Mémoires artistiques de Mlle Péan de La Roche-Jagu, écrits par elle-même/Chapitre VI’

La bibliothèque libre.
◄  V.
VII.  ►

CHAPITRE vi.


La police municipale. – Condamnation.

Quelque temps après ces scènes que je viens de tracer, j’appris que la dame Lormeau disait à toutes ses connaissances que j’étais une Voleuse. Calomnier, il en reste toujours quelque chose, comme le dit Don Bazile ; je perdis enfin patience, et je lui fis écrire par mon avocat (M. Lozaouïs), que si elle continuait à débiter sur mon compte des calomnies, je serais forcée de l’attaquer en diffamation. — Elle ne se tint pas la chose pour dite. Je ne pouvais ni ne devais donc plus tolérer des faits semblables, et elle reçut une assignation pour comparaître à la police municipale, là, où vont les cochers de fiacres et les portières qui oublient de balayer le devant des maisons. Elle se rendit chez les témoins, afin de tâcher de les influencer, et même, elle a menacé une dame, si elle parlait suivant sa conscience. — Enfin, le jour arrive, nous voilà encore en présence l’une de l’autre.

Les témoins déposent contre elle ; elle se maîtrisait autant que possible ; on lui avait fait sa leçon, probablement, et on l’avait avertie, sans doute, que des choses plus graves que chez M. le juge de paix surgiraient, si elle se permettait d’apostropher le président. On lui donna la parole, et avec la voix la plus mielleuse elle dit bien des mensonges ; par exemple : « que j’avais un caractère tellement violent, que j’étais tombée sur elle, chez M. le juge de paix, et lui avais arraché une magnifique voilette en point d’Angleterre qu’elle portait. » Ici, M. le président, qui savait tout ce qui s’était passé chez M. le juge de paix, ne put s’empêcher de manifester une marque d’improbation, car, il n’ignorait point que ma conduite là, n’avait pas passé les bornes des convenances. — Après un assez long débat (où il y eut à rire fort souvent), M. le président lui adressa une sévère réprimande, et lui demanda ce qu’elle avait à dire pour sa défense. Alors, élevant la voix elle s’écrit : « Ce sont de faux témoins ! » — Je dois vous rappeler à l’ordre : qu’avez-vous à dire pour votre défense. » Elle répéta encore : « Ce sont de faux témoins ! » « Ah ! Madame, dit le président, votre esprit calomniateur perce malgré vous ; qu’il ne vous arrive pas de prononcer une troisième fois ce que vous venez de dire, car le tribunal serait forcé de vous frapper d’une juste punition. Ainsi donc, je vous demande de nouveau (et cette fois, pour la dernière), qu’avez-vous à dire pour votre défense ? » Alors, se laissant tomber sur le banc, elle se mit à pleurer, hi, hi, hi, le bon Dieu, hi, hi, hi, a été crucifié ! dit-elle, en se cachant le visage. — Elle a donc subi une seconde condamnation. Si j’ai raconté ces faits en nommant la personne qui s’en est rendue coupable, c’est que chaque jour encore, elle ne m’épargne pas ; et quand elle peut me rencontrer, soit dans la rue, soit à une promenade, elle se permet de me dire les choses les plus abominables. On serait vraiment tenté de croire qu’elle aurait le désir d’aller faire une nouvelle révérence à quelqu’autre juge.