Lettres parisiennes/Année 1837/35

La bibliothèque libre.
◄  XXXIV.
XXXVI.  ►
1837

LETTRE TRENTE-CINQUIÈME.

L’homéopathie. — Les malades. — Les enfants du général Foy.
9 décembre 1837.

Comment donc, l’autre jour, avions-nous construit notre phrase, que l’on a pu croire que nous voulions médire de l’homéopathie ? Comment se fait-il que nous ayons exprimé absolument le contraire de notre pensée ? Quand on le fait exprès, c’est de la finesse ; mais quand on arrive à ce résultat involontairement, la finesse change de nom, et nous ne voulons pas nous avouer à nous-même celui qu’on lui donne. Peut-être le correcteur, distrait, aura-t-il passé une ligne ; nous-même, peut-être, aurons-nous oublié quelques mots ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que d’aucune manière nous n’avons voulu mal parler de l’homéopathie : nos amis n’ont pu s’y méprendre, ils savent trop ce que nous devons à la médecine nouvelle pour croire que nous ayons jamais eu l’idée de rire à ses dépens. D’ailleurs, ce ne sont pas les homéopathes que l’on accuse de tuer leurs malades : leur poudre blanche, dit-on, n’est autre chose que du sucre râpé ; or le sucre râpé et même le sucre en morceaux n’a jamais passé pour être un poison dans aucun pays. Quand vous répondez aux incrédules : « Mais ce sucre râpé m’a guéri, » vous les voyez sourire de pitié : « Ce n’est pas la poudre, répondent-ils, qui vous a guéri ; c’est le régime qu’on vous a fait suivre : on vous défend tout ce qui pourrait vous irriter, on vous prescrit la nourriture la plus saine, on vous ordonne de faire beaucoup d’exercice, d’éviter toute émotion violente : c’est ce régime-là qui vous guérit, et non la poudre blanche, qui est parfaitement insignifiante. » — D’accord, nous voulons bien que le régime y soit pour quelque chose. Mais que direz-vous, par exemple, de ceux qui souffrent d’une affreuse névralgie, et qui sont guéris en moins de douze heures ? de ceux que vous avez laissés la veille dans leur lit, criant, gémissant et maudissant la vie, et que vous retrouvez le lendemain, joyeux et fredonnant l’air de la cachucha à l’Opéra ? Est-ce le régime qui les a guéris ? Ont-ils eu le temps de le suivre avec scrupule ? Non sans doute : rendez donc justice à la poudre blanche. Certes, ce n’est pas nous qui l’avons attaquée, nous ne sommes pas ingrat, et nous publions de bon cœur qu’elle nous a guéri plus d’une fois par miracle. Mais, en vérité, nous ne la conseillerons pas à tout le monde. Peut-être ne vous guérirait-elle pas, vous, monsieur, qui êtes un esprit fort, et qui répondriez avec intelligence au médecin qui vous défendrait le vinaigre comme devant nuire à l’effet de tel ou tel médicament : « Le vinaigre est très-sain ; les acides m’ont toujours convenu. » Ni à vous non plus, madame, vous qui êtes une petite-maîtresse, car vous vous révolteriez à votre tour contre le barbare qui oserait proscrire l’eau de bouquet qui parfume votre joli mouchoir, le flacon de sel anglais que vous tenez si gracieusement dans votre belle main, le sachet oriental qui protège vos châles, et l’introuvable gomme d’olivier que vous brûlez dans une cassolette d’or, chaque soir après vos repas : tous ces parfums enfin délicieux et mortels qui font vos délices. « Monsieur, lui diriez-vous avec la même intelligence, les parfums ne me font aucun mal : j’ai eu quelquefois six tubéreuses dans ma chambre, et je ne souffrais pas. » Voilà comme l’homéopathie est comprise. Un médecin habile est chose très-rare, il est vrai ; mais il est une chose bien plus rare encore, c’est un malade intelligent. Ô les malades les malades ! qu’ils sont stupides !… La médecine n’a pas de plus grands ennemis que les malades. L’un croit vous raconter ses souffrances, il ne vous révèle que ses prétentions ; il se sent un homme de génie, il aspire aux maladies cérébrales. Celle-ci est un ange de mélancolie, elle se pare d’un anévrisme au cœur ; celle-là avoue une incurable maladie de nerfs : c’est une manière ingénieuse de vous dire que son mari l’ennuie et qu’il la tourmente toute la journée ; cette autre est menacée d’une maladie de langueur, elle se fait ordonner des distractions. Celui-ci a des prétentions à toutes les sciences, il vous explique ses douleurs avec les mots de l’art, il se sert de plaintes techniques pour vous conter ce qu’il éprouve ; ses gémissements sont érudits et pédants, ils font valoir son éducation : « Oh ! l’épigastre ! s’écrie-t-il, oh ! les bronches ! oh ! le péritoine ! » Quelquefois il se trompe, il a un rhumatisme dans le bras et s’écrie : « Oh ! le tibia, le maudit tibia ! » Il en est d’autres, enfin, qui n’avouent jamais que des souffrances élégantes, qui cachent toutes souffrances vulgaires qui sont indignes d’eux. Pauvre médecin, comment saura-t-il la vérité ! il lui faut étudier non-seulement le mal du patient, mais aussi le caractère de l’individu ; car souvent, pour le guérir d’une maladie, il faut commencer par le corriger d’une manie.

La grande solennité de la semaine a été l’enterrement du général Damrémont. Nous étions placé derrière le catafalque : devant nous étaient le général Baraguey d’Hilliers, les enfants du général Foy et le fils du général Damrémont. La profonde douleur de ce jeune homme était touchante ; les enfants du général Foy attiraient tous les regards, et chacun, se rappelant le bel enterrement du célèbre orateur, se disait que les morts étaient glorieuses dans cette famille : voilà deux nobles veuves dont les larmes ont du moins la consolation de l’orgueil. Auprès de nous il y avait une femme qui, malgré son amer désenchantement de toute gloire et de toute poésie, ne pouvait contempler sans émotion les enfants du général Foy ; cette femme, ils ne la connaissent pas, et pourtant si le recueillement qu’exigeait une si triste cérémonie leur avait permis de tourner la tête, sans doute son aspect les aurait frappés, et l’un d’eux aurait pu se dire : « Quelle est cette personne ? elle ne m’est pas étrangère ; j’ai vu cette figure-là quelque part : où donc ? — Sur le tombeau de votre père ; son portrait et ses vers y sont encore. »