Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 25

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Chappitre XXVe
De celles qui vont voulentiers aux joustes et aux pellerinaiges


Je vous diray une exemple d’une bonne dame qui recouvra un grant blasme sans cause à une grant feste d’une table ronde de joustes. Celle bonne dame estoit jeune et avoit bien le cuer au siècle, et chantoyt et dansoyt voulentiers, dont les seigneurs et les chevaliers l’avoient bien chière, et les compaignons aussi. Toutes voyes son seigneur n’estoit pas trop liez dont elle y aloit si voulentiers. Mais elle vouloit bien en estre requise, et son seigneur lui en donnoit grans eslargissemens que on la requist et priast d’amer, et son seigneur le faisoit pour paour d’acquerre la male grace des seigneurs, et que on ne deist pas qu’il en feust jaloux ; si la leur octroyoit-il pour aler à leurs festes et esbatemens, et il mectoit moult de grans mises pour l’accointir à celles festes pour l’onneur d’eulx. Mais elle povoit bien apparcevoir que, s’il eust esté au gré et plaisance de son mary, elle n’y alast pas. Et, si comme il est accoustumé en esté, temps que l’en veille à dances jusques au jour, il advint, une fois entre les autres, que, à une feste où elle fust la nuit, l’en estaigny les torches et fist l’en grans huz et grans cris, et quant vint que l’en apporta la lumière, le frère du seigneur de celle dame vit que un chevalier tenoit celle dame et l’avoit mise un petit à costé, et, en bonne foy, je pense fermement qu’il n’y eust nul mal ne nulle villenie. Mais toutes fois le frère du chevalier le dist et en parla tant que son seigneur le sceut et en eut si grant dueil que il l’en mescrut toute sa vie, ne depuis n’en eut vers elle si grant amour ne si grant plaisance, comme il souloit ; car il en fut fol et elle folle et s’entrerechignèrent, et en perdirent aussi comme tout leur bien et leur bon mesnage, et par petit d’achoison.

Je sçay bien une autre belle dame qui très voulentiers estoit menée aux grans festes. Si fu blasmée et mescreue d’un grant seigneur. Dont il advint qu’elle fut malade de si longue maladie, qu’elle fut toute deffaicte et n’avoit que les os, tant estoit malade. Sy cuidoit transir de la mort, et se fist apporter beau sire Dieux. Lors dist devant tous : « Mes seigneurs, mes amis et mes amyes, veez en quel point je suy. Je souloye estre blanche, vermeille et grasse, et le monde me louoit de beaulté ; or povez-vous veoir que je ne semble point celle qui souloit estre ; je souloye amer festes, joustes et tournoys ; mais le temps est passé ; il me convient que je aille à la terre dont je vins. Et aussi, raes chers amis et amies, l’en parle moult de mal de moy et de mon seigneur de Craon ; mais, par celuy Dieu que je doys recevoir et sur la dampnacion de mon âme, il ne me requist oncques, ne me fist villennie mais que le père qui me engendra ; je ne dy mie qu’il ne couchast en mon lit, maiz ce fut sans villennie et sans mal y penser. » Si en furent maintes gens esbahis, qui cuidoient que aultrement feust, et pour tant ne laissa pas à estre blasmée ou temps passé et son honnour blessié, et pour ce a grant peril à toutes bones dames de trop avoir le cuer au siècle, ne d’estre trop desirables d’aler à telles festes, qui s’en pourroit garder honnourablement ; car c’est un fait où moult de bonnes dames reçoivent moult de blasmes sans cause. Et si ne dis-je mie qu’il ne conviengne parfoiz obéir à ses seigneurs et à ses amis et y aler. Mais, belles filles, se il advient que vous y ailliez et que vous ne le puissiez refuser bonnement, quant vendra la nuit que l’en sera à dancier et à chanter, ue pour le peril et la parleure du monde vous faciez que vous ayiez tousjours de costé vous aucun de voz gens ou de voz parens ; car se il advenoit que l’en estaingnist voz torches et la clarté, qu’ilz se tenissent près de vous, non pas pour nulle doubtance de nul mal, maiz pour le peril de maivais yeulx et de mauvaises langues, qui tousjours espient et disent plus de mal qu’il n’y a, et aussy pour plus seurement garder son honnour contre les jangleurs, qui voulentiers disent le mal et taisent le bien.