Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 17

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Comment nulle femme ne doit estre jalouse
Chappitre XVIIe


Un exemple vous diray comment c’est male chose que jalousie.

Une damoiselle, qui estoit mariée à un escuier, si amoit tant son seigneur, qu’elle en estoit jalouse de toutes celles à qui il parloit. Si l’en blasmoit son seigneur mainteffoiz par bel ; mais riens n’y valoi, et entre les autres elle estoit jalouse d’une damoiselle du païs, laquelle estoit de haultain couraige. Si advint une oiz qu’elle tença à celle damoiselle, et lui reprouchoit son mary, et l’autre lui dyt que par sa foy elle disoit ne bien ne voir, et l’autre disoit qu’elle mentoit. Si s’entreprindrent et destressèrent malement, et celle qui estoit accusée tenoit un baston et en fiert l’autre par le nez tel coup que elle lui rompit l’os et eut toute sa vie le nez tort, qui est le plus bel et le plus séant membre que homme ne femme ait, comme cellui qui siet au milieu du visaige. Si en fut celle damoiselle toute sa vie deffaite et honteuse, et son mary lui reprouchoit bien souvent qu’il lui eust mieulx valu de non estre si jalouse que de avoir fait deffaire son visage. Et ainsi par celle laideur et mescheance, il ne la peut depuis si parfaictement amer comme il souloit devant, et ala au hange. Et ainsi perdit l’amour et l’onnour de son seigneur par sa jalousie et par sa follie.

Et pour ce a cy bon exemple à toute bonne femme et à toute bonne dame comment elles ne doivent faire semblant de telz choses, et doivent souffrir bel et courtoisement leur doulour, se point en ont, si comme souffrit une mienne tante, qui le me compta plusieurs fois. Celle bonne dame fut dame de Languillier, et avoit un seigneur qui tenoit bien mil et Vc livres de rente, et tenoit moult noble estat. Et estoit le chevallier à merveille luxurieux, tant qu’il en avoit tousjours une ou deux à son hostel, et bien souvent il se levoit de delèz sa femme et aloit à ses folles femmes. Et, quant il venoit de folie, il rouvoit la chandoille alumée et l’eaue et le toaillon à laver ses mains. Et quant il estoit revenuz, elle ne ly disoit rien, fors qu’elle luy prioit qu’il lavast ses mains, et il disoit que il venoyt de ses chambres aisées : « Et pourtant, mon seigneur, que vous venés des chambres, avez vous plus grant mestier de vous laver. » Ne autre ne lui reprouchoit, maiz que aucune foiz elle luy disoit privéement, à eulx tous deulx seulz : « Mon seigneur, je sçay bien vostre fait de telle et telle. Maiz jà par ma foy, se Dieu plaist, puisque c’est vostre plaisir et que je n’y puis mettre aucun remède, je n’en feray ne à vous ne à elles pire chière ne semblant. Car je seroys bien folle de tuer ma teste pour l’esbat de voz denrées, puisque autrement ne peut estre. Maiz, je vous prie, mon seigneur, que au mains vous ne m’en faciez point pire chière, et que je ne perde vostre amour ne vostre bon semblant ; car du seurplus je me deporteray bien et en soufreray bien tout ce qu’il vous en plaira commander. » Et aucunes fois, par ces doulces parolles, le cuer lui en pitéoit et s’en gardoit une grant pièce. Et ainsi toute sa vie, par grant obéissance et par grant courtoisie le vainquoit ; car par autre voie jamaiz ne l’eust vaincu, et tant que au derreninier il s’en repentist et se chastia.

Cy a bon exemple comment, par courtoisie et par obéisssance, l’on puet mieulx chastier et desvoyer son seigneur de celluy faict que par rudesse. Car il en est le plus de telz couraiges que, quant elles leur courent sus, ilz se appunaisissent et en font pis. Pour tant, à droit regarder, ne doit pas savoir le mary trop mal gré à sa femme se elle est jalouse de luy. Car li saige dit que la jalousie est grant aspresse d’amour, et je pense que il die voir ; car il ne me chauldroit se aucun, qui riens ne me seroit ne que jà cause n’auroye d’amer, se il faisoit bien ou mal ; maiz de mon prouchain, ou de mon amy, je en auroye doulour et dueil au cuer se il avoit fait aucun grant mal ; et pour ce jalousie n’est point sans grant amour. Maiz il en est de deux manières, dont l’une est pire que l’autre ; car il n’en est aucune où il n’a nulle bonne raison, et que il vault trop mieux s’en souffrir pour lur honneur et pour leur estat. Et aussi l’omme ne doit pas trop mal gré savoir à sa femme se elle est un pou jalouse de luy ; car elle monstre comment le cuer lui duelt. Ainsi comme elle a grant paour que aultre ait l’amour qu’elle doit avoir de son droict, selon Dieu et saincte Eglisse. Maiz la plus saige en fait le mains de semblant, et se doit reffraindre bel et courtoisement et couvertement porter son mal, et tout ainsi doit faire l’omme, et soy refraindre saigement au moins de samblant que il pourra ; car c’est grant sens qui s’en peut garder.

Maiz toutesfoiz la femme qui voit que son seigneur est un petit jalous d’elle, se il s’apparçoyt d’aucunes follies plaisantes qui ne lui plaisent pas, la bonne femme le doit porter saigement sanz en faire semblant devant nul. Sy elle luy en parle par nulle voye, elle le doit dire à eulx deulx le plus doulcement que elle pourra, en disant qu’elle scet bien que la grant amour qu’il a avecques elle lui fait avoir paour et doubte qu’elle tourne s’amour ailleurs et lui dire qu’il n’en ait jà paour, car, se Dieu plaist, elle gardera l’onneur de eulx deulx. Et ainsi, par belles et doulces parolles, le doit desmouvoir et oster de sa folle merencolie ; car, se elle le prent par yre ne par haultes paroles, elle alumera le feu et luy fera encores penser pis et avoir plus grant doubte que devant. Car plusieurs femmes sont plus fières en leurs mensçonges que en parolles de vérité, et pour ce maintes foiz font plus de doubte. Et aussy vous dis-je que la bonne damme, combien que elle ait un pou de riote et d’ennuy, elle n’en doit pas moins avoir chier son seigneur pour un pou de jalousie, car elle doit penser que c’est la très grant amour qu’il a à elle, et comment il a grant doubte et grant soussy en son cuer que autre ait l’amour que il doit avoir de son droit, selon l’Église et Dieu, et penser et regarder se aultre lui fortrait l’amour que il doit avoir, et que jamaiz ne l’aymera, et que la joie de leur mariage seroit perdue, et leur mariage tourné à déclin et tournera de jour en jour.

Et une chose, dont maintes se donnent mal, est jalousie et fait grant soussi et estroit penser, et pour ce a cy bon exemple comme l’en doit amesurer son couraige et son penser.