Livre pour l’enseignement de ses filles du Chevalier de La Tour Landry/Chapitre 52

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Chappitre LIIe
De la tierce femme du chevalier


Après le chevalier eut la tierce femme et furent grant pièce ensemble ; et toutesfoiz elle morut à la parfin, dont advint que le chevalier deut morir de dueil et de regret, et, quant elle fut morte, le chevalier vint à son oncle, et lui pria qu’il voulsit prier pour sa femme. Toutesfoiz le preudomme en pria tant qu’il luy vint en advision que un ange le signoit et monstroit le tourment que l’en la faisoit souffrir, ne pour quoy ; car il veoit appertenant que un ennemy la tenoit d’une de ses griffes par les cheveux et par la tresse, comme un lion tient sa proie, si qu’elle ne povoit la teste remuer ne ça ne là, et puis lui mettoit alesnes et aiguilles ardans par les sourcilz, et par les temples, et par le front jusques à la cervelle, et la povre ame s’escryoit, à chascune foiz qu’il lui boutoit l’alesne ardent. Sy demanda pourquoy on luy faisoit cette grant douleur, et l’ange lui respondoyt que c’estoit pour ce qu’elle avoit affaitié ses sourciz et ses temples, et son front creu, et arrachié son peil pour soy cuidier embellir et pour plaire au monde, et qu’il convenoyt que en chascune place et pertuis dont chascun poil avoit esté osté, que chascun jour continuellement y poignist l’alesne ardant. Et après, quant il luy ot fait souffrir ce martire, qui moult longuement dure, un autre annemy moult hideux vint à grans dens hideuses et aigues, la prendre au visaige et luy broyer et maschier, et après cela vint avecques grans brandons de feu ardant luy enflamber et bouter en visaige si effrayement et douleureusement que l’ermite en avoit telle paour et hideur qu’il trambloit tout, mais l’ange l’asseura et luy dist qu’elle l’avoyt bien desservy ; si demanda pourquoy et il respondy : Pour ce qu’elle s’estoit fardée et peinte le visaige pour plaire au monde, et que c’estoit un des pires pechiez qui feust et qui plus desplaisoit à Dieu, car c’estoit pechié d’orgueil, par lequel l’en attrait le pechié de luxure et tous aultres pechiéz mortelx dont le monde perit par le déluge et depuis plusieurs citez en sont arses et fondues en abisme, car sur toute rien il desplait au créateur, qui tout fourma, dont l’en se veult donner plus grant beaulté que nature ne luy apporte, et si ne souffist pas à homme ne à femme estre fait et compassé à sa saincte ymaige où les sains angels tant se delitent ; car si Dieu eust voulu, de sa sainte pourveance, elles n’eussent pas esté femmes, ainsçois les eust faictes bestes mues ou serpens. Et donc pourquoy regardent-elles à la grant beauté que Dieu leur a faictes, et pourquoy mestent-elles à leur visaige ou à leurs chiefs aultre chose que Dieux leur a donné. Et pour ce n’est-il mie de merveilles se elles endurent ceste penitence, car ceste, dist l’angel, l’a bien deservy, et alez veoir le corps, et vous verrés le visaige moult effrayé et hideux. Sire, dit l’ermite, sera-elle guères en cellui tourment ? Et l’ange dist : mil ans, et plus ne lui en voult descouvrir. Maiz quant l’ennemy lui mettoit le brandon de feu ou visaige, la povre ame se escrioit, et doulousoit et maudissoit l’eure qu’elle avoit oncques esté engendrée, et estoit foible et douloureuse. Et de la paour que le saint hermite en eust il se esveilla tout effrayé, et vint au chevallier et lui compta son advision, et dont le chevalier fut moult esbahy, et ala veoir le corps que l’on vouloit ensepvelir. Mais le visaige en estoit si noir, si let et si orrible à veoir que c’estoit grant affliction. Adonc creut-il bien que c’estoit voir ce que son oncle l’ermite luy avoit dit. Si en ot grant horreur et abhominacion et pitié ensemble, et tant que il laissa le siècle, et vestoit le vendredy et le meccredy la haire, et donna le tiers de toute sa revenue pour Dieu, et usa de saincte vie de là en avant, et ne luy chailloit des boubans du monde, tant fust effrayé de ce qu’il avoit veu de sa femme derrenière et de ce que le preudomme lui avoit dit qu’il avoit veu.