Mémoire sur quelques affaires de l’Empire Mogol (A. Martineau)/XIII

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Édouard CHAMPION - Émile LAROSE (p. 425-477).

CHAPITRE XIII

LE DÉTACHEMENT MARCHE UNE SECONDE FOIS VERS LE BENGALE, ET SE SOUTIENT DANS LA PROVINCE DE BAHAR JUSQU’À l’AFFAIRE DU 15 JANVIER 1761 QU’IL EST DISPERSÉ.
Mauvaises nouvelles de Pondichéry.

Il ne nous arriva rien de bien extraordinaire pendant notre marche qui fut de       28 février. 27 jours, jusqu’au Gange, par des chemins très difficiles, où souvent nous étions obligés de nous ouvrir nous-mêmes un passage à cause des rivières et de l’escarpement des montagnes. Notre curiosité fut satisfaite par le spectacle varié qu’offre la nature dans un climat qu’on peut dire posséder les propriétés de plusieurs, la température de l’air y étant aussi inégale que le pays qu’il couvre.

Nous apprîmes en route la funeste bataille de Vandavachy donnée à la côte en Janvier 1760 qui avoit décidé le sort des armes en faveur des Anglois de manière à ne pouvoir que plier partout devant eux. Le siège de Pondichéry disoient plusieurs lettres devoit en être une suite très prochaine. On me marquoit qu’il ne falloit plus désormais attendre le moindre secours, tout ne pouvant qu’être employé à la défense du chef-lieu en attendant le retour de l’escadre, seule ressource qui restoit dans les circonstances où l’on étoit réduit.

Ces nouvelles, quoique bien désagréables, ne pouvoient qu’affermir la résolution que j’avois prise de marcher avec le Chazada dans le Bengale. Quelque chose qu’il pût arriver, c’étoit toujours servir la nation que d’occuper les forces qu’on auroit certainement employées contre Pondichéry, si le Bengale avoit été tranquille.

Le chazada envahit le Bengale sans succès.

À notre arrivée devant Bénarès, j’appris que le Chazada ayant joint le raja Kamgarkhan dès le commencement de Mars, s’étoit avancé du côté de Patna, que même sans s’amuser à négocier avec Ramnarain[1], il étoit passé outre et qu’à l’aide d’un parti marate commandé par un nommé Chioubot, qui étoit venu du port de Courdjougue dans la province de Katek pour le joindre, il cherchoit à pénétrer dans le Burdouan, dont le raja étoit dans ses intérêts.

Je sçus aussi que Patna étoit beaucoup plus en état de défense que l’année précédente, on ne s’étoit pas entièrement fié pour cette fois à Ramnarain ; il y avoit une forte garnison de gens du pays tant infanterie que cavalerie et de plus M. Amiot, commandant anglois, ainsi que quelques officiers et employés à la tête d’une centaine d’Européens et de deux ou trois cens sipayes. Comme j’étois toujours dans l’idée que Ramnarain n’étoit pas notre ennemi, je crûs pouvoir risquer l’aventure et marcher droit sur Patna, faisant la meilleure contenance que je pourrois, ce à quoi ne contribuèrent pas peu deux à trois cens bayonnettes que j’avois fait faire à Choterpour, que je fis mettre au bout d’autant de lattis (espèce de bâtons) dont j’armai des coulis qui nous suivoient, les faisant marcher en ordre derrière nos sipayes, augmentation très forte en apparence à laquelle j’ajoutai une quinzaine de Mogols bien montés que je pris au service et dont je donnai le commandement à mon divan Mir Sobogottoulla. Chemin faisant, je rencontrai à Bodjepour le rajah Palouandsingue qui, sans me donner de grandes espérances me fit comprendre que la partie étoit mieux liée que l’année dernière. Les affaires n’ayant à leur tête que les puissances du Bengale même, il n’étoit plus question de Mahmoudcoulikhan ni même de Soudjaotdola, qui, néanmoins étoit très content de voir les troubles se répandre de côtés et d’autres dans un pays d’où il n’avoit pu rien tirer, malgré les grandes espérances que lui avoient fait naître les grands changements survenus depuis 1757. J’aurois bien voulu tirer quelque argent de Palouandsingue, je me voyois réduit au dernier sol, mais sans cela même je lui aurois toujours poussé ma botte, la demande d’argent étant le meilleur moyen dont on puisse se servir pour connoitre ce que pensent les gens du pays à qui on a à faire. Sont-ils de bonne foy dans une entreprise qu’ils croyent devoir réussir ? leur bourse s’ouvre assés facilement du moins pour un emprunt ; sinon rien ne peut les rendre sensibles aux difficultés qu’on leur détaille, les plus belles promesses ne font rien. Je perdis ma peine auprès de Palouandsingue ; le traître, (et en effet je soupçonne qu’il le fut pour moi dans la suite) fut inflexible se rejettant toujours sur des embarras que certainement il n’avoit pas. Ce refus ne dénotoit rien de bon. Malgré cela je continuai ma route ; nous arrivâmes le 18 Avril aux environs de la ville de Patna suivis d’une multitude de Loutchas ou pillards qui, s’attendant à faire le même jour bonne capture, furent très surpris et fâchés de nous voir camper à cinq ou six cens toises de la place.

Mon idée étoit que si notre arrivée n’occasionnoit pas une fermentation dans la ville assés forte pour porter Ramnarain à obliger les Anglois de se retirer sur leurs bateaux, il se tiendroit du moins tranquille, sans chercher à nous inquiéter dans notre marche. En effet, à peine ma tente fut-elle dressée que je reçus une lettre très polie de ce raja. Il me prioit de ne commettre aucune hostilité contre la place qu’il seroit obligé de défendre, que, le chemin étant libre, je pouvois passer outre sans rien craindre de sa part. Je pris le parti qui étoit le plus sur, le seul même à prendre. Que pouvions nous contre quinze mille combatants qui pouvoient être dans la place ? Le lendemain à la pointe du jour nous nous mîmes en marche en bon ordre, tournant la ville par les derrières mais toujours à la grande portée du canon qu’on ne tira point sur nous. Nous fumes camper au jardin de Djaferkhan sur le bord du Gange, demie cosse plus bas que la ville. Là nous eûmes toute la journée et surtout vers le soir plusieurs alertes. Je fus instruit, par quelques amis que j’avois dans Patna, qu’on étoit continuellement sous les armes depuis notre arrivée ; que le commandant anglois n’avoit cessé de solliciter Ramnarain à sortir sur nous, que sur son refus il avoit demandé qu’au moins on lui donnât trois à quatre mille cavaliers et fusiliers pour joindre à ses Européens et sipayes, que Ramnarain lui avoit répondu qu’il étoit bien le maître de sortir s’il vouloit, qu’il ne donneroit personne, mais qu’il pouvoit prendre avec lui ceux qui le voudroient suivre ; sur quoi ce commandant se donnoit les plus grands mouvements pour se mettre en état de tomber sur nous. La nuit suivante, moyennant quelques précautions, nous la passâmes assés tranquillement et continuâmes notre route à la pointe du jour.

Après deux ou trois jours de marche, nous joignîmes l’armée du prince qui revenoit d’une course assés inutile qu’elle avoit Avril 1760.       faite pour pénétrer dans le Bengale par la province de Burdouan. Les Anglois avoient fait passer quelques troupes de ce côté là qui avoient arrêté les mouvements des rajas, entre autres le raja Bandijamakhan.

Siège de Patna par le chazada.

Cependant le feu du soulèvement s’étendoit de côtés et d’autres. Cademhoussenkhan, nabab de Pournia, avoit pris les armes et invité le chazada à passer dans sa province mais pour cela il falloit traverser le Gange, et malheureusement on n’avoit point de bateaux. Il en étoit de même par rapport à Doroupcha, raja de Bethia, qui étoit aussi pour le prince. La dessus, par le conseil de Kamgarkhan [qui étoit comme généralissime de l’armée du chazada], on se décida à faire le siège de Patna ; l’armée étoit tout au plus de trente mille hommes, même en y comprenant les trois ou quatre mille Marates commandés par Chioubot, et dans le total il n’y en avoit pas quinze mille en état de se battre, faute de paye et de munitions de toutes espèces : point d’artillerie. Les seuls canons étoient le peu que j’avois, dont deux de trois livres de balles et deux de deux livres. J’eus beau représenter que, sans quelques fortes pièces de canon, c’étoit folie d’entreprendre le siège d’une place aussi forte, aussi étendue que Patna (elle a pour le moins deux lieues de tour) dont la garnison seule, où il y avoit des Européens, étant bien payée et mieux armée que les troupes du prince, pouvoit se présenter contre nous en plaine, pour peu que Ramnarain se laissât aller aux sollicitations du commandant anglois ; tout ce que je pus dire ne servit rien ; il fallut marcher au siège. On se flattoit d’avoir des intelligences dans la ville, et qu’en l’attaquant, il se feroit un soulèvement qui favoriseroit l’assaut qu’on comptoit donner.

Le succès fut tel que je l’avois prévu ; après cinq ou six escalades asses mal dirigées et très mal soutenues qu’on donnoit de nuit à l’aide des maisons soit en brique soit en terre qui bordoient pour ainsi dire les fossés de la place, on fut obligé de lever le siège sur l’arrivée d’un secours en Européens et sipayes disciplinés qui étoient entrés dans la ville par le Gange. L’armée du prince perdit beaucoup de monde ; nous eûmes seize Européens tués ou morts de leurs blessures, plusieurs sipayes et quelques Mogols, heureux encore d’en avoir été quittes à si bon marché ; car si à la suite de la dernière attaque que nous fîmes dans l’ouest de la place, abandonnés à nous-mêmes, entièrement séparés de l’armée du prince qui étoit dans la partie de l’est [à une demie-lieue de nous au moins], les Anglois renforcés du secours qu’ils avoient reçu étoient sortis sur nous, nous étions tous tués ou pris. Je ne me souviens pas d’avoir jamais passé une journée plus inquiétante. Tout notre monde accablé de fatigues était éparpillé, pour se mettre à couvert, dans une quantité de paillottes où la moindre étincelle pouvoit occasionner un embrasement. Je m’étois mis pour me reposer, ainsi que quelques officiers, dans une espèce de mosquée très petite près du fossé d’où, sans être vu, je pouvois remarquer ce qui se passoit du côté de la ville ; elle étoit solidement construite en chaux et en briques et couverte d’un dôme en voûte. Il vint un boulet qui, enlevant le dôme, nous mît presque à découvert ; dans l’instant boulets sur boulets et une grêle de balles plongeant dans la mosquée nous firent bien vite sortir. Il n’y eût heureusement qu’un homme blessé ; c’étoit un sergent qui étoit venu faire son raport et qui probablement ayant été apperçu nous avoit attiré ce feu de l’ennemi. La nuit favorisant notre retraite, nous rejoignîmes le gros de l’armée en recevant un feu de rempart continuel pendant notre marche. Mais nous nous tenions à bonne distance. Je dois dire à la louange de MM. les officiers et des soldats que j’avois l’honneur de commander que, pendant les quinze ou seize jours que dura le siège, il y eut dans tout le corps un concert parfait, un zèle, une activité et une bravoure que ne peux assés louer et cela malgré mille désagréments de la part de l’armée du prince que Kamgarkhan commandoit. Le prince lui-même n’y pouvoit rien, la misère où il étoit le mettoit tout à fait dans la dépendance de son général qui, sans égard à l’excessive chaleur de la saison, (nous étions en may) nous tenoit continuellement en mouvement, et la plupart du tems très mal à propos ; c’étoit même avec la plus grande peine, malgré la recommandation du chazada, que je tirois de lui de quoi donner des acomptes aux officiers et soldats.

Cela ne pouvoit être autrement. En général pour qu’un corps européen puisse réussir en jonction à telle puissance de l’Inde que ce soit, il faut qu’il soit en état de se faire craindre, et donner la loi soit par sa propre force soit du moins par celle qu’on voit à la nation dont il est détaché ; il faut que le commandant de ce corps puisse dire : vous ne voulez pas exécuter ce que j’exige, je me retire. Sans cela ce commandant aura toujours les mains liées. Il ne peut que devenir tôt ou tard le jouet du caprice ou de la mauvaise foi de la puissance indienne au service de laquelle il se verra attaché. Malheureusement ne pouvant pas perdre de vue un instant le service de la nation qui le portoit toujours du côté du Bengale, où j’étois sûr de trouver des ennemis européens beaucoup plus forts que moi, je me voyois toujours esclave des circonstances, sans ressources, hors d’état d’employer des moyens d’agrandissement qui partout ailleurs m’auroient réussi, si, oubliant les intérêts de la nation, je m’étois attaché à quelque puissance du nord, comme par exemple à celle des Djates, des Siyques, des Patanes, ou de divers rajas, laquelle n’auroit eu à faire qu’à des gens du pays. Notre sort étoit de réussir partout où nous n’aurions pas eu d’Européens à combattre et de plier lorsque nous ne pouvions les éviter ; leur nombre ne pouvant être que de beaucoup supérieur au nôtre. Dans le tems que nous étions à Dehly, si les circonstances où étoit alors le chazada vis à vis des Marates lui avoient permis d’attaquer la forteresse, je suis très assuré qu’avec le secours de trois ou quatre mille Mogols, [d’un corps de Marates choisi] et de quelques pièces d’artillerie que nous aurions pu nous procurer, nous serions venus à bout de l’enlever et de délivrer son père des chaines de son vizir Ghazioudinkhan. Révolution qui dans toute l’Inde et surtout en Europe, auroit fait le plus grand éclat, mais, dans le vrai, beaucoup plus grand qu’elle n’auroit mérité ; il faut voir les choses par soi-même pour pouvoir en juger.

Prise de la forteresse de Soupy par les Français.

En se retirant de devant Patna l’armée fut camper à deux cosses dans le sud ouest de cette ville ; marche courte mais terrible par l’ardeur du soleil. Deux soldats tombèrent morts dans le chemin. Quelques jours après nous fumes détachés de l’armée avec le corps marate commandé par Chiobot, pour faire le siège de la forteresse de Soupy, dépendante de Patna. C’est un assés grand octogone à double enceinte entouré d’un fossé, large, profond et plein d’eau n’ayant qu’une entrée fermée par quatre portes, la première à l’entrée de la digue qui traverse le fossé, la seconde à la sortie de cette digue, et les deux autres très épaisses au corps de la place. Elle n’avoit point de canon, mais une garnison d’environ deux mille hommes armés de fusils, lances, caytoques ou fusils de rempart, fouguettes, etc., et commandée par un zemindar qui avoit la réputation d’être très brave.

J’avois trop peu de monde et du canon trop foible pour faire le siège de cette place en règle. D’ailleurs que pouvois-je espérer des Marates ? Ils n’entendent rien à l’attaque d’une place, ils ne savent que piller ou se battre en plaine. Réduit à nos seuls Européens et sipayes, il fallut de nécessité essayer un coup de main, emporter la place de vive force ou la laisser là. Nous fîmes nos approches au soleil couchant, la nuit devint très obscure ; pour m’assurer autant qu’il étoit en moi du succès, je pris le parti de faire une fausse attaque vers les neuf heures de nuit, au moyen de laquelle, après avoir fatigué la garnison, je pouvois en faisant cesser l’attaque, la porter à se livrer au sommeil, en lui faisant croire qu’elle seroit tranquille le reste de la nuit ; en conséquence ayant placé le canon de manière à battre à ricochet, et quelques Européens et sipayes ayant été détachés pour faire des décharges vers l’entrée, nous fîmes pendant plus d’une heure un feu asses vif de canon et de mousqueterie à la faveur duquel le petit corps détaché mit le feu à la première porte ; après quoi le signal fut donné pour se retirer. La garnison continua encore plus d’une heure à faire feu et à lancer des fouguettes de tous côtés, dans l’idée sans doute que nous étions fort près, occupés à chercher quelque passage ; mais nous étions à nous reposer bien à couvert. Vers les trois heures du matin, persuadé comme de raison que la garnison devoit être endormie, je fis prendre les armes. La troupe conduite dans le silence par [le major] M. de Changey s’avança vers la porte à laquelle on avoit mis le feu ; l’ayant passé, on brisa à coups de hache la seconde et pénétrant à la troisième, on y attacha le pétard ; tout cela n’avoit pu se faire sans être apperçu ; l’alarme avoit été donnée dans la place dès le passage de la première porte ; sur quoi nos canons placés à propos avoient commencé à tirer à ricochet sur les tours et courtines où l’on remarquoit le plus de monde ; mais comme en effet presque toute la garnison dormoit profondément au moment de l’attaque, il se passa asses de tems pour parvenir à la troisième porte sans être exposé à un grand feu. Là on éprouva une forte résistance. Le pétard fit sauter la porte mais l’intervalle assés spacieux jusqu’à la quatrième étoit rempli de gens qui, armés de fusils, lances et sabres se défendirent en désespérés ; en même tems du haut des remparts on jetoit sur nos gens à découvert de la poudre et autres matières enflammées, ce qui seul auroit pu les rebuter si notre canon que je fis diriger sur cette partie n’eût ralenti la vivacité d’une pareille défense. Enfin à coups de fusils et de bayonnettes on vînt à bout de repousser l’ennemi ; on gagna la quatrième porte par laquelle il rentroit, dont on s’empara quelque effort qu’il fit pour la fermer. Les assiégés dont plusieurs avoient leur famille dans la place étoient comme des furieux, cherchant la mort plutôt que de se rendre. Je crois même que sans la perte de leur commandant qui, heureusement pour nous fut tué, le nombre l’auroit emporté sur les efforts de nos soldats, qui ne pouvoient qu’être extrêmement fatigués. Mais la chute de leur commandant fut comme le signal d’une fuite générale par divers souterrains que nous ne connaissions pas, qui donnoient dans la plaine, par où les assiégés avoient déjà sauvé ce qu’ils avoient de plus précieux. Nous trouvâmes près de cent hommes tués et autant pour le moins de blessés qui n’avoient pu fuir. De notre côté nous eûmes sept sipayes tués, une dizaine de blessés et quelques Européens parmi lesquels étoit un de nos meilleurs sergents d’artillerie qui, étant aux pièces, reçut une balle de caytoque dans le pied.

Il n’y avoit rien de valeur dans la place, beaucoup de hardes, de cuivreries en ustensiles et quelques pièces de grosse toile. Le pillage fut asses bon pour nos soldats, mais bien plus encore pour les Marates. Pendant tout le tems qu’avoit duré l’attaque nous n’avions pas vu un seul d’eux ; leur commandant même n’avoit pas paru, de sorte que je croyois qu’ils nous avoient abandonnés. Cependant le désir du pillage les mit dans la place presque aussitôt que nous, non par la porte, mais par les tours et remparts qu’ils escaladèrent sans peine au moyen de la Berme où ils s’étoient glissés sur la fin de l’attaque. Ma plus forte occupation et celle des officiers pendant plus de cinq heures que nous restâmes dans Soupy fut d’empêcher que nos soldat et sipayes ne tombassent à coups de bayonnettes sur les Marates qui, sans avoir couru le moindre risque, enlevoient vingt fois plus que nos gens, par la souplesse et la légèreté avec lesquelles ils se transportoient d’un lieu à l’autre, et par un certain ordre de pillage, qu’ils observent admirablement entre eux, auquel la grande habitude les rendoit familiers. Je ne peux mieux les comparer qu’à celui qu’on donne aux singes dépouillant un champ. Au moment de quitter cet endroit nous fûmes menacés d’avoir une affaire très sérieuse avec les Marates.

De plusieurs femmes qui étoient dans Soupy, deux malheureusement avoient été tuées, les autres s’étoient sauvées, une seule exceptée, jeune, bien faite, asses blanche et d’une jolie figure qui, s’étant cachée pendant l’attaque, étoit restée endormie, du moins c’est ce qu’elle nous dit. Elle étoit venue se jeter à mes pieds, me priant de la garder dans notre camp, de ne pas permettre qu’elle tombât entre les mains des Marates mais de la faire conduire chez ses parents qu’elle nous désigna dans une aldée assés proche où je fis tout de suite avertir. Elle étoit femme d’un chef gentil. En attendant que quelqu’un vint du village, je l’avois fait passer au camp en recommandant de veiller sur elle. Chioubot, le commandant marate, n’en fut pas plutôt informé qu’il vînt me trouver, menaçant feu et flamme, si on ne lui remettoit cette femme gentile, qui ne pouvoit, disoit-il, qu’être déshonorée en restant avec des Européens. Le vrai est qu’il vouloit la garder pour lui-même. Sur mon refus il me quitta furieux, jurant qu’il trouveront bien moyen de l’avoir. Ayant remarqué quelques mouvements parmi les Marates, je fis prendre les armes à la troupe. Nouvelles instances de la part de Chioubot, offrant même certaines sommes, nouveau refus de ma part, mais en même tems quelques parents de cette femme étant survenus, je la leur remis et les fis accompagner par quelques sipayes jusqu’au village. Chioubot rongea son frein mais n’osa rien entreprendre.

Le lendemain, je retournai au camp du chazada qui, en grand dorbar me fit compliment sur la prise de Soupy et me donna les honneurs du Nabot, pour lesquels il me fallut passer par bien des cérémonies que je trouvai plus fatiguantes qu’agréables. Après bien des saluts et révérences à la mode du pays, en commençant à plus de cinquante pas du prince assis sur son trône, on me passa sur les bras une paire de petites timballes[2], sur lesquels le grand timballier frappa cinq ou six coups. Dès lors j’eus le pouvoir d’étourdir impunément tous mes voisins, de cette musique guerrière qu’on nomme Nabot ; mais comme je n’avois pas le moyen de l’entretenir, et que le prince n’étoit pas en état lui-même de me le procurer, je laissai dormir mon privilège. Le prince s’étendit beaucoup sur la bravoure des Européens et sur les services qu’il attendoit de notre nation.

L’armée se retire sur les bords du Saone.

Nous entrions cependant dans la saison des pluies il fallut penser à prendre des quartiers d’hiver. Les bords de droite et de gauche du Saone furent choisis de préférence. D’ailleurs que faire ? Le prince ne voyoit encore jour à aucun succès décisif, les chefs qui étoient les plus portés pour lui n’osoient remuer. Kademhoussenkhan, qui avoit pris les armes, se voyoit poursuivi par les troupes angloises accompagnées de Miren que Jaferalikhan, tranquille dans son sérail, avoit envoyé, bien des personnes pensent à dessein de traîner les choses en longueur, pour se donner le tems de jouer quelque intrigue contre les Anglois. Si cela est, Miren ne fut pas le maitre d’agir comme il auroit voulu. L’activité des troupes angloises prévint tout ; Kademhoussenkhan abandonné à lui-même, ne pouvant recevoir aucun secours de l’armée du prince dont il étoit séparé par le Gange, fut obligé de fuir et de se retirer[3] sur les terres de Soudjaotdola qui, à ce que j’ai sçu depuis, le dépouilla de tout ce qu’il pouvoit avoir. [Mais je m’aperçois que j’oublie un événement très intéressant. Le Chazada étoit devenu Empereur.]

Mort tragique de l’empereur Alemguir. Le chazada Aligohor proclamé empereur sous le nom de Chah Alem.

Ce fut en May, peu de jours après la levée du siège de Patna que nous apprîmes les détails et les suites de la mort tragique[4] de l’Empereur Alemguir Saiet, père du chazada Aligohor. Le vizir Ghazioudinkhan, pressé d’un côté par le patane Abdaly qui marchoit vers Dehly sur l’invitation d’Alemguir même, de l’autre très inquiet des mouvements du prince Alygohor, à qui il savoit que l’empereur son père avoit cédé par écrit tous ses droits à l’Empire, particulièrement les soubahs de Bengale, Bahar et Orixa, et craignant, sur les avis qu’il recevoit du Bengale, qu’enfin de manière ou d’autre il ne parvint à se faire reconnoitre, s’étoit décidé à faire périr le père pour faire monter sur le trône un prince de son choix, et rendre par là nuls les titres que pouvoit avoir Alygohor. On a déjà vu par le caractère que j’ai donné de ce vizir que les crimes les plus atroces ne lui coutoient rien. Alemguir étoit très dévot. D’ailleurs c’étoit une coutume usitée par les empereurs de visiter les personnages renommés par leur sainteté, les faquirs distingués, qui de tems à autre paroissoient à Dehly. Depuis plusieurs jours, Ghazioudinkhan faisoit courir dans le palais le bruit de l’arrivée de deux vénérables faquirs venant de je ne sais quel endroit très éloigné, qui s’étoient établis dans une espèce de tour [isolée] à une cosse de Dehly sur les bords du Gemna. On ne parloit que d’eux, des charmes de leur éloquence, de l’esprit divin qui les possédoit. Tous ceux qui approchoient de l’empereur, gens dévoués au vizir, ne cessoient d’exciter en lui le désir de les aller voir. Le bon Alemguir sans la moindre défiance en parla lui-même au vizir. Aussitôt des présents furent préparés et tout ce qui étoit nécessaire pour accompagner l’empereur en grande cérémonie. Aux aproches de la tour, toute la suite du prince s’arrêta par respect. L’empereur seul s’avançant, monta quelques degrés et entra dans une chambre très petite où étoient les prétendus faquirs. On peut s’imaginer comme on voudra le premier abord la réception des présents ; mais un quart d’heure après on vit le corps ensanglanté d’Alemguir jeté par la fenêtre sur les sables du Gemna. Toute la suite de l’empereur faisant demi-tour à droite disparut en moins de rien. Le vizir étoit resté au palais. Sur l’avis de ce qui s’étoit passé il donna des ordres pour arrêter les assassins ; il n’en fut rien. Mais tout de suite se faisant porter à l’endroit du palais, où l’on tient les princes enfermés, il en tira un qu’il fit proclamer empereur sous le nom de Chadjehan[5]. On assure que le corps d’Alemguir resta plusieurs jours sur les sables du Gemna sans qu’on pensât à l’enterrer.

Sur les bruits devenus publics, le prince Ali-Gohor[6] demeura en retraite trois ou quatre jours : il n’y eut point de dorbars, mais sans différer, il fut proclamé dans le camp empereur sous le nom de Cha alem. On frappa quelques roupies en son nom qui lurent distribuées et envoyées dans toutes les provinces de l’empire. La première fois qu’il parut en public, il y eut un grand dorbar, où tous les commandants et chefs de l’armée vinrent le saluer et lui présenter le nazer. Il avoit auprès de lui un mogol de distinction envoyé de la part de Soudjaotdola. Le prince déclara à haute et intelligible voix qu’il prenoit Soudjaotdola pour son vizir et remit à son député les sceaux de l’empire pour lui être envoyés. Kamgarkham fut nommé Naëb du Mirbochis[7] ou généralissime des troupes impériales, et je fus honoré de la qualité de Mirateche (maître du feu ou grand maitre d’artillerie) n’ayant pas, mais du moins ayant droit d’avoir à mes ordres tous les canons et fusils qui pouvoient être dans l’empire, même ceux des Anglois, puisque [par les lettres respectueuses qu’ils écrivoient au prince, sans cependant le reconnoitre], ils n’a voient jamais prétendu faire la guerre au prince. Cha-Alem me fit prendre en même tems les noms empoulés d’Asamoutdola Ashmot-Djingue Bahadour, sous lesquels je fus inscrit sur les registres de la cour impériale. Vinrent ensuite quantité de dignitaires en sous-ordre qui furent instalés dans leurs charges. Tout se passa dans le plus grand ordre au bruit [continuel du nabot et] de notre artillerie qui n’étoit pas brillante, mais j’étois Mirateche, comme Cha-Àlem étoit empereur. J’aurois eu tord de ne pas paroitre satisfait puisqu’il l’étoit. L’idée fait tout. Cha-Alem en établissoit d’asses grandes sur ce qui venoit d’arriver.

Soudjaotdola nommé grand vizir. Situation précaire du Grand-Mogol.

Soudjaotdola, nommé vizir, ne pouvoit sans doute que le reconnoitre ; aussi ne tarda-t-il pas à être proclamé dans ses états, sans cependant donner lieu à de grand mouvemens, ni même à aucun secours soit en hommes soit en argent, dont certainement le nouvel empereur avoit grand besoin. Tout ennemi de Ghazioudinkhan qu’étoit Soudjaotdola, il avoit encore des intérêts particuliers à ménager vis à vis de lui ; la crise étoit forte à Dehly, Abdaly avançoit toujours. Le Mirbochis de l’empire, Nadjeboutdola, révolté par le crime atroce du vizir s’étoit joint à Abdaly ; mais d’un autre côté les grands Marates s’avançoient aussi comme pour s’opposer à l’invasion des Patanes ; on ne savoit trop encore comment les affaires tourneroient de ce côté là[8]. Quant aux autres parties de l’Empire, Cha-Alem ne pouvoit gueres se flatter d’être reconnu tout de suite. C’étoit l’affaire du tems et des circonstances plus ou moins favorables. Ghazioudinkhan étoit possesseur de Delhy où il avoit mis sur le trône un nouveau prince. Il avoit eu la charge de vizir depuis bien des années et étoit encore reconnu tel dans presque tout l’empire. Tout le pays du côté de Delhy étoit censé sous ses ordres [malgré l’invasion d’Abdaly]. Le Dékan, cette grande vice-royauté qui embrasse le Bérar, tous les pays marates, toutes les provinces de la presqu’isle étoit entre les mains de son proche parent Salabetjingue. Le soubah de Bengale même et dépendances avoit toujours témoigné jusqu’alors qu’il reconnoissoit ses ordres ; mais c’étoit précisément sur cette vice-royauté que Cha Alem fondoit ses plus fortes espérances, et d’où devoit, selon lui, partir le grand coup qui établiroit son pouvoir de tous les côtés.

Tout ce pays étoit en combustion, déchiré par divers partis qui quoique opposés les uns aux autres, n’avoient aucune raison particulière d’être ses ennemis, dont quelques uns, à la vérité, avoient déjà souffert pour s’être déclarés en sa faveur, mais dont la réunion à ses intérêts ne demandoit que quelques explications et sembloit être devenue plus aisée, tant par l’horreur que devoit inspirer à un chacun le crime atroce de Ghazioudinkhan, ainsi que par le droit naturel que lui donnoit à l’empire sa naissance, ainsi que sa nomination au trône qu’il tenoit de son père depuis plusieurs années. Ce raisonnement convenoit asses à Cha-Alem qui embrassoit tout en général sans distinction, ne devant regarder comme ses ennemis propres que ceux qui ne voudroient pas le reconnoître. Mais quant aux intérêts de ma nation, il ne m’accommodoit point du tout, par la seule raison que les Anglois venant à le reconnoitre [pour grand Mogol], nos ennemis devenoient en quelque façon ses amis, et malheureusement ces Anglois formoient le parti le plus puissant, le seul qui donnoit la loi, qui, par la terreur qu’il avoit inspirée, règloit les mouvements des autres. Que faire dans de pareilles circonstances ? Elles m’eussent très peu inquiété, si j’avois eu l’espérance de voir nos forces de la côte donner dans le Bengale. Alors l’avantage auroit été décidément pour nous ; mais je savois, à n’en pouvoir douter, que je n’avois rien à espérer de la côte ni de quelque endroit que ce fut. D’un autre côté, j’étois trop avancé pour reculer. C’étoit une nécessité de voir où nous conduiroient des événements sur lesquels la prévoyance pouvoit être en défaut. J’eus soin seulement de rappeller au prince devenu empereur le serment qu’il m’avoit fait aux environs de Dehly, d’être toujours l’ami de la nation françoise et de regarder ses ennemis comme les siens, ce qu’il me confirma à l’occasion de son avènement au trône. Il ne fut donc plus question que de tirer en faveur du prince le meilleur parti possible de l’événement et j’ai lieu de croire que Camgarkhan qui dirigeoit les opérations, auroit réussi, même à l’avantage de notre nation, sans une nouvelle révolution à laquelle nous ne pouvions guère nous attendre.

Déposition de Mirdjajeralikhan.

J’ai dit plus haut que la conduite du nabab de Bengale Mirdjaferalikhan étoit devenue suspecte aux Anglois. Elle leur avoit paru telle dans l’affaire des Hollandois ainsi que dans le soulèvement de la province de Pourania. En effet, je sais à n’en point douter, qu’il étoit désespéré de se voir esclave d’une nation étrangère qui, par sa trahison à la journée de Palassy, lui devoit son salut et sa grandeur. Le colonel Clive étoit parti ; c’étoit le seul Anglois pour qui il eût quelque amitié ; d’ailleurs le génie tutélaire de la nation angloise, devoit, selon Djaferalikham, être parti avec lui. Le bonheur attaché au sort du colonel avoit tout fait jusqu’à présent, et l’on ne devoit pas penser que le général qui le remplaceroit pût être aussi heureux. Par cette idée tout à fait conforme à la manière de penser des Asiatiques qui, pour la guerre surtout, se rejettent sur la fatalité, sans égards aux qualités personnelles du commandant, le départ du colonel Clive ne pouvoit que faire grand plaisir au nabab et l’encourager à employer les moyens les plus efficaces pour se dégager d’un joug qui de jour en jour devenoit plus pesant. L’occasion paroissoit favorable. Le prince héritier présomtif, devenu empereur par la mort de son père, se trouvoit dans le pays, il étoit naturel de le reconnoitre. Joignant ses forces à celles du prince, Jaferalikham pouvoit en quelque façon espérer de forcer les Anglois à en passer par ce qu’il voudroit et rétablir les affaires dans le Bengale, comme il jugeroit à propos. La grande difficulté et presque insurmontable selon moi, venoit du côté de beaucoup de rajas surtout de Ramnarain qui, quoique mécontent de la trop grande puissance des Anglois, aimoient encore mieux en passer par là que de se voir dans l’absolue dépendance du nabab. Il auroit voulu du même coup les dompter, se défaire de ceux qui l’inquiétoient le plus, et abbatre la puissance angloise, ce qui ne me paroissoit gueres possible. Cette puissance étrangère étoit le salut des rajas ; de deux maux ils dévoient choisir le moindre, et certainement ils se seroient tous réunis aux Anglois, si Jaferalikham sans la participation des Anglois s’étoit déclaré tout de suite pour le prince. Alors l’événement n’auroit pu être que contraire au nabab.

Le conseil de Calcutta à la tête duquel étoit M. Holwell par intérim, n’ignoroit rien de ce qui se passoit. Rien n’est secret dans les dorbars ni même dans les sérails. L’on pénètre partout ; celui des Anglois leur découvroit les mystères les plus cachés. On décida à Calcutta que dans ce moment de crise, il étoit de toute nécessité de prévenir les desseins de Mirdjaferalikhan[9], en le déposant et mettant à sa place un nabab qui fut plus attaché aux intérêts de la nation angloise, et qui fut en même tems moins désagréable à tous les rajas. On travailla en conséquence par des émissaires envoyés à Morshoudabad ; comme la trahison, même entre parens, n’est qu’un jeu dans l’Inde, il ne fut pas difficile de trouver un sujet. Cassimalikhan, gendre de Mirdjaferalikhan, fut celui sur qui on jeta les yeux de préférence. Enfin tout fut disposé le plus secrètement possible pour frapper le coup lorsque M. Vansittart arriveroit.

Sur ces entrefaites ou plutôt ignorant encore ce qui se tramoit contre le nabab, nous apprimes avec étonnement la mort de son fils Miren, qui, revenant de son expédition contre le raja Juillet.       de Battia, avoit dit-on été tué d’un coup de tonnerre. Je laisse à chacun la liberté de penser ce qu’il voudra sur un événement si à propos pour les intérêts des Anglois et de Cassimalikhan. Je me contenterai seulement d’ajouter qu’on disoit hautement dans le camp de l’empereur, que Miren avoit été assassiné par une courtisane qui avoit saisi le moment d’un fort orage pour faire le coup, et qui avoit mis le feu à la tente, pour que le public crut que c’étoit le feu du ciel qui étoit tombé sur Miren[10]. On peut juger quel coup assomant ce dut être pour Mirdjaferalikhan. Miren étoit son unique appui, il perdoit tout par sa mort ; ses projets tomboient à rien. Aussi renonçant à toute affaire, son sérail seul fut témoin du désespoir où il étoit plongé. Ce fut à peu près dans ces circonstances que se fît la révolution projetée.

Le nouveau gouverneur de Calcutta, M. Vansittart, arrivé sur la fin de Juillet, après avoir employé les premiers jours à examiner l’état des choses, sentit la nécessité des démarches que le conseil avoit faites en faveur de Cassimalikham, dont la poursuite devenoit d’autant plus urgente, que, depuis la mort de Miren, on pouvoit dire qu’il n’y avoit plus de nabab, par l’espèce d’inertie où étoit Jaferalikham ; tout tendoit à une anarchie dont les Anglois eux-mêmes auroient pu craindre les suites. M. Vansittart se transporta à       Octobre. Morshoudabad accompagné d’un corps de troupes en Européens et sipayes. Cassimalikhan l’attendoit avec impatience. Jaferalikham, qui craignoit pour sa vie et pour l’honneur de son sérail, fit fermer et barricader les portes, les avenues du palais qu’il refusa longtems d’ouvrir aux sommations du gouverneur anglois. Rassuré enfin par ses serments, il se prêta à une négociation dont le résultat fut que le nabab Jaferalikhan avec toute sa famille seroit conduit par eau à Calcutta où il demeureroit sous la protection du gouvernement anglois. Il partit aussitôt bien escorté, et sur le champ Cassimalikhan qui avoit fait son traité avec les Anglois, où l’article contre la nation françoise n’avoit pas été oublié, fut proclamé soubahdar des trois soubahs, Bengale, Bahar et Orissa. On avoit préparé à Calcutta sur les bords du Gange une grande maison pour recevoir Mirdjaferalikham. Il y étoit encore paroissant assés tranquille lorsque je quittai le Bengale en 1762. La garde d’honneur qu’on lui donnoit étoit autant pour l’observer que pour sa sûreté.

Telle fut cette révolution qu’on peut dire paisible (il n’y eut pas une goutte de sang répandue), qui cependant a donné lieu aux discours, aux écrits les plus violents parmi les Anglois, suivant l’esprit de parti que prenoient les uns et les autres. En effet si Miren a été assassiné, si sa mort, comme il y a apparence, [du côté de Cassimalikham] a été une des dispositions prises pour arriver à cette révolution, elle est infâme, abominable, rien ne peut la couvrir. [Si tous ceux qui profitent du crime ne peuvent qu’être soupçonnés, quoique peut-être injustement de s’y être prêtés, cette révolution devient honteuse pour la nation angloise]. D’un autre côté il faut convenir qu’elle a coupé le nœud gordien que présentoit à la politique angloise la situation des affaires dans le Bengale. Par elle tous les esprits se voient réunis ; les rajas, les commandants des diverses provinces ou départements, tranquilles désormais sur la conduite que tiendroit le nouveau nabab dirigé par les Anglois, n’eurent plus de prétexte pour se refuser à ce qu’il voudroit. Il ne fut donc plus question dans le conseil de Calcutta que d’employer les moyens les plus convenables vis à vis de l’empereur qui malgré leurs lettres soumises et respectueuses, ne pouvait être regardé que comme ennemi non seulement par rapport à nous François, mais aussi à cause de ses prétentions sur les revenus du Bengale, puisque les Anglois étoient très éloignés de vouloir les lui céder ou même les partager avec lui. En conséquence on fit les préparatifs nécessaires pour, après la saison des pluies, entrer en campagne avec le plus de forces qu’il seroit possible de réunir, tant du côté du nabab en cavalerie surtout, que du côté des Anglois en Européens et sipayes.

Camgarkhan, général du Grand-Mogol, secrètement gagné aux Anglais.

L’intervalle fut employé en négociations. L’empereur et Camgarkhan d’un côté, les Anglois et Cassimalikhan de l’autre, étoient en correspondance suivie, peu sincère je crois de la part des Anglois ; ils ne cherchoient qu’à gagner du tems. J’ai lieu de croire, d’ailleurs que dès lors furent jetés les fondements d’une trahison qui devoit bientôt terminer notre carrière militaire. L’empereur me faisoit voir assés volontiers les lettres qu’il recevoit des Anglois et de Cassimalikhan ; il n’y étoit question de nous en aucune manière. Elles étoient remplies de sentiments les plus respectueux pour le prince, des vœux les plus ardents pour sa prospérité, mais sans témoigner le reconnoitre pour ce qu’il étoit, et sans lui en donner les titres et qualités. [On ne le nommoit que le chazada Alygohor], le renvoyant cependant à des tems plus heureux où l’on espéroit pouvoir arranger les affaires à sa satisfaction ; les lettres importantes, celles qui véritablement traitoient d’affaires, rouloient sans doute entre Camgarkhan et Cassimalikhan qui, nouvellement élevé par les Anglois au soubah du Bengale, ne pouvoit que se conformer à leur volonté. Je n’en ai pu voir aucune. Camgarkhan de son côté ne pouvoit qu’être changé à notre égard, [ou plutôt tourné contre nous] ; par la révolution qui venoit d’arriver, il étoit obligé de se conformer aux sentimens et à la conduite des divers rajas du pays avec lesquels il étoit lié d’amitié. Il me donnoit bien en général les plus belles espérances toutes les fois que je le voyois ; mais par ses réponses ambiguës aux diverses questions que je lui faisois, je voyois souvent que ma présence le gênoit, surtout lorsqu’il falloit tirer de lui quelque argent pour la paye de la troupe, ce qu’il n’accordoit qu’avec la plus grande répugnance ; malheureusement je n’avois plus avec moy mon ancien divan Mirsobogotoulla qui, ne trouvant pas le sort que je lui faisois asses avantageux, avoit pris le parti d’accepter les offres que le raja de Choterpour lui avoit faites. J’avois pris à sa place un nommé Mirferazalikhan, homme de beaucoup d’esprit, très au fait des intrigues des dorbars, plus même que son prédécesseur ; mais dans le vrai, je crois, moins sincère, moins fidèle que lui, et que je soupçonne avoir prêté l’oreille aux propositions qu’ont pu lui faire Camgarkhan et surtout le seigneur Cachemirien Moudarotdola, allié de l’empereur, qui s’entendoit avec Cassimalikhan et les Anglois. [Comme Camgarkhan avoit du remarquer beaucoup de finesse et de pénétration dans ce divan, il est probable qu’il aura employé des moyens de le gagner, pour ne me rien découvrir de ce qu’il pourroit appercevoir contre mes intérêts]. Quoiqu’il en soit, si j’avois pu prévoir que Pondichéry eût été si près de se rendre aux Anglois, il est sûr que le tour que je voyois prendre aux affaires dans le Bengale m’auroit déterminé à me retirer de l’armée de l’empereur et à passer pour dernière ressource auprès de Soudjaotdola, au service duquel je me serois mis. Je voyois que l’empereur lui-même étoit trahi. Les différens chefs de l’armée et surtout Camgarkhan tenoient vis à vis de lui la conduite la plus indigne, le laissant manquer des choses les plus nécessaires à la subsistance et à l’entretien de sa maison, même jusqu’à le laisser insulter impunément par le nommé Chioubot et ses Marates qui, sous prétexte de n’être pas payés, entourèrent une fois sa tente et menaçant fer et flamme, le tinrent comme prisonnier jusqu’à ce que sur l’appel du prince, notre troupe marcha au plus vite pour le dégager. L’empereur me pria alors de ne le point quitter et de camper toujours dans son quartier. On auroit dit, à voir tout ce qui se passoit, que le but de Camgarkhan étoit de rebuter le prince, de manière à le forcer de quitter la partie et de se retirer au delà de Carumnassa [limite des dépendances du Bengale]. Peut-être c’est ce qu’il auroit pu faire de mieux. Ce fut à cette occasion qu’ayant quelquefois l’honneur de diner ou de souper avec Cha-Alem[11] le prince me parla à cœur ouvert sur le malheureux sort qui le poursuivoit ; voulant le sonder, je cherchai à lui persuader que sa sûreté et sa tranquilité éxigeoient qu’il tournât ses vues d’un autre côté que le Bengale. « Hélas ! me dit-il, tout est égal pour moi ; partout où j’irai, je ne peux trouver que des prétendants, nababs ou rajas accoutumés à une indépendance qui les flatte trop pour vouloir en sortir. Je n’ai cependant d’autres ressources qu’eux, à moins que le ciel ne se déclare pour moi par quelque coup extraordinaire. Voici tout le Bengale en troubles : peut-être le Ciel veut-il agir ; il faut voir ou cela aboutira. Que diroit-on de moi d’ailleurs, si, au moment d’entrer en campagne, j’allois me retirer ; le mépris se joindroit à l’indiférence qu’ont pour moi mes sujets. »

Les Anglais marchent contre le Grand-Mogol.

Les pluies passées, nous apprîmes bientôt que toutes les forces Angloises ainsi que l’armée de Cassimalikhan s’assembloient sous les murs de Patna. Camgarkhan, pour ne point perdre de tems, ou plutôt, je crois, pour entretenir les fausses espérances du prince par quelque expédition, fit faire à l’armée plusieurs marches et contre marches pour la faire subsister aux dépens de quelques rajas qui lui avoient témoigné de la mauvaise volonté. Il fut question de faire l’attaque de la forteresse Tékary à 25 ou 30 cosses dans le sud de Patna ; mais comme cette place n’étoit pas aisée à prendre, on crut devoir commencer par celle de Mannepour, située au milieu d’une aldée, ayant double enceinte, fossé très profond et flanqué de quatre bastions très élevés, dans laquelle on espéroit trouver trois ou quatre pièces de gros calibre qui pourroient servir au siège de Tékary. En conséquence les ordres furent donnés, l’armée du prince s’arrêta à une grande distance et nous avançâmes seul vers l’aidée dont nous nous s’emparâmes en plein jour. Dès que nous parûmes, l’ennemi fit du fort un feu très vif de grosses caytoques, duquel nous nous mimes à couvert le mieux que nous pûmes. Je fis dresser tout de suite moyennant quelques fascines, deux batteries de nos quatre plus fortes pièces contre la porte de la première enceinte. Les boulets ne faisoient que leur trou ; elle étoit soutenue derrière par un massif de pierres, de poutrelles liées avec la terre de caliman (terre grasse) de l’épaisseur de quinze ou seize pieds. Je me disposois en conséquence à la même manœuvre à peu près que celle que nous avions faite à Soupy. Heureusement le commandant de Mannepour nous en épargna la peine. Son logement étoit en arrière, plus élevé que la porte. Il étoit dans sa chambre, lorsqu’un boulet y entra par une petite fenêtre ; il en fut si effrayé qu’il demanda sur le champ à capituler. L’empereur et Camgarkhan envoyèrent aussitôt leurs pavillons pour prendre possession du fort ; mais le commandant ne voulut pas les recevoir et demanda que par une capitulation faite avec les Européens, il lui fut permis de se retirer avec sa garnison, armes et bagages, où bon lui sembleroit, ce qui fut accordé et exécuté sans différer. Je fis en conséquence arborer notre drapeau sur la porte. Nous bordâmes la haie pour laisser sortir la garnison forte d’environ neuf cens hommes, et lui ayant donné le tems de disparoître, l’empereur prit possession du fort. Nous n’y trouvâmes aucun canon de quelque calibre que ce fut. Il fallut donc renvoyer l’entreprise sur Tékary. Nous eûmes à cette affaire un officier d’artillerie, M. de La Ville Marterre blessé au talon d’un coup de caytoque, un soldat et deux sipayes blessés légèrement.

Année 1761.
Bataille d’Elsa. Law est fait prisonnier.

Nous passâmes le reste de l’année et les premiers jours de 1761 à courir ainsi de côtés et d’autres au profit seul de Camgarkhan qui       Janvier. rançonnoit tous les chefs de villages qui tomboient sous sa main. Cependant nous apprîmes que Cassimalikhan et les Anglois se disposoient à marcher sur nous. Au lieu de nous éloigner de Patna, Camgarkhan qui sans doute avoit ses vues, par plusieurs marches très fatiguantes, qui me paroissoient n’avoir aucun but déterminé, nous en mit si près que nous entendions clairement le canon de l’armée campée devant Patna.

Le 14 Janvier, après avoir traversé des chemins très mauvais entrecoupés de ravins, toute l’armée campa à Helsa, petit village à sept ou huit cosses dans le sud de Patna. L’après midy même, les arcaras vinrent avertir que l’ennemi avoit fait une marche en avant et seroit sur nous le lendemain matin. L’armée angloise [commandée par le major Carnac], étoit forte de six cens cinquante Européens, infanterie et artillerie, et de cinq à six mille sipayes, l’élite de leur milice indienne ; elle avoit quinze ou seize pièces de canon du calibre de quatre à douze. L’armée de Cassimalikhan étoit formée du meilleur choix de cavalerie qu’il avoit pu faire, elle devoit aller à près de trente mille chevaux et quinze mille fusiliers du pays. Il est nécessaire de faire attention que du côté de l’ennemi, rien ne manquoit en hommes, chevaux, armes et munitions de toutes espèces ; tout étoit de choix, tout le monde étoit payé dans l’armée de Cassimalikhan. C’étoit un nouveau nabab qui n’avoit pas encore eu le tems de se faire des ennemis dans le pays, et qui, pour réussir dans une première expédition, avoit du sans doute ne point épargner le trésor que son prédécesseur avoit laissé. Du côté de l’empereur au contraire, tout manquoit, sans parler des soupçons de trahison, aux quels la conduite de Camgarkhan ne donnoit que trop lieu. L’armée du prince n’avoit absolument d’autre mousqueterie et artillerie que celle que je commandois, savoir 125 Européens en tout[12] et 200 sipayes, dix pièces de canon dont deux de trois livres de balles, deux de deux livres et six d’une livre. Sa cavalerie pouvoit aller à 35 à 40 mille hommes ; mais quels hommes ou plutôt quels chevaux ! Tirez de ce nombre vingt mille à peu près qui, comme attachés particulièrement à Camgarkhan, et à quelques autres chefs étoient assés bien payés, le reste ne recevoit pas un sol ; les chevaux n’étoient que des bidets ; les armes, les munitions de toutes espèces manquoient.

Sur l’avis reçu, le prince me fit appeller. Je lui dis naturellement que nous étions dans une très mauvaise position, qu’il falloit décamper ce jour même, que puisque par les négociations qui avoient été entamées, il n’y avoit eu rien de terminé jusqu’à présent, la marche de l’ennemi prouvoit assés qu’il vouloit en venir à la voye des armes, et qu’en ce cas j’osois l’assurer par tout ce que j’avois apperçu, que son armée seroit battue et mise en déroute, que le seul parti pour lui étoit de s’éloigner et de forcer l’ennemi à traiter de loin, jusqu’à ce qu’il se présentât quelque occasion favorable dont on put profiter. L’empereur ne dit mot ; Camgarkhan, à qui mon sentiment ne plaisoit pas, soutenu de trois ou quatre chefs ses confidents, me dit avec chaleur qu’il falloit combattre si l’ennemi se présentoit, que l’armée de l’empereur étoit en état de le repousser, qu’il n’y avoit pas un seul homme qui ne fut décidé à sacrifier sa vie pour son service et sa gloire. Il tint vingt propos dans ce goût, ajoutant qu’au surplus on auroit toujours le tems de se retirer s’il le falloit, que d’ailleurs il étoit plus que probable que Cassimalikhan et les Anglois ne venoient que pour arranger les affaires à l’amiable et à la satisfaction de l’empereur. Le prince prenant malgré lui un air gai et ouvert, dit tout ce qui lui vint à l’esprit, capable de flatter l’amour propre de Camgarkhan et de lui témoigner la plus grande confiance. Sur quoi Camgarkhan sous prétexte de donner des ordres se retira. Le prince me dit qu’il falloit nécessairement voir où tout cela aboutiroit : je me rendis promptement à ma troupe, où je donnai les ordres que je crus nécessaires pour la nuit, crainte de surprise.

Le lendemain 15 Janvier, dès la pointe du jour, nous eûmes avis que l’ennemi étoit en marche et qu’il alloit paroître. Aucune disposition n’avoit encore été faite par Camgarkhan, qui s’en embarassoit très peu. Il fut cependant d’abord décidé qu’on resteroit dans le camp. Sur quoi je fis placer la troupe à couvert, tant bien que mal, d’un rideau le long duquel je fis mettre le canon où je crus pouvoir en tirer meilleur parti. Sur les six à sept heures, on aperçut l’ennemi qui s’avançoit en bon ordre, traversant un canal bourbeux dont on auroit pu lui disputer le passage, si on s’y étoit pris de bonne heure ; mais tout avoit été négligé. On crut quelque tems que l’ennemi alloit camper le long de ce canal ; mais le voyant s’avancer, l’ordre fut donné de marcher à sa rencontre. Toute l’armée fut bientôt hors du camp, divisée en plusieurs corps de cavalerie à la tête desquels étoient sur leurs éléphants, l’empereur et le généralissime Camgarkhan et autres principaux chefs. À peine sorti du camp, on s’arrêta pour attendre l’ennemi, le tout dans la plus grande confusion ; on ne reconnoissoit aucune disposition de droite, de gauche, et du centre, rien qui eût l’air d’une armée qui veut attaquer ou même se défendre.

Un aide de camp m’apporta du général l’ordre de marcher en avant avec toute ma troupe, et de me placer dans un endroit qu’on me montra, éloigné de plus d’une grande portée de canon où, abandonnés à nous même, nous devions être exposés à tout le feu de l’artillerie angloise et même à être tournés par l’ennemi et à être enlevés d’un premier coup de main. [Nous fîmes quelques pas en avant pour obéir à l’ordre, mais ne voyant aucune disposition pour nous soutenir, je me doutois qu’on avoit envie de se débarasser de nous.] Je vis bien que c’étoit nous livrer. Je crus devoir rester où j’avois d’abord placé la troupe et le canon, sur une ligne à deux cens pas environ en avant de l’armée. D’ailleurs l’ennemi s’avançoit toujours. Les Anglois en tête, avec toute leur artillerie se trouvoient déjà à portée de nos pièces. Ils mirent au plus vite leurs canons en batterie, de droite et de gauche, d’où partit un feu croisé des plus vifs qui, en moins d’un quart d’heure, ayant tué beaucoup de monde, plusieurs éléphants et chevaux, entre-autres un des miens, fit faire volte face à l’armée du prince. Camgarkhan à la tête prit la fuite à toutes jambes sans laisser qui que ce soit pour nous soutenir. Le feu de l’ennemi vis à vis duquel le nôtre ne brilloit pas continuoit toujours ; nous n’eûmes d’autre parti à prendre que de nous retirer ; ce que nous fîmes en assés bon ordre. Nous avions déjà eu quelques soldats et sipayes tués, une pièce de canon démontée que nous laissâmes sur le champ de bataille. Nous gagnâmes le village (Helsa) qui nous mit quelque tems à couvert. Comme l’ennemi s’étoit mis en marche pour nous poursuivre, nous fûmes arrêtés par des ravins et des canaux pleins de vase, où toutes nos pièces de canon se trouvèrent embourbées. Comme j’étois occupé à les faire dégager, les Anglois nous atteignirent et nous tournèrent de manière à couper toute retraite. Alors je me rendis prisonnier, avec trois ou quatre officiers et trente ou quarante soldats qui étoient aux pièces avec moi. Ce fut vers les quatre heures après midy du 15 Janvier 1761, moment qui ne pouvoit que m’être funeste et dont je ne pouvois guère éviter la maligne influence, puisque c’étoit celui de la reddition de Pondichéry[13], dont cependant j’étois éloigné de plus de trois cents lieues de chemin. Je perdis à cette journée tous mes bagages et beaucoup d’effets même précieux, surtout les papiers que j’avois reçus du prince[14].

Le lendemain matin, comme l’armée angloise se mettoit en marche à la poursuite de l’empereur Cha-Alem, le major Carnac de qui je ne peux m’empêcher de le dire en passant, je reçus toutes les marques possibles de politesse et d’attention, me fît partir pour Patna où je trouvai dans M. Macgwire, qui y commandoit pour les Anglois, un ancien ami qui me reçut avec la plus grande générosité, jusqu’à me forcer d’accepter, sans billet, une somme de 200 roupies d’or, dont en effet j’avois besoin pour mes dépenses particulières[15].

Conventions entre les Anglois et le Grand-Mogol.

Quelque tems après, j’eus avis que l’empereur Cha-Alem, poursuivi jusques à Gueya à trente cosses dans le sud de Patna par les Anglois et Cassimalikham, voyant enfin qu’il ne pouvoit plus compter sur son général Camgarkhan, avoit pris le parti[16] de se jeter entre les bras des Anglois, dans l’espérance que son sort soutenu du crédit et des armes de cette nation, deviendroit tel que sa naissance l’exigeoit. Il ne tarda pas en effet à être reconnu en sa qualité d’empereur. Il fut proclamé tel à Patna et dans le Bengale et les roupies furent frappées à son nom. Tout cela ne coûtoit plus rien aux Anglois ; il n’y avoit plus de François qui leur fissent ombrage, et quant aux affaires du côté de Dehly, l’ancien vizir Ghazioudinkhan n’étoit plus rien ; le trône n’étoit occupé que par le propre fils de Cha-Alem comme son lieutenant ; mais ce qui devoit leur coûter, ce qui cependant devoit naturellement revenir à Chah-Alem en sa qualité de Grand Mogol ou empereur, n’eut pas lieu : le paiement exact des revenus du Bengale et dépendances. On lui fit sans doute quelques belles promesses, mais on se contenta de fixer pour son entretien une somme annuelle de 12 laks de roupies. J’appris aussi que le reste des officiers et soldats qui étoient avec moi s’étoient dispersés et que la plupart avoient pris la route du Dékan.

Retour en France.

De Patna je me rendis en Mars à Calcutta chef lieu des Anglois dans le Bengale ; où à ma première visite au Colonel Coote, j’eus le chagrin de voir le grand portrait de Louis XV, qui avoit été enlevé de Pondicherry, faire le principal ornement de la salle, ce qui me fit comprendre tout de suite, la cause d’un bruit qui avoit couru parmi le peuple de Patna, que le Roi de France étoit arrivé prisonnier à Calcutta. Sur les questions que les gens du pays faisoient à ce sujet les Anglois répondoient bonnement qu’ils n’en savoient rien, que cela pouvoit être ; au reste ce bruit ne pouvoit que tomber bien vite de lui même et n’a jamais pu m’affecter autant que ce que j’ai souvent entendu dire à quantité de Seigneurs et notables de l’Inde sur le titre de Roi de France que prend le Roi d’Angleterre. Des peuples aussi éloignés de la France qui, dans le désastre général qu’a essuyé notre nation dans l’Inde, ne peuvent juger des choses que par ce qu’ils voyent, en tirent des conséquences qui doivent faire saigner le cœur de tout bon François.

Je me fixai à Chinchurat, l’établissement hollandois pour le reste de l’année, et jusqu’au départ des vaisseaux pour l’Europe. Dans l’intervalle j’eus occasion de remarquer dans les esprits des principaux de l’administration tant civile que militaire et politique de Calcutta, une division, une animosité qui sembloient annoncer une nouvelle révolution. Je m’embarquai en mars 1762 prisonnier sur le vaisseau le Warren, capitaine M. Glover, qui après avoir touché à Madras et à Ste Helenne, arriva à Portsmouth à la fin d’octobre sans autre rencontre que celle d’un bâtiment sans pavillon, qui nous parût être un corsaire de 30 pièces de canons. Marchant beaucoup mieux que nous, il alloit et venoit, nous croisoit à plaisir sans oser nous aprocher. Le troisième jour il nous quitta arborant le pavillon francois. Il est vrai que nous étions deux vaisseaux de compagnie angloise, ayant pris avec nous de Ste Hélenne le vaisseau le Duc d’York ; malgré cela, comme ils étoient l’un et l’autre très mal armés, je crois que le corsaire n’auroit pas eu grand peine à les enlever. Ce vaisseau, le Duc d’York pensa me coûter la vie ; M. Le Verrier, ancien directeur de la Compagnie de France à Surate étoit mourant sur ce vaisseau. M’ayant fait prier de venir lui parler, je me mis, toute de suite, dans la yole du Warren par une assez grosse mer ; arrivé le long du bord du Duc d’York je prends les tireveilles, et monte ; monté aux deux tiers les tire-veilles manquent et me voilà précipité heureusement sur la yole, dont les rameurs, avec leurs bras tendus arrêtèrent un peu la violence de la chute ; j’en fus quitte pour une contusion qui me fit souffrir quelques jours.

On se ressentoit encore à Portsmouth de toutes les fêtes matelotes, de tout le tapage qu’y avoit occasionné l’arrivée des deux vaisseaux anglois, avec leur prise le galion d’Espagne ; fêtes qui durèrent près de deux mois pendant lesquels on peut dire qu’il n’y eut que des honnêtes femmes dans Londres ; toutes les filles de cette grande ville s’étant transportées à Portsmouth pour aider les matelots des vaisseaux de guerre à dépenser leur part de prise[17].

J’y restai environ quinze jours. Comme les préliminaires de la paix avoient été signés le 3 novembre, j’eus ordre de me tenir prêt de passer en France sur un petit bâtiment de Cartel qu’on expédioit pour St Malo avec 60 et tant de matelots prisonniers qu’on renvoyoit. Je m’y embarquoi en effet, avec M. Fobin employé de la compagnie de France, qui étoit venu de Madras avec moi. Pour débuter, soit ignorance du patron, soit autre cause, nous fumes jettés, en sortant, sur une des pointes qui forment l’entrée du port, où nous restâmes plus d’une marée, couchés à plat sur le côté. Sortis de ce danger et les vents venant à nous manquer, nous mouillâmes l’anchre à l’isle Wight où le plaisir que j’eus à la parcourir me fit trouver assez courte les deux jours que nous y restâmes. De là, nous nous mîmes en devoir d’attaquer St Malo. Au moment d’entrer dans le port, les vents devinrent contraires et si violents que nous fûmes forcés de nous retirer à Jersey. Le lendemain, le surlendemain, mêmes manœuvres et mêmes contrariétés ; enfin le troisième jour nos matelots prisonniers, parmi lesquels il y en avoit plusieurs bons pilotes, qui connoissoient mieux cette côte de Bretagne que le patron anglois ; nos matelots, dis-je, désespérés de voir leur pays natal sans pouvoir y arriver, et craignant que rebuté de tant de courses inutiles, on ne les remît en prison, soit à Jersey, soit à Guernesey, jusqu’au printemps prochain, s’emparent de la barre du gouvernail et de toute la manœuvre. Le patron avec huit ou dix matelots anglois veulent faire les mauvais, on menace de les jetter par dessus bord. Arrive tombant à mes pieds le patron anglois qui d’un ton piteux me dit : Monsieur, vous êtes officier françois, je suis perdu si vous ne me soutenez contre cette révolte des matelots de votre nation. Ceux-ci m’avoient déjà fait la leçon et m’avoient fait comprendre que ne pouvant pas gagner St Malo, ils étoient néanmoins surs d’entrer dans un certain port nommé Breha dont assurément je n’avois jamais entendu parler et que le patron anglois ne connoissoit pas. J’avois beau regarder le côté qu’ils me montroient, je ne voyois partout que rochers affreux ; quoiqu’il en soit, persuadé qu’ils en savoient plus que moi, je dis au patron : Mon ami, laissons faire ces bonnes gens, ils n’ont certainement pas envie de périr, ils nous conduiront à bon port ; croyez moi, ne soyez pas inquiet et pour nous fortifier contre les dangers, allons avec M. Fobin achever ce qui nous reste d’un jambon. J’entrainai avec moi le patron, plus mort que vif, il en fut quitte cependant pour la peur. Nos pilotes françois nous entrèrent avec une dextérité merveilleuse en faisant mille sinuosités par un labyrinthe à travers de rochers innombrables, et nous nous trouvâmes au bout de deux ou trois heures mouillés dans le fond d’un port où nous étions en sûreté. Quelque tems qu’il pût faire, deux minutes après l’anchre jettée, il n’y avoit plus un seul de nos matelots françois à bord, ils avoient mis leurs hardes en paquet dans le canot du bâtiment, et s’étoient jettés la plupart à la nage pour gagner terre[18].

Nous voici donc restés à bord avec M. Fobin et mon domestique. J’avois avec moi ma fille, enfant de quatre à cinq ans, et un autre enfant à peu près du même âge, le petit Lametrie que je voulois remettre à son oncle à St Malo. Je ne connoissois personne dans Breha, d’ailleurs j’aurois eu beau y avoir quelque connoissance, tout le monde en étoit décampé à plus de deux lieues à la ronde ; pas une âme ne vint à bord pour nous reconnoitre. On avoit pris l’alarme ; nous voyant entrer avec grand pavillon anglois déployé, pavillon rouge au grand mât, on s’étoit imaginé que c’étoit une descente que faisoient les Anglois. J’avois bien apperçu dans le lointain en entrant comme une garde de 25 ou 30 hommes en habits bourgeoise ou paysans, armés de fusils qui étoient sur une hauteur, mais au moment du mouillage tout avoit disparu. Que faire ? Il n’y avoit pas moyen de sortir du port, les vents étoient absolument contraires ; nous fûmes obligés d’y rester sept jours.

Le second, ennuyé d’être à bord sans voir âme qui vive, nous nous avisâmes, M. Fobin, le patron et moi, suivi de mon domestique d’aller à terre pour nous promener du côté de Treiguier où il y avoit, disoit M. Fobin, un très ancien château appartenant à la famille de M. Villeneuve Sillars, major du bataillon de l’Inde, que M. Fobin avoit connu à Pondicherry ; il faisoit un froid excessif et nous étions tous en redingotte à l’angloise dont nous nous étions pourvus à Portsmouth. Nous ne vîmes personne, jusqu’à la moitié du chemin, alors nous aperçûmes là et là perchés sur des arbres bon nombre de paysans qui marmottoient entre eux ; heureusement mon domestique entendoit le bas Breton. C’étoit le maître voilier du vaisseau le {#St}} Contest dont j’avois obtenu la liberté dans le Bengale. Au moment que je m’y attendois le moins, je le vois courir, criant, « Monsieur n’avancez pas. » — Qu’y a-t-il donc mon ami ? » — « Monsieur, me dit-il, nous sommes en danger. Savez-vous qu’il est question de rien moins que de nous lapider. Voyez vous ces gens grimpés dans les arbres, ils ont chacun leurs poches ou tabliers remplis de pierres ; on croit qu’il y a une descente angloise à Bréha et comme nous sommes tous en redingote à l’angloise, on nous prend pour ennemis. » — « Parsembleu, va-t-en bien vite, mon ami, leur dire que je ne suis pas anglois mais bon françois ; explique leur bien qui nous sommes, et ce qu’est notre bâtiment. » Un moment après je vis tous les paysans dégringoler et s’assembler autour de mon bas breton. Il y en avoit bien deux cents ; il ne fallut qu’un mot d’explication et à l’instant, je les vis tous chantant et sautant me venir faire la révérence. Sans mon domestique je ne me serois jamais tiré de ce mauvais pas ; quelques uns comme escorte m’accompagnèrent jusques au château de Villeneuve que je trouvai curieux par son ancienneté ; les maîtres s’en étoient retirés à l’arrivée du cartel dans Bréha ; nous n’y vimes qu’une vieille servante qui nous reçut très bien, et un gros vilain mâtin qui, quelque langue que nous pussions lui parler, vouloit que nous fussions ennemis ; sans la vieille qui vint à bout de le chasser, il y auroit eu du sang répandu.

Les vents devenus favorables, nous sortimes à petites voiles du port de Bréha, et nous arrivâmes enfin à St Malo après avoir essuyé, je peux dire, plus de dangers depuis notre embarquement à Portsmouth que nous n’en avions couru depuis les Indes jusqu’en Angleterre.


  1. [Après avoir fait quelques tentatives pour surprendre la place.]
  2. Lors de la réception d’un présent que fait le prince, il faut toujours porter sur soi quelque chose qui ait rapport à l’espèce du présent. Si c’est un cheval, on passe la bride autour du bras ; si c’est un éléphant on se met précisément sous la trompe, tenant en main le conducteur ou le crochet de fer appuyé sur l’épaule.
  3. À la fin de juin.
  4. [Alemguir Sani fut assassiné sur la fin de 1759, quelques-uns prétendent que ce ne fut qu’en janvier 1760.]
  5. Ou plutôt Djehan-Shaw, attendu qu’il y avoit déjà eu un empereur du nom de Chadjihan. Ces deux noms signifient la même chose : roi du monde. (Autog.).
  6. Le prince étoit instruit depuis longtems de la mort de son père, mais on avait des raisons pour garder le silence. Sur le moment le Patane Abdaly étoit à Dehly ou plutôt marchoit sur Delhy. On voulut savoir quelles seraient les suites de son arrivée dans cette capitale et quelle serait sa réponse aux lettres que le chazada lui avait écrites en apprenant la mort de son père. Les réponses d’Abdaly vinrent quelques jours après la levée du siège de Patna. Elles contenaient des détails satisfaisants. Adbaly recommandait au prince de se faire proclamer sur le champ. De son côté, il avoit écrit à tous les soubahdars de l’Indoustan de reconnaître le chazada Aly gohor pour empereur sous le nom de Chah Alem. (Autog.).
  7. Ou lieutenant du Mir Bokchis, généralissime de l’Empire. Le titulaire était Nadjebkhan ou Nadjeboutdola qui étoit à Dehly, dans les intérêts de Chah-Alem. Camgarkham ne pouvoit être que son Naeb ou lieutenant. (Autog.)
  8. Les suites devinrent de jour en jour si intéressantes, qu’en janvier 1761, on vit le moment d’une révolution dans laquelle l’empire de l’Indoustan alloit passer des mains des Mahométans dans celles des Gentils.

    Abdaly ne trouvant d’abord en 1760 aucune opposition, entra avec toute son armée dans Dehly, où il se commit des cruautés, des horreurs plus révoltantes encore que celles du tems de Nadercha. Les Marates survenants, Abdaly sortit pour les combattre. Les Marates furent repoussés, mais non défaits. Une seconde armée marate plus forte que la première qui cependant étoit de cent mille chevaux, survenant encore, Abdaly crût alors devoir abandonner Dehly et passer le Gemna pour se mettre quelque tems à couvert, [et donner plus de facilité à une jonction générale de tous les Mahométans.] Les Marates entrant dans Dehly enchérirent sur les horreurs et cruautés de l’armée d’Abdaly. Ne voulant plus avoir rien à faire avec le vizir Ghazioudinkhan qui fut obligé de se sauver dans le pays des Djates, ils déposèrent et renfermèrent Chadjehan que ce vizir avoit placé sur le trône, et pour ne pas effaroucher quantité de chefs mahométans qui étoient dans leur armée, ils mirent à sa place Djouan Bockt, fils aîné du nouvel empereur Cha-Alem. Djouan Bockt ne prit pas de nom, il étoit comme lieutenant de son père. Cependant l’alarme se répandit de tous côtés chez les nababs et chefs du parti Mahométan. On sentoit où les Marates vouloient en venir. Soudjaotdola même n’ayant plus de compétiteur au vizirat par la retraite de Ghazioudinkhan, crut ne pouvoir se dispenser de marcher pour soutenir l’honneur de l’étendart de Mahomet. Il se joignit à Abdaly ainsi que tous les chefs Patanes et Mogols [établis dans le nord de Nndoustan], de sorte que l’armée mahométane se trouva de près de cent soixante mille cavaliers contre environ deux cens mille qu’avoient les Marates. On en vint enfin [au commencement de 1761] à une bataille générale et des plus sanglantes, où par la bravoure et la bonne conduite de Soudjaotdola, les Marates qui d’abord avoient eu un avantage presque décisif, furent entièrement défaits et poursuivis pendant plusieurs jours. Abdaly rappelle dans ses états du côté de la Perse confirma en partant Djouan Bockt sur le trône de Dehly, mais seulement comme lieutenant de son père Cha-Alem.

  9. Tout le Bengale et ses dépendances étoient ravagés, le commerce des Anglois étoit anéanti, les troupes sans paye ; les Anglois ne savoient où trouver de l’argent que leur refusoient les Chets mêmes, ces fameux banquiers, les premiers auteurs de l’importance de la nation angloise dans le Bengale, mais qui probablement avoient déjà eu lieu de s’en repentir. Un tel état des choses, pour peu qu’il eût duré, les perdoit entièrement. Il falloit donc un remède promt et violent. Mais auquel avoir recours ? On vit le moment où sacrifiant tout le système de gouvernement qu’ils avoient suivi jusques là, les Anglois alloient traiter directement avec le prince Cha-Alem. Les conditions furent même arrêtées par le gouverneur Holwell.

    Les Anglois demandoient pour la Compagnie des Indes le soubah de Bengale seul, dont ceux de Bahar et Crissa ne dipendroient plus, que le gouverneur de Calcutta eut le titre de soubahdar, de nizam, que le détachement françois qui étoit avec le prince leur fut livré et qu’aucune puissance européenne autre que la leur, ne put avoir des fortifications où des troupes dans le Bengale.

    Ils promettoient de leur côté de remettre régulièrement à l’empereur Cha-Alem les revenus du Bengale qui seroient réglé, de retirer la protection qu’ils donnoient à Mirdjaferalikhan, d’obéir aux ordres qui seroient émanés de la cour du Mogol, de joindre l’empereur Cha-Alem et de marcher sous ses ordres avec le plus de troupes blanches et noires qu’ils pourroient.

    Ce traité avoit bien des inconvénients et ne pouvoit que déplaire à bien du monde par raport aux soubahs de Bahar et d’Orissa qu’on abandonnait à la volonté de Cha-Alem ; on aima mieux prendre le parti de le laisser là, de déposer Mirdjaferalikhan, et d’élever un autre nabab qui leur fut plus attaché. (Autog.)

  10. Plusieurs ont attribué la mort de Miren aux intrigues de Kadem Houssen Khan où à celles du raja de Bettia.
  11. D’une manière très retirée, pour ne point choquer l’étiquette.
  12. Une partie des déserteurs du côté de Dehly étoient revenus me joindre.
  13. Ce fut le 15 janvier 1761 que M. Le Cte de Lally envoya M. Dure porter au colonel Coote les conditions qu’il demandoit pour la reddition de la place.
  14. L’addition suivante se trouve dans les manuscrits de l’India Office : beaucoup de notes et le dictionnaire persan que j’avois fait presque sur les seules lettres que j’avois reçues et celles que j’avois fait écrire depuis cinq ans : il contenoit déjà plus de quinze mille mots.
  15. Il n’est pas sans intérêt de comparer ce récit avec celui qu’en a laissé le vainqueur lui-même, le major Carnac, en deux lettres conservées à l’India Office et datées l’une du 17 janvier et l’autre du 4 avril 1761.

    N° l

    Extract from letter from and to Major Carnac. 17 janv. 1761. From Major Carnac. — « I did myself the honour the day before yesterday of acquainting you with our success against the Shahzada. I now send the list missing * of European prisoners I have taken with the copy of the parole subscribed to by Mons. Law and other gentlemen. The prisoners I despatched this morning to Patna under an escorte of two companies of sepays and desired Mr Mc Gwire to send them down to Calcutta as soon as possible except ten men, nine where of were deserters from us and pardoned by me at Mr Law’s earnest request and one offered to list with us. There I left to Mr Mc Gwire’s option whether to keep with him or not. Mr Law’s whole artillery consisting of eight light pièces of cannon fell into our hands, but they were lodged in a kind of Bog, whence they could not be moved without detaining our army which I could not do at this juncture upon any account. I therefore ordered all the carriages to be burnt and left the cannon till we have more leizure to take them away. It gives me particular pleasure to inform you that we have not lost a man in the action, but a few of the nabob’s troops who had got up near of one of the french tumbrils. It seems the enemy had laid a train to it in hopes of its catching while our Europeans were storning the battery, but fortunately we were advanced two or three hundred yards in the pursuit before it had effect, and the whole shock, was sustained by the foremost of the Nabob’s troops, who were blown up to the number of near four hundred, whereof seventy or eighty died on the spot… I must observe to the honour of your troops, both Europeans and Sepays that when they advanced upon the french guns, tho’they were totally expired to them above the distance of four hundred yards and had they been properly pointed must have been galled considerably by them, yet they never deigned to take their muskets from their shoulders… While I am writing a french soldier, wounded in the action, has been brought in time, and I expect as we move so closely after the enemy to pick up more of them. »

    * Cette liste manque à l’India Office.

    Lett. 9 Feb. 1761. — To Major Carnac. — « Lieutenant Perry arrived the 6th instant with 43 French prisoners under his charge and six of the officers, of whose parole you sent me the copy. »

    (India Office. Bengal Secret and military consultation.)

    N° 2

    Extract from a letter dated 4 April 1761 from Major John Carnac to Colonel Eyre Coote.

    « Such was my situation when the day long expected arrived that we were to meet the enemy, who appeared on the 13th of jany on the banks of the Suan a river which runs about three Coss west of Patna… The pursuit of the enemy continued about four miles and deprived them of part of their baggage ; when at lenght coming near enough to observe that the french troops brought up and endeavoured to cover their rear, I determined at ail events to make one effort at them, that their escape at least might he prevented with the rest. The guns were therefore dropped behind under the guard of a battalion of sepoys, and with the Europeans and the remainder of the sepoys I made a push at Mr Law. The french played six pièces of artillery upon us as we advanced, but being levelled too high the balls flew over us. Our Europeans, much to their credit, marched up to and passed these guns with shouldered arms. The french battalion fell into disorder and broke before our musketry could reach them. Not a shot was fired on our side nor did we lose a single man. Mr Law with several of his offîcers et about fifty men were then taken, and the remainder some time after surrendered. »

    (India Office. Orme mss. VIII. p. 2007-2008.)

  16. Ce fut dans le courant du mois de février 1761.
  17. Nous devons à l’obligeance de M. Hill communication de différents extraits du Gentleman’s Magazine (années 1762 et 1763), relatifs à ce galion. Il s’appelait l’Hermione, et avait été capturé le 21 mai 1762 par les deux frégates anglaises Favourite et Active ; il contenait près de 12 millions d’argent déclaré et une valeur considérable d’argent non déclaré, sans compter une quantité importante de cacao et d’autres marchandises de prix. L’Hermione arriva à Spithead le 27 juillet ; après que le trésor eût été transporté à la Tour de Londres, on s’occupa du partage du butin. Chaque matelot reçut, en trois versements successifs, la somme de 1.250 livres sterling. Que Law de Lauriston, arrivé à Portsmouth quelques jours après une première répartition de 400 livres (elle avait été faite le 4 novembre), ait trouvé la ville dans l’état qu’indique son Mémoire, il n’y a là rien qui doive surprendre.
  18. Ils furent tous du côté de St-Brieux, se présenter au commissaire.