ; et, dans le tems que les boulets pleuvoient à côté de nous, et avoient tué près de lui un charetier d’artillerie et ses deux chevaux, il dit, en riant, au comte de Branickl : — Demandez au prince de Ligne si son Empereur a été plus brave à Sabatsch que moi ici. — Il est sûr que cette fausse demi-attaque fut chaude : on ne peut rien voir de plus noblement et de plus gaiement valeureux que le prince. Aussi je l’aimai à la folie ce jour-là, ainsi que trois autres jours pendant lesquels il s’exposa aux plus grands dangers ; et je lui dis que je voyois bien qu’il falloit lui tirer des boulets de canon pour lui faire passer sa mauvaise humeur.

Comme je croyois qu’on alloit employer les moyens de s’emparer de la place, c’est-à-dire une attaque de vive force, ou un siège en règle qui auroit été l’affaire de huit jours, je m’empressai de me trouver aux escarmouches, parce que je n’avois jamais vu de Spahis. Nos Circassiens en tuoient quelquefois à coups de flèche ; cela étoit fort amusant. Il nous venoit souvent aux oreilles des coups de fusil qui partoient des jardins où les janissaires se cachoient, et puis beaucoup de coups de pistolet de ceux qu’on appelle les bravi. Nous prîmes et perdîmes plusieurs fois les jardins du bacha. Le prince nous v mena un jour, pour y recevoir l’excédant des balles qui depassoient les attaquans, commandés par Pahlen. Une fois mon cheval s’abattit de peur ou par le vent d’un boulet.

Comme je vois que cette espèce de siège est plus dangereux que glorieux pour les promeneurs, j’évite, quand j’y pense, la promenade perpendiculaire ; car à peine quitte-t-on la ligne du camp qu’on est surpris par une averse de boulets comme par la pluie : nous sommes presque aussi assiégés qu’assiégeans. J’ai vainement fait faire cette réflexion au comte Roger de Damas ; il a reçu hier, sans être guéri tout-à-fait de son coup de fusil de l’autre jour, une contusion d’un boulet de canon à la cuisse. Je souhaite pouvoir apprendre bientôt à Votre Majesté Impériale des nouvelles plus intéressantes ; mais je commence à en désespérer.