Mémoire sur quelques affaires de l’Empire Mogol (A. Martineau)/I

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Édouard CHAMPION - Émile LAROSE (p. 51-77).

CHAPITRE PREMIER

AVÈNEMENT DE SOURADJOLA AU SOUBAH DE BENGALE. IL S’EMPARE DE TOUS LES ÉTABLISSEMENTS ANGLOIS.

Alaverdikhan étoit soubahdar ou vice-roi des trois soubahs, Bengale[1], Bahar et Orissa qu’il avoit usurpés à ses maitres et bienfaiteurs, et dans lesquels, après bien des difficultés surmontées tant par la sagesse de son administration que par une valeur peu commune, il étoit parvenu à gouverner avec un pouvoir qui n’appartient qu’à la souveraineté.

On trouvoit dans Alaverdikhan un mélange de bonnes et de mauvaises qualités. Quinze ou seize ans de règne l’ont fait connoître pour un homme fourbe, ambitieux au suprême degré ; mais il étoit brave, propre à bien commander une armée. Il connoissoit parfaitement les intérêts de son gouvernement, favorisoit le pauvre marchand, et rendoit asses bonne justice, lorsque les plaintes pouvoient lui parvenir. Un de ses grands défauts étoit de laisser trop de pouvoir à ses ministres qui en abusoient. C’est un vice général dans toute l’Inde ; il n’y a pas de département si petit qu’il soit, qui ne soit exposé aux vexations des ministres subalternes. La coutume des maitres est de ne rien faire par eux-mêmes ; le moindre zémindar a ses écrivains avec lesquels il faut traiter.

Alaverdikhan n’en étoit pas moins jaloux de son autorité ; il affectoit surtout une grande indépendance lorsqu’il s’agissoit de quelque affaire entre lui et les Européens. Lui parler de firmans, de privilèges obtenus de l’empereur, c’étoit le vrai moyen de l’aigrir. Il savoit bien dire dans l’occasion qu’il étoit tout, roi et vizir : il vouloit être flaté.

Il voyoit avec autant d’indignation que de surprise les progrès des nations françoise et angloise, à la côte Coromandel, ainsi que dans le Dekan où, par le moyen de ses arcaras il n’ignoroit rien de ce qui se passoit. La comparaison qu’il faisoit de ses provinces, avec les troubles qui agitoient la presqu’isle depuis tant d’années, et qu’il attribuoit sans doute à la foiblesse des gouverneurs, ne contribuoit pas peu à flater son amour-propre. Malgré cela il n’étoit pas sans inquiétude. Il craignoit que tôt ou tard les Européens ne fussent tentés de faire de pareilles entreprises chez lui.

Les François, les Anglois, les Hollandois et les Danois avoient des établissements dans le Bengale ; ces derniers étoient si nouveaux qu’à peine étoit-il question d’eux[2]. Pour les Hollandois, la conduite qu’ils avoient tenue jusques là leur donnoit à juste titre la qualité de bons négociants. Contents des belles acquisitions qu’ils ont faites à leur arrivée dans les Indes, de ces isles qui font tout le soutien de leur commerce, ils se soucient peu de s’étendre en terre ferme, où il est si difficile de conserver ce qu’on peut acquérir[3]. C’est donc sur nous et sur les Anglois que tomboient les soupçons d’Alaverdikhan. Je crois même que ce nabab nous honoroit de la préférence. Le combat d’Ambour dans lequel Anaourdikhan, nabab d’Arcate et son frère avoient été tués, la défaite de Nazerdjingue, l’élévation de Moussaferdjingue au soubah du Dékan, celle de Salabetdjingue, sont autant de faits dus aux armes et à la politique des François qui, en lui donnant une grande idée de la nation, dévoient naturellement le porter à la méfiance[4]. Les Anglois n’avoient encore pour eux aucuns de ces faits éclatants ; mais ils en avoient de solides, et comme les avantages vrais ou supposés qu’ils avoient retirés des troubles de la côte ou plutôt du Carnatic, passoient dès lors pour aller de pair avec les nôtres, on peut dire que c’étoit une raison pour Alaverdikhan de se méfier autant d’eux que de nous.

Ce caractère du nabab paroissoit surtout lorsqu’il venoit à savoir par ses espions qu’on faisoit quelque fortification soit à Calcutta soit à Chandernagor ; la moindre réparation, la démolition d’une maison voisine du fort, il n’en falloit pas davantage pour donner l’alarme. Il y avoit ordre aussitôt de suspendre l’ouvrage. Si, après bien des représentations, le nabab jugeoit que cela ne tiroit point à conséquence, un présent faisoit l’affaire, on pouvoit continuer. Son projet auroit été d’obliger indifféremment toutes les nations à n’avoir point de forts. Vous êtes des marchands, disoit-il plusieurs fois à nos Ouquils et à ceux des Anglois, quel besoin avez-vous de forteresses ? étant sous ma protection, vous n'avez point d'ennemis à craindre. Il eut probablement tenté l’exécution, s’il avoit cru vivre asses pour en voir la fin ; mais le nabab étoit vieux. Ne voulant rien risquer, il se contenta d’instruire son successeur désigné dans la conduite duquel on a eu l’occasion de voir quelques leçons qu’il avoit reçues d’Alaverdikhan.

Caractère de Souradjotdola.

Souradjodola[5] étoit ce successeur, jeune homme de 24 à 25 ans d’une figure très commune. Avant la mort d’Alaverdikhan, le caractère de Souradjodola étoit réputé un des plus mauvais qu’on eut jamais connu. En effet il ne s’étoit distingué que par toutes sortes de débauches, par une cruauté qui révoltait tout le monde. Les femmes des Gentils ont coutume de se baigner le long du Gange. Souradjodola qui par ses espions étoit informé de toutes celles qui avoient quelque beauté, envoyoit ses satellites déguisés sur de petits bateaux pour les enlever. On l’a vu plusieurs fois dans le tems des débordements du fleuve faire sursoubrer ou couler les bateaux de passage, pour avoir le cruel plaisir de voir l’embarras de cent personnes à la fois, hommes, femmes, enfants, dont plusieurs ne sachant pas nager étoient sûrs de périr. S’il étoit question de se défaire de quelque seigneur ou ministre, Souradjodola seul paroissoit. Alaverdikhan, pour ne point entendre les cris de ceux qu’il faisoit massacrer, se retiroit à quelques maisons ou jardins hors de la ville. Tout trembloit au seul nom de Souradjotdola. On le croyoit devenu plus humain depuis la mort d’Alaverdikhan ; on en pourra juger par la scène épouvantable que nous présente la prise de Calcutta. Quelque chose que l’on puisse dire pour justifier ce nabab, on ne me persuadera jamais que ces horreurs aient été commises sans sa participation.

Le caractère violent de Souradjotdola, la haine qu’on avoit généralement pour lui, avoient portés bien des personnes à croire qu’il ne seroit jamais soubahdar. Les Anglois entre autres avoient pris cette idée, à ce que je crois. Ils ne s’adressoient jamais à Souradjotdola pour leurs affaires dans les dorbars, évitant au contraire toute communication avec lui. On les a vu quelquefois lui refuser l’entrée de leur loge de Cassembazard, de leurs maisons de campagne, parce qu’en effet Souradjotdola tapageur et impertinent à l’excès cassoit les meubles ou faisoit emporter ce qu’il trouvoit à son gré ; mais Souradjotdola n’étoit pas capable d’oublier une injure qu’il croyoit avoir reçue. Le lendemain de la prise du fort anglois de Cassembazard, il dit en plein dorbar : « voilà donc ces Anglois si fiers qui ne vouloient pas me recevoir chez eux » de sorte que longtemps avant la mort d’Alaverdikhan on pouvoit dire que Souradjotdola étoit piqué contre les Anglois.

Au contraire Souradjotdola étoit assés porté pour nous. Ayant intérêt de le ménager, nous l’avions toujours reçu chez nous avec cent fois plus de politesse qu’il ne méritoit. Nous avions recours à lui dans presque toutes les affaires sérieuses par le canal de Racdolobram et de Mohoulal. C’étoient par conséquent des présens qui lui revenoient de tems en tems et qui entretenoient la bonne amitié. L’année précédente surtout (1755) lui avoit valu beaucoup par l’affaire de l’établissement des Danois dont j’étois chargé, étant commandant à Cassembazard. En effet ce ne fut que par son crédit que je pus terminer cette affaire dont le nabab Alaverdikhan lui céda tout le profit. Aussi je peux dire que je n’étois pas mal dans l’esprit de Souradjotdola. C’étoit un roué il est vrai, mais qui étoit à Mars 1756.   craindre, un roué qui pouvoit nous servir, un roué qui pouvoit devenir honnête homme enfin. Newadjesmahmetkhan, à l’âge de 25 ans[6], avoit été pour le moins aussi méchant que Souradjotdola, il étoit devenu cependant l’idole du peuple.

Trois partis formés pour la succession d’Alaverdi Khan.

Pendant la dernière maladie d’Alaverdikhan, il y avoit deux partis considérables qui prétendoient au soubah, et qui, quoique divisés, paroissoient devoir se réunir pour abattre celui de Souradjotdola. L’un étoit le parti de la Begome, veuve de Newadjesmahmetkhan, dont le projet étoit de faire reconnoître pour soubahdar un enfant bâtard de Patchacouly, frère de Souradjotdola, qu’elle avoit sous sa tutelle. L’autre étoit celui de Saokotdjingue, nabab de Pourania, seigneur asses estimé. Ces partis ne pouvoient que causer beaucoup de troubles. Ce fut surtout pendant le fort des premiers que les Anglois donnèrent à Souradjotdola occasion de se plaindre d’eux.

Les Anglois donnent à Souradjotdola occasion de se méfier d’eux.

Toujours conduits par cette idée que ce seigneur n’auroit pas assés de crédit pour se faire reconnoitre, ils entretinrent correspondance avec cette femme dont je viens de parler, retirèrent à Calcutta les trésors qu’elle vouloit mettre en sûreté, ainsi que ceux de Rajabolob, son premier divan. On dit même qu’ils avoient des intelligences avec le nabab de Pourania ; les soupçons de Souradjotdola contre les Anglois occasionnés par le rapport des arcaras, étoient si forts, que peu de jours avant la mort d’Alaverdikhan, arrivée en Avril, les Ouqils des trois nations furent appelés au dorbar et interrogés trois jours consécutifs. On demanda au nôtre et à celui des Hollandois s’ils savoient qu’il y eut quelqu’intelligence entre les Anglois et la begome, ils répondirent       Avril 1756. toujours laconiquement qu’ils ne savoient rien à ce sujet. Le troisième jour, on donna le bethel aux Ouquils avec ordre de signifier à leurs maîtres d’éviter tout commerce avec la begome et ses adhérans.

Mort d’Alaverdikhan. — Souradjotdola devient soubahdar sans opposition.

La recommandation du vieux nabab mourant, les sermens qu’il fit prêter à quelques uns des principaux officiers de l’armée firent plus en faveur de Souradjotdola que toutes les ligues ne purent faire contre lui. Alaverdikhan mort, Souradjotdola se vit en moins de dix jours possesseur du soubah, reconnu même par la begome, qui, trahie, dit-on, par ceux de qui elle attendoit des secours, aima mieux tout abandonner et sacrifier ses plus fidèles serviteurs que de tenter le sort d’un combat qui auroit pu lui être favorable, car le peu de troupes qu’elle avoient étoient gens d’élite. Enfin tout plia devant le jeune nabab.

Souradjotdola. Sa première expédition dans la province de Pourania.

Comme il craignoit quelque mouvement de la part de Saokotdjingue, il marcha de ce côté là : ce ne fut qu’une partie de plaisir. Le nabab de Pourania, quoique brave, ne témoigna pas pour lors plus de fermeté que la begome. Sur la première nouvelle de l’approche de Souradjotdola, il fit partir des présens accompagnés d’une lettre dans laquelle il cherchoit à se justifier de tous les bruits qui avoient couru, et finissoit par se soumettre à la clémence de son maître. Souradjotdola lui Mai 1756.      rendit son amitié ou du moins en fit semblant. C’est dit-on à cette occasion qu’il vit clairement que les Anglois étoient pour quelque chose dans les intrigues de ses ennemis. On m’a assuré que le nabab de Pourania lui avoit fait voir quelques lettres qu’il avoit reçues d’eux, ce que j’ai de la peine à croire, mais voici comment la mèche prit feu.

Ce qui donne occasion à Souraljotdola d’attaquer les Anglois.

Quelques jours après la soumission de la begome, les espions de Souradjotdola lui rapportèrent que, s’il n’y prenoit garde, il auroit bientôt à craindre quelqu’entreprise de la part des nations européennes, que les François se fortifioient à Chandernagor ainsi que les Ànglois à Calcutta. En effet on travailloit à force à Chandernagor à finir un bastion du fort dont les fondemens avoient été jetés du tems d’Alaverdikhan. À Calcutta, on étoit occupé à faire ou du moins à réparer un grand fossé autour de la colonie, et à relever quelques ouvrages de maçonnerie. Sur le rapport des espions, nos ouquils, ceux des Anglois eurent ordre de paroître au dorbar. Grands débats pendant deux jours ; questions sur questions pour savoir quel pouvoit être le dessein des Européens ; enfin ordre positif de Souradjotdola, à nous d’abattre tous les ouvrages qu’on avoit faits depuis la mort d’Alaverdikhan, et aux Anglois de combler leur fossé ; et comme c’étoit au moment du départ de Souradjotdola pour Pourania, il menaça d’aller lui-même raser les forts de Chandernagor et de Calcutta, si à son retour il trouvoit que ses ordres n’avoient pas été exécutés.

Je fis dresser aussitôt un arzy ou requête, et j’en fis venir un de Chandernagor conforme au mien ; ces deux pièces furent envoyées à Souratjotdola qui en parut satisfait. Il m’écrivit même en réponse qu’il ne nous défendoit pas de réparer les anciens ouvrages, mais bien d’en faire de nouveaux. D’un autre côté les espions qui avoient été envoyés à Chandernagor ayant été bien reçus, bien payés, firent un rapport assés favorable pour nous, de sorte que notre affaire fut assoupie. Il n’en fut pas de même de celle des Anglois.

Les espions du nabab furent, à ce qu’on dit, très maltraités à Calcutta. Au lieu de chercher à appaiser le nabab qu’on croyoit peut-être embarrassé du côté de Pourania, on fit à son paravana une réponse très offensante[7]. Je ne l’ai pas vue, mais des personnes dignes de foy me l’ont assuré. Aussi ce seigneur n’eut pas plutôt entendu ce que contenoit la réponse des Anglois qu’il se leva furieux, et sautant sur son sabre, jura qu’il alloit exterminer tous ces frenghis. En même tems, il donna des ordres pour la marche de l’armée, et nomma quelques djamadars pour prendre les devants. Comme dans son premier accès de colère il s’étoit servi du mot général frenghis, nom qu’on donne à tous les Européens, quelques amis que j’avois dans l’armée qui ignoroient la conclusion de notre affaire du bastion, m’envoyèrent avertir de me tenir sur mes gardes, que notre loge alloit être investie.

Le fort des Anglois de Cassembazard est investi par un détachement de l’armée de Souratjotdola.

L’alarme fut grande chez nous et chez les Anglois ; je passai plus de 24 heures avec beaucoup d’inquiétude, faisant transporter dans notre loge du bois, des vivres, etc., mais bientôt je sçus à quoi m’en tenir : je vis arriver des cavaliers qui formèrent le blocus du fort anglois, et en même tems je reçus un paravana du nabab, par lequel il me marquoit d’être sans inquiétude, qu’il étoit aussi content de nous que mécontent des Anglois.

Deux ou trois jours se passèrent pendant lesquels je ne croyois pas qu’il y eut beaucoup à craindre pour les Anglois. Le nabab étoit encore loin ; les cavaliers qui étoient autour du fort ne paroissoient pas fort agissants. On disoit bien que le nabab vouloit forcer les Anglois d’abattre leurs forts de Cassembazard et de Calcutta, de lui envoyer la famille du divan Rajabolob dont j’ai parlé ci-dessus, qui s’étoit réfugiée chez eux, ainsi que toutes les richesses qu’on y avoit fait transporter. On parloit bien aussi d’annuler Juin 1756.      le privilège qu’ont les Anglois de ne payer aucun droit, mais je m’imaginois que cette affaire, comme tant d’autres, finiroit pour de l’argent.

Prise du fort de Cassembazard.

Le quatrième jour, le nombre de cavaliers augmenta. On vit bientôt arriver l’avant-garde de l’armée. Le nabab lui-même avançoit à grandes journées, menaçant de faire donner l’assaut. Le conseil anglois mit sans doute l’affaire en délibération. On consulta des Maures de distinction, et surtout celui[8] qui, jusque là, avoit été chargé des affaires des Anglois, qui fit dire à M. Watts, chef, de venir sans rien craindre au camp du nabab. Le résultat des avis fût probablement que le chef iroit trouver le nabab pour traiter cette affaire, ou l’engager du moins à attendre des réponses de Calcutta. Ces Messieurs croyoient être encore au temps du bonhomme Alaverdikhan, qui content de la soumission du chef l’auroit renvoyé chez lui et se seroit adressé directement au gouverneur de Calcutta, mais Souradjotdola ne s’étoit pas encore assés fait connoitre. M. Watts ne fut pas plutôt rendu au camp qu’on lui lia les mains avec une loque. Il fut forcé de paroitre comme prisonnier. Le nabab le reçut avec toute la fierté d’un souverain irrité, et ordonna de le faire garder à vue. Bientôt la nouvelle en fut portée à la loge angloise dont on jugea à propos d’ouvrir les portes aux gens du nabab. Le landemain il n’y avoit plus ni canons, ni armes, ni munitions dans le fort. L’officier, commandant le peu de soldats qu’il y avoit, se cassa la tête d’un coup de pistolet, plutôt que de se voir prisonnier des Maures. La famille du chef eut la permission de se retirer dans notre loge ; quelques employés s’y réfugièrent aussi, ainsi que chez les Hollandois. Les autres furent mis aux fers et conduits avec les soldats dans les prisons de Morichoudabad.

Telle fut la reddition de cette place des Anglois, où bien des personnes prétendent qu’on auroit pu tenir quelque tems, même assés pour rebuter le nabab et l’obliger à s’accommoder. C’est ce que je suis d’autant moins porté à décider, que suivant les dernières informations et les meilleures que j’aie pu avoir, je connois plutôt le foible que le fort de cette place. Il paroit d’ailleurs probable que M. Watts eut été désaprouvé du Conseil de Calcutta, si soutenant l’attaque du nabab il eut malheureusement succombé. Son entêtement à ne pas vouloir se rendre au camp du nabab eut passé dans tous les esprits pour la vraie cause du malheur de Calcutta. Au reste s’il a été la dupe de la mauvaise foy de Souradjotdola, on peut bien dire qu’il a sçu prendre sa revanche.

Le nabab part pour Calcutta.

Le fort de Cassembazard fut pris le 2 Juin ; deux jours après le nabab partit pour Calcutta, emmenant avec lui M. Watts et son second prisonnier ; mais avant que de le suivre il est bon de remarquer ce qui se passa à notre sujet.

Il demande aux François des secours contre les Anglois.

Le nabab étoit au moins aussi surpris que content de la facilité avec laquelle il étoit venu à bout des Anglois de Cassembazard. Un reste de respect qu’on avoit eu si longtemps pour les Européens le faisoit craindre d’échouer devant Calcutta qu’on lui avoit représenté comme une place très forte, deffendue par trois ou quatre mille hommes. Il m’écrivit dans les termes les plus forts pour engager le directeur de Chandernagor à lui donner les secours qu’il pourroit en hommes et munitions. « Calcutta est à vous, dit-il à notre ouquil, en plein dorbar ; je vous donne cette place et toutes ses dépendances, pour prix du service que vous m’aurez rendu ; je sçais d’ailleurs que les Anglois sont vos ennemis, vous êtes toujours en guerre avec eux, soit en Europe, soit à la côte ; ainsi je ne pourrai prendre votre refus que comme une marque du peu d’intérêt que vous prenez à ce qui me regarde. Je suis résolu de vous faire autant de bien que Salabetjingue vous en a fait dans le Dékan ; mais si vous êtes assez ennemis de vous-même pour refuser mon amitié et les offres que je vous fais, vous me verrer bientôt tomber sur vous et vous faire subir le même traitement que je prépare aux autres en votre faveur. »

Il vouloit qu’on fit descendre sur le champ devant Calcutta tous les vaisseaux et autres bâtiments qui étoient à Chandernagor. Après l’avoir remercié des dispositions favorables où il paroissoit être à notre égard, je lui fis représenter, selon les ordres que j’avois reçus, que nous n’étions pas en guerre avec les Anglois, que ce qui s’étoit passé à la côte étoit une affaire particulière pour laquelle d’ailleurs il y avoit eu une suspension d’armes, que les Anglois du Bengale ne nous ayant donné aucun sujet de nous plaindre d’eux, il ne nous étoit pas possible de lui donner les secours qu’il demandoit sans des ordres, soit d’Europe soit de Pondichéry. Du caractère vif et emporté dont étoit Souradjotdola, mes raisons ne firent que l’irriter ; il jura qu’il auroit de gré ou de force ce qu’il demandoit, puisqu’étant établis dans son pays, sa volonté devoit être loi pour nous. Je fis tout mon possible pour l’appaiser, mais inutilement ; au moment de son départ, il nous fit dire par un de ses oncles qu’il comptoit toujours sur nos secours, et m’envoya une lettre pour le gouverneur de Pondichéry dans laquelle il le prioit de nous donner des ordres en conséquence. C’étoit toujours, je m’imaginois, du tems gagné.

Calcutta est un établissement de grande étendue, qui n’est fermée que par un fossé[9]. Au milieu, sur le bord du Gange, on voyoit un petit fort assés mal construit, sans fossé, et dominé par plusieurs maisons qui n’en étoient éloignées que de 15 à 20 toises. On comptoit dans la place à peu près 450 hommes tant soldats que topas ; en y joignant les officiers et employés, enfin la bourgeoisie tant Européenne que Portugaise ou Arménienne, on pouvoit former un corps de onze à douze cens hommes. C’étoit bien peu de monde pour la défense de la ville ; mais c’étoit assés pour celle du fort, si, au lieu de perdre du tems à établir des postes, des redoutes dans divers endroits trop éloignés, on l’avoit employé à abattre les maisons qui incommodoient, à blinder les bastions et à faire un bon fossé palissadé[10]. Il y avoit déjà trois jours que le nabab étoit en marche, qu’on ignoroit à Calcutta la prise de la loge de Cassembazard. On s’attendoit si peu à cet événement que le conseil de Calcutta écrivoit au chef de Cassembazard de sonder les ministres du dorbar pour savoir quelles étoient les véritables intentions du nabab, et de se ménager, s’il étoit nécessaire, une entrevue avec ce seigneur.

Cependant Souradjotdola n’avançoit qu’à petites journées. Il avoit cinquante mille hommes tant cavalerie qu’infanterie devant Cassembazard. Ce nombre ne lui paroissoit pas suffisant pour Calcutta ; la crainte de manquer son coup l’avoit porté à donner des ordres de tous côtés pour assembler le plus de monde qu’il seroit possible. Il attendoit un secours de quatre mille hommes que lui envoyoit le nabab de Pourania ; il vouloit réunir toutes ses forces[11].

Par la sécurité où étoient les Anglois de Calcutta, on peut juger du trouble et de la confusion qui régnèrent sur la nouvelle de l’approche du nabab. Rien n’étoit préparé ; on arma aussitôt les habitants. Les familles [européennes] eurent ordre de se rendre au fort ou sur les vaisseaux. On y fit transporter tout ce qu’il y avoit de plus précieux dans la ville. On établit des postes dans les endroits qui paroissoient les plus avantageux. Enfin au bout de quelques jours tout paroissoit en si bon ordre, qu’on croyoit que cette affaire tourneroit à la honte du nabab. C’est du moins ce que j’eus lieu de conjecturer sur les lettres qui me vinrent de Chandernagor.


Je laisse à part toutes les fanfaronades qu’on attribue peut-être sans fondement à M. Drake, gouverneur de Calcutta, sa prétendue impatience de voir le nabab arriver, mais je suis assés porté à croire qu’en général les Anglois regardoient Souradjotdola comme un jeune fou de s’être si fort avancé, et qu’une apparence de fermeté épouvanteroit.

Siège de Calcutta par le nabab.

Les Maures parurent le 18 Juin devant Calcutta. Ce jour même, le nabab s’empara de plusieurs quartiers de la ville, et fit faire de bons retranchemens à la faveur desquels son canon faisoit un feu terrible. Les Anglois se virent attaqués de tous les côtés en même tems, et forcés d’abandonner les postes où ils se trouvoient trop exposés à la mousqueterie de dessus les maisons ; d’ailleurs ils avoient trop peu de monde pour les garder. On peut dire aussi que la vivacité de l’attaque à laquelle ils ne s’attendoient pas les mit hors d’eux-mêmes. Il n’y eut bientôt plus d’ordre, plus de subordination ; chacun couroit de son côté, faisoit ce que bon lui sembloit ; la suite d’une pareille confusion ne pouvoit être que funeste à l’établissement.

Sans entrer dans tous les détails qui m’ont été faits à cette occasion, et dont je ne peux certifier l’exactitude, j’aime mieux renvoyer le lecteur à ce qu’en ont écrit les Anglois eux-mêmes. Il me suffit de dire que tout ce qu’il y avoit de plus précieux ayant été transporté à bord des vaisseaux, ainsi que les principales familles, environ moitié des officiers, employés, soldats et habitants se trouva aussi à bord des vaisseaux le 19 au soir sans que ceux qui étoient restés dans le fort en sçûssent la raison ; mais le 20, sur quelques manœuvres qu’on apperçut, la consternation, le désespoir s’empara des assiégés. On crut être trahi. À l’exception d’un petit nombre, tout le monde voulut courir aux vaisseaux. Quelques-uns eurent le bonheur d’y être reçus ; mais beaucoup de mestices (métis) tant hommes que femmes furent noyés en voulant s’embarquer de force. Les vaisseaux appareillèrent dans le plus grand désordre causé, en partie, par le feu qui prit à une petite embarcation : elle contenoit quelques caisses d’argent et beaucoup de femmes mestices, qui tombèrent au pouvoir des Maures.

Cependant le fort faisoit toujours grand feu. Il restoit encore, par l’impossibilité qu’on avoit trouvé à s’embarquer, plus de deux cens hommes avec lesquels M. Holwell devenu commandant tint bon une partie du jour ; mais quelle apparence de ne pas succomber ? Chacun n’en pouvoit plus de fatigues ; les balles des ennemis plongeoient dans la place ; une résistance inutile n’auroit servi qu’à aigrir les Maures, et procurer aux prisonniers un plus mauvais traitement. M. Holwell fit cesser le feu et arbora le pavillon maure ; aussitôt l’ennemi fond de tous cotés sur la forteresse ; les portes cèdent bientôt à leurs efforts ; ils se précipitent comme des enragés, faisant main basse sur tout ce qui se présente. Les assiégés déconcertés regagnent les bastions et se défendent quelque tems ; mais faute de munitions il fallut mettre bas les armes. Malgré cela, la fureur des Maures continuant toujours, plusieurs des assiégés en furent encore victimes. Sur le soir, M. Holwell et deux autres conseillers furent conduits les mains liées devant le nabab qui promit qu’on ne leur feroit aucun mal ; cependant ils ne furent pas plus épargnés que les autres.

Les officiers anglois sont jettés dans un cachot où ils périssent presque tous.

Le carnage cessé, on donna liberté à quelques soldats étrangers qui se trouvoient présents. Le reste au nombre de 146 parmi lesquels on comptoit une femme, trois conseillers, plusieurs officiers et beaucoup de jeunes employés appartenant aux meilleures familles de Londres, tous blessés ou mourant de fatigues, furent jetés dans un cachot si petit qu’il falloit nécessairement se tenir debout pour n’être pas étouffé ou écrasé.

C’étoit le tems le plus chaud de l’année ; une vapeur empoisonnée se fit sentir par le défaut d’air et la grande transpiration des prisonniers entassés les uns sur les autres. La soif devint insupportable ; sur les cris répétés des prisonniers on apporta de l’eau qu’on fit passer dans des chapeaux au travers des barreaux de la fenêtre ; mais les prisonniers se débattans pour en avoir, ce que chacun d’eux put attraper ne servit qu’à nourrir le feu qui les dévoroit tous. Les plus foibles expirèrent en peu de tems, ceux en qui la jeunesse ou la force du tempérament soutenoit encore quelque vigueur devinrent comme enragés. Chacun cherchoit la mort et ne savoit comment se la procurer. Les paroles, les injures les plus piquantes furent employées pour exciter la colère des Maures et porter la garde à faire feu sur les prisonniers. L’un d’eux ayant apperçu à la ceinture de son camarade un pistolet, s’en saisit et le tira sur les Maures qui paroissoient à l’ouverture. Le pistolet n’étoit chargé qu’à poudre, malgré cela la peur qu’eut la garde fit qu’on présenta sur le champ entre les barreaux plusieurs fusils, dont on fit quelques décharges. C’étoit tout ce que désiroient les [malheureux] prisonniers ; chaque coup de fusil étoit un coup de grâce qu’ils s’entredisputoient.

Les Maures cependant contemploient avec satisfaction cette scène d’horreur, qui se passoit dans le cachot. C’étoit pour eux un tamacha[12]. Pour en augmenter le plaisir, ils imaginèrent de jetter au pied de la fenêtre, en dehors, un tas de paille mouillée à laquelle on mit le feu. L’air extérieur chassoit toute la fumée dans le cachot ; mais l’espérance des Maures fut trompée, ils ne voyoient plus rien. D’ailleurs à l’exception de huit ou dix qui eurent la force de soutenir un si terrible assaut, tous les prisonniers furent bientôt hors d’état d’amuser leurs bourreaux ; ils étoient ou morts ou mourants. Enfin, pour terminer une scène aussi tragique, le lendemain, lorsque le nabab donna l’ordre d’ouvrir la prison, des 146 qui y avoient été enfermés, on n’en tira que 23 qui donnoient quelques signes de vie. Le grand air fut mortel pour quelques uns, les autres eurent le bonheur d’échaper. La femme fut de ce nombre, ainsi que M. Holwell et quatre ou cinq officiers ou employés. La femme fut mise dans le sérail du nabab ; [c’étoit, je crois, la femme d’un pilote du Gange]. Pour M. Holwell, on le conduisit avec un officier et deux employés dans les prisons de Morshoudabad, d’où quelques jours après il eut la permission de sortir.

Je laisse à chacun la liberté de faire ses réflexions sur une catastrophe aussi épouvantable ; l’idée seule qu’elle présente fait frémir. Si cependant quelqu’un est assés amateur du tragique pour désirer des détails mieux circonstanciés, je le préviens qu’il sera amplement satisfait par une relation imprimée faite par M. Holwell lui-même. Je ne connois pas de tragédie plus capable d’exciter les sentimens d’horreur et de pitié. La reconnoissance qu’y fait paroître M. Holwell pour quelques petits services que j’eus le bonheur de lui rendre, me fait naître bien des regrets de n’avoir pu la mériter autant que je l’aurois souhoité.

Les Anglois échappés de Calcutta se retirent à Folta.

Les Anglois échapés de Calcutta descendirent avec leurs vaisseaux jusqu’à Folta, seize cosses plus bas que Calcutta ; c’est là qu’exposés aux plus grandes incommodités, surtout à cause du mauvais air, il se tinrent les uns sur les vaisseaux, les autres à terre jusqu’à la mi-décembre, que les forces qu’on leur envoyoit de la côte parurent. Les Anglois de Dacca furent obligés d’évacuer leur loge qui n’étoit qu’une simple maison, et se retirèrent à la loge françoise jusqu’à la réception du paravana, pour aller joindre leurs vaisseaux que j’eus assés de peine à obtenir. Souradjotdola informé qu’à Dacca il y avoit deux ou trois dames [angloises] fort aimables, étoit bien tenté d’en orner son sérail.

La ville de Calcutta, le fort, tout fut mis au pillage. On s’attendoit à trouver des trésors immenses ; mais toutes les recherches ne purent procurer au nabab au delà de deux ou trois laks de roupies.

Le nabab lève des contributions sur les François et les Hollandois.

On a vu le nabab partant de Cassembazard très piqué [contre nous], menaçant d’avoir de gré ou de force les secours qu’il avoit demandé. Sans doute que la vue des établissements européens lui avoit fait faire depuis, quelques reflexions. La crainte de se mettre à dos toutes les nations en même tems l’avoit porté à user de politique. Il parut d’abord satisfait de la lettre que lui écrivit le directeur de Chandernagor, fit entendre qu’il auroit toujours pour nous les plus grands ménagements. Il en disoit autant aux Hollandois ; mais, Calcutta pris, le masque tomba. Le nabab n’avoit plus rien à craindre. À peine arrivé à Ougly, il envoya des détachemens à Chandernagor et à Chinchurat,    Juillet 1756. colonie hollandoise, pour sommer les commandants de payer des contributions, ou de se résoudre à voir amener leurs pavillons et démolir leurs forts. Bref, on fut obligé d’en passer par ce que le nabab exigeoit. Content d’avoir puni, disoit-il, une nation par qui il se croyoit offensé, et d’avoir rançonné les autres pour dédommagements des frais que l’expédition lui avoit coûté, on vit le tyran reparoitre triomphant à Morshoudabad, se doutant peu du châtiment que la Providence préparoit à ses crimes ; mais pour y mettre le comble il lui manquoit encore quelques succès.


  1. [Ces trois soubahs, surtout le Bengale, sont asses connus, pour me dispenser d’en faire la description. Dans tous les papiers ministériels, firmans, paravanas de l’Empire Mogol, lorsqu’il est question du Bengale, on ne le nomme jamais sans ajouter ces mots, paradis de l’Inde, qualité qu’on lui donne par excellence. Ce pays se suffit à lui-même par la bonté, la variété de ses productions, et les autres parties de l’empire ont toutes besoin de lui.]
  2. Les Danois établis depuis longtemps à Tranquebar, à la côte de Coromandel, n’étaient fixés au Bengale que depuis le 7 octobre 1755. Leur loge était à Sérampor, entre Chandernagor et Calcutta. Les Danois durent en grande partie leur établissement au Bengale à M. de Leyrit, puis à Law et à M. Renault. Il en coûta 130.000 roupies d’avances faites par la compagnie française sans compter les nombreux présents qu’il fallut faire aux principaux officiers du gouvernement.
  3. Les Hollandais ne possédaient dans l’Inde que les factoreries de Chinsura dans le Bengale, Paliacate et Négapatam à la côte de Coromandel, Anjingo et Corhin à la côte malabar.
  4. Les faits auxquels il est fait ici allusion sont toute l’histoire du Carnatic et du Décan de 1749 à 1751. En juillet 1749, Anaverdi khan, nabab du Carnatic, fut battu et tué à la bataille d’Ambour par les forces combinées de Musaffer jing, prétendant à la soubabie du Décan et Chanda Sahib, prétendant à la nababie du Carnatic. Musaffer jing et Chanda Sahib étaient appuyés par les Français ; c’est la première fois que les Français intervenaient dans les querelles des princes indiens.

    À la suite de cette bataille, Chanda Sahib crut pouvoir régner tranquillement dans le Carnatic ; mais Naser jing, soubab légitime du Décan, prit ombrage de ce pouvoir naissant et envahit ses états. Après des alternatives de succès et de revers, il fut trahi par les nababs de Cudappa, de Carnoul et de Savanour et tué par eux en décembre 1750 non loin de Gingy. Son neveu Musaffer jing le remplaça, mais n’ayant pu satisfaire aux exigences des nababs auxquels il devait son élévation, il fut massacré par eux un mois plus tard. Bussy, qui assista impuissant à cet événement, eut du moins la présence d’esprit de faire à l’instant même proclamer et reconnaître soubab du Décan Salabet jing, frère de Naser jing et oncle de Musaffer. C’est de ce jour que date réellement l’influence de Bussy et des Français dans le Décan.

  5. Il étoit fils de Djindihametkhan, neveu d’Alaverdikhan. Djindihametkhan avoit été nabab de Patna où il fut assassiné en 1747. Alaverdikhan, sensible à cette perte, avoit adopté Souradjotdola pour son fils.
  6. [C’est celui qu’on nommoit le petit nabab. Il étoit neveu d’Alaverdikhan.]
  7. Le bruit couroit qu’il y étoit dit entre autres choses que puisque Sourajotdola vouloit que le fossé fut comblé, on y consentait pourvu que ce fut avec des têtes de Maures. Je doute que la lettre contint cette expression, mais il peut se faire que quelques Anglois peu circonspects l’ayent lâché dans leurs discours et cela aura été rapporté au nabab.
  8. C’étoit un nommé Mirza Akimbek ; cet homme avoit eu le plus grand crédit du temps d’Alaverdikhan et avoit suscité aux Anglois des affaires coûteuses, de sorte que pour le mettre dans leurs intérêts ils avoient été comme forcés d’en faire leur guide auprès du nabab ; dans le fonds, c’étoit un coquin ; et nous François nous avions lieu de le reconnoître pour tel. Malgré cela, je doute fort qu’il ait voulu tromper les Anglois dans l’occasion dont il s’agit ; il haïssoit Sourajotdola autant qu’un autre ; il se peut très bien faire qu’il ait été trompé lui-même par le nabab, l’homme du monde qui s’embarrassoit le moins de tenir sa parole.
  9. En 1755, la ville occupée par les Européens était comprise entre les rues actuelles Canning St. au nord, Hastings St. au sud, Mission Row à l’est et la rivière à l’ouest. On y comptait 230 maisons en maçonnerie pour Européens. La population totale était évaluée à 410.000 habitants.

    En 1696, on avait commencé un fossé de défense qui fut terminé en 1702. En 1742, au moment des premières invasions marates, on commença un autre fossé dit le Mahratta ditch, qui suivait au nord et à l’est le cours de la rue actuelle de Circular Road. Ce fossé ne fut pas terminé du côté du sud. Le fort William se trouvait ainsi en dehors de la ville, du côté du sud.

  10. Tout cela fut fait en bien peu de tems sous les ordres du colonel Clive, lorsque les Anglois reprirent leurs établissemens. On voit encore ce fort qu’on ne conserve sans doute qu’en attendant que le nouveau soit achevé.
  11. On m’a assuré que le Commandant du secours envoyé de Pourania avait ordre de se tourner contre Souradjotdola, au cas qu’il reconnut que les Anglois fussent en état de se défendre. Cela est d’autant plus vraisemblable que la suite a bien fait voir que la soumission du nabab de Pourania n’étoit rien moins que sincère.
  12. Ce mot est très usité dans toute l’Inde, on l’applique à tout événement qui excite la curiosité : une querelle entre deux passants, une charrette embourbée, un convoi funèbre, une mascarade, tout cela est tamacha.