Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 21

La bibliothèque libre.
◄  Le XXe
Le XXIIe  ►



Du debat qui fut entre le sire de Beaumanoir et une dame
Chappitre XXIe


Mes belles filles, je vous prye que vous ne soyez mis des premières à prendre les estas nouveaulx, et que en cestui cas vous soiez les plus tardives et les derrenières, et par especial de prandre estat de femmes d’estrange païs, sy comme je vous diray d’un debat qui fut d’une baronnesse qui demouroit en Guienne et du sire de Beaumanoir, père de cestuicy qui à présent est, qui fut malicieux et saige chevallier. La dame le arraysonnoit de sa femme et lui dist : « Beau cousin, je viens de Bretaigne, et ay veu belle cousine vostre femme, qui n’est pas atournée, ne sa robe estoffée comme les dames de Guienne et de plusieurs autres lieux ; car les pourfiz de ses coursés et de ses chapperons ne sont pas assez grans ne de la guise qui queurt à present. » Le chevalier luy respondi : « Ma dame, puisqu’elle n’est pas arrayée à vostre guise et comme vous, et que ses pourfizvous semblent petiz et que vous m’en blasmés, sachiez que vous ne m’en blasmerés plus ; ains la feray plus cointe et aussy nouvellement arrayée de nobles cointises comme vous ne nulles des autres ; car vous et elles n’avez que la moitié de vos corsès et de vos chapperons rebuffez de vair et d’ermines ; et je feray encores mieulx, car je lui feray ses corsès et ses chapperons vestir en l’envers, le poil dehors. Ainsi sera mieulx pourfillée et rebuffée que vous ne les autres. » Après luy dit : « Ma dame, pensés-vous que je ne vueille qu’elle soit bien arrayée selon les bonnes dames du païx ? mais je ne veul pas qu’elle mue l’estat des preudes femmes et des bonnes dames de honneur de France et de ce païs qui n’ont pas prins l’estat des amies et des meschines aux Angloys et aux gens des compaignes ; car ce furent celles qui premièrement admenèrent cest estat en Bretaigne des grans pourfilz et des corsès fendus ès costez et lès floutans ; car je suy du temps et le vy. Sy que, à prendre l’estat de telles femmes le premier, je tiens à petitement conseillies celles qui le prennent, combien que la princesse et autres dames d’Angleterre sont après long temps venus qui bien le pevent avoir. Mais j’ay tousjours oy dire aux saiges que toutes bonnes dames doivent tenir l’estat de bonnes dames du royaulme dont elles sont, et que les plus saiges sont celles qui derrenièrement prennent telles nouveaultez. Et aussy par renommée l’on tient les dames de France et de cestes basses marches les meilleures dames qui soient et les moins blasmées. Mais en Angleterre en a moult de blasmées, si comme l’on dist ; si ne sçay se s’est à tort ou à droit. Et pour ce est-il mieulx de tenir le fait aux dames qui ont meilleur renommée. » Si furent cestes paroles dictes devant plusieurs, dont la dame se tint pour nice et ne sçeut que elle luy deust respondre, dont plusieurs se prindrent à rire et dirent entre eux qu’il lui vaulsist mieulx un bon taire. Et pour ce, belles filles, a cy bonne exemple de prendre et tenir l’estat moyen et l’estat des bonnes dames de son pays et du commun du royaulme dont l’en est, c’est assavoir dont les plus des bonnes dames usent communément, et especiaulment les preudes dames, selon ce que chascune le doit faire ; car à prandre nouvel estat venu d’estranges femmes ne d’autruy pays, l’en est plus tost moquée et rigolée que de tenir l’estat de son pays, si comme vous avez ouy dire que le bon chevalier, qui saiges estoit et de grant gouvernement, en reprint la dame. Et saichiez de certain que celles qui premiers les prennent donnent assez à jangler et à rigoler sur elles. Mais, Dieu mercy, aujourduy, dès ce que une a ouy dire que aucune a une nouveaulté de robe ou de atour, aucunes de celles qui oyent les nouvelles ne finiront jamais jusques à tant qu’elles en aient la copie, et dient à leurs seigneurs chascun jour : « Telle a telle chose qui trop bien lui avient, et c’est trop belle chose ; je vous prie, mon seigneur, que j’en aye. » Et se son seigneur lui dist : « M’amie, se celle en a, les autres, qui sont femmes aussi sages comme elles, n’en ont point. — « Quoy ! sire, se elles ne se scevent arrayer, qu’en ay-je à faire ? puisque telle en a, j’en puis bien avoir et porter aussy bien comme elle. » Si vous dy qu’elles trouveront tant de si bonnes raisons à leur dit, qu’il conviendra que elles aient leur part de celle nouveauté et cointise. Maiz cestes manières de femmes ne sont mie voulentiers tenues les plus saiges ne les plus sçavans, fors qu’elles ont plus le cuer au siècle et à la playsance du monde. Dont je vous en diray d’une manière qui est venue, de quoy les femmes servantes et femmes de chambres, clavières et aultres de mendre estat, se sont prinses communement, c’est-à-dire qu’elles fourrent leurs doz et leurs talons, autant penne comme drap, dont vous verrez leurs pennes derrière que ilz ont crottées de boue à leurs talons, tout aussy comme le treu d’une brebis soilliée derrière. Si ne priseriés riens celle cointise en esté ne en yver ; car, en yver, quant il fait grant froit, elles meurent de froit à leurs ventres et à leurs tetines, qui ont plus grant mestier d’estre tenues chaudement que les talons, et en esté les puces s’y mucent, et pour ce je ne prise riens la nouveaulté ne telle cointise. Je ne parle point sur les dames ne sur les damoiselles atournées, qui bien le pevent faire à leur plaisir et à leur guise ; car sur leur estat je ne pense mie à parler chose qui leur doye desplaire, que je le puisse sçavoir ; car à moy ne affiert ne appartient fors les servir et honorer et les obeir à mon povoir, ne je ne pense sur nulles en parler par cest livre, fors que à mes propres filles et à mes femmes servantes, à qui je puis dire et monstrer ce que je vueil et il me plaist.