Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 3

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De deux chevaliers qui amoient deux suers.
Chappitre IIIe



Comme il est contenu ès histoires de Constantinople que un empereur avoit deux filles, dont la plus juenne estoit de bonnes meurs, et amoit Dieu et le adouroit, toutes foiz qu’elle s’esveilloit, et prioit pour les mors. Si couchoient en un lict elle et sa suer ainsnée, et quant l’ainsnée s’esveilloit, et elle ouoit à sa suer dire ses heures, elle s’en mocquoit et l’en bourdoit, lui disoit que elle ne la laissoit dormir.

Dont il advint que jonnesse et la grant aise où elles estoient nourries leur fist amer deux chevalliers frères, moult beaux et moult gens, et tant durèrent leurs plaisirs et leurs amours qu’elles se descouvrirent l’une à l’autre de leurs amourettes, et tant qu’elles mistrent aux deux chevalliers certaines heures pour venir à elles par nuit privéement. Et quant celui qui devoit venir à la plus juenne cuida entrer entre les courtines, il lui sembla qu’il veist plus de mille hommes en suaires qui estoient environ la demoiselle. Si en eut si grant hideur et si grant paour qu’il en fut tous effrayez, dont la fièvre le prist et fut malades au lit. Maiz à l’autre chevalier ne avint pas ainsi, car il entra entre les courtines et ençainta la fille ainsnée de l’Empereur. Et quant l’Empereur sceut qu’elle fut grosse, il la fist noyer par nuit et le chevalier fist escorchier. Et ainsi par celui faulx delit morurent tous deux. Maiz l’autre fille fut sauvée par ainsi comme je vous ay dit et diray. Quant vint à lendemain l’en disoit par tout que le chevalier estoit malade au lit ; celle par qui le mal lui fust prins le vint veoir et lui demanda comment le mal lui estoit prins. Si luy en dist la verité, comment il se cuida bouter ès courtines, et il vit à merveille grant nombre de gens en suaires environ elle, dont, ce dist-il, si grant paour hideur me print que a pou que je n’enraigay, et encores en suis-je tout effrayé. Et quant la damoiselle oyst la verité, si en fust esmerveillée, et mercia Dieu moult humblement, qui sauvée l’avoit d’estre périe et deshonourée, et dès là en avant elle aoura et loua Dieu toutes foiz qu’elle s’esveilla et pria moult doucement pour les mors plus que devant, et se tint chastement et nettement ; et ne demoura gaires que un grant roy de Grèce la fist demander à son père, et il luy donna, et fust depuis bonne dame et de notte, et de moult grant renommée. Et ainsi fut sauvée pour aourer et gracier Dieu et pour prier pour les deffuncts. Et sa suer ainsnée, qui se mocquoit et se bourdoit, elle fut morte et deshounorée, et pour ce, mes chières filles, souviengne vous de cest exemple, toutes foiz que vous esveillerez, et ne vous endormez jusques à ce que vous ayez prié les deffuns comme faisoit la fille l’empereur.

Et encores vouldroye-je que vous sceussiez l’exemple d’une damoiselle que un grant seigneur vouloit avoir, par beau ou par laist, à faire sa voulenté et son fol plaisir.