Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 23

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Chappitre XXIIIe
Cy parle de Bouciquaut et de III dames, comment il s’en chevit.


Encore vous parleray de ceste matière, comment il avint à Bouciquaut que trois dames lui cuidoient faire honte, et comment il s’en chevit. Bouciquaut estoit saige et beaul parlier sur tous les chevaliers, et si avoit grant siècle et grant senz entre grans seigneurs et dames. Sy advint à une feste que trois grans dames se seoient sur un comptouer et parloient de leurs bonnes adventures, et tant que l’une dist aux autres : « Belles cousines, honnie soit elle qui ne dira vérité par bonne compaignie, se il y a nulle de vous qui en ceste année feust priée d’amours. — Vrayement, dist l’une, je l’ay esté depuis un an. — Par ma foy, dist l’autre, si ay-je moy. — Et moy aussi, se dist la tierce. — Et dist la plus apperte : Honnie soit elle qui ne dira le nom de celluy qui derenierement nous pria. Par foy, se vous dictes, je vous diray. Sy se vont accorder à dire voir. — Vraiement, dist la première, le derrenier qui me pria fust Bouciquaut. — Vraiement, dist l’autre, et moy aussi. — Et, dist la tierce, si fist-il moy. — Vrayement, distrent les aultres, il n’est pas si loyal chevalier comme nous cuidions. Ce n’est que un bourdeur et un trompeur de dames. Il est céans ; envoyons le querre pour luy mettre au nez ce fait. » Sy l’envoyèrent querre, et il vint ; si leur demanda : « Mes dames, que vous plaist ? — Nous avons à parler à vous ; scez vous cy. » Sy le vouloient aire seoir à leurs piez, mais il leur dist : « Puis que je suis venus à vostre mandement, faictes-moy mettre des quarreaulx ou un siege à moy seoir ; car, se je me seoie bas, je pourroye rompre mes estaches, et vous me pourriez mettre sus que ce seroit aultre chose. » Si convint que il eust son siege, et quant il fust assis, icelles, qui bien furent yrées, sy vont dire : « Comment, Bouciquaut, nous avons esté deçeues du temps passé, car nous cuidions que vous fussiez voir disant et loyal ; et vous n’estes que un trompeur et un moqueur de dames ; c’est vostre tache. — Comment, ma dame, savez-vous que j’ay fait ? — Que vous avez fait ? Vous avez prié d’amours belles cousines qui cy sont, et sy avés vous moy, et si aviez juré à chascune de nous que vous l’amiés sur toutes autres. Ce n’est pas voir, ains est menseonge ; car vous n’estes pas trois en vault, et ne povez avoir trois cuers pour en amer trois, et pour ce estes faulx et decevable, et ne devez pas estre mis ou compte des bons ne des loyaulx chevaliers. — Or, mes dames, avez-vous tout dit ? vous avez grant tort, et vous diray pourquoy ; car à l’eure que je le dis à chacune de vous, je y avoye ma plaisance et le pensoie ainsy, et pour ce avez tort de moy enir pour jengleur ; maiz à souffrir me convient de vous, car vous avez vos parlers sus moy. » Et quant elles virent qu’il ne s’esbahissoit point, si va dire l’une : « Je vous diray que nous ferons. Nous en jouerons au court festu à laquelle il demourra. — Vrayement, dist l’autre, d’endroit moy je n’y pense point à jouer, car j’en quitte ma part. — Vrayement, fist l’autre. sy fais-je moy. — Lors respondit : Mes dames, par le sabre Dieu, je ne suis point ainsi à departir ne à laissier ; car il n’y a cy à qui je demeure. » Si se leva et s’en ala, et elles demourèrent plus esbahies que luy, et pour ce est grant chose de prandre estrif à gens qui scevent du siècle ne qui ont si leur manière et leur maintieng. Et pour ce a cy bon exemple comment l’on ne doit pint entreprendre parolle ne estriver avecques celles gens ; car il y a bien manière. Car celles qui aucunesfois cuident plus savoir en sont par fois les plus deceues, dont je vouldroye que vous sceussiez l’exemple semblable à ceste cy sur cette matière.