L’Art de greffer/Rétablissement du vignoble par la greffe

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G. Masson Éditeur (p. 425-463).

XI. — Rétablissement du vignoble par la greffe.

Le greffage de la Vigne a pour but de rajeunir un cep épuisé ou d’en changer la variété.

Rajeunir un cep, au moyen d’un sarment de race vigoureuse que l’on insère sur l’ancienne souche et qui, s’enracinant, vivra de ses propres forces après avoir accaparé la sève du sujet.

Changer la variété, en substituant un cépage robuste et fécond à un plant délicat ou stérile.

Cette rénovation, localisée d’abord dans le jardin de l’amateur, s’est étendue au vignoble de la grande culture, et a pris enfin une certaine extension depuis l’invasion phylloxérique en France qui date de 1866.

En août 1869, à l’apparition de notre première édition, M.  Gaston Bazille, président de la Société d’agriculture de l’Hérault et lauréat de la Prime d’honneur, voulut bien nous consulter ; il projetait la greffe des cépages vinifères sur la Vigne vierge ou Ampélopside à cinq feuilles.

Nous lui recommandâmes alors un plant exotique, robuste et vigoureux, cultivé pour le décor des berceaux, le Vitis riparia, résistant aux gelées, importé de la région est et nord des États-Unis, par le Français André Michaux.

Trois mois après cette correspondance, qui fixe un point de priorité dans la question actuelle, M.  Laliman, du Bordelais, signalait au Congrès viticole de Beaune l’immunité de Vignes américaines plantées au milieu de cépages de cuve défaillants, et en recommandait la culture. À partir de ce jour, la lutte contre le phylloxéra prit un nouveau caractère qui peut s’exprimer ainsi : vivre avec son ennemi ou malgré lui.

Des millions de plants de Vignes américaines, des groupes Labrusca, Æstivalis, Cordifolia, ont pénétré dans notre région viticole, soit au titre de producteur direct, soit, plutôt encore, pour servir de porte-greffe à nos espèces destinées au pressoir.

Nous avons visité ces vignobles immenses, jadis florissants, de Dijon à Marseille, de Nice aux Charentes. Partout, les propriétaires avides de reconstruire leurs vignes pratiquent la greffe avec le succès de greffeurs de profession. Ils ont reconnu que la Vigne ainsi traitée produit vigoureusement et abondamment un vin aussi corsé, aussi généreux que la vigne de pied franc. Partout, des concours de greffage sont institués ; des conférences ont lieu à cette occasion par des praticiens expérimentés et des diplômes de maîtres-greffeurs sont décernés aux ayants droit.

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vigueur et fertillité des vignes greffées

La Vigne greffée sur une autre vigne ne peut manquer de vigueur ni de fécondité, non seulement avec l’ancien système, le greffon prenant racine sous terre, mais encore avec le nouveau, s’opposant au racinement du greffon, — condition essentielle dans la reconstitution du vignoble atteint dans ses organes souterrains.

Nous pourrions citer des faits extraordinaires de production avec les vignes restaurées de la sorte. Nous avons même constaté, par exemple à l’École nationale d’agriculture de Montpellier, que certains cépages de nos régions septentrionales ou des pays extra-méditerranéens y vivaient et fructifiaient, greffés, alors qu’ils y dépérissaient autrefois, cultivés franc de pied.

Qui sait si le greffage, en fixant les plants fins de tous les pays, n’est pas appelé à améliorer la saveur des vins de grande culture ?

De pareils résultats ne doivent pas surprendre les personnes versées dans l’étude du greffage. La juxtaposition des vaisseaux et des cellules de deux végétaux réunis ainsi, provoque une sorte de point d’arrêt dans les fonctions du fluide nourricier. Les éléments puisés dans le sol par les racines arriveront lentement dans les organes aériens ; ceux-ci, ayant moins de sève brute à élaborer, fourniront, sous l’action de l’atmosphère, une plus grande somme de carbone aux tissus ligneux ; ils solidifieront le cambium et prépareront les bourgeons à la fructification.

Le même raisonnement nous aiderait à expliquer la lignification plus prompte des sarments et la disparition ou la diminution de la coulure du raisin sur les vignes soumises au greffage.

Il nous suffira, croyons-nous, de reproduire le passage suivant du résumé de l’Enquête faite par la Société des agriculteurs de France, en 1890, dans les 36 départements viticoles les plus importants :

« Tous les déposants à l’enquête reconnaissent unanimement que les variétés françaises greffées sur les porte-greffes ont une vigueur plus considérable que lorsqu’elles sont franches de pied.

La production du cépage greffé est également reconnue par tous comme plus considérable. Les grappes sont plus grosses, plus nombreuses ; le cépage est moins sujet à la coulure ; les fruits sont plus gros, plus sucrés ; la maturité est plus précoce de quelques jours…. »

[2]

qualité du vin des vignes greffées

Et le rapport de la commission d’enquête ajoute : « … Quelques vins sont plus alcooliques. La moitié de nos déposants environ trouve la qualité supérieure, et l’autre moitié n’a pas remarqué la différence comme qualité entre le vin produit par le cépage franc, de pied ou greffé sur américain. »

Avant cette constatation officielle, voici ce que nous disions dans notre quatrième édition :

« Les craintes de voir le goût foxé du raisin américain pénétrer ou dénaturer le jus de nos cépages se sont évanouies devant les faits. La dégustation et l’analyse glucométrique ont démontré l’absence de toute saveur étrangère ; souvent même le « vin greffé » a plus de finesse que l’autre. On a voulu l’expliquer par la présence du bourrelet de la greffe, sorte de filtre qui tamise le courant séveux, distribuant à petite dose l’eau du sol et le goût du terroir, tandis qu’il accumule sur la grappe les gaz atmosphériques absorbés par les feuilles et les principes de sucre et d’alcool.

M.  Jules Delbrück déclarait à la section de viticulture du Congrès des agriculteurs de France, en 1880 : « Le cépage Malbeck greffé sur Taylor, produit à Langoiran (Gironde) un vin supérieur à celui de Malbeck de souche franche. »

« La vigne greffée conserve son immunité, maintient les qualités du vin de la vigne française en augmentant son produit », proclame M.  Tochon, président de la Société d’agriculture de la Savoie, à son retour du Congrès de Bordeaux. De son côté, M.  Menudier, s’appuyant sur le laboratoire du professeur Xambeu, écrivait au Ministre de l’agriculture que, dans les Charentes, l’Aramon, le Malbeck, le Quercy, greffés sur américain, fournissent un vin comparable aux anciens crus de Saintonge, et la Folle-Blanche produit un vin identique à celui qui, jadis, était la base des meilleures eaux-de-vie… »

Enfin, les Congrès viticoles de Mâcon (1887), et de Beaune (1891), ont été la glorification du greffage de la Vigne sur plant résistant.

De pareilles autorités viticoles nous suffisent. D’ailleurs, le Ministère de l’agriculture admet au programme des concours régionaux le vin des vignes greffées, par catégorie distincte, avec récompenses spéciales.

[3]

systèmes généraux du greffage de la vigne

Avant d’aborder les procédés de greffage de la Vigne, examinons les deux systèmes généraux de greffage sur place et de greffage à l’abri, basés sur la situation en terre ou hors terre du sujet.

[4]Greffage sur place. — Le greffage sur place, c’est la greffe à terre ou à demeure du sujet planté en plein champ ou dans la pépinière.

Le sujet doit être sain et vigoureux ; malgré quelques cas exceptionnels, il a dû passer au moins, une année de végétation, sans être déplacé ; alors il se trouvera suffisamment lié au sol et sa force végétative se consacrera à la soudure de la greffe et à son développement.

Le greffage sur place est applicable dans les conditions suivantes :

1o Vigne plantée définitivement, c’est la greffe à demeure ;

2o Vigne en nourrice, c’est la greffe en pépinière.

[4.1]Vigne plantée à demeure. — Dans le premier cas, on greffe la totalité du champ ou à peu près ; les plants faibles sont ajournés à l’année suivante avec les manquants. Le greffon, sur un sujet, fort, peut donner des pousses de 2 à 3 mètres.

[4.2]Vigne plantée en pépinière. — Quant aux sujets élevés en pépinière, les plants, suffisamment espacés, devront être assez forts pour recevoir la greffe après une année de nourrice, ou même après deux ans, si besoin est. La jeune greffe se développe et pourra être mise en place l’année suivante.

[5]Greffage à l’abri. — Le greffage à l’abri, à l’atelier ou sur table (fig. 164), c’est le greffage hors terre, le sujet étant un plant complet, et quelquefois un simple rameau-bouture.

Admettons deux sections du greffage à l’abri : l’une sur plant racine, l’autre sur sarment nu.

[5.1]Greffe sur plant raciné. — Les sujets racinés, arrachés en janvier, février ou mars, un mois avant le greffage, ont été mis en jauge, bien couverts de terre, dans un endroit sec, plutôt à l’ombre et à la portée du local destiné au greffage.

[fig164]


Fig. 164. — Atelier de greffage.

Au moment de greffer, on les extrait de la jauge et on les y remet après l’opération, en les inclinant obliquement pour que la terre les couvre jusqu’à la moitié du greffon.

Au réveil de la sève, et par un temps doux, ils seront retirés de la jauge et replantés en pépinière, distancés de 0m,25 à 0m,50. Après une année de végétation, ils pourront être mis en place.

[5.2]Greffe sur rameau-bouture. — Cette fois, le sujet est un simple rameau-bouture, coupé sur sarment avant la montée de la sève et placé en jauge jusqu’au moment du greffage. Il est indispensable que le greffon soit bien constitué.

La bouture préparée, tenue en jauge complètement la tête en bas (A, fig. 32, p. 58), est à préférer ; son enracinement sera plus prompt.

Aussitôt greffée, la bouture est stratifiée ou remise en jauge, inclinée, dans une terre meuble ou sableuse, jusqu’à l’œil supérieur du greffon. L’œil de base et l’œil d’appel du sujet sont conservés ; les autres, éborgnés.

À la montée de la sève, il faudra planter en pépinière les boutures greffées. Nous recommandons une terre légère, bien scellée ou pressée au collet du plant, un paillis et des arrosages.

Le pralinage complet du plant greffé — avant sa mise en jauge, ou en pépinière, ou en place — dans une bouillie épaisse, et froide, empêche le dessèchement du cep et facilite l’émission du chevelu.

On pourrait encore pratiquer le greffage sur bouture, en opérant sous bâche chauffée à + 20°. Le jeune élève suivra la filière d’acclimatement déjà décrite au chapitre v, p. 69.

[6]Cépages résistants pour sujets de greffage. — Dans les circonstances actuelles, les premières qualités du sujet sont la résistance à l’ennemi, l’adaptation au greffage, le bouturage facile, une robustesse générale. Les espèces suivantes ont fait leurs preuves :

Riparia : le Riparia se plaît dans les terres à vigne et se prête au greffage sur place ou à l’abri ; il redoute l’excès de silice ou de craie. Le semis a produit des formes vigoureuses et résistantes.

York’s Madeira : pour terrain sec de lande, caillouteux, argilo-calcaire. D’un développement plus lent, élevant assez bien ses rameaux, le York est propre au greffage-bouture ou sur place.

Solonis : spécial aux terrains frais, siliceux, salins, marneux, suffisamment fertiles et compacts ; capricieux dans la craie à sous-sol glaiseux.

Vialla : propre aux sols ordinaires profonds ; les terres granitiques chargées de potasse ou de silice et les alluvions lui conviennent.

Rupestris : espèce permettant la culture de divers cépages dans les terrains arides, caillouteux, dans les calcaires durs et les terres de roche.

Plus récemment, et dans certains milieux, on a utilisé Jacquez, Noah, Berlandieri, Othello, comme autrefois, Clinton et Taylor.

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choix des sujets

Le sujet doit être assez fort pour supporter le greffon et favoriser son développement.

Pour le greffage en place, nous répéterons qu’il faut au sujet 2 ou 3 ans de plantation (fig. 165) ; une année suffirait à un plant fort et vigoureux. Le greffage en pépinière a les mêmes exigences.

[fig165]


Fig. 165. — Cep de vigne pour le greffage sur place.

Pour le greffage à l’abri, le sujet racine (fig. 166) doit avoir une grosseur au moins égale, sinon supérieure à celle du greffon. Les plants faibles seront laissés en nourrice ou repiqués en pépinière et ajournés.

Le sujet par rameau-bouture (fig. 167) doit être absolument robuste et sain, à tissus bien lignifiés et muni, autant que possible, de son talon coupé dans le vieux bois (fig. 21, p. 40).

Étant préparé à l’automne, dès la chute des feuilles, mis en jauge de toute sa longueur la tête en bas, le rameau-bouture ne tarde pas à se couronner de mamelons radicellaires, ce qui facilite la soudure de la greffe.

Dans les cas de disette, on peut fabriquer des boutures avec des simples yeux munis de 0m,02 du sarment qui les supporte (fig. 18, p. 39) ; placé sous verre, ce rudiment s’enracine et constitue un plant à l’automne suivant.

[fig166][fig167]

Fig. 166. — Plan raciné pour le
greffage à l’abri.
 
Fig. 167. — Sujet bouture pour le greffage à l’abri.
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choix des greffons

Le choix du cépage à propager n’est pas une petite affaire ; il faut prendre tous ses renseignements avant de s’y arrêter. Chaque région a ses plants favoris.

Le rameau-greffon est un sarment robuste, de grosseur moyenne, à écorce saine, les yeux sont assez rapprochés, ainsi que les ceps greffés en fournissent ; ces qualités sont nécessaires, particulièrement au greffage sur bouture.

L’origine du greffon sera certaine, c’est-à-dire que l’on aura toute garantie de son espèce, de sa nature rustique et féconde, attendu que la greffe reproduira ses qualités ou ses défauts.

Les étalons ou ceps pourvoyeurs de greffons étant acceptés, on en détache les rameaux dans le cours de l’hiver, avant que la sève ait fait mouvement, par un temps sec et sain. On assemble les sarments par bottillons étiquetés et on les enterre, la base dans une couche de sable sec, à l’ombre ou au nord d’un bâtiment, ou dans un silo (voir fig. 32, p. 58). Le sable siliceux « à pavage » est préférable au sable calcaire et au sable de mer.

Il convient de laisser sortir de jauge l’œil supérieur ; s’il bourgeonne, il se perd, mais les yeux en terre restent latents et sont utiles au greffage. Les extrémités hors jauge seront préservées du hâle par quelques poignées de paille.

Le fractionnement des rameaux en greffons de longueur définitive (fig. 172) se fait à l’époque même du greffage. Les sommités mal aoûtées en sont rejetées.

[9]Époque du greffage. — Dans un pays chaud, où la gelée d’hiver est excessivement rare, on pourrait greffer à l’automne, avant la chute des feuilles, et la végétation en serait vigoureuse au printemps suivant ; mais sous une zone tempérée, le retrait du sol sous l’influence du gel et du dégel viendrait ébranler le greffon butté de terre et compromettrait sa soudure.

On opère à la montée de la sève, alors que les bourgeons gonflent, soit en avril et mai, suivant la saison hâtive ou tardive, le terrain chaud ou froid, et d’après l’état de végétation du sujet.

En tout état de choses, il vaut mieux éviter le suintement du liquide séveux ; on y parvient en étêtant provisoirement le cep, quelques jours avant le greffage, sauf à recouper finalement à la dernière heure.

On choisira une température calme, plutôt chaude, ce que l’on appelle un temps à la sève.

Si l’on est pressé, que l’on ait hâte de finir, on augmentera le personnel au lieu de devancer la période du greffage trop tôt ou de la prolonger trop tard. Ici, mieux vaut tard que trop tôt.

Avec le greffage à l’abri — sujets et greffons étant en jauge — on peut retarder l’opération.

[10]Outillage du greffage. — Parmi les outils décrits et figurés pages 11 et suivantes, nous emploierons :

Le sécateur (fig. 1) pour la préparation des sarments greffons :

La scie (fig. 2) pour tronçonner les gros sujets, sinon la grosse serpette (fig. 4) ;

La serpette fine (fig. 3) ou le greffoir à vigne (fig. 168), pour la taille du greffon ;

[fig168]
Fig. 168. — Greffoirs à Vigne.

Le couteau à greffer (fig. 7) pour la greffe en fente.

Actuellement, on fabrique des machines à greffer de divers systèmes. L’outil se visse généralement sur table et peut seconder le greffage à l’abri lorsqu’on opère sur de grandes quantités. Jusqu’alors, l’outil simple est préférable.

La ligature adoptée est la ficelle de marine, la ficelle simple ou défilochée.

Le raphia sec ou faiblement sulfaté et le fil de plomb sont employés avec la greffe anglaise.

L’engluement ou enduit qui couvre la greffe finie, avant son buttage, est un mastic de terre glaise délayée dans l’eau ; on le pelote, on le tamponne autour de la greffe et sur les coupes laissées à nu. Dans un sol frais, l’engluement n’est pas obligatoire.

[11]

procédés de greffage de la vigne

Nous avons indiqué plusieurs modes de greffage de la Vigne, les uns ont pour but la multiplication du plant, les autres la transformation du cépage, et d’autres encore la construction du cep. Qu’il nous suffise de citer les greffes en approche (fig. 40, 41, 153, 154), la greffe en bifurcation (fig. 79), la greffe-provin (fig. 126), la greffe en incrustation (fig. 127), la greffe anglaise (fig. 83, 87), et même l’écussonnage (p. 171), sans compter les procédés plus ou moins fantaisistes ou pratiqués à l’état herbacé ou sous verre.

En même temps qu’elle adoptait les systèmes en fente et à l’anglaise, la grande culture étudiait la greffe en coin ou en fente pleine, qui est en quelque sorte la contre-partie de la greffe à cheval (fig. 87) ; mais elle a le tort d’obliger à fendre la moelle du sujet, et nous lui préférons la greffe en tête dans l’aubier (fig. 62, p. 127).

Le désir d’éviter une blessure à l’étui médullaire a sans doute excité le Comice de Cadillac (Gironde) à propager une application de la greffe de côté dans l’aubier. En voici la démonstration (fig. 169). Le sujet (A) recevra, sur le côté, dans une incision oblique, le greffon (B) dont une face (e) du biseau tranche la moelle, tandis que l’autre (d) la ménage ; l’œil (a) est en tête du biseau. Ligature au fil de plomb ou au raphia.

Butter de terre après avoir entouré la greffe de balles (glumes) de céréales, si l’on craint les pluies d’hiver et la gelée.

Le sujet, étêté assez long au printemps suivant, sera pincé en été, puis coupé ras (en c) à la fin de la saison, dès que la végétation de la nouvelle plante se trouvera assurée.

[fig169]


Fig. 169. — Greffe de côté dans l’aubier, pratiquée à Cadillac.

Examinons maintenant l’application des procédés les plus répandus : la greffe en fente, la greffe anglaise.

[12]A. Greffe en fente. — La greffe en fente est spécialement applicable au greffage sur place et aux sujets déjà forts.

Le travail principal comprend la préparation du sujet, la taille du greffon, l’assemblage de la greffe, enfin quelques détails accessoires.

[12.1]Préparation du sujet. — Quoique le sujet soit greffé à fleur du sol, on n’en dégage pas moins la terre autour du collet pour faciliter le travail manuel, par exemple en h, h (fig. 170).

[fig170][fig171]

Fig. 170. — Greffe en fente sur coupe oblique.
 
Fig. 171. — Greffe en fente sur coupe plane.

Le sujet (A, fig. 170 ; E, fig. 171) est tronçonné au moment même du greffage.

La coupe se fait sur une partie saine, assez unie, à 0m,04 à peu près au-dessus d’un nœud, coude ou renflement quelconque (a, a) ; cette précaution évite une fente démesurée et consolide le greffon.

[fig172][fig173]

Fig. 172. — Préparation du sarment greffon.
Fig. 173. — Greffon préparé pour la greffe en fente.

Avec une scie (fig. 2) ou une serpette (fig. 4), on étêtera le cep rez terre. La coupe sera à surface plane (L, fig. 171) ou à surface oblique (U, fig. 170). Celle-ci convient mieux au greffage simple avec un seul rameau, celle-là au greffage double avec deux rameaux-greffons.

Si la sève suinte, on l’essuie et l’on peut ainsi opérer à sec. Il faut alors préparer le greffon et assembler les deux parties sans retard.

[12.2]Taille du greffon. — Le sarment-greffon est extrait de la jauge, au fur et à mesure des besoins, et préparé en même temps que le sujet pour qu’ils soient unis par la greffe sans que les agents atmosphériques les aient fatigués,

On a le soin, bien entendu, de leur enlever le sable ou la boue de la mise en jauge.

Le sarment-greffon (O, fig. 172) sera coupé (o’) par fragments de rameaux (o, o, o,) portant chacun deux yeux ; c’est une bonne moyenne.

Pour préparer le greffon (B, fig. 173), on taille la moitié inférieure en coin triangulaire (b) ; les deux faces taillées sont, comme le tiers-point, amincies en pointe plus ou moins émoussée ; cette partie nommée biseau commence immédiatement au coussinet de l’œil (c). Nous donnons (page 133) de plus amples détails sur la préparation du greffon et son assemblage sur le sujet.

Dans les greffages importants comme nombre, un homme prépare les greffons tandis qu’un autre dispose les sujets. Si les greffons ne sont pas employés dans la journée ou si l’atmosphère est sèche, on les place dans un panier de mousse fraîche, et on les transporte ainsi, sans qu’ils aient à souffrir.

[12.3]Assemblage de la greffe en fente. — Le sujet étant tronçonné, il suffira de pratiquer une fente longitudinale pour y introduire le greffon.

Une fente tranchant de part en part est applicable aux gros sujets ; mais ici, on opère plutôt sur des sujets de moyenne grosseur, alors la demi-fente est préférable. On peut éviter à l’outil de forcer la moelle, en s’écartant à droite ou à gauche, de manière que l’ouverture partage le tronc en deux parties inégales ; c’est la greffe dans l’aubier (page 127), le greffon étant alors taillé en biseau plat et régulier comme la figure 62 l’indique.

On fend le sujet avec le couteau (fig. 7) et, ainsi que nous l’indiquons (page 136, fig. 70), on introduit le greffon (D, fig. 170 ; G, fig. 171) en même temps. Si la surface est oblique (U, fig. 170), on aplanit le sommet de la coupe dans un sens horizontal (e) pour permettre au greffon (D) de s’y asseoir.

[fig174]


Fig. 174. — Greffe en fente buttée de terre.

Ligaturer (e, fig. 171) ; couvrir d’argile et butter de terre fine, douce, jusqu’à l’œil supérieur du greffon (fig. 174).

Ce procédé est le plus répandu.

[13]B. Greffe anglaise. — La greffe anglaise est adoptée pour les greffages à l’abri, quelquefois pour les greffages sur place.

Le sujet et le greffon de la greffe anglaise sont en général d’un diamètre égal. Au cas de différence, il vaudrait mieux que le diamètre du greffon fût inférieur. Leur rapprochement s’opère au moyen de biseaux qui s’adaptent, de coches et de languettes qui s’agrafent réciproquement.

[13.1]Préparation du sujet. — Le sujet (M, fig. 175) greffé sur place, est, avons-nous dit, d’un calibre moyen ; on l’étêtera de telle sorte que la greffe terminée soit à fleur de terre, sauf à la butter une fois l’opération terminée.

Au greffage à l’abri, le sujet pourrait être un plant raciné, âgé d’un an (fig. 166 ; A, fig. 177), ou un sarment, non raciné (fig. 167 ; A, fig. 176), mais d’une nature disposée à l’émission des racines. La préparation du sujet reste la même.

D’un coup de serpette donné à fleur de terre, ou plus bas, si le sujet a été dégagé (z, z, fig. 175), on obtient le biseau allongé (m) ; un second coup d’outil, couteau ou greffoir, partant de la pointe du biseau, entre le sommet (m’) et la moelle, produit une fente (m") longue de 0m,03 à 0m,04, parallèle à l’axe. Une simple fente suffit.

Il n’y a pas d’inconvénient à combiner cette préparation du sujet de façon qu’il soit conservé un œil (o) sur le dos du biseau, soit à la base, au milieu ou à la pointe ; son évolution attirera la sève sur la greffe, jusqu’à ce que l’ébourgeonnement en ait fait justice.

[13.2]Taille du greffon. — Le greffon est une fraction (o, fig. 172) de sarment portant deux yeux ou trois yeux en moyenne.

La base sera taillée de telle sorte que la coupe et les entailles coïncident avec celles du sujet.

[fig175]


Fig. 175. — Détail de la greffe anglaise.

Étant donné le greffon (N, fig. 175), un coup de serpette produira le biseau (n) allongé également, commençant en face ou au-dessus de l’œil (u) et se terminant en n’.

L’opérateur tourne le greffon la pointe en l’air et, par un nouveau coup d’outil, produit la fente (n") parallèle à l’axe longitudinal, commençant entre la pointe et la moelle, et longue de 0m,03 à 0m,04 ; on n’enlève aucune esquille.

Ici encore, le bourgeon (u) conservé sur le dos du biseau excitera les arrivages du fluide séveux favorables à agglutination de la greffe.

[fig176][fig177]

Fig. 176. — Greffe anglaise sur rameau-bouture, buttée de terre. Fig. 177. — Greffe anglaise, sur plant raciné, avec bourgeons d’appel.

En général, les biseaux courts sont à préférer.

[13.3]Assemblage de la greffe anglaise. — L’assemblage est tout tracé. Le bec de flûte (nn’, fig. 175) du greffon étant amené sur le bec correspondant (mm’) du sujet, on fait glisser de haut en bas ; la languette du greffon s’engage dans la fente du sujet et les deux parties sont agrafées.

Si le greffon est plus étroit, on le ramène en rive de la tranche du sujet, pour que leurs épidermes puissent se confondre sur un côté au moins, dans la même périphérie.

Ligaturer avec du raphia ou de la ficelle. Étendre la ligature autour du greffon, pour contrarier son enracinement. Embouer la greffe.

Enfin butter de terre (C, fig. 176) jusqu’au sommet du greffon (B), sous l’œil de tête (d) ; le sujet (A) étant une bouture simple, le bourgeon (a) s’enracinera tandis que l’œil (c) appellera la sève.

La figure 177 représente un plant racine (A) greffé à l’abri en (C) ; un œil (a) lui est ménagé en tête ; le greffon (B) porte un œil (b) à sa base ; ces deux bourgeons d’appel hâteront la soudure de la greffe.

La greffe anglaise est d’une application facile lorsque le sujet est jeune et d’un faible diamètre.

[14]Soins après les greffages en fente et à l’anglaise. — Nous ne voulons pas entrer dans les détails de culture, que la méthode en soit traditionnelle ou perfectionnée. Les soins particuliers sont d’abord le buttage de la greffe, puis le tuteurage, ensuite l’ébourgeonnement, le palissage, la suppression des racines nées sur le greffon, enfin le débuttage.

[14.1]Buttage de la greffe. — Nous avons indiqué plus haut l’utilité indispensable du buttage provisoire de la greffe de la Vigne.

Avec quelques coups de pioche autour du plant, et par un apport spécial de terre ameublie à la main, au panier, à la brouette, on butte le cep jusqu’à l’œil supérieur du greffon (fig. 174 et 176), quel que soit le procédé adopté, en place ou en pépinière. Cette opération est faite avec beaucoup de précaution.

Dans l’été, ésherber à la main.

[14.2]Tuteurage. — Avant de butter, c’est le moment d’enfoncer solidement un échalas au pied du cep et d’y attacher le sujet avec un lien d’osier ; un tuteur court offre plus de sécurité. Le tuteurage est trop négligé dans la grande culture. Le Bordelais, qui produit des vins d’un prix plus élevé que le Languedoc, semblerait s’y intéresser davantage.

[14.3]Ébourgeonnement. — Le tronçonnement du sujet, qui précède l’opération du greffage, excitera plus tard la sortie de jets souterrains qu’il convient de supprimer rigoureusement jusqu’à leur empâtement ; sans cela, ils affameraient la greffe.

Quant aux bourgeons ménagés en tête du sujet pour jouer le rôle d’appelle-sève (o, fig. 175 ; c, fig. 176 ; a, fig. 177), on ne leur laissera pas le temps de fatiguer la greffe, il suffira de les pincer à 0m,10. Lorsque la greffe aura acquis un développement suffisant, on élaguera ces bourgeons du sujet ; mais si elle était morte, on laisserait le cep pousser à son aise et on le grefferait à nouveau au printemps suivant.

[14.4]Palissage. — On palisse, contre le tuteur, les bourgeons à mesure qu’ils se développent. Arrivés au sommet de leur support, les brins pourront être écimés, car leur poids serait capable d’entraîner l’échalas et de briser la greffe ; c’est pourquoi le tuteur doit être enfoncé solidement, sinon, il vaut mieux s’abstenir du tuteurage.

[14.5]Suppression des racines du greffon. — Le buttage de terre excite la sortie du chevelu au greffon comme s’il s’agissait d’une bouture ; mais alors il va prendre, de ce fait, un accroissement rapide, et quand le phylloxéra attaquera les racines nouvelles, l’anéantissement du cep n’en sera que plus prompt.

Il faut donc au moins deux fois l’an, en juin et en août, ou même trois fois, en mai, en juillet, en septembre, dégager la terre qui entoure le greffon, couper les chevelus qui y auraient pris naissance et rétablir aussitôt le petit tertre.

En même temps, on surveille la ligature. Si, à la première visite, elle pénètre dans l’écorce, on soulage la greffe en dénouant le lien. À la seconde visite, on l’enlève complètement, en évitant d’en laisser subsister le moindre fragment dans le pli des boursouflures. S’il faut employer le couteau, on doit agir avec précaution, surtout à l’égard de la greffe anglaise.

[14.6]Débuttage de la greffe. — À la dernière visite aux radicelles qui ont pu sortir du greffon, vers l’époque de la chute des feuilles, la soudure de la greffe étant assurée, on ne rétablit plus le petit monticule de terre élevé autour de la plante, sauf aux greffes faibles ou dans un sol humide ; la partie greffée s’acclimate et peut alors subir les rigueurs de l’hiver et la sécheresse de l’été.

[fig178]


Fig. 178. — Cep de Vigne reconstitué par le greffage.

Les milieux dans lesquels on opère peuvent faire modifier légèrement le travail. Avec les sables qui excitent le racinement du greffon, on pratiquera le débuttage en septembre, tandis qu’on l’ajournera après l’hiver dans les situations exposées aux vents qui brisent une greffe mal assujettie, et dans un sol froid ou exposé aux crues d’eau, plus sensible à l’action de la gelée.

Désormais la vigne, ainsi rétablie, sera soumise aux méthodes rationnelles de culture.

Le dernier mot du greffage de la Vigne, direct ou par intermédiaire, n’est certes, pas dit. Quoi qu’il en soit, nous reproduisons ici la physionomie d’un cep reconstitué par le greffage (fig. 178).

greffage sous verre et greffage herbacé de la vigne

Le greffage sous verre et la greffe des tissus herbacés de la Vigne ne comportant pas les soins indiqués aux greffages souterrains, nous les classons à part.

[16]Greffe en placage à l’anglaise (fig. 179). — L’Anglais Archibald Barron, un maître de la viticulture sous verre, recommande cette méthode qui permet de transformer rapidement une vigne fatiguée ou de maigre rapport.

Le sujet (A, fig. 179) planté en pot ou en pleine terre dans la serre est pris au début de la végétation ; la sève a jeté son « premier feu » ; un léger suintement se manifeste à la coupe ; les « pleurs » sont calmés.

[fig179]


Fig. 179. — Greffage sous verre de la vigne — Placage à l’anglaise du bourgeon-greffon.

Le greffon (B) est un fragment lignifié portant un œil, cueilli au moment du greffage sur un sarment de la taille d’hiver, conservé et retardé (fig. 32, p. 58). L’œil commence à « gonfler ».

La préparation et l’assemblage des deux parties sont indiqués fig. 56, p. 116. Ici, les deux coupes à l’anglaise tranchent obliquement la cloison intercellulaire, et le rapprochement sera plus prompt en face ou sur le côté d’un bourgeon du sujet. Il importe de conserver, au-dessus, un jeune scion ; le pincement le maintiendra assez court, entouré de ses premières feuilles chargées d’attirer la sève vers la greffe ; il disparaîtra plus tard avec l’onglet devenu inutile.

L’opération étant à œil poussant, la végétation de première année a fourni à F.-A. Barron de nouveaux sarments de 7 à 10 mètres.

La ligature est du raphia et l’engluement un mastic froid, préférable à l’argile ou à la mousse qui excitent la sortie des racines. La « greffe en bouteille », employée au même but, lors de la montée de la sève, est indiquée p. 407.

[17]
Greffage herbacé de la vigne.

Les inconvénients du greffage en sec de parties ligneuses et du buttage de la greffe ont fait rechercher les systèmes de greffage en vert, agissant directement sur des parties herbacées, et non soumis au terrage d’hiver.

Jusqu’alors, deux procédés de greffage herbacé peuvent être recommandés :

1o Greffage par rameau, à l’anglaise simple ;

2o Greffage par œil ou écussonnage en vert.

Avec l’un ou l’autre, il s’agit d’unir de jeunes pousses âgées de quelques mois, ayant l’aspect de la figure 180 ; on excitera leur évolution au pied de la souche à greffer par le recepage préalable du tronc-sujet, et sur l’étalon porte-greffons par la taille assez courte des branches.

[fig180]


Fig. 180. — Sarment herbacé de la Vigne.

Dès que la végétation est en mouvement, un ébourgeonnage au début de la sève dégagera de tout brin inutile les jets conservés, et le jour même du greffage, ou dans les huit jours qui précèdent, un pincement long ou écimage de la pointe du sarment opéré ou à opérer provoquera une réaction favorable à la soudure de la greffe.

L’essentiel est que les tissus soient mi-herbacés, mi-ligneux, plutôt herbacés. La nuance de l’épiderme est déjà vert sombre, et l’élasticité du rameau, consultée avec les doigts, est suffisante pour résister à la main.

Le greffage en vert se fait sur place, à l’air libre, par un temps chaud (+ 18° au moins), et nécessite l’emploi d’un outil à lame fine, tenue propre et bien affilée, d’une ligature souple, qui sera surveillée, et souvent d’un écran.

Les souches plantées et espacées, étant ainsi opérées sur plusieurs branches, pourront supporter ensuite le provignage de ces branches ; enterré jusqu’au niveau de la greffe, le sarment greffé semblera constituer un cep distinct.

Ces procédés, étudiés en Autriche-Hongrie, ont réussi chez Étienne Salomon, à Thomery.

[18]Greffage par rameau herbacé (fig. 181). — Il s’agit d’une greffe anglaise simple (voir fig. 80).

L’opération se fait dans le courant de juin, suivant l’état avancé ou retardé de la végétation.

Le sujet (A, fig. 181) est un rameau semi-herbacé, dans les conditions sus-indiquées, restant adhérent au cep. On le tranche en biais dans la cloison d’un œil peu éloigné du sol, et on ne lui retranche aucune feuille.

Le greffon (B) de même nature, même un peu plus herbacé, est coupé sur l’étalon, au moment du greffage, effeuillé sur pétiole et tranché de biais, sur la cloison d’un œil — en sens inverse du sujet. — On l’étête aussitôt à un œil au-dessus, ce qui lui donne deux yeux de pousse.

[fig181]


Fig. 181. — Greffe de rameau herbacé, à l’anglaise simple (Vigne).

On voit en a et b la coupe longitudinale du sujet et du greffon, laissant à nu l’étui médullaire et la cloison du gemme, où la juxtaposition doit s’opérer.

Le rapprochement (c) se fait sans cran ni languette. Une bandelette de caoutchouc placée avec dextérité forme une ligature souple, élastique.

Embouer préalablement le greffon contre l’action de l’air, du soleil ou du hâle ; sinon attacher autour de la greffe, à titre d’écran, une feuille de vigne ou un cornet de papier gris.

Ni engluement, ni buttage de terre.

[18.1]Soins après le greffage par rameau herbacé. — Enfoncer un tuteur dans le sol et y attacher la branche greffée ; la tête du tuteur dépasse la greffe d’au moins 0m,50, on y accolera les jeunes pousses du greffon.

Quinze jours après le greffage, on peut enlever l’écran — par un temps doux.

La greffe étant à œil poussant ne tarde pas à se développer ; alors, enlever les bourgeons de souche et pincer les autres.

Recommencer en juillet-août, à œil dormant les greffes manquantes, avec d’autres yeux ; éviter les ébourgeonnages et les pincements.

Le greffage d’hiver est encore une ressource pour refaire les ceps manqués en vert.

[19]Écussonnage herbacé de la vigne (fig. 182, 183). — Nos éditions précédentes ont parlé de l’écusson à œil dormant pratiqué à Beaune, chez Joseph Gagnerot. Cet intelligent viticulteur exposait, en 1867, à Paris, de superbes plants de vigne écussonnés, à différents âges.

Il opérait au commencement ou au milieu de l’été, à la base d’un sarment en aoûtement, et couvrait la greffe de terre pendant quinze jours.

Hortolès, Pulliat, Saurel l’ont imité.

Depuis, en 1887, un artisan du Lot, Salgues aîné, à Bétaille, a remis l’écusson de la Vigne en vigueur. E. Marre, professeur d’agriculture de l’Aveyron, est allé visiter le vignoble écussonné et nous écrit : « Tout le succès dépend du choix des parties à rapprocher par la greffe. Le sarment du sujet quitte l’état herbacé, et n’est pas encore aoûté ; le point greffable est généralement en deçà de 0m,40 à 0m,60 de la pointe ; l’écorce peut encore se soulever. »

Et plus loin : « Le greffon, plus tendre, est levé sur partie plus jeune d’un rameau principal, ou sur ramille anticipée, dite faux-bourgeon ; le point essentiel est que le petit renflement du sarment-étalon, en face de l’œil-greffon, soit déjà visible et pas trop accentué. Cet œil est à peu près le cinquième en deçà de la pointe. »

Le diamètre du greffon sera donc inférieur à celui du sujet ; et l’époque du greffage variera : en mai et juin pour l’écusson à œil poussant ; en juillet et août pour l’œil dormant.

Le bourgeon écusson, effeuillé sur pétiole, est levé comme nous l’avons dit, p. 167, fig. 90, avec cette différence qu’il conserve sous le gemme une lamelle de tissu herbacé (B, fig. 182).

Sans plus tarder, on pratique une incision en long (D) ou en faucille au sommet (F), sur un côté méplat du sarment, en tête du mérithale. En repliant légèrement ce sarment en avant, les lèvres de l’incision s’écartent et l’on y introduit le greffon, aidé par la spatule d’ivoire (d, f).

[fig182]


Fig. 182. — Écussonnage de la Vigne.

Ligature de laine ou de caoutchouc ; on pourra la supprimer quinze jours après.

Entre des mains exercées, l’incision en T est admise ; le professeur Horvarth, de Hongrie, réussit avec l’incision combinée (voir fig. 150, p. 412). Son confrère Goethe va jusqu’à enlever un œil au sarment, sujet écimé, et à lui plaquer un écusson boisé du sarment greffon.

En Provence, Marius Faudrin incise en T, au mois d’août, sur sarment large de 0m,01.

[19.1]Soins après l’écussonnage en vert. — Notre opération étant faite à œil dormant, nous laisserons le sujet s’étendre tout à l’aise, mais en lui extirpant les rejets autour du collet, et en tuteurant les sarments écussonnés.

Au printemps suivant, on étêtera le sujet (A, fig. 183) à 0m, 10 au-dessus de la greffe, tandis que les rameaux non greffés seront recepés.

Pendant l’été, ébourgeonner les jets superflus, palisser la jeune greffe (B, en e) sur l’onglet ; celui-ci sera retranché (en f) à la chute des feuilles ou au réveil de la sève, après l’hiver.

En ce qui concerne l’œil poussant, ces opérations sont décrites p. 190, fig. 102.

Tuteurage obligatoire de la jeune greffe.

[19.2]Greffage ou bouturage de rameaux écussonnés. — L’exemple (fig. 98, p. 178), de rameaux écussonnés trouve ici son application. Le sarment (A, fig. 182) reçoit en été des bourgeons-écussons à deux ou trois mérithales d’intervalle. Au cours de l’hiver suivant, la sève étant au repos, on sectionne (e, g, h), le sarment ainsi écussonné, de manière que le bourgeon écusson ait, au-dessous de lui, deux yeux du sujet. Ces fragments, mis en jauge ou en stratification, deviendront au printemps suivant de bons rameaux boutures ou greffons. On comprend que, l’ébourgeonnage aidant, si le porte-greffe s’enracine et l’écusson s’agglutine, c’est le bourgeon inoculé de la sorte qui fournira le cep futur.

[fig183]


Fig. 183. — Résultat de l’écussonnage de la Vigne.