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Mémoires (Saint-Simon)/Tome 20/1

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CHAPITRE PREMIER.


Mort de la duchesse d’Aumont (Guiscard). — Mort et caractère de l’abbé Fleury. — Mort du duc d’Estrées ; du comte de Saillant. — Marquis d’Alègre gouverneur des Trois-Évêchés. — Mort de la comtesse de Châtillon ; de l’abbé de Camps ; du P. Daubenton à Madrid. — Le P. Bermudez confesseur du roi d’Espagne ; son caractère. — Mort du cardinal Dubois. — Ses richesses. — Ses obsèques. — Son esquisse. — Sa conduite à s’emparer de M. le duc d’Orléans. — Ses négociations à Hanovre et en Angleterre, et son énorme grandeur. — Sa négociation en Espagne ; causes de sa facilité. — Son gouvernement. — Ses folles incartades. — M. le duc d’Orléans, fort soulagé par la mort du cardinal Dubois, est fait premier ministre. — Le roi l’aimoit, et point du tout le cardinal Dubois.


Plusieurs personnes moururent en ce même temps :

La duchesse d’Aumont, fille unique et héritière de Guiscard, à trente-cinq ans, d’une longue maladie de poitrine, le 9 juillet ;

L’abbé Fleury, sous-précepteur des enfants de France, qui avoit été premier confesseur du roi, célèbre par son Catéchisme historique, par d’autres ouvrages, surtout par son Histoire de l’Église, qu’il n’a pu conduire au delà du concile de Constance, et par les excellents discours qu’il a mis à la tête de chaque volume, en manière de préfaces, respectable par sa modestie, par sa retraite au milieu de la cour, par une piété sincère, éclairée, toujours soutenue, une douceur et une conversation charmante, et un désintéressement peu commun. Il n’avoit que le prieuré d’Argenteuil, près de Paris, et n’avoit jamais voulu plus d’un bénéfice, quoiqu’il eût fort peu d’ailleurs. Il avoit quatre-vingt-trois ans, avec la tête entière, et vivoit depuis longtemps dans la plus parfaite retraite ;

Le duc d’Estrées à quarante ans. Il étoit fils unique du dernier duc d’Estrées et petit-fils du duc d’Estrées, mort ambassadeur à Rome. C’étoit un homme qui avoit passé sa vie dans la plus basse et la plus honteuse crapule, et qui n’étoit pas sans esprit, mais sans aucun sentiment, et qui s’étoit ruiné. Il ne laissa point d’enfants de la fille du duc de Nevers qu’il avoit épousée, et sa dignité de duc et pair passa au maréchal d’Estrées, cousin germain de son père, fils des deux frères ;

Le comte de Saillant, lieutenant général et lieutenant-colonel du régiment des gardes françaises, gouverneur et commandant des Trois-Évêchés [1]. C’étoit un homme de qualité fort brave et fort honnête homme, mais court à l’excès, que Harlay, intendant de Metz, avoit désolé tant qu’il y fut, et qui, pour s’en divertir, l’avoit fait tomber dans les panneaux les plus ridicules. Le marquis d’Alègre eut le gouvernement des Trois-Évêchés sans y aller commander ;

La comtesse de Châtillon, dont le mari est depuis devenu duc et pair et tant d’autres choses. Elle n’avoit que trente-un ans. Elle étoit fille du feu chancelier Voysin, et ne laissa qu’une fille qui [a] été depuis duchesse de Rohan-Chabot ;

L’abbé de Camps, à quatre-vingt-trois ans, si connu par sa fortune et par sa littérature, dont il a été parlé ailleurs amplement ici ;

Le P. Daubenton, confesseur du roi d’Espagne, au noviciat des jésuites de Madrid, où il fut enterré en grande pompe, et fort peu regretté. Il mourut le 7 août, à soixante-seize ans. L’incartade que lui fit le cardinal Dubois, qui a été racontée ici il n’y a pas longtemps, et sa cause coûta cher à la France. Daubenton, jésuite françois, avoit toujours gardé de grandes mesures avec notre cour ; mais outré contre le cardinal Dubois, il voulut le faire repentir de l’insulte qu’il en avoit si mal à propos reçue, et ne sut faire pis, se voyant mourir, que de persuader au roi d’Espagne de prendre pour confesseur le P. Bermudez, jésuite espagnol, qui fut nommé le lendemain de sa mort. Bermudez, Espagnol jusque dans les moelles, haïssait la France et les François, étoit secrètement attaché à la maison d’Autriche et lié avec toute la cabale italienne ; maître jésuite d’ailleurs, qui avoit été provincial de la province de Tolède où est Madrid, de sorte qu’il ne se pouvoit faire un plus pernicieux choix pour les intérêts de la France, ainsi qu’il y parut depuis en toutes occasions. Il étoit un des plus ordinaires prédicateurs de la chapelle, où j’ai ouï très souvent ses sermons sans en rien entendre, parce qu’ils étoient en espagnol ; mais le ton, le geste, le débit me parurent d’un grand prédicateur. On prétendoit assez publiquement qu’il prêchoit de mot à mot les sermons du P. Bourdaloue traduits en espagnol. Il ne pouvoit mieux choisir ; mais les siens étoient plus courts. Il y a eu tant d’occasions de parler ici du P. Daubenton que je ne crois pas avoir rien à y ajouter.

Le cardinal Dubois n’eut pas le plaisir d’apprendre sa mort. Il le suivit trois jours après à Versailles. Il avoit caché son mal tant qu’il avoit pu, mais sa cavalcade à la revue du roi l’avoit aigri au point qu’il ne put plus le dissimuler à ceux de qui il pouvoit espérer du secours. Il n’oublia rien cependant pour le dissimuler au monde ; il alloit tant qu’il pouvoit au conseil, faisoit avertir les ambassadeurs qu’il irait à Paris, et n’y alloit point, et chez lui se rendoit invisible, et faisoit des sorties épouvantables à quiconque s’avisoit de lui vouloir dire quelque chose dans sa chaise à porteur entre le vieux château et le château neuf où il logeoit, ou en entrant ou sortant de sa chaise. Le samedi 7 août, il se trouva si mal que les chirurgiens et les médecins lui déclarèrent qu’il lui falloit faire une opération qui étoit très urgente, sans laquelle il ne pouvoit espérer de vivre que fort peu de jours, parce que l’abcès, ayant crevé dans la vessie le jour qu’il avoit monté à cheval, y mettroit la gangrène, si elle n’y étoit déjà, par l’épanchement du pus, et lui dirent qu’il falloit le transporter sur-le-champ à Versailles pour lui faire cette opération. Le trouble de cette terrible annonce l’abattit si fort qu’il ne put être transporté en litière de tout le lendemain dimanche 8 ; mais le lundi 9, il le fut à cinq heures du matin.

Après l’avoir laissé un peu reposer, les médecins et les chirurgiens lui proposèrent de recevoir les sacrements et de lui faire l’opération aussitôt après. Cela ne fut pas reçu paisiblement ; il n’étoit presque point sorti de furie depuis le jour de la revue ; elle avoit encore augmenté le samedi sur l’annonce de l’opération. Néanmoins, quelque temps après, il envoya chercher un récollet de Versailles avec qui il fut seul environ un quart d’heure. Un aussi grand homme de bien, et si préparé, n’en avoit pas besoin de davantage. C’est d’ailleurs le privilège des dernières confessions des premiers ministres. Comme on rentra dans sa chambre, on lui proposa de recevoir le viatique ; il s’écria que cela étoit bientôt dit, mais qu’il y avoit un cérémonial pour les cardinaux qu’il ne savoit pas et qu’il falloit envoyer le demander au cardinal de Bissy à Paris. Chacun se regarda et comprit qu’il vouloit tirer de longue ; mais comme l’opération pressoit, ils la lui proposèrent sans attendre davantage. Il les envoya promener avec fureur et n’en voulut plus ouïr parler.

La faculté, qui voyoit le danger imminent du moindre retardement, le manda à M. le duc d’Orléans, à Meudon, qui sur-le-champ vint à Versailles dans la première voiture qu’il trouva sous sa main. Il exhorta le cardinal à l’opération, puis demanda à la faculté s’il y avoit de la sûreté en la faisant. Les chirurgiens et les médecins répondirent qu’ils ne pouvoient rien assurer là-dessus, mais bien que le cardinal n’avoit pas deux heures à vivre si on [ne] la lui faisoit tout à l’heure. M. le duc d’Orléans retourna au lit du malade et le pria tant et si bien qu’il y consentit. L’opération se fit donc sur les cinq heures, en cinq minutes, par La Peyronie, premier chirurgien du roi en survivance de Maréchal, qui étoit présent avec Chirac et quelques autres médecins et chirurgiens des plus célèbres. Le cardinal cria et tempêta étrangement ; M. le duc d’Orléans rentra dans la chambre aussitôt après, où la faculté ne lui dissimula pas qu’à la nature de la plaie et de ce qui en étoit sorti le malade n’en avoit pas pour longtemps. En [effet], il mourut précisément vingt-quatre heures après, le mardi 10 août, à cinq heures du soir, grinçant les dents contre ses chirurgiens et contre Chirac, auxquels il n’avoit cessé de chanter pouille.

On lui apporta pourtant l’extrême-onction. De communion il ne s’en parla plus, ni d’aucun prêtre auprès de lui, et [il] finit ainsi sa vie dans le plus grand désespoir et dans la rage de la quitter. Aussi la fortune s’étoit-elle bien jouée de lui, se fit acheter chèrement et longuement par toutes sortes de peines, de soins, de projets, de menées, d’inquiétudes, de travaux et de tourments d’esprit, et se déploya enfin sur lui par des torrents précipités de grandeurs, de puissance, de richesses démesurées, pour ne l’en laisser jouir que quatre ans, dont je mets l’époque à sa charge de secrétaire d’État et deux seulement si on la met à son cardinalat et à son premier ministère, pour lui tout arracher au plus riant et au plus complet de sa jouissance, à soixante-six ans. Il mourut donc maître absolu de son maître, et moins premier ministre qu’exerçant toute la plénitude et toute l’indépendance de toute la puissance et de toute l’autorité royale ; surintendant des postes, cardinal, archevêque de Cambrai, avec sept abbayes, dont il fut insatiable jusqu’à la fin, et avoit commencé des ouvertures pour s’emparer de celles de Cîteaux, de Prémontré et des autres chefs d’ordre, et il fut avéré après qu’il recevoit une pension d’Angleterre de quarante mille livres sterling. J’ai eu la curiosité de rechercher son revenu, et j’ai cru curieux de mettre ici ce que j’en ai trouvé, en diminuant même celui des bénéfices, peur éviter toute enflure.

Cambrai

liv. 120 000

Nogent sous Coucy

10 000

Saint-Just

10 000

Airvaux

12 000

Bourgueil

12 000

Bergues-Saint-Vinox

60 000

Saint-Bertin

80 000

Cercamp 

20 000

324 000

Premier ministre

150 000

Les postes

100 000

250 000

La pension d’Angleterre, à 24 liv. la livre sterling

960 000

Ainsi en

Bénéfices

324 000

Premier ministre

150 000

Postes

100 000

Pension d’Angleterre

960 000

1 534 000

J’ai mis pareillement au rabois ce qu’il tiroit de ses appoin tements de premier ministre et des postes : je crois aussi qu’il avoit vingt mille livres du clergé comme cardinal, mais je n’ai pu le savoir avec certitude. Ce qu’il avoit eu et réalisé de Law étoit immense. Il s’en étoit fort servi à Rome pour son cardinalat ; mais il lui en étoit resté un prodigieux argent comptant. Il avoit une extrême quantité de la plus belle vaisselle d’argent et de vermeil, et la plus admirablement travaillée ; des plus riches meubles, des plus rares bijoux de toute sorte, des plus beaux et des plus rares attelages de tous pays, et des plus somptueux équipages. Sa table étoit exquise et superbe en tout, et il en faisoit fort bien les honneurs, quoique extrêmement sobre et par nature et par régime.

Sa place de précepteur de M. le duc d’Orléans lui avoit procuré l’abbaye de Nogent-sous-Coucy ; le mariage de ce prince celle de Saint-Just ; ses premiers voyages d’Hanovre et d’Angleterre celle d’Airvaux et de Bourgueil ; les trois autres, sa toute-puissance. Quel monstre de fortune et d’où parti ! et comment et si rapidement précipité ! C’est bien littéralement à lui qu’on peut appliquer ce passage du psaume :

« J’ai passé, il n’étoit déjà plus, il n’en est rien resté ; jusqu’à ses traces étoient effacées. »

Vidi impium superexaltatum et elevatum sicut cedros Libani ;

Et transivi, et ecce non erat, et non est inventas locus ejus.

(Ps. XXXVI, v. 35 et 36.)

Le mercredi au soir, lendemain de sa mort, il fut porté de Versailles à Paris dans l’église du chapitre de Saint-Honoré, où il fut enterré quelques jours après. Les académies dont il étoit lui firent faire chacune un service où elles assistèrent, l’assemblée du clergé un autre comme à leur président ; et en qualité de premier ministre, il y en eut un à Notre-Dame, où le cardinal de Noailles officia, et où les cours supérieures assistèrent. Il n’y eut point d’oraison funèbre à aucun, on n’osa le hasarder. Son frère, plus vieux que lui et honnête homme, qu’il avoit fait venir lorsqu’il fut secrétaire d’État, demeura avec la charge de secrétaire du cabinet qu’il avoit, et qu’il lui avoit donnée, et les ponts et chaussées qu’il lui procura à la mort de Beringhen, premier écuyer, qui les avoit, et qui s’en étoit très dignement acquitté. Ce Dubois, qui étoit fort modeste, trouva un immense héritage. Il n’avoit qu’un fils, chanoine de Saint-Honoré qui n’avoit jamais voulu ni places ni bénéfices et qui vivoit très saintement. Il ne voulut presque rien toucher de cette riche succession. Il en employa une partie à faire à son oncle une espèce de mausolée beau, mais modeste, plaqué contre la muraille, au bas de l’église, où le cardinal est enterré avec une inscription fort chrétienne, et distribua l’autre partie aux pauvres, dans la crainte qu’elle ne lui portât malédiction.

On a bien des exemples de prodigieuse fortune, plusieurs même de gens de peu, mais il n’y en a aucun de personne si destituée de tout talent qui y porte et qui la soutienne que l’étoit le cardinal Dubois, si on en excepte la basse et obscure intrigue. Son esprit étoit fort ordinaire, son savoir des plus communs, sa capacité nulle, son extérieur d’un furet, mais de cuistre, son débit désagréable, par articles, toujours incertain, sa fausseté écrite sur son front, ses mœurs trop sans aucune mesure pour pouvoir être cachées des fougues qui pouvoient passer pour des accès de folie, sa tête incapable de contenir plus d’une affaire à la fois, et lui d’y en mettre ni d’en suivre aucune que pour son intérêt personnel : rien de sacré, nulle sorte de liaison respectée ; mépris déclaré de foi, de parole, d’honneur, de probité, de vérité : grande estime et pratique continuelle de se faire un jeu de toutes ces choses ; voluptueux autant qu’ambitieux ; voulant tout en tout genre, se comptant lui seul pour tout, et tout ce qui n’étoit point lui pour rien, et regardant comme la dernière démence de penser et d’agir autrement. Avec cela, doux, bas, souple, louangeur, admirateur, prenant toutes sortes de formes, avec la plus grande facilité, et revêtant toutes sortes de personnages, et souvent contradictoires, pour arriver aux différents buts qu’il se proposoit et néanmoins très peu capable de séduire. Son raisonnement par élans, par bouffées, entortillé même involontairement, peu de sens et de justesse ; le désagrément le suivoit partout. Néanmoins des pointes de vivacité plaisantes quand il vouloit qu’elles ne fussent que cela, et des narrations amusantes, mais déparées par l’élocution qui auroit été bonne sans ce bégaiement dont sa fausseté lui avoit fait une habitude, par l’incertitude qu’il avoit toujours à répondre et à parler. Avec de tels défauts, il est peu concevable que le seul homme qu’il ait su séduire ait été M. le duc d’Orléans qui avoit tant d’esprit, tant de justesse dans l’esprit, et qui saisissoit si promptement tout ce qui se pouvoit connoître des hommes. Il le gagna enfant, dans ses fonctions de précepteur ; il s’en empara jeune homme en favorisant son penchant pour la liberté, le faux bel air, l’entraînement à la débauche, le mépris de toute règle ; en lui gâtant par les beaux principes des libertins savants le cœur, l’esprit et la conduite, dont ce pauvre prince ne put jamais se délivrer, non plus que des sentiments contraires de la raison, de la vérité, de la conscience, qu’il prit toujours soin d’étouffer.

Dubois, insinué de la sorte, n’eut d’étude plus chère que de se conserver bien par tous moyens avec son mettre à la faveur duquel tous ses avantages étoient attachés, qui n’alloient pas loin alors, mais tels qu’ils fussent, étoient bien considérables pour le valet du curé de Saint-Eustache, puis de Saint-Laurent. Il ne perdit donc jamais de vue son prince dont il connoissoit tous les grands talents et tous les grands défauts qu’il avoit su mettre à profit, et qu’il y mettoit tous les jours, dont l’extrême faiblesse étoit le principal, et l’espérance la mieux fondée de Dubois. Ce fut aussi celle qui soutint dans les divers délaissements qu’il éprouva, et dans le plus fâcheux de tous, à l’entrée de la régence, dont on a vu avec quel art il avoit su se rapprocher. C’étoit le seul talent où il fût maître, que celui de l’intrigue obscure avec toutes ses dépendances. Il séduisit son maître comme on l’a vu ici, par ces prestiges d’Angleterre qui firent tant de mal à l’État, et dont les suites lui en causent encore de si fâcheux. Il le força et tout de suite le lia à cet intérêt personnel, au cas de mort du roi, de deux usurpateurs intéressés à se soutenir l’un l’autre, et M. le duc d’Orléans s’y laissa entraîner par le babil de Canillac, les profonds sproposito du duc de Noailles, les insolences, les grands airs de Stairs, qui lui imposoient, et cela sans aucun désir de la couronne : c’est une vérité étrange que je ne puis trop répéter, parce que je l’ai parfaitement et continuellement reconnue ; et je dis étrange, parce qu’il n’est pas moins vrai que si la couronne lui fût échue et sans aucun embarras, même pour la recueillir et la conserver, il s’en seroit trouvé chargé, empêtré, embarrassé, sans comparaison aucune, plus qu’il n’en auroit été satisfoit.

De là, ce lien devenu nécessaire et intime entre lui et Dubois, quand celui-ci fut parvenu à aller la première fois en Hollande, ce qui ne fut pas sans peine, et qui le conduisit après à Hanovre, puis à Londres, et à devenir seul maître de toute la négociation, partie l’arrachant à la faiblesse de son maître, partie en l’infatuant qu’il ne s’y pouvoit servir de nul autre, parce que nul autre ne pouvoit être comme lui dépositaire du vrai nœud qui faisoit le fondement secret de la négociation, qui étoit, en cas de mort du roi, ce soutien réciproque des deux usurpateurs, trop dangereux pour M. le duc d’Orléans à confier à qui que ce soit qu’à lui, qui toutefois devoit uniquement gouverner toute la négociation, sans égard à tout autre intérêt de l’État le plus marqué et le plus visible. Par là Dubois se mit en toute liberté de traiter à Londres pour lui-même en accordant tout ce qu’il plut aux Anglois, pour quoi il ne falloit pas grande habileté en négociations. Aussi a-t-on vu plus d’une fois dans ce qui a été donné ici d’après Torcy sur les affaires étrangères, que M. le duc d’Orléans ne s’accommodoit pas toujours de ce que Dubois vouloit passer aux Anglois, que ceux-ci lui reprochoient que son maître étoit plus difficile que lui, et tacitement son peu de crédit, et lui faisoient sentir la conséquence pour ce qu’il désiroit personnellement d’eux, de pouvoir davantage sur M. le duc d’Orléans et de l’amener à ce qui leur convenoit. De là ces lettres véhémentes dont M. le duc d’Orléans me parloit quelquefois, et auxquelles il ne pouvoit résister ; de là son brusque retour d’Angleterre, sans ordre ni préparatif, pour emporter par sa présence ce que, pour cette fois, ses lettres n’avoient pu faire, et son prompt passage à Londres, dès qu’il eut réussi à ce qu’il s’étoit proposé, pour en aller triompher chez les ministres anglois, et leur montrer par l’essai d’un court voyage ce qu’ils pouvoient attendre de son ascendant sur le régent lorsqu’il seroit à demeure à ses côtés, par conséquent combien il leur seroit nécessaire, et leur intérêt sensible de le satisfaire personnellement, de façon qu’ils pussent compter sur lui.

Voilà ce qui sans capacité aucune a conclu les traités que Dubois a faits avec les Anglois, si opposés à l’intérêt de la France et au bien de toute l’Europe, en particulier si préjudiciables à l’Espagne, et qui d’un même tour de main a fondé et précipité la monstrueuse grandeur de Dubois, qui, en revenant tout à fait d’Angleterre, culbuta les conseils pour culbuter le maréchal d’Huxelles et le conseil des affaires étrangères, et les mettre uniquement dans sa main, sous le titre de secrétaire d’État. Outre la prétention d’une telle récompense de sa négociation dont il sut faire valoir à son maître toute la délicatesse, l’habileté et le fruit qu’il en tiroit, tout nul qu’il fût, il lui persuada encore la nécessité de ne confier qu’à lui seul les affaires étrangères, pour entretenir et consolider l’intime confiance si nécessaire à conserver avec les Anglois, et leur ôter les entraves du maréchal d’Huxelles, de Canillac, de ce même conseil que Dubois vouloit déjà écarter, et que toutes les affaires ne passassent plus que par un seul canal agréable au ministère anglois, dont il ne pût prendre aucune défiance. De secrétaire d’État à tout le reste, le chemin fut rapide et aisé ; la guerre qu’il fit entreprendre contre l’Espagne sans la cause la plus légère, pour ruiner leur marine au désir des Anglois, et contre le plus sensible intérêt de la France, et le plus personnel de M. le duc d’Orléans, fut le prix du chapeau, qui bientôt après le mena au premier ministère.

Que si après avoir développé comment, sans capacité aucune, Dubois s’est fait si grand par l’Angleterre, en lui sacrifiant la France, mais beaucoup plus l’Espagne, on s’étonne comment si promptement après il est venu à bout du double mariage, surtout avec les impressions personnelles prises en Espagne contre M. le duc d’Orléans, dès avant sa régence et depuis, ce point sera facile à démêler. Le roi d’Espagne, quelque prévenu qu’il fût contre M. le duc d’Orléans par ce [que] la princesse des Ursins lui imputa avant la mort du roi, quelques blessures qu’il en eût reçues depuis la régence par le ministère de Dubois pour plaire aux Anglois, jamais homme ne fut attaché à sa maison et à sa nation originelle si intrinsèquement ni si indissolublement que Philippe V. Cette passion, si vive en lui et toujours active, le rendoit infatigable à tout souffrir de la France sans cesser de désirer avec la plus violente ardeur de se pouvoir lier et réunir indissolublement avec elle. C’est ce qui lui fit recevoir l’espérance qui lui fut montrée, puis aussitôt proposée du mariage du roi, comme le comble de ses voeux, à quelque condition que ce pût être, en sorte que celle du mariage actuel du prince des Asturies ne fut pas capable seulement de le refroidir. D’un autre côté, la reine qui avoit la même passion pour un établissement sûr et solide de son fils aîné en Italie, et par affection, et par vanité, et pour se retirer auprès de lui et éviter le sort des reines veuves d’Espagne, qui avoit toujours été le point de son horreur, sentirent tous deux qu’ils n’y pouvoient parvenir malgré l’empereur ; qu’il n’y avoit que le roi d’Angleterre, si parfaitement bien alors avec la cour de Vienne, qui pût parvenir à lui faire donner les mains à cet établissement, et que l’Espagne ne pouvoit espérer là-dessus aucun secours de l’Angleterre que par M. le duc d’Orléans, même par l’abbé Dubois, au point où ils étoient avec Georges et avec ses ministres. Ce ne fut donc pas merveilles si le double mariage fut conclu si facilement et si promptement, en quoi toute l’habileté de l’abbé Dubois ne fut que de l’imaginer et d’avoir la hardiesse de le proposer. C’est ce que je vis très clairement en Espagne, et que l’esprit du roi d’Espagne n’avoit jamais été guéri sur M. le duc d’Orléans, ni sur son ministre, ni celui de la reine non plus, à travers toutes les mesures et les plus exactes réserves que, quelque soin qu’ils prissent, ils ne me purent épaissir ce voile plus que la consistance d’une gaze, et je sentis le même dans le marquis de Grimaldo. Telles furent les merveilles de la prétendue capacité de Dubois.

Il n’en montra pas davantage dans sa manière de gouverner quand il fut devenu le véritable maître. Toute son application tournée à ce que son maître, dont il connoissoit tout le glissant, ne lui échappât pas, s’épuisa à épier tous les moments de ce prince, ce qu’il faisoit, qui il voyoit, les temps qu’il donnoit à chacun, son humeur, son visage, ses propos à l’issue de chaque audience ou de chaque partie de plaisir ; qui en étoit, quels propos et par qui tenus, et à combiner toutes ces choses ; surtout à effrayer et à effaroucher pour empêcher qui que ce fût d’être assez hardi pour aller droit au prince, et à rompre toutes mesures à qui en avoit la témérité sans en avoir obtenu son congé et son aveu. Ce sont les espionnages qui occupoient toutes ses journées, sur lesquels il régloit toutes ses démarches, et à tenir le monde, sans exception, de si court, que tout ne fût que dans sa main, affaires, grâces, jusqu’aux plus petites bagatelles, et à faire échouer tout ce qui osoit essayer de lui passer entre les doigts, et de ne le pas pardonner aux essayeurs, qu’il poursuivoit partout d’une façon implacable. Cette application et quelque écorce indispensable d’ordres à donner, ravissoient tout son temps, en sorte qu’il étoit devenu inabordable, hors quelques audiences publiques ou quelques autres aux ministres étrangers. Encore la plupart d’eux ne le pouvoient joindre, et se trouvoient réduits à l’attendre aux passages sur des escaliers, et en d’autres endroits par lesquels il déroboit son passage, où il ne s’attendoit pas à les rencontrer. Il jeta une fois dans le feu une quantité prodigieuse de paquets de lettres toutes fermées, et de toutes parts, puis s’écria d’aise qu’il se trouvoit alors à son courant. À sa mort il s’en trouva par milliers, tout cachetées.

Ainsi tout demeuroit en arrière, en tout genre, sans que personne, même des ministres étrangers, osât s’en plaindre à M. le duc d’Orléans, et sans que ce prince, tout livré à ses plaisirs, et toujours sur le chemin de Versailles à Paris, prit la peine d’y penser, bien satisfoit de se trouver dans cette liberté, et ayant toujours suffisamment de bagatelles dans son portefeuille pour remplir son travail avec le roi, qui n’étoit que de bons à lui faire mettre aux dépenses arrêtées, ou aux demandes des emplois ou des bénéfices vacants. Ainsi aucune affaire n’étoit presque décidée, et tout demeuroit et tomboit en chaos. Pour gouverner de la sorte il n’est pas besoin de capacité. Deux mots à chaque ministre chargé d’un département, et quelque légère attention à garnir les conseils devant le roi des dépêches les moins importantes, brochant les autres seul avec M. le duc d’Orléans, puis les laissant presque toutes en arrière, faisoient tout le travail du premier ministère, et l’espionnage, les avis de l’intérieur de M. le duc d’Orléans, les combinaisons de ces choses, les parades, les adresses, les batteries, faisoient et emportoient tout celui du premier ministre ; ses emportements pleins d’injures et d’ordures, dont ni hommes ni femmes, de quelque rang et de quelque considération qu’ils fussent, [n’étoient] à couvert, le délivroient d’une infinité d’audiences, parce qu’on aimoit mieux aller par des bricoles subalternes, ou laisser périr ses affaires, que s’exposer à essuyer ces fureurs et ces affronts. On en a vu un échantillon vague par ce qui a été raconté ici de ce qui arriva en pleine et nombreuse audience d’ambassadeurs, prélats, dames et de toutes sortes de gens considérables, à l’officier que j’avois dépêché de Madrid avec le contrat de mariage du roi.

Les folies publiques du cardinal Dubois, depuis surtout que devenu le maître il ne les contint plus, feroient un livre. Je n’en rapporterai que quelques-unes pour échantillon. La fougue lui faisoit faire quelquefois le tour entier et redoublé d’une chambre courant sur les tables et les chaises sans toucher du pied la terre, et M. le duc d’Orléans m’a dit plusieurs fois en avoir été souvent témoin en bien des occasions.

Le cardinal de Gesvres se vint plaindre à M. le duc d’Orléans de ce que le cardinal Dubois venoit de l’envoyer promener dans les termes les plus sales. On a vu ailleurs qu’il en avoit usé de même avec la princesse de Montauban, et la réponse que M. le duc d’Orléans avoit faite à ses plaintes. La vérité est qu’elle ne méritoit pas mieux. L’étonnant fut qu’il dit de même à un homme des mœurs, de la gravité et de la dignité du cardinal de Gesvres, qu’il avoit toujours trouvé le cardinal Dubois de bon conseil, et qu’il croyoit qu’il feroit bien de suivre celui qu’il lui venoit de donner. C’étoit apparemment pour se défaire de pareilles plaintes après un tel exemple ; et en effet on ne lui en porta plus depuis.

Mme de Cheverny, devenue veuve, s’étoit retirée quelque temps après aux Incurables. Sa place de gouvernante des filles de M. le duc d’Orléans avoit été donnée à Mme de Conflans. Un peu après le sacre, Mme la duchesse d’Orléans lui demanda si elle avoit été chez le cardinal Dubois, là-dessus Mme de Conflans répondit que non, et qu’elle ne voyoit pas pourquoi elle irait, la place que Leurs Altesses Royales lui avoient donnée étant si éloignée d’avoir trait à aucune affaire. Mme la duchesse d’Orléans insista sur ce que le cardinal étoit à l’égard de M. le duc d’Orléans. Mme de Conflans se défendit, et finalement dit que c’étoit un fou qui insultoit tout le monde, et qu’elle ne vouloit pas s’y exposer. Elle avoit de l’esprit et du bec, et souverainement glorieuse, quoique fort polie. Mme la duchesse d’Orléans se mit à rire de sa frayeur, et lui dit que n’ayant rien à lui demander ni à lui représenter, mais seulement à lui rendre compte de l’emploi que M. le duc d’Orléans lui avoit donné, c’étoit une politesse qui ne pouvoit que plaire au cardinal, et lui en attirer de sa part, bien loin d’avoir rien de désagréable à en craindre, et finit par lui dire que cela convenoit et qu’elle vouloit qu’elle y allât.

La voilà donc partie, car c’étoit à Versailles, au sortir de dîner, et arrivée dans un grand cabinet, où il y avoit huit ou dix personnes qui attendoient à parler au cardinal, qui étoit auprès de sa cheminée avec une femme qu’il galvaudoit [2]. La peur en prit à Mme de Conflans, qui étoit petite et qui en rapetissa encore. Toutefois, elle s’approcha comme cette femme se retiroit. Le cardinal la voyant s’avancer lui demanda vivement ce qu’elle lui vouloit. « Monseigneur, dit-elle. — Ho, monseigneur ! monseigneur ! interrompit le cardinal ; cela ne se peut pas. — Mais, monseigneur, reprit-elle. — De par tous les diables, je vous le dis encore, interrompit de nouveau le cardinal, quand je vous dis que cela ne se peut pas. — Monseigneur, » voulut encore dire Mme de Conflans pour expliquer qu’elle ne demandoit rien ; mais à ce mot le cardinal lui saisit les deux pointes des épaules, la revire, la pousse du poing par le dos, et : « Allez à tous les diables, dit-il, et me laissez en repos. » Elle pensa tomber toute plate ; et s’enfuit en furie, pleurant à chaudes larmes, et arrive en cet état chez Mme la duchesse d’Orléans, à qui, à travers ses sanglots, elle conte son aventure.

On étoit si accoutumé aux incartades du cardinal, et celle-là fut trouvée si singulière et si plaisante que le récit en causa des éclats de rire qui achevèrent d’outrer la pauvre Conflans, qui jura bien que de sa vie elle ne remettroit le pied chez cet extravagant.

Le jour de Pâques d’après qu’il fut cardinal, il s’éveille sur les huit heures et sonne à rompre ses sonnettes, et le voilà à blasphémer horriblement après ses gens, à vomir mille ordures et mille injures, et à crier à pleine tête de ce qu’ils ne l’avoient pas éveillé, qu’il vouloit dire la messe, qu’il ne savoit plus où en prendre le temps avec toutes les affaires qu’il avoit. Ce qu’il fit de mieux après une si belle préparation, ce fut de ne la dire pas, et je ne sais s’il l’a jamais dite depuis son sacre.

Il avoit pris pour secrétaire particulier un nommé Venier qu’il avoit défroqué de l’abbaye de Saint-Germain des Prés, où il étoit frère convers, et en faisoit les affaires depuis vingt ans avec beaucoup d’esprit et d’intelligence. Il s’étoit fait promptement aux façons du cardinal, et s’étoit mis sur le pied de lui dire tout ce qu’il lui plaisoit. Un matin qu’il étoit avec le cardinal, il demanda quelque chose qui ne se trouva pas sous la main. Le voilà à jurer, à blasphémer, à crier à pleine tête contre ses commis, et que s’il n’en avoit pas assez, il en prendroit vingt, trente, cinquante, cent, et à faire un vacarme épouvantable. Venier l’écoutoit tranquillement, le cardinal l’interpella, si cela n’étoit pas une chose horrible, d’être si mal servi, à la dépense qu’il y faisoit, et à s’emporter tout de nouveau, et à le presser de répondre. « Monseigneur, lui dit Venier, prenez un seul commis de plus, et lui donnez pour emploi unique de jurer et de tempêter pour vous, et tout ira bien, vous aurez beaucoup de temps de reste, et vous vous trouverez bien servi. » Le cardinal se mit à rire et s’apaisa.

Il mangeoit tous les soirs un poulet pour tout souper et seul. Je ne sais par quelle méprise ce poulet fut oublié un soir par ses gens. Comme il fut près de se coucher, il s’avisa de son poulet, sonna, cria, tempêta après ses gens, qui accoururent et qui l’écoutèrent froidement. Le voilà à crier de plus belle après son poulet et après ses gens de le servir si tard. Il fut bien étonné qu’ils lui répondirent tranquillement qu’il avoit mangé son poulet, mais que, s’il lui plaisoit, ils en alloient faire mettre un autre à la broche. « Comment, dit-il, j’ai mangé mon poulet ! » L’assertion hardie et froide de ses gens le persuada, et ils se moquèrent de lui. Je n’en dirai pas davantage, parce que, encore une fois, on en feroit un vrai volume. C’en est assez pour montrer quel étoit ce monstrueux personnage dont la mort soulagea grands et petits, et en vérité, toute l’Europe, enfin jusqu’à son frère même qu’il traitoit comme un nègre. Il voulut une fois chasser son écuyer pour lui avoir prêté un de ses carrosses pour aller quelque part dans Paris.

Le plus soulagé de tous fut M. le duc d’Orléans. Il gémissoit en secret depuis assez longtemps sous le poids d’une domination si dure, et sous les chaînes qu’il s’étoit forgées. Non seulement il ne pouvoit plus disposer ni décider de rien, mais il exposoit inutilement au cardinal ce qu’il désiroit qui fût sur grandes et petites choses. Il lui en falloit passer sur toutes par la volonté du cardinal qui entroit en furie, en reproches, et le pouilloit comme un particulier, quand il lui arrivoit de le trop contredire. Le pauvre prince sentoit aussi l’abandon où il s’étoit livré, et par cet abandon, la puissance du cardinal et l’éclipse de la sienne. Il le craignoit, il lui étoit devenu insupportable, il mouroit d’envie de s’en débarrasser ; cela se montroit en mille choses, mais il n’osoit, il ne savoit comment s’y prendre, et isolé et sans cesse épié comme il l’étoit, il n’avoit personne avec qui s’en ouvrir tout à fait, et le cardinal bien averti, en redoubloit ses frasques pour retenir par la frayeur ce que ses artifices avoient usurpé, et qu’il n’espéroit plus de se conserver par une autre voie.

Dès qu’il fut mort, M. le duc d’Orléans retourna à Meudon apprendre au roi cette nouvelle, qui le pria aussitôt de se charger de toute la conduite des affaires, le déclara premier ministre, et en reçut son serment le lendemain, dont la patente tôt expédiée fut vérifiée au parlement. Cette déclaration si prompte sur laquelle M. le duc d’Orléans n’avoit rien préparé, fut l’effet de la crainte qu’eut l’évêque de Fréjus de voir un particulier premier ministre. Le roi aimoit M. le duc d’Orléans, comme on l’a déjà dit, par le respect qu’il en recevoit, et par sa manière de travailler avec lui, qui sans danger d’être pris au mot, le laissoit toujours le maître des grâces sur le choix des personnes qu’il lui proposoit, et d’ailleurs de ne l’ennuyer jamais, ni de contraindre ses amusements par les heures de ce travail. Quelques soins, quelques souplesses que le cardinal Dubois eût employées pour gagner l’esprit du roi et l’apprivoiser avec lui, jamais il n’en avoit pu venir à bout, et on remarquoit, même sans avoir de trop bons yeux, une répugnance du roi pour lui plus que très sensible. Le cardinal en étoit désolé, mais redoubloit de jambes dans l’espérance de réussir à la fin. Mais, outre l’air peu naturel et le désagrément inséparable de ses manières les plus occupées à plaire, il avoit deux ennemis auprès du roi, bien attentifs à l’éloigner de prendre avec ce jeune prince, le maréchal de Villeroy, tant qu’il y fut, mais bien plus dangereusement le Fréjus, qui ne pou voit haïr le cardinal que d’ambition, [ et qui] bien résolu de le culbuter si M. le duc d’Orléans venoit à manquer, pour n’être ni primé, encore moins dominé par un particulier, n’avoit garde de ne pas le ruiner journellement dans l’esprit du roi, en s’y établissant lui-même de plus en plus.


  1. Toul, Metz et Verdun formaient, dans l’ancienne monarchie, un gouvernement particulier.
  2. Galvauder se disait familièrement pour maltraiter de paroles, gourmander.