Mémoire sur quelques affaires de l’Empire Mogol (A. Martineau)/XII

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Édouard CHAMPION - Émile LAROSE (p. 409-423).

CHAPITRE XII

SECOND SÉJOUR DU DÉTACHEMENT À CHOTERPOUR, DEPUIS LE 28 MAY 1759 JUSQU’AU 28 FÉVRIER 1760.

Avec une réception très officieuse de la part du raja, nous trouvâmes nos anciennes baraques prêtes à nous recevoir, moyennant quelques réparations. Il n’y avoit eu aucun changement dans le pays ; peu de jours après notre arrivée je reçus des lettres de Patna et de Bengale, dont voici à peu près le détail.

Fin de Mahmoudcoulikhan.

Mahmoudcoulikhan, à peine arrivé devant Bénarès avoit reçu de Soudjaotdola ordre de s’arrêter et d’abandonner tout l’attirail de guerre dont il étoit accompagné ; il avoit été obligé d’en passer par là, ne pouvant compter sur des forces, qui, quoique jusqu’à ce moment paroissant sous ses ordres, auroient certainement tourné contre lui en cas de résistance. Après cela il avoit eu la permission de passer outre en palanquin accompagné de vingt cavaliers seulement. Il s’étoit rendu auprès de Soudjaotdola de qui il avoit été si mal reçu, que craignant d’être assassiné, il avoit voulu s’empoisonner. Il fut quelque tems gardé à vue. J’ai su depuis que renonçant aux vanités de ce monde, il s’étoit fait faquir et s’étoit même décidé à faire le voyage de la Mecque. J’ignore ce qu’il est devenu. Ses troupes à la débandade et surtout les chefs qui lui avoient témoigné quelque attachement avoient été pillés et très maltraités par les troupes de Soudjaotdola aux ordres du raja de Bénarès. Quant au chazada, on l’avoit laissé passer tranquillement ; il s’étoit arrêté un peu au dessus de Chenargor où il avoit reçu des lettres très soumises, très respectueuses de Soudjaotdola, qui même lui avoit envoyé quelqu’argent pour son entretien.

Les Anglais pénètrent dans le pays du raja de Bojepour.

Du côté de Patna il s’en falloit beaucoup que les esprits fussent d’accord. Ramnarain avoit fait fermer les portes de la ville sur Miren qui s’étoit présenté pour y entrer avec ses troupes, et sans la médiation du colonel Clive, protecteur de Ramnarain, on en seroit venu aux voyes de fait ; mais après bien des débats tout s’étoit arrangé, du moins en apparence, à condition que Ramnarain se joindrait à Miren et aux Anglois pour marcher à la poursuite du chazada ; le vrai est que Miren et les Anglois n’en vouloient qu’à Palouandsingue, raja de Bojepour, pour les secours qu’il avoit donnés au prince ; mais c’étoit l’ami intime, l’homme de confiance de Ramnarain qui eut le chagrin de voir la province de Bojepour ravagée d’un bout à l’autre. Le raja que Miren auroit bien voulu saisir fut poursuivi dans ses montagnes, d’où, après bien des courses inutiles dans un pays brûlé par l’ardeur excessive du soleil, Miren ainsi que les Anglois n’en pouvant plus de fatigues et ayant perdu beaucoup de monde par maladie, furent obligés de se retirer, sur l’avis de quelques troubles dans le Behar causés par un nommé Camgarkhan, raja du Mayer.

Ces troubles n’eurent pour lors aucune suite. Ce raja dont il sera beaucoup question ci après étoit ami de celui de Bojepour, et n’avoit voulu remuer que pour le dégager des poursuites de Miren ; il s’entendoit avec Ramnarain. Tous ces rajas dont il y a grand nombre dans les dépendances du Bengale réunis par les liens d’une même religion, se soutiennent réciproquement autant qu’ils peuvent, ils détestent le gouvernement des Maures, et sans les Chets, ces fameux banquiers, avec lesquels ils sont tous très liés, il est probable qu’à la suite de la révolution dont Souradjotdola a été la victime, ils se seroient tous soulevés en même tems pour établir un gouvernement gentil dont les Anglois n’auroient pas tiré les avantages que celui des Maures leur a procurés. Un pareil changement ne leur convenoit pas, il faut dans leur système qu’un germe de division fermente continuellement entre le gouvernement principal et les puissances subalternes qui en dépendent. Sans cela ils ne pourroient se soutenir, au reste le soulèvement de tous les rajas auroit tenu à peu de chose, si seulement la moitié des forces que nous avions à la côte s’étoit présentée dans le Bengale. Alors ils se seroient sentis assés appuyés pour secouer cette timidité naturelle qui les tient dans l’inaction. Les Chets eux-mêmes, je crois, n’auroient pas refusé de s’entendre avec nous, car dès l’année 1758 ils avoient eu lieu de s’appercevoir qu’ils s’étoient donnés des maitres qui, sans chercher directement à les ruiner, à leur enlever leurs trésors, n’en étoient pas moins jaloux ainsi que de leur grand crédit, pour l’abaissement duquel ils ne tarderoient pas à employer les moyens les plus efficaces. Une pareille situation des affaires dans le Bengale, si avantageuse pour la nation si elle avoit voulu en profiter, me mit dans un état de dépit que je ne peux exprimer, surtout à la réception d’une lettre de M. de Leyrit, par laquelle je vis clairement que nos affaires de la côte alloient très mal. M. de Lally, d’un autre côté, ne m’écrivoit point. Que penser de ce silence[1] ? Il m’affectoit d’autant plus que je m’appercevois depuis longtems du mauvais effet qu’il produisoit sur l’esprit de quelques officiers, qui, portés naturellement à critiquer la conduite de ceux qui les commandent, croyoient trouver dans le silence de M. de Lally des raisons pour justifier leur façon de penser.

Durant ce séjour à Choterpour je reçus plusieurs lettres du raja de Bojepour pour m’engager à ne pas m’éloigner, faisant entendre que la partie étoit sur le point d’être renouée, mais d’une manière plus solide. J’en reçus aussi quelques unes du chazada. Il me marquoit que Ramnarain étoit dans ses intérêts ainsi que plusieurs rajas qui, tous avoient promis de lui faire tenir des fonds, qu’il y avoit beaucoup de troubles à Morshoudabad dont il vouloit profiter en retournant à Patna, peut-être même avant la fin des pluies. En effet les affaires dans le Bengale entroient dans une crise dont on a peine à concevoir comment les Anglois ont pu se tirer.

Rivalité des Anglais et des Hollandais dans le Bengale. Défaite des Hollandais.

Les Hollandois établis dans le Bengale à la tête desquels étoit M. Bisdom gouverneur de Chinchurat, avoient témoigné dès le principe de la révolution et surtout pendant le siège de Chandernagor, beaucoup de bonne volonté pour les Anglois, approuvant en tous tems leur conduite, même jusqu’à leur fournir des munitions de guerre contre nous. La destruction des établissements françois dans le Bengale, étoit, selon eux, autant de gagné pour leur commerce. La chute de Soudjarotdola, l’élévation de Mirdjaferalikhan au soubah du Bengale ne firent sur eux aucune impression. C’étoit dans Souradjotdola un coupable que les Anglois punissoient des cruautés qu’il avoit commis dans Calcutta, et dont la mort étoit nécessaire pour la tranquilité du Bengale. Jaferalikham, homme doux, paisible, aimé et estimé, devoit, selon eux, établir une forme de gouvernement agréable à toutes les nations européennes sans distinction, exepté la nation françoise qui se trouvoit exclue par le traité. Ces fins négociants ne connoissoient pas encore la politique des Anglois et jusqu’où pouvoient aller des projets d’agrandissement soutenus par la terreur des armes que les Anglois avoient répandue.

Ils ne commencèrent, je crois, à ouvrir les yeux qu’à l’occasion de la ferme du salpêtre que le colonel Clive avoit obtenue exclusivement pour sa compagnie, ce qui gênoit beaucoup le commerce des Hollandois, mais bientôt ils eurent des sujets de plaintes de tous côtés et sur tous les objets de leur commerce, par les violences qu’exerçoient les employés anglois dans les harams, faisant enlever de force les toiles, les soyes, les soiyeries, quoique payées et fabriquées pour les Hollandois. L’opium, cet article si précieux si intéressant pour MM. de Batavia, devoit bientôt leur être enlevé. Les plaintes des Hollandois furent souvent portées au conseil de Calcutta et au gouvernement Maure mais inutilement : les Anglois trouvant toujours le moyen de les éluder et de ne rien rendre de ce qu’ils avoient pris. Enfin poussés à bout, les Hollandois crurent qu’il étoit tems d’arrêter ce torrent qui les menaçoit d’une entière destruction.

Ils avoient pour chef à Cassembazard un nommé M. Vernet, homme d’esprit, qui, ayant passé bien des années dans cet endroit, devoit être au fait des intrigues du dorbar de Morshoudabad. Il ne tarda pas à s’apercevoir que le nouveau nabab Jaferalikham étoit très mécontent de ce grand pouvoir que les Anglois avoient usurpé. On m’a assuré qu’il y eut à ce sujet un accord secret entre les Hollandois et Jaferalikham, (les Chets mêmes pouvoient bien y être pour quelque chose) par lequel il étoit dit que les Hollandois n’étant point en guerre avec les Anglois feroient venir de Batavia un certain nombre d’Européens et de Malais, lesquels une fois rendus à Chinchurat, Jaferalikham prendroit avec le gouverneur hollandois les mesures convenables pour se tirer de l’esclavage où il étoit.

Je reçus à Choterpour quelques avis sur ce qui se tramoit. Surquoi je fis agir secrètement auprès du gouverneur de Chinchurat pour qu’il me fit passer quelque argent, sans quoi il ne m’étoit pas possible de remuer, persuadé qu’il seroit charmé que je fusse de la partie, et que je contribuasse au succès de ses desseins par une diversion dans le nord. On me fit dire qu’on étoit très éloigné de désirer que je fusse pour quelque chose dans cette affaire, que par conséquent je ne devois attendre aucun secours d’argent, et qu’au reste les mesures étoient si bien prises qu’on comptoit réussir sans aucun secours étranger. Je reconnus là la vanité et la jalousie de Messieurs les Hollandois ; d’un autre côté on peut penser aussi que les Hollandois par les secours qu’ils dévoient recevoir de Batavia, n’ayant d’autres desseins que d’en venir à des négociations de concert avec le gouvernement Maure, et à un accommodement avec les Anglois qui mit les choses sur un pied plus égal et cela sans en venir à une rupture ouverte, ils avoient crû voir dans le traité passé entre Jaferalikham et les Anglois des raisons pour que nous ne parussions en rien dans cette affaire. Ce traité nous excluoit absolument du Bengale. Notre nation et la nation angloise étoient en guerre ouverte. Or le nabab et les Hollandois ne voulant pas en venir à des extrémités, il étoit asses naturel qu’ils évitassent tout ce qui pourroit aigrir l’esprit des Anglois et leur donner quelque apparence de raison, lorsqu’il seroit question de traiter avec eux.

Bon gré, mal gré, il fallut donc attendre l’événement. En novembre ou Décembre je reçus avis que la montagne en travail avoit enfanté une souris. MM. de Batavia avoient en effet envoyé dans le Gange plusieurs gros vaisseaux portant au moins cinq cens Européens, et quinze cens à deux mille Malais, le tout commandé par le commandant Roussel, lequel avoit autrefois servi dans le bataillon de l’Inde à Pondichéry. Le secret avoit été assés bien gardé. Il faut croire même que les Anglois n’eurent connoissance de ce qui se tramoit que très peu de tems avant et peut-être qu’à l’arrivée des bâtiments. Le major Ford, cet officier qui nous avoit porté le coup mortel par la bataille de Pédapour et la prise de Masulipatam étoit revenu. Mais la plus grande partie de sa petite armée étoit resté pour les opérations de la côte ; les Anglois de Calcutta y avoient aussi fait passer presque toutes les recrues qu’ils avoient reçues cette année, de sorte qu’il n’étoit pas possible qu’ils ne fussent très embarrassés pour trouver de quoi opposer aux Hollandois, surtout si l’on considère les divers endroits comme Patna, Cassembazard, Dacca etc. où ils étoient obligés d’avoir du monde, plus ou moins, par la crainte de quelques mouvements de la part des rajas.

Aussitôt l’arrivée des vaisseaux hollandois au bas du Gange, les troupes furent débarquées sur la rive droite du fleuve et se mirent en marche pour gagner Chinchurat. Avis fut en même tems donné à Jaferalikham alors à Morshoudabad qui fit partir son fils Miren sur le champ à la tête de quinze à vingt mille hommes avec ordre de descendre vers Chinchurat à petites journées pour n’agir que selon les circonstances, c’est à dire ne prendre parti qu’avec ceux qui seroient les plus forts ; (telle est la maxime des princes indiens). Jaferalikham vouloit se masquer vis à vis des Anglois et se réserver, en cas de non succès, le pouvoir de leur dire qu’il n’avoit envoyé son armée que pour la sûreté de son pays contre les Hollandois.

Malgré cela l’affaire pouvoit encore réussir. M. Vernet conduisant lui-même la meilleure partie de la garnison de Chinchurat, ce qui faisoit à peu près trois cens Européens et autant de sipayes, devoit sortir tel jour pour joindre les troupes de Batavia sur la route qui leur avoit été indiquée, et faisant corps ensemble, forcer le passage, s’il falloit en venir là pour rentrer au plus vite dans Chinchurat. Malheureusement tous les guides auxquels les Hollandois s’étoient confiés, tant ceux qui avoient été envoyés au bas du Gange que ceux qu’avoit M. Vernet, avoient été gagnés par les Anglois qui furent instruits de tous les détails et circonstances.

Il n’y avoit point de tems à perdre. Le colonel Clive, sans attendre la réponse du conseil de Chinchurat aux représentations que celui de Calcutta pouvoit lui faire sur l’entrée dans le Bengale d’un corps de troupes aussi nombreux, fit partir sur le champ deux vaisseaux qu’on tenoit toujours bien armés au dessous de Calcutta, avec ordre de s’emparer des vaisseaux venant de Batavia. Le colonel Ford, à la tête de trois cens hommes troupes réglées, de mille à douze cents sipayes et de toute la bourgeoisie de Calcutta à qui on avoit fait prendre les armes, (cela pouvoit faire un corps de sept à huit cents hommes, employés, particuliers, négociants, marins et jusqu’aux Arméniens ; personne n’avoit été exemt) fut prendre poste entre Goratti et Chandernagor. Il avoit avec lui quelques pièces de campagne.

Ayant bon nombre d’espions affidés, il fut servi à point nommé. Il ne tarda pas à apprendre où étoit la troupe venant de Batavia, et sçut en même tems qu’à tel jour, telle heure, la garnison de Chinchurat devoir sortir et faire route en traversant Chandernagor. En conséquence prenant avec lui une partie de sa troupe, il fut s’embusquer dans un quartier de cette ville presque désert, d’où à coups de fusils et de bayonnettes chargeant les Hollandois qui ne s’attendoient pas à une pareille rencontre, il les repoussa et les poursuivit jusqu’aux portes de Chinchurat. Rebroussant chemin tout de suite pour rejoindre sa troupe, il se rendit au plus vite avec elle au point où il savoit qu’il devoit attendre la troupe venant de Batavia. Les arcaras ou guides gagnés par les Anglois devoient la conduire en prenant une autre route que celle que le gouverneur hollandois avoit indiquée. Ce jour là même elle parut marchant à la débandade et sans aucune précaution. Elle ne pouvoit être qu’harassée de fatigues par les mauvais chemins où on l’avoit fait passer à travers les champs de neslys (ou riz). D’ailleurs on assure qu’il y avoit plus de vingt quatre heures qu’elle n’avoit mangé, on peut juger de là quelle résistance elle a pu faire. Aussi ce ne fut que l’affaire d’un quart d’heure. Enfournée dans un passage choisi par les Anglois, d’où elle ne pouvoit pas même reculer pour se disperser dans la plaine, son commandant se décida à la forcer ; s’étant mis à la tête de la troupe, il fit un vigoureux effort pour s’emparer des pièces d’artillerie, mais en vain ; on le reçut avec un feu si vif et si soutenu que toute sa troupe mit les armes bas presque en même tems. Elle fut conduite prisonnière à Calcutta où tous les Européens, la plupart Allemands, ainsi que quelques Malais prirent service. On croit que dans les deux affaires, il y eut plus de deux cens hommes tant Européens que Malais tués. Les Anglois perdirent très peu de monde, et ce qui augmenta le prix de cette journée ainsi que les réjouissances dans Calcutta, c’est qu’on apprit le lendemain que les vaisseaux hollandois avoient été pris presque sans résistance, le jour même des deux affaires gagnées par le colonel Ford.

Au premier avis que je reçus de cet événement sans beaucoup de détails, il me parut si surprenant que combinant le tout avec la mauvaise volonté pour nous que j’avois reconnue dans le gouvernement hollandois depuis le commencement de la révolution, je fus tenté de croire que c’étoit un jeu joué entre les Anglois et les Hollandois pour donner aux premiers les forces dont ils pouvoient avoir besoin, et éviter aux autres le reproche que la France auroit pu leur faire d’avoir donné des secours à ses ennemis et quoiqu’on m’ait assuré qu’il en a coûté plusieurs millions aux Hollandais pour arranger cette affaire avec la cour d’Angleterre, je ne suis pas entièrement revenu de mon idée. Ce qu’il y a de certain, c’est que les Anglois se sont vus d’un seul coup de filet beaucoup plus forts qu’ils n’étoient avant cette affaire.

Année 1760.
Clive rentre en Angleterre et est remplacé par M. Vansittart.

Cependant malgré tant de succès du côté des Anglois il s’en falloit de beaucoup que le Bengale fut dans une assiette tranquille au commencement de 1760. D’un côté Jaferalikhan honteux de ce grand pouvoir que les Anglois s’étoient arrogés, piqué jusqu’au vif de leur manière d’agir dans toutes les affaires de son gouvernement entre lui et ses propres sujets, ne soupiroit qu’après l’occasion de secouer le joug. D’un autre côté plusieurs rajas, peu satisfaits à la vérité de voir une nation Européenne leur donner la loi, mais plus mécontents encore du nabab qui dans toute sa conduite avoit fait voir clairement sa mauvaise volonté pour eux, désiroient un changement qui leur paroissoit pouvoir s’effectuer par le moyen du Chazada. On ne voyoit qu’intrigues sourdes, qu’allants et venants de provinces en provinces d’un air sombre, mystérieux ; à peine osoit-on se regarder dans les assemblées ou dorbars, ne sachant à qui se fier. Tout enfin annonçoit des soulèvements dont le signal devoit être le départ du colonel Clive pour l’Europe.

Ce colonel, aussitôt après l’affaire des Hollandois, ne voyant plus rien qui exigeât sa présence dans le Bengale, avoit écrit au gouvernement de Madras l’intention où il étoit de repasser en Angleterre, faisant entendre que la personne qu’il croyoit le plus en état de le remplacer étoit M. Vansittart, membre du Conseil de Madras. Ce conseiller fut en effet nommé. Mais le colonel voulant profiter du départ des premiers vaisseaux, ne jugea pas à propos de l’attendre ; il lui tardoit d’arriver dans sa patrie où on l’a vu depuis fait Lord et décoré de l’Ordre des Chevaliers du Bain pour récompense de ses services. Il s’embarqua laissant les rênes du gouvernement entre les mains de M. Holvell qui étoit le premier après lui dans le conseil, le même qui avoit eu le bonheur de survivre à toutes les horreurs du cachot où Souradjotdola l’avoit fait enfermer à la prise de Calcutta en 1756.

Le détachement quitte une seconde fois Choterpour pour tenter une attaque contre le Bengale.

Dès la fin de 1759 sur l’avis de quelque succès que nous avions eu à la côte Coromandel, nous nous étions préparés autant que notre caisse pouvoit le permettre, à marcher une seconde fois dans le Bengale. Notre escadre plus forte que jamais avoit paru à la côte. Une lettre hollandoise disoit même qu’il y avoit eu un combat de mer, où l’escadre angloise, sinon détruite, avoit été si maltraitée qu’elle ne pouvoit plus se présenter. Nous ne tardâmes pas il est vrai à être détrompés ; mais la nouvelle plus sure d’un avantage remporté par nos troupes sur l’armée angloise au village de Vandavachy en 1759 nous avoit consolé de ce qui s’étoit ou ne s’étoit pas passé en mer ; d’ailleurs toutes les lettres que je recevois du Chazada et de quelques rajas nous invitoient à tenter encore fortune. Quelques fonds que je reçus m’ayant mis en état de payer à notre saokard Bodjenat Termokdjy la plus forte partie de ce que je lui devois, je lui fis un billet pour le restant de quatorze mille roupies portant intérêt dont il vouloit bien se contenter. Nous partimes le 28 Février prenant une nouvelle route par les montagnes tant par curiosité que, parce que sur des informations, elle me parut la plus courte. On peut la voir dans le cahier de route ainsi que sur la petite carte.


  1. Je n’ai reçu qu’en 1760 deux petites lettres de M. de Lally.