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Mémoires (Saint-Simon)/Tome 2/Notes

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NOTES.


I. HOMMAGE LIGE ET HOMMAGE SIMPLE.


Page 138.


L’hommage était la cérémonie dans laquelle un vassal se reconnaissait l’homme de son seigneur, et prêtait serment de fidélité entre ses mains. On distinguait deux espèces d’hommage : l’hommage simple ou franc, et l’hommage lige, par lequel le vassal se liait plus étroitement a son seigneur. Pour l’hommage simple, le vassal se tenait debout, gardait son épée et ses éperons, pendant que le chancelier lisait la formule du serment. Le vassal se bornait à répondre, quand la lecture était terminée : Voire (verum, c’est vrai). Celui qui devait l’hommage lige ne gardait ni éperons, ni baudrier, ni épée. Il fléchissait le genou devant son seigneur, mettait les mains dans les siennes, et prononçait la formule suivante, qui nous a été conservée par Bouteiller, dans sa Somme rurale : « Sire, je viens à votre hommage et en votre foi, et deviens votre homme de bouche et de mains. Je vous jure et promets foi et loyauté envers tous et contre tous, et garder votre droit en mon pouvoir. »

L’hommage rendu par un noble était souvent terminé par un baiser. De là l’expression devenir l’homme de bouche et de mains, que l’on trouve dans la formule précédente. Si le vassal, lorsqu’il se présentait pour rendre hommage, ne trouvait pas son seigneur à son logis, il devait accomplir certaines formalités, qui variaient avec les coutumes. D’après les lois de quelques contrées, il devait heurter trois fois à la porte du manoir seigneurial et appeler trois fois. Si l’on n’ouvrait pas, il heurtait l’huis (la porte) ou le verrou de la porte, et récitait la formule de l’hommage comme si le seigneur eût été présent. La formalité de l’hommage était alors regardée comme légalement


II. L’ABBÉ D’ALBRET ET L’ABBÉ LE TELLIER.


Page 165.


Saint-Simon dit (t. II, p. 165) que lorsque l’abbé d’Albret, plus tard cardinal de Bouillon, soutint ses thèses en Sorbonne, l’abbé Le Tellier était déjà coadjuteur de l’archevêque de Reims. Il y a dans ce récit une erreur chronologique. L’abbé d’Albret soutint ses thèses le 29 février 1664, et ce fut plus de quatre ans après, le 30 mai 1668, que l’abbé Le Tellier devint coadjuteur de l’évêque-duc de Langres, et ensuite de l’archevêque-duc de Reims. Comme ces faits ont une certaine importance dans le récit de Saint-Simon, et que d’ailleurs on ne connaît qu’assez imparfaitement ces détails, je citerai deux passages du Journal inédit d’olivier d’Ormesson, qui fixent avec la dernière précision l’ordre chronologique. L’auteur raconte d’abord les incidents de la thèse de l’abbé d’Albret.

« Le vendredi 29 février 1664, l’après-dînée, je fus en Sorbonne à l’acte de M. le duc d’Albret[1], neveu de M. de Turenne. M. l’archevêque de Paris présidoit[2]. Le répondant se couvroit quelquefois comme étant prince, et la chose avoit été ainsi résolue en Sorbonne, dont les jeunes bacheliers de condition étoient fort offensés, et avoient fait ligue entre eux de ne point disputer. J’ai su depuis que l’abbé de Marillac seul, des bacheliers de condition, avoit disputé, M. le premier président l’ayant voulu absolument pour obliger M. de Turenne ; que les autres lui avoient fait reproche ; que l’abbé Le Tellier s’étoit le plus signalé, ayant dit beaucoup de choses fort désobligeantes. »

On voit que l’abbé Le Tellier n’étoit encore promu à cette époque à aucune dignité ecclésiastique. Ce fut seulement le 30 mai 1685[3], comme l’atteste le même Journal, qu’il devint coadjuteur de l’évêque duc de Langres, et quelques jours plus tard de l’archevêque-duc de Reims. « Le jeudi 14 juin 1668, dit Olivier d’Ormesson, je fus faire mes compliments à M. l’abbé Le Tellier sur la coadjutorerie de l’archevêché de Reims. Il en témoignoit une joie très-grande, comme d’un établissement très-élevé et beaucoup au delà de ses espérances. Il y avoit longtemps que l’on ménageoit cette coadjutorerie avec le cardinal Antoine[4], et l’on croit que celle de Langres a fait réussir la seconde, parce que M. Le Tellier ayant obtenu l’agrément de M. le cardinal Antoine, il le dit au roi, et marqua que la coadjutorerie de Reims étoit un même titre de duché que Langres ; une plus grande dignité, étant archevêché ; et néanmoins qu’il ne désiroit l’une plus que l’autre que parce que celle de Reims n’étoit qu’à deux journées de Paris, et celle de Langres beaucoup plus éloignée ; et ainsi, sans faire une grande différence de ces deux grâces, le roi lui accorda sur-le-champ celle de Reims. Tout le monde considère cette grâce comme trop considérable pour M. l’abbé Le Tellier, à son âge, etc., et que c’étoit un effet et de la bonne fortune de M. Le Tellier, et de la puissance que les trois ministres ont sur le roi[5] ; car ils font chacun tout ce qu’ils veulent pour leur intérêt. »


III. NOTE DE MM. DE DREUX-NANCRÉ ET DE DREUX-BRÉZÉ, ÉTABLISSANT QUE M. DE DREUX ÉTAIT DE GRANDE ET ANCIENNE MAISON


Page 314.

MM. de Dreux-Nancré et de Dreux-Brézé ont adressé la réclamation suivante :

M. le duc de Saint-Simon mentionne, année 1699, que « M. Dreux devint le marquis de Dreux aussitôt après son mariage avec Mlle de Chamillart, et lorsqu’il fut pourvu de la charge de grand maître des cérémonies, prenant (sans prétexte de terre) le titre de marquis, etc. »

Cependant la terre de Brézé avait été érigée en marquisat des l’année 1685, pour Thomas de Dreux, père de celui qui, le premier de sa famille, fut grand maître des cérémonies ; cette érection fut enregistrée à la chambre des comptes le 23 juillet suivant, et au parlement le 5 août 1686.

Des titres originaux, dont l’extrait se trouve déposé aux archives du royaume, remontent par tous les degrés de filiation jusqu’à Pierre de Dreux, écuyer, seigneur de Ligueil, vivant en 1406.

Une donation faite le 7 juillet 1472, par Thomas de Dreux, écuyer seigneur de Ligueil, à Simon de Dreux, écuyer, son fils aîné et principal héritier, établit que le susdit Thomas de Dreux donne, etc., ainsi qu’il a reçu japieça. (depuis longtemps) de feu Pierre de Dreux, son père, vivant, écuyer, seigneur de Ligueil, et de son oncle messire Simon de Dreux, chevalier, maître de l’houstel du roi. Cet acte fut fait en présence dudit Thomas de Dreux et de son oncle, messire Jean de Garquesalle, grand maître de l’ecurie du roi Louis XI.

Les titres de M. de Dreux avaient été vérifiés au parlement de Bretagne le 13 juin 1669, ainsi que par l’assemblée des commissaires généraux, tenue à Paris les 28 janvier 1700 et 22 mars 1703.


IV. NOTE DE M. LE MARQUIS DE SAUMIERY, RELATIVE À JOHANNE DE LA CARRE DE SAUMERY, SON ANCÊTRE.


Page 333.


Arrière-petit-fils de M. de Saumery, attaqué par M. le duc de Saint-Simon, j’ai cru que mon honneur n’imposait la loi de rendre publique ma justification quand l’injure l’étoit.

J’ignore quels étaient les motifs de M. de Saint-Simon, mais la manière dont est tracé le portrait de Saumery fait assez voir combien il y a mis de partialité. Des traditions de famille, l’estime générale dont jouissait le marquis de Saumery, la confiance dont l’honora Mgr le duc de Bourgogne, son intimité avec les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, l’un son neveu, l’autre son cousin germain ; enfin, l’amitié du vertueux Fénelon, suffisent pour faire apprécier à leur juste valeur toutes les assertions dont il est l’objet.

Les couleurs employées pour peindre Mme de Saumery[6] ne sont pas moins noires, et cependant cette femme si dissolue, selon M. de Saint-Simon, fut la meilleure des mères. Elle fut toujours l’amie de sa nièce, la vertueuse duchesse de Beauvilliers[7], et l’affection que lui portait sa cousine de Navailles[8], de toutes les femmes de la cour la plus universellement révérée, ne se démentit jamais. Enfin la pieuse reine Marie Leczinska la traita toujours avec une bienveillance particulière.

Quant à la naissance, possédant des preuves matérielles, il m’est facile de rétablir les faits. Ces preuves ne sont point fondées sur des généalogies, faites souvent avec peu de scrupule ; elles sont établies sur des actes et sur les registres des églises de Chambord et de Huisseau-sur-Cosson, paroisse dans laquelle est situé le château de Saumery ; tout le monde peut donc, sur les originaux mêmes, s’assurer de l’inexactitude des assertions de M. de Saint-Simon. Je parlerai peu de ma famille avant son établissement en France, mon intention n’étant point de faire ici une généalogie, mais seulement de prouver que le premier des Johanne qui se fixa dans le Blaisois n’a jamais été et n’a jamais pu être valet d’Henri IV. S’il fût effectivement né dans l’état de domesticité, je ne serais pas assez vil pour chercher à prouver le contraire. L’homme qui, de cette condition, se serait élevé aux emplois de premier président de la chambre des comptes de Blois et conseiller d’État, eût eu plus de mérite sans doute que celui qui ne les obtint peut-être que par sa naissance.

La maison de Johanne de La Carre de Saumery est originaire de Béarn ; elle possédait de toute ancienneté dans la ville de Mauléon un hôtel noble, appelé de Johanne et de Mauléon, duquel dépendaient des fiefs, terres, etc. Les armoiries propres de Johanne sont de gueules au lion d’or. (Voir, pour vérifier les armes, l’Histoire des grands officiers de la couronne, tome IX, page 92, promotion des chevaliers de l’ordre du Saint-Esprit du 31 décembre 1585, au nom Giraud de Mauléon, et à celui de Johanne dans le Nobiliaire de France.)

Vers l’an 1566, Arnault de Johanne, seigneur de Johanne de Mauléon, ayant épousé Gartianne de La Carre, sœur de Ménault de La Carre, aumônier du roi, et nièce de Bernard de Ruthie, abbé de Pontelevoy, nommé grand aumônier de France le 1er juillet 1552, les armes de Johanne furent écartelées de celles de La Carre, qui sont partie au premier d’azur à trois faces d’or, au deuxième de sable à trois coquilles d’argent posées en pal.

Le seul des seigneurs de Johanne qui quitta le Béarn, pour se fixer en France, fut Arnault II[9], bisaïeul de M. de Saumery. Il fut appelé en 1579, très-jeune encore, par son oncle l’abbé de La Carre, résidant à sa terre des Veaux, paroisse de Cour-Cheverny, non loin du château de Saumery, qu’il acquit d’Antoine de Laudières, gentilhomme de la maison du roi ; ledit abbé de La Carre, ayant acquis la seigneurie de Saumery le 13 avril 1583, laissa cette terre à son neveu Arnault, lequel devint dès lors seigneur de Saumery, et ajouta à son nom celui de La Carre[10]. Il fut pourvu de la charge de premier président de la chambre des comptes de Blois à l’âge de vingt-six ans, sur la démission de Merry de Vic, qui fut garde des sceaux de France[11]. Nommé conseiller d’État le 27 avril 1616, il prêta le serment entre les mains du chancelier de Sillery, le 29 du même mois.

Arnault II épousa en 1592 Cyprienne de Rousseau de Villerussien, fille de Claude de Rousseau de Villerussien, écuyer du roi[12] ; il testa par acte du 25 mai 1631[13].

Son [ils François de Johanne, chevalier, seigneur de Saumery, etc., capitaine des chasses du comte de Blois, conseiller d’État, gouverneur du château royal de Chambord, premier gentilhomme de la chambre de S. A. R. Gaston de France, duc d’Orléans, frère de Louis XIII, naquit au château de Saumery le 23 novembre 1593, et fut baptisé dans la chapelle le 24 du même mois[14]. Il épousa, en 1618, Charlotte de Martin de Villiers, fille de Daniel de Martin, écuyer, seigneur de Villiers[15] De ce mariage est né Jacques de Johanne de La Carre, chevalier, marquis, seigneur de Saumery, écuyer de S. A. R. Gaston de France, duc d’Orléans, mestre de camp du régiment d’Orléans, gouverneur de Chambord, maréchal des camps et armes du roi, grand maître des eaux et forêts, gouverneur de Blois (première provision en date du 15 février 1650) et conseiller d’État. Il fut baptisé dans la chapelle du château de Saumery le 23 octobre 1623[16]. Il épousa, le 6 février 1650, Catherine de Charron de Nozieux, fille de Jacques Charron de Nozieux et sœur de Mme de Colbert.

C’est de ce mariage qu’est issu Jacques-François de Johanne de La Carre, marquis de Saumery, sur la personne et sur l’extraction duquel le duc de Saint-Simon a répandu tant d’erreurs. La mère de M. de Saumery n’était point une petite bourgeoise de Blois ; la maison de Charron était noble. Elle est alliée passivement à celles de Colbert, de La Poupelinière, du Gué de Bagnols, de Longueu, de Castellane, de Novejan, de Lastic ; et de ces alliances sont descendus, de la maison de Charron, les Montmorency-Fosseux, les Talleyrand-Périgord, les Chabannes-Curton, les Duchillau, les d’Albert de Luynes, les Mortemart et la dernière duchesse de Gesvres, née du Guesclin.

Si, avant d’assurer un fait, M. de Saint-Simon avait bien voulu faire des recherches, il se serait facilement convaincu que non-seulement le brevet de gouverneur de Chambord, mais encore ceux des autres maisons royales, portaient anciennement pour souscriptions : Jardinier, concierge, capitaine, etc.

Vivant sans ambition, ce ne sont point des titres que je viens revendiquer, c’est la vérité seule que je veux et devais rétablir. Cette tâche, pénible pour un homme qui n’est et ne veut pas être en évidence, une fois remplie, je dois rendre hommage à la loyauté de M. le marquis de Saint-Simon, pair de France, etc., auquel j’ai adressé ma réclamation, et qui n’autorise à faire insérer cette note.


  1. Emmanuel-Théodose de La. Tour, né en 1644, mort en 1715. Il fut nommé cardinal en 1669, et porta depuis cette époque le nom de cardinal de Bouillon.
  2. L’archevêque de Paris était alors Hardouin de Péréfixe, dont Saint-Simon parle à l’occasion de cette soutenance.
  3. « Le mercredi 30 mai. M. l’abbé Le Tellier est coadjuteur de M. l’évêque et duc de Langres. » Journal d’Olivier d’Ormesson.
  4. Antonio Barberini, archevêque-duc de Reims.
  5. Les trois ministres principaux étaient alors Le Tellier, Colbert et de Lyonne. Louvois n’avait pas encore le titre de secrétaire d’État.
  6. Marguerite-Charlotte de Montlezun de Besmeaux, était fille du marquis de Montlezun de Besmeaux, des seigneurs de Projan, comtes de Champagne, issus des seigneurs de Saint-Lary, puînés des comtes de Pardillac sortis des comtes d’Astarac, cadets des ducs héréditaires de Gascogne ; il descendait de mâle en mâle au vingt-deuxième degré de génération de Garcie Sanche, surnommé le Corbé, troisième duc héréditaire de Gascogne qui unit à son duché le comté de Bordeaux en 904.
  7. Henriette-Louise Colbert, duchesse de Beauvilliers.
  8. Suzanne de Baudéan Parabère, duchesse de Navailles.
  9. Il est qualifié noble écuyer seigneur dans vingt-deux actes de l’ég1ise de Huisseau, depuis le 3 avril 1580 jusqu’au 26 avril 1619, et, selon les mêmes registres, il était déjà en possession de la seigneurie de Saumery avant le 8 janvier 1590.
  10. Le nom et les armes de La Carre furent ajoutés à ceux de Johanne, en conséquence d’un acte expédié par le lieutenant général du bailliage et gouvernement de La Carre en Soule, le 23 juillet 1613. par lequel Jean d’Arbède, chef de la maison de La Carre, autorisa son neveu, Arnault, à ajouter ses armes et son nom aux armes et nom de Johanne (inventorié en original au château de Saumery, par Bourreau, notaire de Blois, le 5 juin 1709 et jours suivants, côté 263).
  11. Voy. preuves de l’antiquité de la chambre des comptes de Blois.
  12. Voy. Bernier, Histoire de Blois, page 631.
  13. Voy. la sentence arbitrale entre MM. de Colbert de Saumery et de Menars du 3 septembre 1671, déposée le même jour chez de Beauvais, notaire au Châtelet de Paris.
  14. Voy. registres de l’église paroissiale de Huisseau.
  15. Elle était arrière-petite-fille de Christophe de Martin, écuyer, seigneur de Villeneuve, et d’Anne Compaing de Fresnay. De cette maison était Marie Compaing. fille de Nicolas Compaing, seigneur de Fresnay, chancelier de Navarre, qui épousa le 29 avril 1593. Leclères II, baron de Juigné, d’où sont descendus MM. de Juigné actuellement vivants.
  16. Voy. registres de Huisseau.