Ludovico/19

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Traduction par Isabelle de Montolieu.
chez Arthus Bertrand (tome 2p. 222-247).


CHAPITRE XIX et dernier

À l’époque fixée, M. Joung reçut, au nom de madame Lewis et de ses enfans la somme stipulée par M. Wright, et il la plaça dans les fonds publics. Son élève Ludovico avait si bien employé le temps qu’il lui laissait pour la peinture, et s’était surtout tellement appliqué au paysage, dans le but de finir les tableaux commencés par son père, qu’il crut pouvoir l’entreprendre. Il en parla à M. Joung, qui l’encouragea d’autant plus, qu’il avait appris que Sinister faisait seulement alors l’exhibition de ceux qu’il avait achetés, et gardés prudemment pour le temps où la mort du peintre, qu’il avait prévue, leur donnerait une plus grande valeur. Il permit donc au jeune homme de travailler aux siens avec assiduité. Ludovico commença par ceux qui étaient les plus avancés, et bientôt il put en présenter aussi au public. On supposa avec raison que ceux qui étaient restés dans la famille devaient être les meilleurs ; et la petite collection du modeste Ludovico trouva bien plus d’acheteurs que celle de Sinister, plus nombreuse et plus vantée. Ludovico s’était fait un devoir d’avertir de ce qu’il avait ajouté au travail de son père. S’il y perdit quelques acheteurs, cette intégrité lui valut des amis et des protecteurs. Plusieurs personnes mêmes achetèrent de ces morceaux parce qu’il y avait travaillé. Enfin il les plaça tous si bien, qu’il en retira une somme assez considérable. Il la porta d’abord à sa mère. Les cinq années de son apprentissage étaient terminées. L’éducation des jeunes Lloyd l’était aussi ; et madame Lewis jugea qu’elle pouvait enfin satisfaire son ardent désir d’aller dans le Cumberland visiter sa famille. M. Lloyd, à sa recommandation et pour l’obliger, avait placé avantageusement deux de ses frères dans des maisons de commerce. Le cadet, né depuis son mariage, et qui était de l’âge de Ludovico, avait un goût décidé pour le militaire. Au moyen de ses protecteurs, Ludovico lui procura une commission d’enseigne. Il se faisait un plaisir extrême de lui porter cette heureuse nouvelle, et de se lier d’amitié avec un oncle de même âge que lui. Il s’en faisait un plus grand encore de connaître enfin les respectables parens de la meilleure des mères ; et M. Dumney et sa digne compagne, qui n’avaient cessé depuis tant d’années de regretter leur bien-aimée Agnès, allaient enfin la revoir avec deux enfans qui méritaient déjà toute leur tendresse. Il serait impossible de décrire la joie, le bonheur de cette famille, lorsqu’elle fut réunie. Bien des larmes furent versées et bien des peines retracées ; mais le délice du moment actuel effaçait tout. Ludovico, Constantine étaient serrés tour à tour dans les bras de leur respectable aïeul, et d’une grand-mère qui croyait retrouver sa jeunesse avec ses enfans chéris.

Ludovico devint le favori de son grand-père, dont la pénétration eut bientôt démêlé les vertus et le vrai génie qui distinguaient cet excellent jeune homme. Lui, de son côté, ne cessait d’admirer la simplicité, le bon sens, et par-dessus tout, la piété sans affectation de ses bons grands-parens et qui, chez le pasteur était unie, à beaucoup de savoir, et à l’esprit le plus aimable. Il fut enchanté aussi des beautés romantiques de cette contrée qu’il connaissait en partie par les descriptions de sa mère, et par le pinceau de son père, et qu’il parcourut avec le même enthousiasme, avec la même sensibilité poétique qui excitait si puissamment autrefois la jeune imagination de M. Lewis. Mais Alfred s’y livrait si complètement qu’il méprisait la prose de la vie réelle, et tous les soins qu’elle exige d’un homme raisonnable. Ludovico, au contraire, au retour de ses excursions, calmait son imagination exaltée, en traçant avec son pinceau ce qu’il venait d’admirer. Il se remettait ensuite, peu à peu, à toutes les occupations que son grand-père ou sa mère lui prescrivait. Il remplissait, en un mot, touts les devoirs que la religion et la nature imposent aux hommes vertueux.

Quoique M. Lloyd n’eût plus besoin des soins de madame Lewis, il lui avait cependant offert de continuer à habiter sa maison ; mais on comprend facilement qu’elle préféra de passer l’hiver auprès de ses parens qu’elle rendait si heureux, et dont elle pouvait à présent augmenter le bien être, au lieu de leur être à charge. C’était d’ailleurs le moment de l’instruction religieuse de Constantine, âgée alors de quinze ans. Elle était bien aise qu’elle la passât dans la retraite, et que son grand-père l’introduisît dans l’église chrétienne.

Ludovico retourna à Londres avec son oncle, le jeune Dumney, qui allait rejoindre son régiment. Il était d’un aimable caractère, et Ludovico s’était tendrement attaché à lui. Il remplaçait dans son cœur son cher Raphaël, qu’il regrettait encore. M. Joung avait un fils un peu plus âgé, avec qui Ludovico s’était aussi lié d’amitié, d’autant qu’ils avaient de grands rapports de caractère. Ce jeune homme, sans talent pour la profession de son père, se destinait à l’église, faisait ses études à Oxford, et ne venait chez ses parens que pendant ses vacances. M. Joung avait écrit à Ludovico pour lui offrir de l’employer à graver chez lui, avec un traitement avantageux. Mais il se sentait entraîné irrésistiblement vers l’art de la peinture, et son séjour dans le Cumberland avait fortifié ce goût, que M. Lewis avait appelé l’inspiration du génie. Son fils, au contraire, craignant de n’en pas avoir assez, et ne voulant pas être un peintre médiocre, s’était presque décidé à rester graveur. Cependant il consulta M. Joung qui, n’écoutant pas son intérêt propre, lui conseilla d’essayer encore de la peinture, et de voir pour quel genre il aurait le plus de talent. Dans sa jeunesse, il paraissait s’être voué à la figure. Pour achever les tableaux de son père, il avait étudié le paysage. Actuellement il avait l’ambition de s’élever jusqu’aux tableaux d’histoire, et de copier ceux des grands maîtres. Il apprit avec transport que la galerie britannique était ouverte à tons les jeunes artistes ; et se promit de profiter de ce secours, sans pour cela abandonner la gravure. Il osa se flatter de mériter l’approbation du public dans ces deux arts si étroitement liés. M. Joung approuva ce plan ; et connaissant particulièrement les directeurs de l’Institut national, il leur recommanda son élève comme un jeune homme qui ferait honneur à son pays. Il se recommanda bientôt lui-même par son zèle, son application, ses talens. On lui donna tous les secours nécessaires à son avancement, et ses ouvrages obtinrent l’approbation générale.

Un jour qu’il copiait dans la galerie un très-beau morceau d’après Raphaël, qui l’absorbait entièrement, deux dames qui visitaient les tableaux s’approchèrent de lui. À peine se laissa-t-il distraire un instant de son travail. L’une, entre deux âges, avait l’embonpoint et les couleurs d’une brillante santé ; l’autre était une jeune personne de vingt ans, au maintien doux et modeste. Le jeune peintre, après avoir jeté un seul regard sur elles, s’était remis à son ouvrage, et ne levait plus les yeux, lorsque la plus âgée se penchant de son côté comme pour mieux voir le tableau ; lui dit à demi-voix les deux derniers vers du Ménestrel :

« Heureux Edwin ! la Muse de l’Histoire
« Inscrit ton nom au temple de Mémoire. »

Ludovico tréssaillit. Il se retourne vivement, se lève… Cette voix ! ce nom d’Edwin ! ces traits !… Non, Ludovico ne se trompe pas : c’est la bonne, l’aimable lady Villars, et la jeune personne qui l’accompagne est cette petite Lucy que nous avons vue à quatorze ans si étourdie, si malicieuse, et qui, grâce aux années, à la raison, et surtout à l’exemple de son angélique belle-mère, est devenue à vingt ans une fille charmante. Elle n’a pas oublié ses torts ; et avec un léger sourire, elle dit, en montrant le tableau sur le chevalet : Vous pourrez, quand vous voudrez, Monsieur, reprendre le nom de Carrache ; je vous promets de ne plus m’en moquer. Lady Villars le félicita aussi sur ses progrès qu’elle avait présagés, lui dit-elle, dans les dessins qu’il lui avait jadis envoyés. Ludovico la félicita à son tour, avec sentiment, sur le retour de sa santé. — Qui, mon jeune ami, lui répondit-elle, vos vœux ont été exaucés ; ils l’ont tous été. J’ai su par Dermot que vous aviez aussi formé celui que je devinsse mère, et j’ai le bonheur d’avoir un fils. Souhaitez à présent qu’il ressemble à mon Edwin. Ah ! qu’il ressemble à sa mère, dit Ludovico en levant les yeux au ciel ! Il avait encore ce beau regard plein d’innocence et de sensibilité qui lui gagnait les cœurs dans son enfance.

Lady Villars pria le jeune homme de monter avec elle dans sa voiture, et de partager son dîner de famille. Elle le présenta au général qui se souvint parfaitement du jour où il avait acheté de lui le tableau des montagnes du Cumberland, que Ludovico ne revit pas sans une vive émotion. Pendant sa longue résidence sur le continent, cet amateur de peinture avait augmenté sa collection de beaux tableaux. Elle pouvait fournir à un jeune artiste de parfaits modèles, et il en permit le plein usage à Ludovico. En voyant combien ce jeune homme était véritablement modeste, vertueux, reconnaissant, il l’invita très-fréquemment à sa table, le présenta aux patrons les plus renommés des beaux arts, et donna ainsi à ses talens l’encouragement et la récompense qu’ils méritaient.

Lady Villars l’admit souvent aussi, dans ses soirées, aux rassemblemens peu nombreux, mais bien choisis, qu’elle aimait à réunir chez elle. Jamais le jeune artiste n’y parut déplacé, pouvant parler de tout avec intelligence.

Il ne se mettait point en avant, attendait qu’on lui adressât la parole : če qui arriva souvent quand on l’eut entendu. Ce fut là qu’à la prière instante de lady Villars, il lut le beau poëme de son père. Tous ceux qui l’entendirent en furent enchantés, et tout d’une voix lui conseillèrent de le faire imprimer au moyen d’une souscription à laquelle chacun s’intéresserait, et d’en soigner l’édition de son mieux. Ludovico, qui désirait passionnément de rendre cet hommage à la mémoire de son père, y mit beaucoup de zèle. Après avoir prié lady Villars de l’aider à choisir les sujets, il dessina et grava lui-même, pour chaque chant, une belle taille-douce ; ce ne fut pas un des moindres ornemens de ce bel ouvrage. Lady Villars, le général, sa fille aînée, mariée à un seigneur estimable, recueillirent des souscriptions dans la haute classe, pendant que M. Lloyd et sa femme en obtinrent chez les commerçans, et M. Joung chez les artistes. Ludovico envoya de son côté des prospectus dans les villes où son père avait séjourné, à Manchester, à Yorck, à Leeds, où il en eut bon nombre ; à Yorck principalement, où cet ouvrage avait été composé, tout le monde voulut en avoir. Pour la première fois de sa vie, Ludovico eut un secret pour sa mère, et ne lui parla point de cette entreprise, voulant lui faire une surprise agréable.

Enfin quand l’ouvrage fut imprimé, ses comptes réglés, les souscriptions rentrées, et tous ses plans arrangés, il écrivit à sa mère pour presser son retour, lui disant qu’après une séparation de près d’une année, il était extrêmement impatient de la revoir ainsi que sa chère Constantine. Il la suppliait de venir célébrer son vingt-deuxième jour de naissance, à Londres dans la maison où il logeait, et dont il lui donnait l’adresse à Somers-Town, un des quartiers les plus aérés et les plus agréables de la capitale. La bonne et tendre mère lui accorda sa requête, et partit avec sa fille. Elle fut reçue par son Ludovico à la porte d’une maison très-petite, mais propre et élégante à l’extérieur ; l’intérieur ne l’était pas moins. Son fils la conduisit dans un joli salon meublé avec goût et simplicité. Elle y trouva à sa grande joie monsieur et madame Joung avec leur fils, alors en vacance, et ses trois élèves, les jeunes miss Lloyd, transportées de revoir leur seconde maman et leur sœur Constantine. Après les premières salutations d’amitié, son fils la mena à une fenêtre qui donnait sur un charmant petit jardin de gazon et de fleurs. Agnès était enchantée de cette jolie demeure.

— Est-ce donc ici votre logement, mon cher Ludovico ? lui demanda-t-elle.

— Oui, ma chère mère, c’est ici où je loge ; à moins que la maîtresse de la maison ne me mette dehors : mais comme elle m’aime beaucoup, et que je le lui rends de tout mon cœur, je ne le crains pas.

— J’espère bien que non, dit Agnès. Pourquoi vous mettrait-elle dehors de chez elle ? Bien sûrement elle ne peut avoir un locataire plus sage, plus tranquille ; et je suis sûre aussi que vous paierez régulièrement votre loyer. Quand j’habiterai la ville, je serai heureuse de demeurer ici chez mon fils. Vous me présenterez à votre hôtesse. J’espère aussi gagner son amitié ; et je la prierai de ne point vous renvoyer.

— Je crois, Madame, dit en riant M. Joung, que vous l’obtiendrez facilement de la mère de Ludovico.

— De la mère !… Que voulez-vous dire ?

— Que cette maison appartient à la meilleure des mères, à madame Agnès Lewis…

— Et que j’espère qu’elle voudra bien me permettre d’y loger près d’elle, ajouta Ludovico.

Agnès croyait rêver. — Quoi ! dit-elle, ce paradis m’appartient ? Non, non ; cela ne se peut pas.

— Et pourquoi donc, Madame, dit M. Joung, n’ai-je pas des fonds à vous dont vous m’avez permis de disposer ? J’ai trouvé cette maison si jolie ; si bon marché et vous convenant si bien, que j’ai cru pouvoir l’acheter pour vous sans vous consulter. Votre fils a voulu se charger de la meubler, et je pense que vous l’acceptez pour locataire et pour pensionnaire. Il est riche à présent votre Ludovico, et pourra vous payer une bonne pension.

— Il est du moins riche en vertu, s’écria son heureuse mère en l’embrassant tendrement. Il est le meilleur des fils, et vous les meilleurs des amis.

— Qui vous aiment et vous respectent, votre bon fils et vous, comme vous méritez de l’être, dit M. Joung attendri. Oui, malgré sa jeunesse, Ludovico par sa bonne conduite a des droits au respect ! Il m’a payé bien au-delà de ce que j’ai fait pour lui, et je le confonds dans mon cœur avec mon propre fils.

Pendant qu’Agnès écoutait avec délice l’éloge du sien, il avait rejoint les jeunes gens qui étaient autour d’une table, occupés à regarder les gravures d’un grand livre très-bien relié. Madame Lewis tourna les yeux de ce côté, et vit avec surprise sa fille prendre ce livre avec vivacité, et couvrir le frontispice de baisers. — Qu’est-ce que vous faites donc, Constantine, lui dit-elle en s’approchant aussi ? Elle jette un cri. Ce frontispice lui présente l’image parfaitement ressemblante de son mari. Ah, mon Alfred ! s’écria-t-elle, toi qui manquais seul à mon bonheur, je revois donc tes traits chéris ! Mon fils, explique-moi ce miracle.

— Ce n’en est pas un, ma mère, dit Ludovico. Ma mémoire fidèle pour un objet si cher et si regretté, et ma ressemblance avec lui, m’ont rendu capable de tracer les traits d’un auteur dont on connaît à présent le mérite, et d’offrir au public dans cet excellent ouvrage, un portrait plus fidèle encore de son esprit et de son génie.

— Mais, mon cher Ludovico, dit Agnès en parcourant cette belle édition, elle a dû vous coûter beaucoup. J’espère que pour me procurer tant de bonheur, vous n’êtes pas allé au-delà de vos moyens.

— Nos, ma chère et bonne mère ; bien au contraire : j’ai tiré de cet ouvrage, tous frais payés, la somme de douze cents pièces, que je prie ma chère Constantine de recevoir comme un présent de son parrain. Constantin-Le-Grand ; c’était à lui à la doter.

— Non, non, mon frère ! s’écria la jeune fille ; c’est à vous, seulement à vous !

— Eh bien ! alors chère sœur, accepte-le comme le don d’un frère à qui notre père mourant remit sur lui ses droits paternels, et qu’il chargea du précieux dépôt de ton bonheur. Laisse-moi, chère enfant, remplir ce devoir sacré, et répondre à sa confiance, afin que lorsque nous serons tous réunis dans le sein de Dieu, je puisse le revoir sans rougir, et l’entendre dire : « Me voici, ô mon Dieu ! avec les enfans que tu m’as donnés. » Constantine pleurait, mais refusait encore. — Maman, dit-elle, dois-je accepter ? Mon frère n’est-il pas trop généreux ? Agnès était trop émue pour répondre — Non, non, dit Ludovico, je ne suis que juste ; c’est ta portion des dons du génie de notre père, le produit de son don de poésie. Il m’a laissé une partie de celui de la peinture ; mon digne ami m’a rendu bon graveur. Avec mon pinceau et mon burin, je ne manquerai de rien si je sais être sage.

Constantine céda. Le jeune Joung sur qui elle avait fait une forte impression, et qui savait que son père ne s’opposerait pas à cette union, lors même que cette aimable jeune fille ne lui aurait rien apporté, était fâché qu’elle eût cette somme. Mais c’était si peu de chose en comparaison de la fortune de son père, qu’il ne pût être soupçonné d’intérêt lorsqu’il lui offrit ses vœux qui ne furent point rejetés. Ce mariage eut lieu dès qu’il eut pris les ordres. Constantine fut heureuse, et Ludovico, charmé d’avoir un frère dans son ami. Agnès partagea sa vie entre ses enfans et ses parens tant qu’ils vécurent, et trouva avec ces objets chéris la récompense de ses vertus.

Et notre Ludovico ? Il connut aussi tout le charme du bonheur domestique ; et devint l’heureux époux de miss Fanny Lloyd, l’aînée des élèves de sa mère, et qui la chérissait tendrement. La Famille des Villars lui conserva ses bontés. Il fut leur ami plutôt que leur protégé, et continua de se distinguer dans l’état qu’il avait embrassé. Un de ses meilleurs ouvrages fut un tableau où il s’était peint lui-même au moment où il rencontra le bon quaker Gurney, et où dans l’excès de sa détresse il se jeta à ses genoux. Il regardait ce moment comme celui qui avait amené le changement de son sort et tous les évènemens heureux de sa vie. Il eut encore le plaisir de revoir cet excellent ami lorsqu’il revint d’Amérique et de lui faire, de ce tableau, un hommage qui le réconcilia avec l’art de la peinture.


Mes jeunes lecteurs ! vous à qui je dédie ce simple ouvrage, dans quelque situation que le sort vous ait placés, l’histoire de Ludovico doit être pour vous un bon exemple, une utile leçon, et un encouragement à vous bien conduire. Si vous êtes riches, heureux ; entourés d’amis et dans une brillante fortune, pensez combien de pauvres jeunes gens doués peut-être de plus de talens que vous, et de sentimens aussi élevés, aussi délicats que les vôtres, languissent dans la pauvreté, mangent un pain et dur et grossier, humecté par leurs larmes, ou sont près de succomber à un travail au-dessus de leurs forces. Pensez aux mauvais jours du pauvre Ludovico, et cherchez à soulager la misère qui sera peut-être un jour votre partage ; car si le pauvre peut s’enrichir, on a des exemples aussi que le riche peut devenir pauvre. Mais lors même que cela n’arriverait pas, joignez à toutes vos jouissances la plus douce de toutes, celle de consoler l’affligé, de relever le malheureux.

Si vous l’êtes vous-même, si comme Ludovico vous avez à gémir des infortunes et des torts de vos parens, et de votre propre misère, que son exemple vous donne du courage. Apprenez de son histoire que dans les plus sévères épreuves on trouve de la force pour les supporter dans la foi et la résignation, et de la consolation dans la prière et dans une parfaite confiance en la bonté de Dieu ; que le malheur et la pauvreté peuvent être adoucis par la patience, le travail et la persévérance ; que le bonheur peut arriver d’un jour à l’autre par des moyens qui nous sont inconnus, et que du moins une bonne conduite soutenue, l’amour filial, la bonne foi, l’assiduité au travail trouvent tôt ou tard leur récompense, et assurent au moins l’estime et la bienveillance universelle.

Si telle est l’impression qui vous reste de cette lecture, je n’aurai pas écrit, et vous n’aurez pas lu en vain. Nous n’aurons aucun regret d’avoir pleuré et de nous être réjouis ensemble sur les malheurs et le bonheur du fils d’un homme de génie. Que ce titre et le triste sort de son père vous apprennent aussi à ne pas vous glorifier de vos talens et de votre esprit, qui ne sont qu’un piége dangereux lorsqu’ils ne sont pas dirigés par la raison et la vraie piété.

FIN.
Imprimerie de Mad. Ve. PERRONNEAU, quai des
Augustins, nº. 39.