Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 39

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Chappitre XXXIXe
De Eve, nostre première mère


Le premier exemple de mal et de pechié, par quoy la mort est entrée en cestuy monde, si vint par Eve, nostre première mère, qui petitement garda le commandement de Dieu et l’onneur où il l’avoit mise ; car il l’avoit faitte dame de toutes choses vivans qui estoyent soubz le ciel, et que tous lui obeyssoient et feissent sa voulenté. Et se elle ne feust cheute en pechié de desobeyssance, il n’y eust poisson en la mer, ne beste sur terre, ne oisel en l’air que tous ne feussent à son obeyssance, à en prendre et à en deviser là où il luy pleust, sans nul desdit, et aussy elle eust enfans sans doulour et sans peril, ne jamais ne eust l’en faimg ne soif, froit ne chaut, travail ne maladie, ne tristesse de cuer, ne mort terrienne nulle. Nulle eaue ne la peust noyer, ne feu ardoir, ne glaive, ne aultre chose blescier ; nulle chose ne luy peust nuire, ne fayre couroucier. Doncques pensons et regardons comment un pechié, sans plus, la mist de si grant honneur et gloire si bas et en tel servage ; car elle perdit toute l’onneur et la richesse, laissa la gloire et toute l’obeyssance pour le pechié de desobeissance. Or resgardons doncques en quoy pecha la première femme, affin, mes chières filles, de vous en garder, si Dieu plaist, par la bonne doctrine que vous prendrès en bons exemples. Sy vous dy que le premier pechié de nostre mère vint par mauvaise accointance, pour ce qu’elle tint parlement au serpent, qui avoit, ce dit l’escripture, visaige de femme moult bel et moult humble, lequel parloit humblement et cointement ; si l’escouta voulentiers et privéement, dont elle fist que folle ; car se au commencement elle ne l’eust voulu escouter et s’en estre venue à son seigneur, elle l’eust desconfit à sa grant honte. Et ainsi le fol escoutement lui fist dommaige. Et pour ce, belles filles, n’est pas bonne chose d’escouter gens qui langaigent et qui ont l’art de bel parler, ne que escouter doulces parolles et couvertes ; car par fois elles sont decevables et venimeuses et en puet l’en acquerre blasme. Après cellui serpent advisa son point et la trouva seule et loing de son seigneur, et pour ce lui monstra à loysir son faulx langaige, et dont il n’est pas bon de demourer seul à seul à nulluy, se il n’est de ses prochains. Et je ne dis mie que l’on ne doye faire honneur et courtoisie à chascun selon ce qu’il vault ; mais l’on met trop plus son honneur en balance de trop respondre que de pou ; car l’une parolle attrait l’autre et à chacunes foys convient qu’il en soit dit d’aucunes dont ilz se pueent après jangler ou bourder, et pour ce est bon exemplaire à toute droite dame.

La seconde folie de Eve nostre première mère est à ce qu’elle respondy trop legièrement, sans y penser, quant l’ennemi Lucifer lui eust demandé pour quoy elle et son mary ne mangoient du fruit de l’arbre de vie, comme ilz faisoient des autres. Ce fut celle qui respondit sans le conseil de son mary, et lui y tint parolle, dont elle fit que folle, et luy en meschey ; car la responce ne lui avenoit mie, ains appartenoit à son seigneur à en respondre ; car Dieu avoit baillé la garde d’elle et du fruit à son seigneur, et divisé de quel fruit ilz mangeroient. Et pour ce peust avoir respondu que il en parlast à son seigneur, non pas à elle, et se feust couverte et deschargée. Et pour ce, belles filles, devez prendre en ce bon exemple que, se aucuns vous requiert de folie ou de chose qui touche contre vostre honneur, vous vous pouvez bien couvrir et dire que vous en parlerez à vostre seigneur ; ainsi vous les vaincrez et ne ferés pas comme la seconde folie de Eve, qui fist la responce, sans ce que elle s’en couvrist ne sans le conseil de son seigneur. Et pour ce, belles filles, je vouldroye bien que vous retenissiez l’exemple d’une bonne dame de Acquillée, que le prince d’Acquillée prioit de folles amours. Et, quant il l’eust assez priée et assez parlé, elle lui respondit que elle en demanderoit l’avis à son seigneur ; et quant le prince vit ce si la laissa ester et oncques plus ne lui en parla, et disoit à plusieurs que c’estoit une des parfaittes dames de son païx, et ainsi la bonne dame en receut grand pris et grant honnour. Et ainsy le doit faire toute bonne dame, non pas respondre de soy meismes, comme fist Eve.