Mémoires d’outre-tombe/Troisième partie/Livre V

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LIVRE V

Les Cent-Jours à Paris. Effet du passage de la légitimité en France. — Étonnement de Bonaparte. — Il est obligé de capituler avec les idées qu’il avait crues étouffées. — Son nouveau système. — Trois énormes joueurs restés. — Chimères des libéraux. — Clubs et fédérés. — Escamotage de la République : l’Acte additionnel. — Chambre des représentants convoquée. — Inutile Champ de Mai. — Soucis et amertumes de Bonaparte. — Résolution à Vienne. — Mouvement à Paris. — Ce que nous faisions à Gand. — M. de Blacas. — Bataille de Waterloo. — Confusion à Gand. — Quelle fut la bataille de Waterloo. — Retour de l’Empereur. — Réapparition de La Fayette. — Nouvelle abdication de Bonaparte. — Scènes orageuses à la Chambre des Pairs. — Présages menaçants pour la seconde Restauration. — Départ de Gand. — Arrivée à Mons. — Je manque ma première occasion de fortune dans ma carrière politique. — M. de Talleyrand à Mons. Scène avec le roi. — Je m’intéresse bêtement à M. de Talleyrand. — De Mons à Gonesse. — Je m’oppose avec M. le comte Beugnot à la nomination de Fouché comme ministre : mes raisons. — Le duc de Wellington l’emporte. — Arnouville. — Saint-Denis. — Dernière conversation avec le roi.

Je vous fais voir l’envers des événements que l’histoire ne montre pas ; l’histoire n’étale que l’endroit. Les Mémoires ont l’avantage de présenter l’un et l’autre côté du tissu : sous ce rapport, ils peignent mieux l’humanité complète en exposant, comme les tragédies de Shakespeare, les scènes basses et hautes. Il y a partout une chaumière auprès d’un palais, un homme qui pleure auprès d’un homme qui rit, un chiffonnier qui porte sa hotte auprès d’un roi qui perd son trône : que faisait à l’esclave présent à la bataille d’Arbelles la chute de Darius ?

Gand n’était donc qu’un vestiaire derrière les coulisses du spectacle ouvert à Paris. Des personnages renommés restaient encore en Europe. J’avais en 1800 commencé ma carrière avec Alexandre et Napoléon ; pourquoi n’avais-je pas suivi ces premiers acteurs, mes contemporains, sur le grand théâtre ? Pourquoi seul à Gand ? Parce que le ciel vous jette où il veut. Des petits Cent-Jours à Gand, passons aux grands Cent-Jours à Paris.

Je vous ai dit les raisons qui auraient dû arrêter Bonaparte à l’île d’Elbe, et les raisons primantes ou plutôt la nécessité tirée de sa nature qui le contraignirent de sortir de l’exil. Mais la marche de Cannes à Paris épuisa ce qui lui restait du vieil homme. À Paris le talisman fut brisé.

Le peu d’instants que la légalité avait reparu avait suffi pour rendre impossible le rétablissement de l’arbitraire. Le despotisme muselle les masses, et affranchit les individus dans une certaine limite ; l’anarchie déchaîne les masses, et asservit les indépendances individuelles. De là, le despotisme ressemble à la liberté, quand il succède à l’anarchie ; il reste ce qu’il est véritablement quand il remplace la liberté : libérateur après la Constitution directoriale, Bonaparte était oppresseur après la Charte. Il le sentait si bien qu’il se crut obligé d’aller plus loin que Louis XVIII et de retourner aux sources de la souveraineté nationale. Lui, qui avait foulé le peuple en maître, fut réduit à se refaire tribun du peuple, à courtiser la faveur des faubourgs, à parodier l’enfance révolutionnaire, à bégayer un vieux langage de liberté qui faisait grimacer ses lèvres, et dont chaque syllabe mettait en colère son épée.

Sa destinée, comme puissance, était en effet si bien accomplie, qu’on ne reconnut plus le génie de Napoléon pendant les Cent-Jours. Ce génie était celui du succès et de l’ordre, non celui de la défaite et de la liberté : or, il ne pouvait rien par la victoire qui l’avait trahi, rien pour l’ordre, puisqu’il existait sans lui. Dans son étonnement il disait : « Comme les Bourbons m’ont arrangé la France en quelques mois ! il me faudra des années pour la refaire. » Ce n’était pas l’œuvre de la légitimité que le conquérant voyait, c’était l’œuvre de la Charte ; il avait laissé la France muette et prosternée, il la trouvait debout et parlante : dans la naïveté de son esprit absolu, il prenait la liberté pour le désordre.

Et pourtant Bonaparte est obligé de capituler avec les idées qu’il ne peut vaincre de prime abord. À défaut de popularité réelle, des ouvriers, payés à quarante sous par tête, viennent, à la fin de leur journée, brailler au Carrousel Vive l’Empereur ! cela s’appelait aller à la criée. Des proclamations annoncent d’abord une merveille d’oubli et de pardon ; les individus sont déclarés libres, la nation libre, la presse libre ; on ne veut que la paix, l’indépendance et le bonheur du peuple ; tout le système impérial est changé ; l’âge d’or va renaître. Afin de rendre la pratique conforme à la théorie, on partage la France en sept grandes divisions de police ; les sept lieutenants sont investis des mêmes pouvoirs qu’avaient, sous le Consulat et l’Empire, les directeurs généraux : on sait ce que furent à Lyon, à Bordeaux, à Milan, à Florence, à Lisbonne, à Hambourg, à Amsterdam, ces protecteurs de la liberté individuelle. Au-dessus de ces lieutenants, Bonaparte élève, dans une hiérarchie de plus en plus favorable à la liberté, des commissaires extraordinaires, à la manière des représentants du peuple sous la Convention.

La police que dirige Fouché apprend au monde, par des proclamations solennelles, qu’elle ne va plus servir qu’à répandre la philosophie, qu’elle n’agira plus que d’après des principes de vertu.

Bonaparte rétablit, par un décret, la garde nationale du royaume, dont le nom seul lui donnait jadis des vertiges. Il se voit forcé d’annuler le divorce prononcé sous l’Empire entre le despotisme et la démagogie, et de favoriser leur nouvelle alliance : de cet hymen doit naître, au Champ de Mai, une liberté, le bonnet rouge et le turban sur la tête, le sabre du mameluck à la ceinture et la hache révolutionnaire à la main, liberté entourée des ombres de ces milliers de victimes sacrifiées sur les échafauds ou dans les campagnes brûlantes de l’Espagne et les déserts glacés de la Russie. Avant le succès, les mamelucks sont jacobins ; après le succès, les jacobins deviendront mamelucks : Sparte est pour l’instant du danger, Constantinople pour celui du triomphe.

Bonaparte aurait bien voulu ressaisir à lui seul l’autorité, mais cela ne lui était pas possible ; il trouvait des hommes disposés à la lui disputer : d’abord les républicains de bonne foi, délivrés des chaînes du despotisme et des lois de la monarchie, désiraient garder une indépendance qui n’est peut-être qu’une noble erreur ; ensuite les furieux de l’ancienne faction de la montagne : ces derniers, humiliés de n’avoir été sous l’Empire que les espions de police d’un despote, semblaient résolus à reprendre, pour leur propre compte, cette liberté de tout faire dont ils avaient cédé pendant quinze années le privilège à un maître.

Mais ni les républicains, ni les révolutionnaires, ni les satellites de Bonaparte, n’étaient assez forts pour établir leur puissance séparée, ou pour se subjuguer mutuellement. Menacés au dehors d’une invasion, poursuivis au dedans par l’opinion publique, ils comprirent que s’ils se divisaient, ils étaient perdus : afin d’échapper au danger, ils ajournèrent leur querelle ; les uns apportaient à la défense commune leurs systèmes et leurs chimères, les autres leur terreur et leur perversité. Nul n’était de bonne foi dans ce pacte ; chacun, la crise passée, se promettait de le tourner à son profit ; tous cherchaient d’avance à s’assurer les résultats de la victoire. Dans cet effrayant trente et un, trois énormes joueurs tenaient la banque tour à tour : la liberté, l’anarchie, le despotisme, tous trois trichant et s’efforçant de gagner une partie perdue pour tous.

Pleins de cette pensée, ils ne sévissaient point contre quelques enfants perdus qui pressaient les mesures révolutionnaires : des fédérés s’étaient formés dans les faubourgs et des fédérations s’organisaient sous de rigoureux serments dans la Bretagne, l’Anjou, le Lyonnais et la Bourgogne ; on entendait chanter la Marseillaise et la Carmagnole ; un club, établi à Paris, correspondait avec d’autres clubs dans les provinces ; on annonçait la résurrection du Journal des Patriotes[1]. Mais, de ce côté-là, quelle confiance pouvaient inspirer les ressuscités de 1793 ? Ne savait-on pas comment ils expliquaient la liberté, l’égalité, les droits de l’homme ? Étaient-ils plus moraux, plus sages, plus sincères après qu’avant leurs énormités ? Est-ce parce qu’ils s’étaient souillés de tous les vices qu’ils étaient devenus capables de toutes les vertus ? On n’abdique pas le crime aussi facilement qu’une couronne ; le front que ceignit l’affreux bandeau en conserve des marques ineffaçables.

L’idée de faire descendre un ambitieux de génie du rang d’empereur à la condition de généralissime ou de président de la République était une chimère : le bonnet rouge, dont on chargeait la tête de ses bustes pendant les Cent-Jours, n’aurait annoncé à Bonaparte que la reprise du diadème, s’il était donné à ces athlètes qui parcourent le monde de fournir deux fois la même carrière.

Toutefois, des libéraux de choix se promettaient la victoire : des hommes fourvoyés, comme Benjamin Constant, des niais, comme M. Simonde-Sismondi[2], parlaient de placer le prince de Canino[3] au ministère de l’intérieur, le lieutenant général comte Carnot au ministère de la guerre, le comte Merlin[4] à celui de la justice. En apparence abattu, Bonaparte ne s’opposait point à des mouvements démocratiques qui, en dernier résultat, fournissaient des conscrits à son armée. Il se laissait attaquer dans des pamphlets ; des caricatures lui répétaient : Île d’Elbe, comme les perroquets criaient à Louis XI : Péronne. On prêchait à l’échappé de prison, en le tutoyant, la liberté et l’égalité ; il écoutait ces remontrances d’un air de componction. Tout à coup, rompant les liens dont on avait prétendu l’envelopper, il proclame de sa propre autorité, non une constitution plébéienne, mais une constitution aristocratique, un Acte additionnel aux constitutions de l’Empire[5].

La République rêvée se change par cet adroit escamotage dans le vieux gouvernement impérial, rajeuni de féodalité, L’Acte additionnel enlève à Bonaparte le parti républicain et fait des mécontents dans presque tous les autres partis[6]. La licence règne à Paris, l’anarchie dans les provinces ; les autorités civiles et militaires se combattent ; ici on menace de brûler les châteaux et d’égorger les prêtres ; là on arbore le drapeau blanc et on crie Vive le roi ! Attaqué, Bonaparte recule ; il retire à ses commissaires extraordinaires la nomination des maires des communes et rend cette nomination au peuple. Effrayé de la multiplicité des votes négatifs contre l’Acte additionnel, il abandonne sa dictature de fait et convoque la Chambre des représentants en vertu de cet acte qui n’est point encore accepté. Errant d’écueil en écueil, à peine délivré d’un danger, il heurte contre un autre : souverain d’un jour, comment instituer une pairie héréditaire que l’esprit d’égalité repousse ? Comment gouverner les deux Chambres ? Montreront-elles une obéissance passive ? Quels seront les rapports de ces Chambres avec l’assemblée projetée du Champ de Mai, laquelle n’a plus de véritable but, puisque l’Acte additionnel est mis à exécution avant que les suffrages eussent été comptés ? Cette assemblée, composée de trente mille électeurs, ne se croira-t-elle pas la représentation nationale ?

Ce Champ de Mai, si pompeusement annoncé et célébré le 1er juin[7], se résout en un simple défilé de troupes et une distribution de drapeaux devant un autel méprisé. Napoléon, entouré de ses frères, des dignitaires de l’État, des maréchaux, des corps civils et judiciaires, proclame la souveraineté du peuple à laquelle il ne croyait pas[8]. Les citoyens s’étaient imaginé qu’ils fabriqueraient eux-mêmes une constitution dans ce jour solennel, les paisibles bourgeois s’attendaient qu’on y déclarerait l’abdication de Napoléon en faveur de son fils, abdication manigancée à Bâle entre les agents de Fouché et du prince de Metternich : il n’y eut rien qu’une ridicule attrape politique. L’Acte additionnel se présentait, au reste, comme un hommage à la légitimité ; à quelques différences près, et surtout moins l’abolition de la confiscation, c’était la Charte.

Ces changement subits, cette confusion de toutes choses, annonçaient l’agonie du despotisme. Toutefois l’empereur ne peut recevoir du dedans l’atteinte mortelle, car le pouvoir qui le combat est aussi exténué que lui ; le Titan révolutionnaire, que Napoléon avait jadis terrassé, n’a point recouvré son énergie native ; les deux géants se portent maintenant d’inutiles coups ; ce n’est plus que la lutte de deux ombres.

À ces impossibilités générales se joignent pour Bonaparte des tribulations domestiques et des soucis de palais ; il annonçait à la France le retour de l’impératrice et du roi de Rome, et l’une et l’autre ne revenaient point. Il disait à propos de la reine de Hollande, devenue par Louis XVIII duchesse de Saint-Leu : « Quand on a accepté les prospérités d’une famille, il faut en embrasser les adversités. » Joseph, accouru de la Suisse, ne lui demandait que de l’argent ; Lucien l’inquiétait par ses liaisons libérales ; Murat, d’abord conjuré contre son beau-frère, s’était trop hâté, en revenant à lui, d’attaquer les Autrichiens : dépouillé du royaume de Naples et fugitif de mauvais augure, il attendait aux arrêts, près de Marseille, la catastrophe que je vous raconterai plus tard.[9]

Et puis l’empereur pouvait-il se fier à ses anciens partisans et ses prétendus amis ? ne l’avaient-ils pas indignement abandonné au moment de sa chute ? Ce Sénat qui rampait à ses pieds, maintenant blotti dans la pairie, n’avait-il pas décrété la déchéance de son bienfaiteur ? Pouvait-il les croire, ces hommes, lorsqu’ils venaient lui dire : « L’intérêt de la France est inséparable du vôtre. Si la fortune trompait vos efforts, des revers, sire, n’affaibliraient pas notre persévérance et redoubleraient notre attachement pour vous[10]. » Votre persévérance ! votre attachement redoublé par l’infortune ! Vous disiez ceci le 11 juin 1815 : qu’aviez-vous dit le 2 avril 1814 ? que direz-vous quelques semaines après, le 19 juillet 1815 ?

Le ministre de la police impériale, ainsi que vous l’avez-vu, correspondait avec Gand, Vienne et Bâle ; les maréchaux auxquels Bonaparte était contraint de donner le commandement de ses soldats avaient naguère prêté serment à Louis XVIII ; ils avaient fait contre lui, Bonaparte, les proclamations les plus violentes[11] ; depuis ce moment, il est vrai, ils avaient réépousé leur sultan ; mais s’il eût été arrêté à Grenoble, qu’en auraient-ils fait ? Suffit-il de rompre un serment pour rendre à un autre serment violé toute sa force ? Deux parjures équivalent-ils à la fidélité ?

Encore quelques jours, et ces jureurs du Champ de Mai rapporteront leur dévouement à Louis XVIII dans les salons des Tuileries ; ils s’approcheront de la sainte table du Dieu de paix, pour se faire nommer ministres aux banquets de la guerre[12] : hérauts d’armes et brandisseurs des insignes royaux au sacre de Bonaparte, ils rempliront les mêmes fonctions au sacre de Charles X[13] ; puis, commissaires d’un autre pouvoir, ils mèneront ce roi prisonnier à Cherbourg, trouvant à peine un petit coin libre dans leur conscience pour y accrocher la plaque de leur nouveau serment. Il est dur de naître aux époques d’improbité, dans ces jours où deux hommes causant ensemble s’étudient à retrancher des mots de la langue, de peur de s’offenser et de se faire rougir mutuellement.

Ceux qui n’avaient pu s’attacher à Napoléon par sa gloire, qui n’avaient pu tenir par la reconnaissance au bienfaiteur duquel ils avaient reçu leurs richesses, leurs honneurs et jusqu’à leurs noms, s’immoleraient-ils maintenant à ses indigentes espérances ? S’enchaîneraient-ils à une fortune précaire et recommençante, les ingrats que ne fixa point une fortune consolidée par des succès inouïs et par une possession de seize années de victoires ? Tant de chrysalides qui, entre deux printemps, avaient dépouillé et revêtu, quitté et repris la peau du légitimiste et du révolutionnaire, du napoléonien et du bourboniste ; tant de paroles données et faussées ; tant de croix passées de la poitrine du chevalier à la queue du cheval, et de la queue du cheval à la poitrine du chevalier ; tant de preux changeant de bandières, et semant la lice de leurs gages de foi-mentie ; tant de nobles dames, tour à tour suivantes de Marie-Louise et de Marie-Caroline, ne devaient laisser au fond de l’âme de Napoléon que défiance, horreur et mépris ; ce grand homme vieilli était seul au milieu de tous ces traîtres, hommes et sort, sur une terre chancelante, sous un ciel ennemi, en face de sa destinée accomplie et du jugement de Dieu.

Napoléon n’avait trouvé de fidèles que les fantômes de sa gloire passée ; ils l’escortèrent, ainsi que je vous l’ai dit, du lieu de son débarquement jusqu’à la capitale de la France. Mais les aigles, qui avaient volé de clocher en clocher de Cannes à Paris, s’abattirent fatiguées sur les cheminées des Tuileries, sans pouvoir aller plus loin.

Napoléon ne se précipite point, avec les populations émues, sur la Belgique, avant qu’une armée anglo-prussienne s’y fût rassemblée : il s’arrête ; il essaye de négocier avec l’Europe et de maintenir humblement les traités de la légitimité. Le congrès de Vienne oppose à M. le duc de Vicence l’abdication du 11 avril 1814 : par cette abdication Bonaparte reconnaissait qu’il était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, et en conséquence renonçait, pour lui et ses héritiers, aux trônes de France et d’Italie. Or, puisqu’il vient rétablir son pouvoir, il viole manifestement le traité de Paris, et se replace dans la situation politique antérieure au 31 mars 1814 : donc c’est lui Bonaparte qui déclare la guerre à l’Europe, et non l’Europe à Bonaparte. Ces arguties logiques de procureurs diplomates, comme je l’ai fait remarquer à propos de la lettre de M. de Talleyrand, valaient ce qu’elles pouvaient avant le combat.

La nouvelle du débarquement de Bonaparte à Cannes était arrivée à Vienne le 6 mars[14], au milieu d’une fête où l’on représentait l’assemblée des divinités de l’Olympe et du Parnasse. Alexandre venait de recevoir le projet d’alliance entre la France, l’Autriche et l’Angleterre : il hésita un moment entre les deux nouvelles, puis il dit : « Il ne s’agit pas de moi, mais du salut du monde. » Et une estafette porte à Saint-Pétersbourg l’ordre de faire partir la garde. Les armées qui se retiraient s’arrêtent ; leur longue file fait volte-face, et huit cent mille ennemis tournent le visage vers la France. Bonaparte se prépare à la guerre ; il est attendu à de nouveaux champs catalauniques : Dieu l’a ajourné à la bataille qui doit mettre fin au règne des batailles.

Il avait suffi de la chaleur des ailes de la renommée de Marengo et d’Austerlitz pour faire éclore des armées dans cette France qui n’est qu’un grand nid de soldats. Bonaparte avait rendu à ses légions leurs surnoms d’invincible, de terrible, d’incomparable ; sept armées reprenaient le titre d’armées des Pyrénées, des Alpes, du Jura, de la Moselle, du Rhin ; grands souvenirs qui servaient de cadre à des troupes supposées, à des triomphes en espérance. Une armée véritable était réunie à Paris et à Laon ; cent cinquante batteries attelées, dix mille soldats d’élite entrés dans la garde ; dix-huit mille marins illustrés à Lutzen et à Bautzen ; trente mille vétérans, officiers et sous-officiers, en garnison dans les places fortes ; sept départements du nord et de l’est prêts à se lever en masse ; cent quatre-vingt mille hommes de la garde nationale rendus mobiles ; des corps francs dans la Lorraine, l’Alsace et la Franche-Comté ; des fédérés offrant leurs piques et leurs bras ; Paris fabriquant par jours trois mille fusils ; telles étaient les ressources de l’empereur. Peut-être aurait-il encore une fois bouleversé le monde, s’il avait pu se résoudre, en affranchissant la patrie, à appeler les nations étrangères à l’indépendance. Le moment était propice : les rois qui promirent à leurs sujets des gouvernements constitutionnels venaient de manquer honteusement à leur parole. Mais la liberté était antipathique à Napoléon depuis qu’il avait bu à la coupe du pouvoir ; il aimait mieux être vaincu avec des soldats que de vaincre avec des peuples. Les corps qu’il poussa successivement vers les Pays-Bas se montaient à soixante-dix mille hommes.

Nous autres émigrés, nous étions dans la ville de Charles-Quint comme les femmes de cette ville : assises derrière leurs fenêtres, elles voient dans un petit miroir incliné les soldats passer dans la rue. Louis XVIII était là dans un coin complètement oublié ; à peine recevait-il de temps en temps un billet du prince de Talleyrand revenant de Vienne, quelques lignes des membres du corps diplomatique résidant auprès du duc de Wellington en qualité de commissaires, MM. Pozzo di Borgo,[15] de Vincent,[16] etc. etc. On avait bien autre chose à faire qu’à songer à nous ! Un homme étranger à la politique n’aurait jamais cru qu’un impotent caché au bord de la Lys serait rejeté sur le trône par le choc des milliers de soldats prêts à s’égorger : soldats dont il n’était ni le roi ni le général, qui ne pensaient pas à lui, qui ne connaissaient ni son nom ni son existence. De deux points si rapprochés, Gand et Waterloo, jamais l’un ne parut si obscur, l’autre si éclatant : la légitimité gisait au dépôt comme un vieux fourgon brisé.

Nous savions que les troupes de Bonaparte s’approchaient ; nous n’avions pour nous couvrir que nos deux petites compagnies sous les ordres du duc de Berry, prince dont le sang ne pouvait nous servir, car il était déjà demandé ailleurs. Mille chevaux, détachés de l’armée française, nous auraient enlevés en quelques heures. Les fortifications de Gand étaient démolies ; l’enceinte qui reste eût été d’autant plus facilement forcée que la population belge ne nous était pas favorable. La scène dont j’avais été témoin aux Tuileries se renouvela : on préparait secrètement les voitures de Sa Majesté ; les chevaux étaient commandés. Nous, fidèles ministres, nous aurions pataugé derrière, à la grâce de Dieu. Monsieur partit pour Bruxelles, chargé de surveiller de plus près les mouvements.

M. de Blacas était devenu soucieux et triste ; moi, pauvre homme, je le solaciais. À Vienne on ne lui était pas favorable ; M. de Talleyrand s’en moquait ; les royalistes l’accusaient d’être la cause du retour de Napoléon. Ainsi, dans l’une ou l’autre chance, plus d’exil honoré pour lui en Angleterre, plus de premières places possibles en France : j’étais son unique appui. Je le rencontrais assez souvent au Marché aux chevaux, où il trottait seul ; m’attelant à son côté, je me conformais à sa triste pensée. Cet homme que j’ai défendu à Gand et en Angleterre, que je défendis en France après les Cent-Jours, et jusque dans la préface de la Monarchie selon la Charte, cet homme m’a toujours été contraire : cela ne serait rien s’il n’eût été un mal pour la monarchie. Je ne me repens pas de ma niaiserie passée ; mais je dois redresser dans ces Mémoires les surprises faites à mon jugement ou à mon bon cœur.

Le 18 juin 1815, vers midi, je sortis de Gand par la porte de Bruxelles ; j’allais seul achever ma promenade sur la grande route. J’avais emporté les Commentaires de César et je cheminais lentement, plongé dans ma lecture. J’étais déjà à plus d’une lieue de la ville, lorsque je crus ouïr un roulement sourd : je m’arrêtai, regardai le ciel assez chargé de nuées, délibérant en moi-même si je continuerais d’aller en avant, ou si je me rapprocherais de Gand dans la crainte d’un orage. Je prêtai l’oreille ; je n’entendis plus que le cri d’une poule d’eau dans les joncs et le son d’une horloge de village. Je poursuivis ma route ; je n’avais pas fait trente pas que le roulement recommença, tantôt bref, tantôt long et à intervalles inégaux ; quelquefois il n’était sensible que par une trépidation de l’air, laquelle se communiquait à la terre sur ces plaines immenses, tant il était éloigné. Ces détonations moins vastes, moins onduleuses, moins liées ensemble que celles de la foudre, firent naître dans mon esprit l’idée d’un combat. Je me trouvais devant un peuplier planté à l’angle d’un champ de houblon. Je traversai le chemin et je m’appuyai debout contre le tronc de l’arbre, le visage tourné du côté de Bruxelles. Un vent du sud s’étant levé m’apporta plus distinctement le bruit de l’artillerie. Cette grande bataille, encore sans nom, dont j’écoutais les échos au pied d’un peuplier, et dont une horloge de village venait de sonner les funérailles inconnues, était la bataille de Waterloo !

Auditeur silencieux et solitaire du formidable arrêt des destinées, j’aurais été moins ému si je m’étais trouvé dans la mêlée : le péril, le feu, la cohue de la mort ne m’eussent pas laissé le temps de méditer ; mais seul sous un arbre, dans la campagne de Gand, comme le berger des troupeaux qui paissaient autour de moi, le poids des réflexions m’accablait : Quel était ce combat ? Était-il définitif ? Napoléon était-il là en personne ? Le monde, comme la robe du Christ, était-il jeté au sort ? Succès ou revers de l’une ou l’autre armée, quelle serait la conséquence de l’événement pour les peuples, liberté ou esclavage ? Mais quel sang coulait ! chaque bruit parvenu à mon oreille n’était-il pas le dernier soupir d’un Français ? Était-ce un nouveau Crécy, un nouveau Poitiers, un nouvel Azincourt, dont allaient jouir les plus implacables ennemis de la France ? S’ils triomphaient, notre gloire n’était-elle pas perdue ? Si Napoléon l’emportait, que devenait notre liberté ? Bien qu’un succès de Napoléon m’ouvrît un exil éternel, la patrie l’emportait dans ce moment dans mon cœur ; mes vœux étaient pour l’oppresseur de la France, s’il devait, en sauvant notre honneur, nous arracher à la domination étrangère.

Wellington triomphait-il ? La légitimité rentrerait donc dans Paris derrière ces uniformes rouges qui venaient de reteindre leur pourpre au sang des Français ! La royauté aurait donc pour carrosses de son sacre les chariots d’ambulance remplis de nos grenadiers mutilés ! Que sera-ce qu’une restauration accomplie sous de tels auspices ?… Ce n’est là qu’une bien petite partie des idées qui me tourmentaient. Chaque coup de canon me donnait une secousse et doublait le battement de mon cœur. À quelques lieues d’une catastrophe immense, je ne la voyais pas, je ne pouvais toucher le vaste monument funèbre croissant de minute en minute à Waterloo, comme du rivage de Boulaq, au bord du Nil, j’étendais vainement mes mains vers les Pyramides.

Aucun voyageur ne paraissait ; quelques femmes dans les champs, sarclant paisiblement des sillons de légumes, n’avaient pas l’air d’entendre le bruit que j’écoutais. Mais voici venir un courrier : je quitte le pied de mon arbre et je me place au milieu de la chaussée ; j’arrête le courrier et l’interroge. Il appartenait au duc de Berry et venait d’Alost : « Bonaparte est entré hier (17 juin) dans Bruxelles, après un combat sanglant. La bataille a dû recommencer aujourd’hui (18 juin). On croit à la défaite définitive des alliés, et l’ordre de la retraite est donné. » Le courrier continua sa route.

Je le suivis en me hâtant : je fus dépassé par la voiture d’un négociant qui fuyait en poste avec sa famille ; il me confirma le récit du courrier.


Tout était dans la confusion quand je rentrai à Gand : on fermait les portes de la ville ; les guichets seuls demeuraient entre-bâillés ; des bourgeois mal armés et quelques soldats de dépôt faisaient sentinelle. Je me rendis chez le roi.

Monsieur venait d’arriver par une route détournée : il avait quitté Bruxelles sur la fausse nouvelle que Bonaparte y allait entrer, et qu’une première bataille perdue ne laissait aucune espérance du gain d’une seconde. On racontait que les Prussiens ne s’étant pas trouvés en ligne, les Anglais avaient été écrasés.

Sur ces bulletins, le sauve qui peut devint général : les possesseurs de quelques ressources partirent ; moi, qui ai la coutume de n’avoir jamais rien, j’étais toujours prêt et dispos. Je voulais faire déménager avant moi madame de Chateaubriand, grande bonapartiste, mais qui n’aime pas les coups de canon : elle ne me voulut pas quitter.

Le soir, conseil auprès de Sa Majesté : nous entendîmes de nouveau les rapports de Monsieur et les on dit recueillis chez le commandant de la place ou chez le baron d’Eckstein[17]. Le fourgon des diamants de la couronne était attelé : je n’avais pas besoin de fourgon pour emporter mon trésor. J’enfermai le mouchoir de soie noire dont j’entortille ma tête la nuit dans mon flasque portefeuille de ministre de l’intérieur, et je me mis à la disposition du prince, avec ce document important des affaires de la légitimité. J’étais plus riche dans ma première émigration, quand mon havresac me tenait lieu d’oreiller et servait de maillot à Atala : mais en 1815 Atala était une grande petite fille dégingandée de treize à quatorze ans, qui courait le monde toute seule, et qui, pour l’honneur de son père, avait fait trop parler d’elle.

Le 19 juin, à une heure du matin, une lettre de M. Pozzo, transmise au roi par estafette, rétablit la vérité des faits. Bonaparte n’était point entré dans Bruxelles ; il avait décidément perdu la bataille de Waterloo. Parti de Paris le 12 juin, il rejoignit son armée le 14. Le 15, il force les lignes de l’ennemi sur la Sambre. Le 16, il bat les Prussiens dans ces champs de Fleurus ou la victoire semble à jamais fidèle aux Français. Les villages de Ligny et de Saint-Amand sont emportés. Aux Quatre-Bras, nouveau succès : le duc de Brunswick reste parmi les morts[18]. Blücher en pleine retraite se rabat sur une réserve de trente mille hommes, aux ordres du général de Bulow[19] ; le duc de Wellington, avec les Anglais et les Hollandais, s’adosse à Bruxelles.

Le 18 au matin, avant les premiers coups de canon, le duc de Wellington, déclara qu’il pourrait tenir jusqu’à trois heures ; mais qu’à cette heure, si les Prussiens ne paraissaient pas, il serait nécessairement écrasé : acculé sur Planchenois et Bruxelles, toute retraite lui était interdite. Surpris par Napoléon, sa position militaire était détestable ; il l’avait acceptée et ne l’avait pas choisie.

Les Français emportèrent d’abord, à l’aile gauche de l’ennemi, les hauteurs qui dominent le château d’Hougoumont jusqu’aux fermes de la Haye-Sainte et de Papelotte ; à l’aile droite, ils attaquèrent le village de Mont-Saint-Jean ; la ferme de la Haye-Sainte est enlevée au centre par le prince Jérôme. Mais la réserve prussienne paraît vers Saint-Lambert à six heures du soir : une nouvelle et furieuse attaque est donnée au village de la Haye-Sainte ; Blücher survient avec des troupes fraîches et isole du reste de nos troupes déjà rompues les carrés de la garde impériale. Autour de cette phalange immortelle, le débordement des fuyards entraîne tout parmi des flots de poussière, de fumée ardente et de mitraille, dans des ténèbres sillonnées de fusées à la congrève, au milieu des rugissements de trois cents pièces d’artillerie et du galop précipité de vingt-cinq mille chevaux : c’était comme le sommaire de toutes les batailles de l’Empire. Deux fois les Français ont crié : Victoire ! deux fois leurs cris sont étouffés sous la pression des colonnes ennemies. Le feu de nos lignes s’éteint ; les cartouches sont épuisées ; quelques grenadiers blessés, au milieu de trente mille morts, de cent mille boulets sanglants, refroidis et conglobés à leurs pieds, restent debout appuyés sur leur mousquet, baïonnette brisée, canon sans charge. Non loin d’eux l’homme des batailles écoutait, l’œil fixe, le dernier coup de canon qu’il devait entendre de sa vie. Dans ces champs de carnage, son frère Jérôme combattait encore avec ses bataillons expirants accablés par le nombre, mais son courage ne peut ramener la victoire.

Le nombre des morts du côté des alliés était estimé à dix-huit mille hommes, du côté des Français à vingt-cinq mille ; douze cents officiers anglais avaient péri ; presque tous les aides de camp du duc de Wellington étaient tués ou blessés ; il n’y eut pas en Angleterre une famille qui ne prît le deuil. Le prince d’Orange[20] avait été atteint d’une balle à l’épaule ; le baron de Vincent, ambassadeur d’Autriche, avait eu la main percée. Les Anglais furent redevables du succès aux Irlandais et à la brigade des montagnards écossais que les charges de notre cavalerie ne purent rompre. Le corps du général Grouchy, ne s’étant pas avancé, ne se trouva point à l’affaire. Les deux armées croisèrent le fer et le feu avec une bravoure et un acharnement qu’animait une inimitié nationale de dix siècles. Lord Castlereagh, rendant compte de la bataille à la Chambre des lords, disait : « Les soldats anglais et les soldats français, après l’affaire, lavaient leurs mains sanglantes dans un même ruisseau, et d’un bord à l’autre se congratulaient mutuellement sur leur courage. » Wellington avait toujours été funeste à Bonaparte, ou plutôt le génie rival de la France, le génie anglais, barrait le chemin à la victoire. Aujourd’hui les Prussiens réclament contre les Anglais l’honneur de cette affaire décisive ; mais, à la guerre, ce n’est pas l’action accomplie, c’est le nom qui fait le triomphateur : ce n’est pas Bonaparte qui a gagné la véritable bataille d’Iéna[21].

Les fautes des Français furent considérables : ils se trompèrent sur des corps ennemis ou amis ; ils occupèrent trop tard la position des Quatre-Bras ; le maréchal Grouchy, qui était chargé de contenir les Prussiens avec ses trente-six mille hommes, les laissa passer sans les voir : de là des reproches que nos généraux se sont adressés. Bonaparte attaqua de front selon sa coutume, au lieu de tourner les Anglais, et s’occupa avec la présomption du maître, de couper la retraite à un ennemi qui n’était pas vaincu.

Beaucoup de menteries et quelques vérités assez curieuses ont été débitées sur cette catastrophe. Le mot : La garde meurt et ne se rend pas, est une invention qu’on n’ose plus défendre[22]. Il paraît certain qu’au commencement de l’action, Soult fit quelques observations stratégiques à l’empereur : « Parce que Wellington vous a battu, lui répondit sèchement Napoléon, vous croyez toujours que c’est un grand général. » À la fin du combat, M. de Turenne[23] pressa Bonaparte de se retirer pour éviter de tomber entre les mains de l’ennemi : Bonaparte, sorti de ses pensées comme d’un rêve, s’emporta d’abord ; puis tout à coup, au milieu de sa colère, il s’élance sur son cheval et fuit[24].

Le 19 juin cent coups de canon des Invalides avaient annoncé les succès de Ligny, de Charleroi, des Quatre-Bras ; on célébrait des victoires mortes la veille à Waterloo. Le premier courrier qui transmit à Paris la nouvelle de cette défaite, une des plus grandes de l’histoire par ses résultats, fut Napoléon lui-même : il rentra dans les barrières la nuit du 21 : on eût dit de ses mânes revenant pour apprendre à ses amis qu’il n’était plus. Il descendit à l’Élysée-Bourbon : lorsqu’il arriva de l’île d’Elbe, il était descendu aux Tuileries ; ces deux asiles, instinctivement choisis, révélaient le changement de sa destinée.

Tombé à l’étranger dans un noble combat, Napoléon eut à supporter à Paris les assauts des avocats qui voulaient mettre à sac ses malheurs : il regrettait de n’avoir pas dissous la Chambre avant son départ pour l’armée ; il s’est souvent aussi repenti de n’avoir pas fait fusiller Fouché et Talleyrand. Mais il est certain que Bonaparte, après Waterloo, s’interdit toute violence, soit qu’il obéît au calme habituel de son tempérament, soit qu’il fût dompté par la destinée ; il ne dit plus comme avant sa première abdication : « On verra ce que c’est que la mort d’un grand homme. » Cette verve était passée. Antipathique à la liberté, il songea à casser cette Chambre des représentants que présidait Lanjuinais, de citoyen devenu sénateur, de sénateur devenu pair, depuis redevenu citoyen, de citoyen allant redevenir pair. Le général La Fayette, député, lut à la tribune une proposition qui déclarait : « la Chambre en permanence, crime de haute trahison toute tentative pour la dissoudre, traître à la patrie, et jugé comme tel, quiconque s’en rendrait coupable. » (21 juin 1815.)

Le discours du général commençait par ces mots :

« Messieurs, lorsque pour la première fois depuis bien des années j’élève une voix que les vieux amis de la liberté reconnaîtront encore, je me sens appelé à vous parler du danger de la patrie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Voici l’instant de nous rallier autour du drapeau tricolore, de celui de 89, celui de la liberté, de l’égalité et de l’ordre public. »

L’anachronisme de ce discours causa un moment d’illusion ; on crut voir la Révolution, personnifiée dans La Fayette, sortir du tombeau et se présenter pâle et ridée à la tribune. Mais ces motions d’ordre, renouvelées de Mirabeau, n’étaient plus que des armes hors d’usage, tirées d’un vieil arsenal. Si La Fayette rejoignait noblement la fin et le commencement de sa vie, il n’était pas en son pouvoir de souder les deux bouts de la chaîne rompue du temps. Benjamin Constant se rendit auprès de l’empereur à l’Élysée-Bourbon ; il le trouva dans son jardin. La foule remplissait l’avenue de Marigny et criait : Vive l’Empereur ! cri touchant échappé des entrailles populaires ; il s’adressait au vaincu ! Bonaparte dit à Benjamin Constant : « Que me doivent ceux-ci ? je les ai trouvés, je les ai laissés pauvres. » C’est peut-être le seul mot qui lui soit sorti du cœur, si toutefois l’émotion du député n’a pas trompé son oreille. Bonaparte, prévoyant l’événement, vint au-devant de la sommation qu’on se préparait à lui faire ; il abdiqua pour n’être pas contraint d’abdiquer : « Ma vie politique est finie, dit-il : je déclare mon fils, sous le nom de Napoléon II, empereur des Français. » Inutile disposition, telle que celle de Charles X en faveur de Henri V : on ne donne des couronnes que lorsqu’on les possède, et les hommes cassent le testament de l’adversité. D’ailleurs l’empereur n’était pas plus sincère en descendant du trône une seconde fois qu’il ne l’avait été dans sa première retraite ; aussi, lorsque les commissaires français allèrent apprendre au duc de Wellington que Napoléon avait abdiqué, il leur répondit : « Je le savais depuis un an. »

La Chambre des représentants, après quelques débats où Manuel[25] prit la parole, accepta la nouvelle abdication de son souverain, mais vaguement et sans nommer de régence.

Une commission exécutive est créée[26] : le duc d’Otrante la préside ; trois ministres, un conseiller d’État et un général de l’empereur la composent et dépouillent de nouveau leur maître : c’était Fouché, Caulaincourt, Carnot, Quinette[27] et Grenier[28].

Pendant ces transactions, Bonaparte retournait ses idées dans sa tête : « Je n’ai plus d’armée, disait-il, je n’ai plus que des fuyards. La majorité de la Chambre des députés est bonne ; je n’ai contre moi que La Fayette, Lanjuinais et quelques autres. Si la nation se lève, l’ennemi sera écrasé ; si, au lieu d’une levée, on dispute, tout sera perdu. La nation n’a pas envoyé les députés pour me renverser, mais pour me soutenir. Je ne les crains point, quelque chose qu’ils fassent ; je serai toujours l’idole du peuple et de l’armée : si je disais un mot, ils seraient assommés. Mais si nous nous querellons, au lieu de nous entendre, nous aurons le sort du Bas-Empire. »

Une députation de la Chambre des représentants étant venue le féliciter sur sa nouvelle abdication, il répondit : « Je vous remercie : je désire que mon abdication puisse faire le bonheur de la France ; mais je ne l’espère pas. »

Il se repentit bientôt après, lorsqu’il apprit que la Chambre des représentants avait nommé une commission de gouvernement composée de cinq membres. Il dit aux ministres : « Je n’ai point abdiqué en faveur d’un nouveau Directoire ; j’ai abdiqué en faveur de mon fils : si on ne le proclame point, mon abdication est nulle et non avenue. Ce n’est point en se présentant devant les alliés l’oreille basse et le genou en terre que les Chambres les forceront à reconnaître l’indépendance nationale. »

Il se plaignait que La Fayette, Sébastiani[29], Pontécoulant[30], Benjamin Constant, avaient conspiré contre lui, que d’ailleurs les Chambres n’avaient pas assez d’énergie. Il disait que lui seul pouvait tout réparer, mais que les meneurs n’y consentiraient jamais, qu’ils aimeraient mieux s’engloutir dans l’abîme que de s’unir avec lui, Napoléon, pour le fermer.

Le 27 juin, à la Malmaison, il écrivit cette sublime lettre : « En abdiquant le pouvoir, je n’ai pas renoncé au plus noble droit du citoyen, au droit de défendre mon pays. Dans ces graves circonstances, j’offre mes services comme général, me regardant encore comme le premier soldat de la patrie. »

Le duc de Bassano lui ayant représenté que les Chambres ne seraient pas pour lui : « Alors je le vois bien, » dit-il, « il faut toujours céder. Cet infâme Fouché vous trompe, il n’y a que Caulaincourt et Carnot qui valent quelque chose ; mais que peuvent-ils faire, avec un traître, Fouché, et deux niais, Quinette et Grenier, et deux Chambres qui ne savent ce qu’elles veulent ? Vous croyez tous comme des imbéciles aux belles promesses des étrangers ; vous croyez qu’ils vous mettront la poule au pot, et qu’ils vous donneront un prince de leur façon, n’est-ce pas ? Vous vous trompez[31]. »

Des plénipotentiaires furent envoyés aux alliés. Napoléon requit le 29 juin deux frégates, stationnées à Rochefort, pour le transporter hors de France ; en attendant il s’était retiré à la Malmaison.

Les discussions étaient vives à la Chambre des pairs. Longtemps ennemi de Bonaparte, Carnot, qui signait l’ordre des égorgements d’Avignon sans avoir le temps de le lire, avait eu le temps, pendant les Cent-Jours, d’immoler son républicanisme au titre de comte. Le 22 juin, il avait lu au Luxembourg une lettre du ministre de la guerre, contenant un rapport exagéré sur les ressources militaires de la France. Ney, nouvellement arrivé, ne put entendre ce rapport sans colère. Napoléon, dans ses bulletins, avait parlé du maréchal avec un mécontentement mal déguisé, et Gourgaud accusa Ney d’avoir été la principale cause de la perte de la bataille de Waterloo. Ney se leva et dit : « Ce rapport est faux, faux de tous points : Grouchy ne peut avoir sous ses ordres que vingt à vingt-cinq mille hommes tout au plus. Il n’y a plus un seul soldat de la garde à rallier : je la commandais ; je l’ai vu massacrer tout entière avant de quitter le champ de bataille. L’ennemi est à Nivelle avec quatre-vingt mille hommes ; il peut être à Paris dans six jours : vous n’avez d’autre moyen de sauver la patrie que d’ouvrir des négociations. »

L’aide de camp Flahaut[32] voulut soutenir le rapport du ministre de la guerre ; Ney répliqua avec une nouvelle véhémence : « Je le répète, vous n’avez d’autre voie de salut que la négociation. Il faut que vous rappeliez les Bourbons. Quant à moi, je me retirerai aux États-Unis. »

À ces mots, Lavallette et Carnot accablèrent le maréchal de reproches ; Ney leur répondit avec dédain : « Je ne suis pas de ces hommes pour qui leur intérêt est tout : que gagnerai-je au retour de Louis XVIII ? d’être fusillé pour crime de désertion ; mais je dois la vérité à mon pays. »

Dans la séance des pairs du 23, le général Drouot[33], rappelant cette scène, dit : « J’ai vu avec chagrin ce qui fut dit hier pour diminuer la gloire de nos armes, exagérer nos désastres et diminuer nos ressources. Mon étonnement a été d’autant plus grand que ces discours étaient prononcés par un général distingué (Ney), qui, par sa grande valeur et ses connaissances militaires, a tant de fois mérité la reconnaissance de la nation. »

Dans la séance du 22, un second orage avait éclaté à la suite du premier : il s’agissait de l’abdication de Bonaparte ; Lucien insistait pour qu’on reconnût son neveu empereur. M. de Pontécoulant interrompit l’orateur, et demanda de quel droit Lucien, étranger et prince romain, se permettait de donner un souverain à la France. « Comment, ajouta-t-il, reconnaître un enfant qui réside en pays étranger ? » À cette question, La Bédoyère[34], s’agitant devant son siège :

« J’ai entendu des voix autour du trône du souverain heureux ; elles s’en éloignent aujourd’hui qu’il est dans le malheur. Il y a des gens qui ne veulent pas reconnaître Napoléon II, parce qu’ils veulent recevoir la loi de l’étranger, à qui ils donnent le nom d’alliés.

« L’abdication de Napoléon est indivisible. Si l’on ne veut pas reconnaître son fils, il doit tenir l’épée, environné de Français qui ont versé leur sang pour lui, et qui sont encore tout couverts de blessures.

« Il sera abandonné par de vils généraux qui l’ont déjà trahi.

« Mais si l’on déclare que tout Français qui quittera son drapeau sera couvert d’infamie, sa maison rasée, sa famille proscrite, alors plus de traîtres, plus de manœuvres qui ont occasionné les dernières catastrophes et dont peut-être quelques auteurs siègent ici. »

La Chambre se lève en tumulte : « À l’ordre ! à l’ordre ! à l’ordre ! mugit-on blessé du coup. — Jeune homme, vous vous oubliez ! s’écria Masséna. — Vous vous croyez encore au corps de garde ? » disait Lameth.

Tous les présages de la seconde Restauration furent menaçants : Bonaparte était revenu à la tête de quatre cents Français, Louis XVIII revenait derrière quatre cent mille étrangers ; il passa près de la mare de sang de Waterloo, pour aller à Saint-Denis comme à sa sépulture.

C’était pendant que la légitimité s’avançait ainsi que retentissaient les interpellations de la Chambre des pairs ; il y avait là je ne sais quoi de ces terribles scènes révolutionnaires aux grands jours de nos malheurs, quand le poignard circulait au tribunal entre les mains des victimes. Quelques militaires dont la funeste fascination avait amené la ruine de la France, en déterminant la seconde invasion de l’étranger, se débattaient sur le seuil du palais ; leur désespoir prophétique, leurs gestes, leurs paroles de la tombe, semblaient annoncer une triple mort : mort à eux-mêmes, mort à l’homme qu’ils avaient béni, mort à la race qu’ils avaient proscrite.


Tandis que Bonaparte se retirait à la Malmaison avec l’Empire fini, nous, nous partions de Gand avec la monarchie recommençante. Pozzo, qui savait combien il s’agissait peu de la légitimité en haut lieu, se hâta d’écrire à Louis XVIII de partir et d’arriver vite, s’il voulait régner avant que la place fût prise : c’est à ce billet que Louis XVIII dut sa couronne en 1815.

À Mons, je manquai la première occasion de fortune de ma carrière politique ; j’étais mon propre obstacle et je me trouvais sans cesse sur mon chemin. Cette fois, mes qualités me jouèrent le mauvais tour que m’auraient pu faire mes défauts.

M. de Talleyrand, dans tout l’orgueil d’une négociation qui l’avait enrichi, prétendait avoir rendu à la légitimité les plus grands services et il revenait en maître. Étonné que déjà on n’eût point suivi pour le retour à Paris la route qu’il avait tracée, il fut bien plus mécontent de retrouver M. de Blacas avec le roi. Il regardait M. de Blacas comme le fléau de la monarchie ; mais ce n’était pas là le vrai motif de son aversion : il considérait dans M. de Blacas le favori, par conséquent le rival ; il craignait aussi Monsieur et s’était emporté lorsque, quinze jours auparavant, Monsieur lui avait fait offrir son hôtel sur la Lys. Demander l’éloignement de M. de Blacas, rien de plus naturel ; l’exiger, c’était trop se souvenir de Bonaparte.

M. de Talleyrand entra dans Mons vers les six heures du soir, accompagné de l’abbé Louis : M. de Riccé[35], M. de Jaucourt[36] et quelques autres commensaux, volèrent à lui. Plein d’une humeur qu’on ne lui avait jamais vue, l’humeur d’un roi qui croit son autorité méconnue, il refusa de prime abord d’aller chez Louis XVIII, répondant à ceux qui l’en pressaient par sa phrase ostentatrice : « Je ne suis jamais pressé ; il sera temps demain. » Je l’allai voir ; il me fit toutes ces cajoleries avec lesquelles il séduisait les petits ambitieux et les niais importants. Il me prit par le bras, s’appuya sur moi en me parlant : familiarités de haute faveur, calculées pour me tourner la tête, et qui étaient, avec moi, tout à fait perdues ; je ne comprenais même pas. Je l’invitai à venir chez le roi où je me rendais.

Louis XVIII était dans ses grandes douleurs : il s’agissait de se séparer de M. de Blacas ; celui-ci ne pouvait rentrer en France ; l’opinion était soulevée contre lui ; bien que j’eusse eu à me plaindre du favori à Paris, je ne lui en avais témoigné à Gand aucun ressentiment. Le roi m’avait su gré de ma conduite ; dans son attendrissement, il me traita à merveille. On lui avait déjà rapporté les propos de M. de Talleyrand : « Il se vante, » me dit-il, « de m’avoir remis une seconde fois la couronne sur la tête et il me menace de reprendre le chemin de l’Allemagne : qu’en pensez-vous, monsieur de Chateaubriand ? » Je répondis : « On aura mal instruit Votre Majesté ; M. de Talleyrand est seulement fatigué. Si le roi y consent, je retournerai chez le ministre. » Le roi parut bien aise ; ce qu’il aimait le moins, c’étaient les tracasseries ; il désirait son repos aux dépens même de ses affections.

M. de Talleyrand au milieu de ses flatteurs était plus monté que jamais. Je lui représentai qu’en un moment aussi critique il ne pouvait songer à s’éloigner. Pozzo le prêcha dans ce sens : bien qu’il n’eût pas la moindre inclination pour lui, il aimait dans ce moment à le voir aux affaires comme une ancienne connaissance ; de plus il le supposait en faveur près du czar. Je ne gagnai rien sur l’esprit de M. de Talleyrand, les habitués du prince me combattaient ; M. Mounier même pensait que M. de Talleyrand devait se retirer. L’abbé Louis, qui mordait tout le monde, me dit en secouant trois fois sa mâchoire : « Si j’étais le prince, je ne resterais pas un quart d’heure à Mons. » Je lui répondis : « Monsieur l’abbé, vous et moi nous pouvons nous en aller où nous voulons, personne ne s’en apercevra ; il n’en est pas de même de M. de Talleyrand. » J’insistai encore et je dis au prince : « Savez-vous que le roi continue son voyage ? » M. de Talleyrand parut surpris, puis il me dit superbement, comme le Balafré à ceux qui le voulaient mettre en garde contre les desseins de Henri III : « Il n’osera ! »

Je revins chez le roi où je trouvai M. de Blacas. Je dis à Sa Majesté, pour excuser son ministre, qu’il était malade, mais qu’il aurait très certainement l’honneur de faire sa cour au roi le lendemain. « Comme il voudra, répliqua Louis XVIII : je pars à trois heures ; » et puis il ajouta affectueusement ces paroles : « Je vais me séparer de M. de Blacas ; la place sera vide, monsieur de Chateaubriand. »

C’était la maison du roi mise à mes pieds. Sans s’embarrasser davantage de M. de Talleyrand, un politique avisé aurait fait attacher ses chevaux à sa voiture pour suivre ou précéder le roi : je demeurai sottement dans mon auberge.

M. de Talleyrand, ne pouvant se persuader que le roi s’en irait, s’était couché : à trois heures on le réveille pour lui dire que le roi part ; il n’en croit pas ses oreilles : « Joué ! trahi ! » s’écria-t-il. On le lève, et le voilà, pour la première fois de sa vie, à trois heures du matin dans la rue, appuyé sur le bras de M. de Riccé. Il arrive devant l’hôtel du roi ; les deux premiers chevaux de l’attelage avaient déjà la moitié du corps hors de la porte cochère. On fait signe au postillon de s’arrêter ; le roi demande ce que c’est ; on lui crie : « Sire, c’est M. de Talleyrand. — Il dort, dit Louis XVIII. — Le voilà, sire. — Allons ! » répondit le roi. Les chevaux reculent avec la voiture ; on ouvre la portière, le roi descend, rentre en se traînant dans son appartement, suivi du ministre boiteux. Là M. de Talleyrand commence en colère une explication. Sa Majesté l’écoute et lui répond : « Prince de Bénévent, vous nous quittez ? Les eaux vous feront du bien : vous nous donnerez de vos nouvelles. » Le roi laisse le prince ébahi, se fait reconduire à sa berline et part.

M. de Talleyrand bavait de colère ; le sang-froid de Louis XVIII l’avait démonté : lui, M. de Talleyrand, qui se piquait de tant de sang-froid, être battu sur son propre terrain, planté là, sur une place à Mons, comme l’homme le plus insignifiant : il n’en revenait pas ! Il demeure muet, regarde s’éloigner le carrosse, puis saisissant le duc de Lévis par un bouton de son spencer : « Allez, monsieur le duc, allez dire comme on me traite ! J’ai remis la couronne sur la tête du roi (il en revenait toujours à cette couronne), et je m’en vais en Allemagne commencer la nouvelle émigration. »

M. de Lévis écoutant en distraction, se haussant sur la pointe du pied, dit : « Prince, je pars, il faut qu’il y ait au moins un grand seigneur avec le roi. »

M. de Lévis se jeta dans une carriole de louage qui portait le chancelier de France : les deux grandeurs de la monarchie capétienne s’en allèrent côte à côte la rejoindre, à moitié frais, dans une benne mérovingienne.

J’avais prié M. de Duras de travailler à la réconciliation et de m’en donner les premières nouvelles. « Quoi ! m’avait dit M. de Duras, vous restez après ce que vous a dit le roi ? » M. de Blacas, en partant de Mons de son côté, me remercia de l’intérêt que je lui avais montré.

Je retrouvai M. de Talleyrand embarrassé ; il en était au regret de n’avoir pas suivi mon conseil, et d’avoir, comme un sous-lieutenant mauvaise tête, refusé d’aller le soir chez le roi ; il craignait que des arrangements eussent lieu sans lui, qu’il ne pût participer à la puissance politique et profiter des tripotages d’argent qui se préparaient. Je lui dis que, bien que je différasse de son opinion, je ne lui en restais pas moins attaché, comme un ambassadeur à son ministre ; qu’au surplus j’avais des amis auprès du roi, et que j’espérais bientôt apprendre quelque chose de bon. M. de Talleyrand était une vraie tendresse, il se penchait sur mon épaule ; certainement il me croyait dans ce moment un très grand homme.

Je ne tardai point à recevoir un billet de M. de Duras ; il m’écrivait de Cambrai que l’affaire était arrangée, et que M. de Talleyrand allait recevoir l’ordre de se mettre en route : cette fois le prince ne manqua pas d’obéir.

Quel diable me poussait ? Je n’avais point suivi le roi qui m’avait pour ainsi dire offert ou plutôt donné le ministère de sa maison et qui fut blessé de mon obstination à rester à Mons : je me cassais le cou pour M. de Talleyrand que je connaissais à peine, que je n’estimais point, que je n’admirais point ; pour M. de Talleyrand qui allait entrer dans des combinaisons nullement les miennes, qui vivait dans une atmosphère de corruption dans laquelle je ne pouvais respirer !

Ce fut de Mons même, au milieu de tous ses embarras, que le prince de Bénévent envoya M. de Perray toucher à Naples les millions d’un de ses marchés de Vienne.[37] M. de Blacas cheminait en même temps avec l’ambassade de Naples dans sa poche, et d’autres millions que le généreux exilé de Gand lui avait donnés à Mons. Je m’étais tenu dans de bons rapports avec M. de Blacas, précisément parce que tout le monde le détestait ; j’avais encouru l’amitié de M. de Talleyrand pour ma fidélité à un caprice de son humeur ; Louis XVIII m’avait positivement appelé auprès de sa personne, et je préférai la turpitude d’un homme sans foi à la faveur du roi : il était trop juste que je reçusse la récompense de ma stupidité, que je fusse abandonné de tous, pour les avoir voulu servir tous. Je rentrai en France n’ayant pas de quoi payer ma route, tandis que les trésors pleuvaient sur les disgraciés : je méritais cette correction. C’est fort bien de s’escrimer en pauvre chevalier quand tout le monde est cuirassé d’or ; mais encore ne faut-il pas faire des fautes énormes : moi demeuré auprès du roi, la combinaison du ministère Talleyrand et Fouché devenait presque impossible ; la Restauration commençait par un ministère moral et honorable, toutes les combinaisons de l’avenir pouvaient changer. L’insouciance que j’avais de ma personne me trompa sur l’importance des faits : la plupart des hommes ont le défaut de se trop compter ; j’ai le défaut de ne me pas compter assez : je m’enveloppai dans le dédain habituel de ma fortune ; j’aurais dû voir que la fortune de la France se trouvait liée dans ce moment à celle de mes petites destinées : ce sont de ces enchevêtrements historiques fort communs.


Sorti enfin de Mons, j’arrivai au Cateau-Cambrésis ; M. de Talleyrand m’y rejoignit : nous avions l’air de venir refaire le traité de paix de 1559 entre Henri II de France et Philippe II d’Espagne.

À Cambrai, il se trouva que le marquis de La Suze, maréchal des logis du temps de Fénelon, avait disposé des billets de logement de madame de Lévis, de madame de Chateaubriand et du mien : nous demeurâmes dans la rue, au milieu des feux de joie, de la foule circulant autour de nous et des habitants qui criaient : Vive le roi ! Un étudiant, ayant appris que j’étais là, nous conduisit à la maison de sa mère.

Les amis des diverses monarchies de France commençaient à paraître ; ils ne venaient pas à Cambrai pour la ligue contre Venise[38], mais pour s’associer contre les nouvelles constitutions ; ils accouraient mettre aux pieds du roi leurs fidélités successives et leur haine pour la Charte : passe-port qu’ils jugeaient nécessaire auprès de Monsieur ; moi et deux ou trois raisonnables Gilles, nous sentions déjà la jacobinerie.

Le 28 juin, parut la déclaration de Cambrai. Le roi y disait : « Je ne veux éloigner de ma personne que ces hommes dont la renommée est un sujet de douleur pour la France et d’effroi pour l’Europe. » Or voyez, le nom de Fouché était prononcé avec gratitude par le pavillon Marsan ! Le roi riait de la nouvelle passion de son frère et disait : « Elle ne lui est pas venue de l’inspiration divine. » Je vous ai déjà raconté qu’en traversant Cambrai après les Cent-Jours, je cherchai vainement mon logis du temps du régiment de Navarre et le café que je fréquentais avec La Martinière : tout avait disparu avec ma jeunesse.

De Cambrai, nous allâmes coucher à Roye : la maîtresse de l’auberge prit madame de Chateaubriand pour madame la Dauphine ; elle fut portée en triomphe dans une salle où il y avait une table mise de trente couverts : la salle, éclairée de bougies, de chandelles et d’un large feu, était suffocante. L’hôtesse ne voulait pas recevoir de payement, et elle disait : « Je me regarde de travers pour n’avoir pas su me faire guillotiner pour nos rois[39]. » Dernière étincelle d’un feu qui avait animé les Français pendant tant de siècles.

Le général Lamothe, beau-frère de M. Laborie, vint, envoyé par les autorités de la capitale, nous instruire qu’il nous serait impossible de nous présenter à Paris sans la cocarde tricolore. M. de Lafayette et d’autres commissaires, d’ailleurs fort mal reçus des alliés, valetaient d’état-major en état-major, mendiant près des étrangers un maître quelconque pour la France : tout roi, au choix des Cosaques, serait excellent, pourvu qu’il ne descendît pas de saint Louis et de Louis XIV.

À Roye, on tint conseil : M. de Talleyrand fit attacher deux haridelles à sa voiture et se rendit chez Sa Majesté. Son équipage occupait la largeur de la place, à partir de l’auberge du ministre jusqu’à la porte du roi. Il descendit de son char avec un mémoire qu’il nous lut : il examinait le parti qu’on aurait à suivre en arrivant ; il hasardait quelques mots sur la nécessité d’admettre indistinctement tout le monde au partage des places ; il faisait entendre qu’on pourrait aller généreusement jusqu’aux juges de Louis XVI. Sa Majesté rougit et s’écria en frappant des deux mains les deux bras de son fauteuil : « Jamais ! » Jamais de vingt-quatre heures.

À Senlis, nous nous présentâmes chez un chanoine : sa servante nous reçut comme des chiens ; quant au chanoine, qui n’était pas saint Rieul, patron de la ville, il ne voulut seulement pas nous regarder. Sa bonne avait ordre de ne nous rendre d’autre service que de nous acheter de quoi manger, pour notre argent : le Génie du christianisme me fut néant[40]. Pourtant Senlis aurait dû nous être de bon augure, puisque ce fut dans cette ville que Henri IV se déroba aux mains de ses geôliers en 1576 : « Je n’ai de regret, » s’écriait en s’échappant le roi compatriote de Montaigne, « que pour deux choses que j’ai laissées à Paris : la messe et ma femme. »

De Senlis nous nous rendîmes au berceau de Philippe-Auguste, autrement Gonesse[41]. En approchant du village, nous aperçûmes deux personnes qui s’avançaient vers nous : c’était le maréchal Macdonald et mon fidèle ami Hyde de Neuville. Ils arrêtèrent notre voiture et nous demandèrent où était M. de Talleyrand ; ils ne firent aucune difficulté de m’apprendre qu’ils le cherchaient afin d’informer le roi que Sa Majesté ne devait pas songer à franchir la barrière avant d’avoir pris Fouché pour ministre[42]. L’inquiétude me gagna, car, malgré la manière dont Louis XVIII s’était prononcé à Roye, je n’étais pas très rassuré. Je questionnai le maréchal : « Quoi ! monsieur le maréchal, lui dis-je, est-il certain que nous ne pouvons rentrer qu’à des conditions si dures ? — Ma foi, monsieur le vicomte, me répondit le maréchal, je n’en suis pas bien convaincu. »

Le roi s’arrêta deux heures à Gonesse. Je laissai madame de Chateaubriand au milieu du grand chemin dans sa voiture, et j’allai au conseil à la mairie. Là fut mise en délibération une mesure d’où devait dépendre le sort futur de la monarchie. La discussion s’entama : je soutins, seul avec M. Beugnot, qu’en aucun cas Louis XVIII ne devait admettre dans ses conseils M. Fouché. Le roi écoutait : je voyais qu’il eût tenu volontiers la parole de Roye ; mais il était absorbé par Monsieur et pressé par le duc de Wellington.

Dans un chapitre de la Monarchie selon la Charte, j’ai résumé les raisons que je fis valoir à Gonesse. J’étais animé ; la parole parlée a une puissance qui s’affaiblit dans la parole écrite : « Partout où il y a une tribune ouverte, dis-je dans ce chapitre, quiconque peut être exposé à des reproches d’une certaine nature ne peut être placé à la tête du gouvernement. Il y a tel discours, tel mot, qui obligerait un pareil ministre à donner sa démission en sortant de la Chambre. C’est cette impossibilité résultante du principe libre des gouvernements représentatifs que l’on ne sentit pas lorsque toutes les illusions se réunirent pour porter un homme fameux au ministère, malgré la répugnance trop fondée de la couronne. L’élévation de cet homme devait produire l’une de ces deux choses : ou l’abolition de la Charte, ou la chute du ministère à l’ouverture de la session. Se représente-t-on le ministre dont je veux parler, écoutant à la Chambre des députés la discussion sur le 21 janvier, pouvant être apostrophé à chaque instant par quelque député de Lyon, et toujours menacé du terrible Tu es ille vir ! Les hommes de cette sorte ne peuvent être employés ostensiblement qu’avec les muets du sérail de Bajazet, ou les muets du Corps législatif de Bonaparte. Que deviendra le ministre si un député, montant à la tribune un Moniteur à la main, lit le rapport de la Convention du 9 août 1795 ; s’il demande l’expulsion de Fouché comme indigne en vertu de ce rapport qui le chassait, lui Fouché (je cite textuellement), comme un voleur et un terroriste, dont la conduite atroce et criminelle communiquait le déshonneur et l’opprobre à toute assemblée quelconque dont il deviendrait membre[43]  ? »

Voilà les choses que l’on a oubliées !

Après tout, avait-on le malheur de croire qu’un homme de cette espèce pouvait jamais être utile ? il fallait le laisser derrière le rideau, consulter sa triste expérience ; mais faire violence à la couronne et à l’opinion, appeler à visage découvert un pareil ministre aux affaires, un homme que Bonaparte, dans ce moment même, traitait d’infâme, n’était-ce pas déclarer qu’on renonçait à la liberté et à la vertu ? Une couronne vaut-elle un pareil sacrifice ? On n’était plus maître d’éloigner personne : qui pouvait-on exclure après avoir pris Fouché ?

Les partis agissaient sans songer à la forme du gouvernement qu’ils avaient adoptée ; tout le monde parlait de constitution, de liberté, d’égalité, de droit des peuples, et personne n’en voulait ; verbiage à la mode : on demandait, sans y penser, des nouvelles de la Charte, tout en espérant qu’elle crèverait bientôt. Libéraux et royalistes inclinaient au gouvernement absolu, amendé par les mœurs : c’est le tempérament et le train de la France. Les intérêts matériels dominaient ; on ne voulait point renoncer à ce qu’on avait, dit-on, fait pendant la Révolution ; chacun était chargé de sa propre vie et prétendait en onérer le voisin : le mal, assurait-on, était devenu un élément public, lequel devait désormais se combiner avec les gouvernements, et entrer comme principe vital dans la société.

Ma lubie, relative à une Charte mise en mouvement par l’action religieuse et morale, a été la cause du mauvais vouloir que certains partis m’ont porté : pour les royalistes, j’aimais trop la liberté ; pour les révolutionnaires, je méprisais trop les crimes. Si je ne m’étais trouvé là, à mon grand détriment, pour me faire maître d’école de constitutionnalité, dès les premiers jours les ultras et les jacobins auraient mis la Charte dans la poche de leur frac à fleurs de lis, ou de leur carmagnole à la Cassius.

M. de Talleyrand n’aimait pas M. Fouché ; M. Fouché détestait et, ce qu’il y a de plus étrange, méprisait M. de Talleyrand : il était difficile d’arriver à ce succès. M. de Talleyrand, qui d’abord eût été content de n’être pas accouplé à M. Fouché, sentant que celui-ci était inévitable, donna les mains au projet ; il ne s’aperçut pas qu’avec la Charte (lui surtout uni au mitrailleur de Lyon) il n’était guère plus possible que Fouché.

Promptement se vérifia ce que j’avais annoncé : on n’eut pas le profit de l’admission du duc d’Otrante, on n’en eut que l’opprobre ; l’ombre des Chambres approchant suffit pour faire disparaître des ministres trop exposés à la franchise de la tribune.

Mon opposition fut inutile : selon l’usage des caractères faibles, le roi leva la séance sans rien déterminer ; l’ordonnance ne devait être arrêtée qu’au château d’Arnouville.

On ne tint point conseil en règle dans cette dernière résidence ; les intimes et les affiliés au secret furent seuls assemblés. M. de Talleyrand, nous ayant devancés, prit langue avec ses amis. Le duc de Wellington arriva : je le vis passer en calèche ; les plumes de son chapeau flottaient en l’air ; il venait octroyer à la France M. Fouché et M. de Talleyrand, comme le double présent que la victoire de Waterloo faisait à notre patrie. Lorsqu’on lui représentait que le régicide de M. le duc d’Otrante était peut-être un inconvénient, il répondait : « C’est une frivolité. » Un Irlandais protestant,[44] un général anglais étranger à nos mœurs et à notre histoire, un esprit ne voyant dans l’année française de 1793 que l’antécédent anglais de l’année 1649, était chargé de régler nos destinées ! L’ambition de Bonaparte nous avait réduits à cette misère.

Je rôdais à l’écart dans les jardins d’où le contrôleur général Machault, à l’âge de quatre-vingt-treize ans, était allé s’éteindre aux Madelonnettes[45] ; car la mort dans sa grande revue n’oubliait alors personne. Je n’étais plus appelé ; les familiarités de l’infortune commune avaient cessé entre le souverain et le sujet : le roi se préparait à rentrer dans son palais, moi dans ma retraite. Le vide se reforme autour des monarques sitôt qu’ils retrouvent le pouvoir. J’ai rarement traversé sans faire des réflexions sérieuses les salons silencieux et déshabités des Tuileries, qui me conduisaient au cabinet du roi : à moi, déserts d’une autre sorte, solitudes infinies où les mondes mêmes s’évanouissent devant Dieu, seul être réel.

On manquait de pain à Arnouville ; sans un officier du nom de Dubourg et qui dénichait de Gand comme nous, nous eussions jeûné. M. Dubourg alla à la picorée[46] il nous rapporta la moitié d’un mouton au logis du maire en fuite.[47] Si la servante de ce maire, héroïne de Beauvais demeurée seule, avait eu des armes, elle nous aurait reçus comme Jeanne Hachette.

Nous nous rendîmes à Saint-Denis : sur les deux bords de la chaussée s’étendaient les bivouacs des Prussiens et des Anglais ; les yeux rencontraient au loin les flèches de l’abbaye : dans ses fondements Dagobert jeta ses joyaux, dans ses souterrains les races successives ensevelirent leurs rois et leurs grands hommes ; quatre mois passés, nous avions déposé là les os de Louis XVI pour tenir lieu des autres poussières. Lorsque je revins de mon premier exil en 1800, j’avais traversé cette même plaine de Saint-Denis ; il n’y campait encore que les soldats de Napoléon ; des Français remplaçaient encore les vieilles bandes du connétable de Montmorency.

Un boulanger nous hébergea. Le soir, vers les neuf heures, j’allai faire ma cour au roi. Sa Majesté était logée dans les bâtiments de l’abbaye : on avait toutes les peines du monde à empêcher les petites filles de la Légion d’honneur de crier : Vive Napoléon ! J’entrai d’abord dans l’église ; un pan de mur attenant au cloître était tombé : l’antique abbatial n’était éclairé que d’une lampe. Je fis ma prière à l’entrée du caveau où j’avais vu descendre Louis XVI : plein de crainte sur l’avenir, je ne sais si j’ai jamais eu le cœur noyé d’une tristesse plus profonde et plus religieuse. Ensuite je me rendis chez Sa Majesté ; introduit dans une des chambres qui précédaient celle du roi, je ne trouvai personne ; je m’assis dans un coin et j’attendis. Tout à coup une porte s’ouvre : entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché ; la vision infernale passe lentement devant moi, pénètre dans le cabinet du roi et disparaît. Fouché venait jurer foi et hommage à son seigneur ; le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr ; l’évêque apostat fut caution du serment.

Le lendemain, le faubourg Saint-Germain arriva : tout se mêlait de la nomination de Fouché déjà obtenue, la religion comme l’impiété, la vertu comme le vice, le royaliste comme le révolutionnaire, l’étranger comme le Français ; on criait de toute part : « Sans Fouché point de sûreté pour le roi, sans Fouché point de salut pour la France ; lui seul a déjà sauvé la patrie, lui seul peut achever son ouvrage. » La vieille duchesse de Duras était une des nobles dames les plus animées à l’hymne ; le bailli de Crussol,[48] survivant de Malte, faisait chorus : il déclarait que si sa tête était encore sur ses épaules, c’est que M. Fouché l’avait permis. Les peureux avaient eu tant de frayeur de Bonaparte, qu’ils avaient pris le massacreur de Lyon pour un Titus. Pendant plus de trois mois les salons du faubourg Saint-Germain me regardèrent comme un mécréant, parce que je désapprouvais la nomination de leurs ministres. Ces pauvres gens, ils s’étaient prosternés aux pieds des parvenus ; ils n’en faisaient pas moins grand bruit de leur noblesse, de leur haine contre les révolutionnaires, de leur fidélité à toute épreuve, de l’inflexibilité de leurs principes, et ils adoraient Fouché.

Fouché avait senti l’incompatibilité de son existence ministérielle avec le jeu de la monarchie représentative : comme il ne pouvait s’amalgamer avec les éléments d’un gouvernement légal, il essaya de rendre les éléments politiques homogènes à sa propre nature. Il avait créé une terreur factice ; supposant des dangers imaginaires, il prétendait forcer la couronne à reconnaître les deux Chambres de Bonaparte et à recevoir la déclaration des droits qu’on s’était hâté de parachever ; on murmurait même quelques mots sur la nécessité d’exiler Monsieur et ses fils : le chef-d’œuvre eût été d’isoler le roi.

On continuait à être dupe : en vain la garde nationale passait par-dessus les murs de Paris et venait protester de son dévouement ; on assurait que cette garde était mal disposée. La faction avait fait fermer les barrières afin d’empêcher le peuple, resté royaliste pendant les Cent-Jours, d’accourir, et l’on disait que ce peuple menaçait d’égorger Louis XVIII à son passage. L’aveuglement était miraculeux, car l’armée française se retirait sur la Loire, cent cinquante mille alliés occupaient les postes extérieurs de la capitale, et l’on prétendait toujours que le roi n’était pas assez fort pour pénétrer dans une ville où il ne restait pas un soldat, où il n’y avait plus que des bourgeois, très capables de contenir une poignée de fédérés, s’ils s’étaient avisés de remuer. Malheureusement le roi, par une suite de coïncidences fatales, semblait le chef des Anglais et des Prussiens ; il croyait être environné de libérateurs, et il était accompagné d’ennemis ; il paraissait entouré d’une escorte d’honneur, et cette escorte n’était en réalité que les gendarmes qui le menaient hors de son royaume : il traversait seulement Paris en compagnie des étrangers dont le souvenir servirait un jour de prétexte au bannissement de sa race.

Le gouvernement provisoire formé depuis l’abdication de Bonaparte fut dissous par une espèce d’acte d’accusation contre la couronne : pierre d’attente sur laquelle on espérait bâtir un jour une nouvelle révolution.

À la première Restauration j’étais d’avis que l’on gardât la cocarde tricolore : elle brillait de toute sa gloire ; la cocarde blanche était oubliée ; en conservant des couleurs qu’avaient légitimées tant de triomphes, on ne préparait point à une révolution prévoyable un signe de ralliement. Ne pas prendre la cocarde blanche eût été sage ; l’abandonner après qu’elle avait été portée par les grenadiers mêmes de Bonaparte était une lâcheté : on ne passe point impunément sous les fourches caudines ; ce qui déshonore est funeste : un soufflet ne vous fait physiquement aucun mal, et cependant il vous tue.

Avant de quitter Saint-Denis je fus reçu par le roi et j’eus avec lui cette conversation :

« Eh bien ? me dit Louis XVIII, ouvrant le dialogue par cette exclamation.

— Eh bien, sire, vous prenez le duc d’Otrante ?

— Il l’a bien fallu : depuis mon frère jusqu’au bailli de Crussol (et celui-là n’est pas suspect), tous disaient que nous ne pouvions pas faire autrement : qu’en pensez-vous ?

— Sire, la chose est faite : je demande à Votre Majesté la permission de me taire.

— Non, non, dites : vous savez comme j’ai résisté depuis Gand.

— Sire, je ne fais qu’obéir à vos ordres ; pardonnez à ma fidélité : je crois la monarchie finie. »

Le roi garda le silence ; je commençais à trembler de ma hardiesse, quand Sa Majesté reprit :

« Eh bien, monsieur de Chateaubriand, je suis de votre avis. »

Cette conversation termine mon récit des Cent-Jours.




  1. Le Journal des Patriotes de 1789, fondé par Réal et Méhée de la Touche, avait paru du 18 août 1795 au 16 août 1796. Il ressuscita pendant les Cent-Jours, du 1er mai au 3 juillet 1815, sous ce titre : Le Patriote de 1789, journal du soir, politique et littéraire. Réal, alors préfet de police, en était l’inspirateur, et Méhée de la Touche le rédacteur principal. Ce Méhée, une des plus rares figures de coquins de la période révolutionnaire et impériale, avait été, en 1792, secrétaire greffier adjoint de la Commune dite du 10 août, et il avait, en cette qualité, joué un rôle dans la préparation des massacres de septembre. Le 17 septembre, la section du Panthéon délibérait sur le genre de gouvernement que l’on devait demander à la Convention ; il envoya son vœu dans un billet ainsi conçu : « Si jamais ce que l’on appelait un roi, ou quelque chose qui ressemble à un roi, ose se présenter en France, et qu’il vous faille quelqu’un pour le poignarder, inscrivez-moi au nombre des candidats. Voilà mon nom : Méhée. » Après le 18 brumaire, il rédigea le Journal des Hommes libres, qui lui valut bientôt d’être arrêté en vertu d’un ordre des Consuls qui le qualifiait de septembriseur. Exilé d’abord à Dijon, puis à l’île d’Oléron, il s’évada sans trop de peine, ne fut pas recherché par la police, qui avait ses raisons pour fermer les yeux, et passa en Angleterre. Il se présenta au gouvernement anglais et au comte d’Artois comme l’agent d’un parti puissant qui voulait renverser Bonaparte. De retour en France, il publia un Mémoire qui dévoilait ses nouvelles infamies. Cette affaire lui valut beaucoup d’argent anglais et français, et il se fixa à Paris, où il étala une sorte de faste, jusqu’au jour où il retomba dans sa détresse ordinaire. Au mois de juillet 1815, il lui fallut quitter la France et se réfugier en Suisse. Après avoir habité successivement l’Allemagne et la Belgique, il put rentrer en 1819, publia quelques brochures discréditées d’avance par son nom et mourut dans la misère en 1826, à l’âge de soixante-six ans.
  2. Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi, né à Genève le 9 mai 1773, mort dans la même ville le 25 juin 1842. Ses principaux ouvrages sont : l’Histoire des républiques italiennes, seize volumes in-8o (1807-1818), et l’Histoire des Français, vingt-neuf volumes in-8o (1821-1842). C’est en 1813 qu’il vint pour la première fois à Paris. Pendant les Cent-Jours, il donna au Moniteur une série d’articles en faveur de l’Acte additionnel, et les réunit en un volume sous le titre d’Examen de la Constitution française. Ils attirèrent l’attention de l’Empereur, qui manda Sismondi et s’entretint longuement avec lui.
  3. Lucien Bonaparte.
  4. Philippe-Antoine, comte Merlin, dit Merlin de Douai (1754-1838), député à la Constituante, à la Convention, au Conseil des Anciens, et à la Chambre des représentants en 1815 ; ministre de la Justice en 1795, puis ministre de la police générale ; membre du Directoire après le 18 fructidor ; sous l’Empire, procureur général à la Cour de cassation, conseiller d’État, comte, grand-officier de la Légion d’honneur. Destitué de ses fonctions en 1814, bien qu’il eût des premiers adhéré à Louis XVIII, il fut, après le 20 mars, rappelé par l’Empereur à la Cour de cassation, avec le titre de ministre d’État. Le 24 juillet 1815, il fut exilé comme régicide ayant rempli des fonctions pendant les Cent-Jours. Il se retira en Hollande et y vécut jusqu’à la révolution de 1830, qui lui permit de rentrer en France. Il mourut à Paris, âgé de quatre-vingt-quatre ans. Jurisconsulte de premier ordre, il eut l’infamie de rédiger la loi des suspects. Si très peu d’hommes, pendant la Révolution, ont eu plus de talent que Merlin de Douai, sa lâcheté fut plus grande encore que son talent.
  5. L’Acte additionnel fut publié dans le Moniteur du 23 avril 1815. Le même jour paraissait un décret portant que les Français étaient appelés à consigner leur vote sur des registres ouverts dans toutes les communes, et que le dépouillement aurait lieu à l’assemblée du Champ de Mai convoquée à Paris pour le 26 mai.
  6. La surprise et le mécontentement furent universels. Un témoin peu suspect, Thibaudeau, a dit : « L’effet fut prompt comme la foudre ; à l’enthousiasme des patriotes succéda incontinent un froid glacial ; ils tombèrent dans le découragement, ne prévirent que malheurs et s’y résignèrent. » (Le Consulat et l’Empire, t. X, p. 325-326). — Un Anglais, présent alors à Paris, et qui, en sa qualité d’étranger, était un spectateur impartial du mouvement des idées et des faits, M. Hobbouse, d’ailleurs favorable à Napoléon, rend le même témoignage : « Je ne me rappelle pas, dit-il, avoir vu dans l’opinion un changement pareil à celui qui eut lieu à Paris, lorsque parut l’Acte additionnel. » (Lettres sur les Cent-Jours.) Les bonapartistes eux-mêmes étaient loin d’être satisfaits. « Les napoléonistes autoritaires, dit M. Henry Houssaye (1815, tome I, p. 546), déplorèrent ces concessions libérales. Ils dirent que l’empereur en transigeant avec l’anarchie faiblissait et s’affaiblissait, ils le regardèrent comme perdu. » — Voir Alfred Nettement, Histoire de la Restauration, tome II, p. 282 ; Benjamin Constant, Mémoires sur les Cent-Jours, tome II, 70-71 ; Mémoires de La Fayette, tome V, 420 ; Villemain, Souvenirs contemporains, tome II, 182-183.
  7. Aux termes du décret du 22 avril, la cérémonie du Champ de Mai avait été fixée au 26 mai, mais il fallut la remettre au 1er juin, des retards s’étant produits dans l’envoi des registres électoraux et les délégués tardant à arriver.
  8. La fête fut magnifique, mais ce fut une fête de théâtre. On avait dressé à la hâte, au Champ de Mars, une estrade, un trône, un autel. Les acteurs ne manquaient pas, et le plus grand de tous était là, revêtu d’un costume, qui était aussi un costume de théâtre : une tunique et un manteau nacarat, des culottes de satin blanc, des souliers à bouffettes, une toque de velours noir orné de plumes blanches. Ses frères étaient entièrement vêtus de velours blanc, avec petits manteaux à l’espagnole, brodés d’abeilles d’or, et toque tailladée. Ses hérauts d’armes, ses chambellans, ses pages, étaient habillés comme des personnages d’opéra-comique. Ce Champ de Mai qui, dans la pensée de Napoléon, devait évoquer les souvenirs de Charlemagne, réveillait dans l’esprit des spectateurs les souvenirs de Jean de Paris, le héros d’un opéra de Boiëldieu alors très en vogue.
  9. En débarquant à Cannes, Murat s’était mis à la disposition de l’Empereur. Celui-ci, craignant la contagion du malheur, ne répondit pas au roi détrôné et lui fit interdire par Fouché l’accès de Paris.
  10. Adresse de la Chambre des Pairs du dimanche 11 juin. — Moniteur du 12 juin.
  11. Voyez plus haut celle du maréchal Soult. Ch.
  12. Allusion au maréchal Soult.
  13. La mission de porter l’épée du connétable, au sacre de Charles X, fut confiée au maréchal Moncey. Les maréchaux Soult, Mortier et Jourdan furent appelés à porter le sceptre, la main de justice et la couronne.
  14. Dans la nuit du 6 au 7 mars. La nouvelle avait été envoyée par le consul général d’Autriche à Gênes.
  15. Charles-Alexandre, comte Pozzo di Borgo, né à Alata, (Corse) le 8 mars 1764. Député de la Corse à l’Assemblée législative de 1791, il se rangea parmi les monarchistes constitutionnels et se tint jusqu’au 10 août en relations fréquentes avec le roi. En 1796, obligé de quitter la Corse, il se rendit en Angleterre, puis à Vienne, et se mit enfin au service de la Russie. À la fois militaire et diplomate, il paie de sa personne sur les champs de bataille, et il déploie, comme négociateur, dans les missions les plus difficiles, les plus rares qualités de pénétration et de souplesse. Pozzo fut le plus redoutable ennemi de Bonaparte et nul n’a plus contribué à sa chute. C’est lui qui détermina l’empereur Alexandre à marcher sur Paris sans s’inquiéter des mouvements que faisait Napoléon sur ses derrières. La fameuse proclamation du prince de Schwarzenberg, qui la première parla des Bourbons, fut de même l’œuvre du comte Pozzo ; le prince de Schwarzenberg ne l’avait pas signée, et ce fut Alexandre qui, dans une entrevue au quartier général de Bondy, lui dit : « Mon cher prince, vous avez fait là une belle proclamation, elle est parfaite ; signez-la, elle vous fera honneur. » Et Schwarzenberg, un peu par amour-propre, un peu par déférence, la scella de son nom. Napoléon renversé, Pozzo fut nommé ambassadeur de Russie auprès de la cour de France. Il suivit Louis XVIII à Gand et resta ambassadeur à Paris jusqu’en 1835. À cette époque, il échangea ce poste contre celui d’ambassadeur à Londres, où il représenta l’empereur Nicolas jusqu’en 1839. Il demanda alors sa retraite, et vint passer les dernières années de sa vie à Paris, où il mourut le 15 février 1842. La mère de MM. Louis et Charles Blanc appartenait à la famille de Pozzo di Borgo.
  16. Le baron de Vincent, ambassadeur d’Autriche près la cour de France. Ce n’était pas précisément un ambassadeur à la façon de Chateaubriand. Je trouve sur lui ce petit détail dans l’Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel, t. XVI, p. 256 : « Le baron de Vincent était célibataire et ne tenait pas une grande maison… On raconte que les jours où il donnait à dîner, il se tenait sans affectation près de la porte de son salon, ce qui dispensait d’annoncer et de nommer les convives. »
  17. Ferdinand, baron d’Eckstein, né à Altona (Danemark) en septembre 1790, de parents israélites. Il embrassa le catholicisme à Rome en 1806, se battit dans les rangs des volontaires de Lutzow pendant la campagne de 1813, et, à la chute de l’Empire, entra au service de la Hollande. Gouverneur de Gand à l’époque des Cent-Jours, les égards qu’il eut pour le roi Louis XVIII lui valurent la faveur de ce prince. Il le suivit en France, devint successivement commissaire général à Marseille et inspecteur général du ministère de la police, reçut le titre de baron et fut enfin attaché, en qualité d’historiographe, au ministère des affaires étrangères. Non content d’écrire dans les journaux ultra-royalistes, le Drapeau blanc et la Quotidienne, il fonda en 1826 une revue politique et religieuse, Le Catholique. Orientaliste distingué, polémiste ardent et convaincu, il fut l’un des premiers rédacteurs du Correspondant, collabora après 1830 à l’Avenir et à la Revue archéologique et ne cessa, pendant plus de trente ans, de multiplier ses écrits en faveur de la religion. Le baron d’Eckstein est mort à Paris le 25 novembre 1861.
  18. Guillaume-Frédéric, duc de Brunswick, fils de celui qui avait commandé en 1792 les armées coalisées contre la France, et qui avait été, en 1806, mortellement blessé près d’Auerstaedt.
  19. Bulow (Frédéric-Guillaume de), comte de Dennewitz, né en 1765, l’un des meilleurs généraux prussiens. En 1813, il avait battu le maréchal Oudinot à Gross-Beeren et le maréchal Ney à Dennewitz, et avait contribué à la victoire de Leipsick. Il joua un rôle très important à Waterloo, où sa marche sur le flanc droit de l’armée française décida du sort de la journée. Il avait depuis 1814, le titre de commandant général de l’infanterie prussienne et le gouvernement de la Prusse orientale. Après la campagne de 1815, il retourna au chef-lieu de son gouvernement, à Kœnigsberg, où il mourut en 1816.
  20. Guillaume-Frédéric (1772-1843), fils de Guillaume V, le dernier stathouder de Hollande, et qui allait lui-même devenir roi des Pays-Bas, sous le nom de Guillaume Ier. Il commandait à Waterloo un des corps de l’armée de Wellington. Son fils, Guillaume-Georges-Frédéric (1792-1848), qui sera plus tard roi de Hollande sous le nom de Guillaume II, assistait également à la bataille comme aide de camp du généralissime anglais, et il fut blessé comme son père.
  21. Voir, au tome III, la note 1 de la page 205 (note 177 du Livre Premier de la Troisième Partie).
  22. M. Thiers, dans son vingtième volume, publié en 1862, aura été le dernier défenseur de la phrase légendaire. « À ce moment, dit-il, on entend ce mot qui traversera les siècles, proféré selon les uns par le général Cambronne, selon les autres par le colonel Michel : La garde meurt et ne se rend pas. » En dépit de M. Thiers, nul ne croit plus à la réalité de la fameuse phrase, que le général Cambronne a d’ailleurs toujours désavouée, notamment en 1835, dans un banquet patriotique, qu’il présidait à Nantes. (Voir Levot, Biographie bretonne, au mot Cambronne.) Le seul point sur lequel on discute encore est celui de savoir si Cambronne a dit — ou n’a pas dit — le monosyllabe que Victor Hugo a mis dans sa bouche. (Les Misérables, tome III, liv. I, ch. 15, p. 103.) — Le mieux, je crois, est de s’en tenir à ces lignes d’un judicieux historien, M. Alfred Nettement : « Le mot prêté à Cambronne, leur chef : « La garde meurt et ne se rend pas, » n’a point été dit ; mais l’action est supérieure aux paroles ; ces héroïques soldats, entourés de monceaux de cadavres tombés sous leurs balles et leurs baïonnettes, sont tous mort pour ne pas se rendre. ».(Histoire de la Restauration, tome II, p. 567).
  23. Henri-Amédée-Mercure, comte de Turenne (1776-1852). Officier au régiment du Roi quand éclata la Révolution, il refusa d’émigrer, et voulut reprendre du service militaire ; mais, incarcéré à Lyon comme suspect pendant la Terreur, il ne fut remis en liberté qu’après le 9 thermidor, et servit à l’armée des Pyrénées occidentales. Le décret de 1794 contre les nobles le força de quitter l’armée ; il resta dans la vie privée jusqu’à la proclamation de l’Empire, et fut alors un des premiers à se rallier au nouveau pouvoir. Tandis que sa femme devenait dame du palais de l’impératrice Joséphine, lui-même était attaché à la personne de l’Empereur comme officier d’ordonnance. Chambellan de Napoléon après Wagram, premier chambellan et maître de la garde-robe en 1812, colonel pendant la campagne de Russie, il fut créé comte de l’Empire le 11 novembre 1813. Il suivit Napoléon pendant la campagne de France, assista aux adieux de Fontainebleau, mais ne put obtenir l’autorisation d’accompagner l’Empereur à l’île d’Elbe. Louis XVIII le nomma sous-lieutenant aux mousquetaires gris et chevalier de Saint-Louis. Aux Cent-Jours, il reprit son service auprès de Napoléon, fut nommé pair le 2 juin 1815 et assista à la bataille de Ligny et à celle de Waterloo, où il tenta des efforts désespérés contre les gardes anglaises. La seconde Restauration lui supprima ses titres et ses fonctions ; mais elle ne lui tint pas rigueur jusqu’au bout. Le 31 octobre 1829, elle le nomma maréchal de camp honoraire. M. de Turenne se rallia à la monarchie de Juillet et devint pair de France le 19 novembre 1831. Frappé de cécité, quelques années plus tard, il termina ses jours dans la retraite.
  24. C’est plus rapide encore que Quinte-Curce : Darius tanti modo exercitus rex… fugiebat.
  25. Jacques-Antoine Manuel (1775-1827). Il était avocat à Aix, lorsque les électeurs des Cent-Jours l’envoyèrent à la Chambre des représentants. Manuel ne parut à la tribune qu’après Waterloo. Le 23 juin, il fit voter un ordre du jour portant que Napoléon II était devenu empereur des Français. Le 27, il fit prévaloir l’urgence de la discussion de la Constitution et du budget. Le 3 juillet, il présenta un projet d’adresse qui fut trouvé trop vague et qu’il défendit en protestant bien haut qu’il croyait le bonheur de la France incompatible avec le retour des Bourbons ; le 5, il demanda, en présence des propositions théoriques de Garat, qu’on mît dans la Constitution plus de « positif » et moins d’ « idéologie ». Le 7, à la nouvelle que les Alliés s’étaient engagés à replacer Louis XVIII sur le trône, il s’éleva contre un acte qui blessait « notre liberté et nos droits ». — Membre de la Chambre des députés de 1818 à 1824, il fit au gouvernement royal une opposition que rendait redoutable son remarquable talent d’improvisateur. Lors de la discussion sur la guerre d’Espagne, le 27 février 1823, il répondit au magnifique discours par lequel Chateaubriand, alors ministre des Affaires étrangères, avait défendu l’expédition. Par deux fois, il prononça des paroles, où ses collègues virent une apologie du régicide. Le 3 mars, la Chambre décida qu’il serait exclu des séances pendant toute la durée de la session. Le lendemain, Manuel vint prendre place à son banc. Sur son refus de se retirer, et après que le sergent Mercier, commandant le détachement de garde nationale qui faisait le service d’honneur à la Chambre des députés, eut refusé de porter la main sur lui, il fut expulsé par le colonel de Foucault requis, à cet effet, avec un détachement de gendarmerie, par le président, M. Ravez. — Manuel ne fut pas réélu : il passa dans la retraite les dernières années de sa vie et mourut chez son ami M. Laffitte au château de Maisons (Seine-et-Oise) le 22 août 1827. Le 24 août, son corps fut transporté au Père-Lachaise, suivi d’une foule immense ; malgré les précautions prises par la police, qui n’avait accordé le passage que par les boulevards extérieurs, ce ne fut qu’à grand’peine qu’on put éviter des troubles sérieux.
  26. Le 22 juin 1815.
  27. Nicolas-Marie Quinette (1762-1821). Député de l’Aisne à la Législative, puis à la Convention, il vota la mort du roi. Au mois d’avril 1793, il fut, avec les conventionnels Camus, Lamarque et Bancal des Issarts et le ministre de la guerre Beurnonville, envoyé à l’armée de Dumouriez pour faire arrêter ce général. Ce fut ce dernier qui les fit arrêter et les livra au prince de Cobourg. Quinette et ses collègues furent soumis à une assez dure captivité jusqu’au 25 décembre 1795, jour où ils furent échangés, à Bâle, contre la fille de Louis XVI. Sous le Directoire, il fit partie du Conseil des Cinq-Cents et devint ministre de l’Intérieur. Préfet de la Somme après le 18 brumaire, il fut, en 1810, nommé conseiller d’État et fait baron, ce qui ne l’empêcha pas, en 1814, d’adhérer à la chute de Napoléon. Aux Cent-Jours, il se présenta, dès le 26 mars, à l’Empereur, qui lui confia une mission extraordinaire dans l’Eure, la Seine-Inférieure et la Somme, avec le titre de conseiller d’État, et l’appela, le 2 juin 1815, à siéger dans la Chambre des pairs impériale. Atteint par la loi du 12 janvier 1816 contre les régicides qui avaient rempli des fonctions pendant les Cent-Jours, il passa aux États-Unis, où il resta deux ans, revint en 1818 en Europe et se fixa à Bruxelles, où il mourut le 14 juin 1821.
  28. Paul, comte Grenier (1768-1827). Général de division dès 1794, il servit avec distinction dans les guerres de la Révolution et de l’Empire. À la première Restauration, il reçut de Louis XVIII le commandement de la 8e division militaire. Élu, en 1815, à la Chambre des représentants, il en fut nommé vice-président. Sous la seconde Restauration, il fut membre de la Chambre des députés de 1818 à 1822. À la fin de la législature, il se retira dans sa terre de Morembert (Aube), où il mourut le 18 avril 1827.
  29. Horace-François-Bastien Sébastiani (1772-1851). Il coopéra au 18 brumaire, se distingua à Marengo, fut envoyé comme ambassadeur à Constantinople (1802-1807) et il décida la Turquie à déclarer la guerre à la Russie et à résister aux Anglais. En 1808, Napoléon lui donna un commandement en Espagne, où il remporta d’abord des succès, qui lui valurent d’être créé comte de l’Empire ; puis il se laissa souvent surprendre : « En vérité, disait Napoléon, Sébastiani me fait marcher de surprise en surprise. » Il se rallia aux Bourbons en 1814, revint à l’Empereur en 1815 et fut élu représentant à la Chambre des Cent-Jours par l’arrondissement de Vervins. Sous la seconde Restauration, député de 1816 à 1824 et de 1826 à 1830, il siégea sur les bancs de l’opposition. Après la révolution de Juillet, il fut successivement ministre des Affaires étrangères (août 1830-octobre 1832), ambassadeur à Naples (1834) et à Londres (1835-1840). Louis-Philippe lui donna, le 21 octobre 1840, le bâton de maréchal de France. Il passa ses dernières années dans la retraite, accablé par l’assassinat de sa fille, la duchesse de Praslin (17 août 1847). Marié en premières noces (1805) à Mlle de Coigny, qui mourut en couches en 1807, il était, par son second mariage avec Mlle de Gramont, proche parent du prince de Polignac.
  30. Louis-Germain Doulcet, comte de Pontécoulant (1764-1853). Député du Calvados à la Convention, il vota, dans le procès du roi, pour le bannissement. Après le 31 mai 1793, il dénonça la Commune de Paris et déclara que la Convention n’était pas libre. Au mois de juillet suivant, choisi comme défenseur par Charlotte Corday, il refusa de l’assister devant le Tribunal révolutionnaire, soit qu’il ait craint pour lui-même, soit qu’il ait eu peur d’aggraver par son intervention la situation de sa compatriote. Charlotte Corday, au moment de monter sur l’échafaud, lui écrivit une lettre qui commençait ainsi : « Doulcet Pontécoulant est un lâche d’avoir refusé de me défendre… » Le 3 octobre 1793, il fut mis hors la loi, mais il échappa aux poursuites en se réfugiant chez une amie, Mme Lejay, libraire, qui avait été publiquement la maîtresse de Mirabeau, et qu’il épousa l’année suivante. Préfet de la Dyle sous le Consulat, il fut nommé sénateur le 1er février 1802 et créé comte le 26 avril 1808. En 1809, il accepta de remplir dans le Calvados une mission de police et il fut le principal agent de l’assassinat du comte d’Aché. (Voir Louis de Frotté et les insurrections normandes, par L. de la Sicotière, t. II, p. 685.) Cela ne l’empêcha pas d’être nommé pair de France par Louis XVIII le 4 juin 1814 et de siéger sans interruption à la Chambre haute de 1814 à 1848. On a de lui des Mémoires publiés en 1862.
  31. Voyez les Œuvres de Napoléon, tome Ier, dernières pages. Ch.
  32. Auguste-Charles-Joseph, comte de Flahaut de la Billarderie (1785-1870), pair des Cent-Jours, pair de France de 1831 à 1848, sénateur du second Empire, ambassadeur à Londres de 1860 à 1862, grand chancelier de l’ordre de la Légion d’honneur de 1861 à 1870. Général de division en 1813, à vingt-huit ans, il déploya en faveur de Napoléon, après Waterloo, les plus généreux efforts. Il mourut le 1er septembre 1870, le jour du désastre de Sedan, et ne vit pas la chute de la dynastie à laquelle le rattachaient de secrètes et intimes affections. Il était le père du duc de Morny, frère naturel de Napoléon III. — Le père du comte de Flahaut avait péri sur l’échafaud en 1794 ; sa mère, la comtesse de Flahaut, remariée en 1802 au marquis de Souza-Bothello, a pris rang parmi nos meilleurs romanciers. Quelques-uns de ses romans, Adèle de Sénanges, Charles et Marie, Eugène de Rothelin, sont des œuvres parfaites, du sentiment le plus délicat et du goût le plus pur.
  33. Antoine, comte Drouot (1774-1847), général de division d’artillerie, et, au jugement de Napoléon, le premier officier de son arme. Il avait suivi l’Empereur à l’île d’Elbe, s’était opposé autant qu’il avait pu au projet de retour en France ; mais, lorsque ce projet avait été décidé, il avait pris le commandement de l’avant-garde. Le 2 juin 1815, il fut nommé pair des Cent-Jours. Il était à Waterloo. Après la défaite, il accourut à la Chambre des pairs, exposa éloquemment la situation, et proposa de continuer la lutte. Investi par le gouvernement provisoire du commandement de la garde impériale, il eut assez d’influence sur elle pour la déterminer à se retirer derrière la Loire et à se laisser désarmer. L’ordonnance du 24 juillet 1815 l’ayant excepté de l’amnistie, il se constitua lui-même prisonnier, comparut devant un conseil de guerre le 6 avril 1816, et fut acquitté. Il vécut, dès lors, dans sa ville natale, à Nancy, exclusivement occupé de questions agricoles, refusant les offres d’emploi, de pensions et d’honneurs qui lui furent faites par Louis XVIII et par le gouvernement de Juillet. Il consentit seulement, le 19 novembre 1831, à être fait pair. — Napoléon l’appelait le Sage. « Drouot, disait-il, est un homme qui vivrait aussi satisfait avec quarante sous par jour qu’avec la dotation d’un souverain. » Par son testament de Sainte-Hélène, il lui légua 100 000 francs, qui furent employés en œuvres de bienfaisance. D’une piété sincère, Drouot n’avait cessé de pratiquer, même au milieu des camps, les devoirs de la religion. C’est peut-être la figure la plus héroïque et la plus pure de l’époque impériale. L’Éloge funèbre du général Drouot a été prononcé par le Père Lacordaire.
  34. Charles-Angélique-François Huchet, comte de La Bédoyère (1786-1815). Il avait été fait colonel en 1812, à vingt-six ans. Après l’abdication de Fontainebleau, sa famille avait obtenu pour lui la croix de Saint-Louis et le commandement du 7e de ligne, en garnison à Grenoble. Le 7 mars 1815, Napoléon n’avait encore vu son escorte se grossir que de faibles détachements, lorsqu’un régiment entier se joignit à lui à Vizille : c’était le régiment de La Bédoyère. À partir de ce moment, la partie était gagnée : la trahison du jeune colonel venait d’en assurer le succès. L’Empereur le nomma général de brigade, son aide de camp, et, bientôt, général de division ; le 2 juin, il l’appelait à la Chambre des pairs. Après la chute de l’Empire, impliqué dans un complot récemment découvert, La Bédoyère fut pris et arrêté (2 août 1815), traduit devant un conseil de guerre comme prévenu de « trahison, de rébellion et d’embauchage », condamné à la peine de mort à l’unanimité, et fusillé dans la plaine de Grenelle (19 août 1815).
  35. Riccé (Gabriel-Marie, vicomte de), né à Bagé-la-Ville (Ain) le 12 juillet 1758, mort à Buzançais (Indre) le 29 novembre 1832. Préfet de l’Orne sous l’Empire, il avait été destitué aux Cent-Jours. Il fut réintégré le 14 juillet 1815, puis appelé à la préfecture de la Meuse (6 août 1817), et (24 février 1819) à celle du Loiret. Élu membre de la Chambre des députés en 1830 par le grand collège de ce dernier département, il vota l’Adresse des 221, adhéra au gouvernement de Louis-Philippe, fut réintégré dans l’administration comme préfet d’Orléans (6 août 1830), et remplacé, comme député, le 28 octobre 1830, par M. Jules de La Rochefoucauld, comte d’Estissac.
  36. Sur le marquis de Jaucourt, voir, au tome III, la note 4 de la page 413. (note 15 du Livre III de la Troisième Partie)
  37. Sur M. de Perray et sur cette négociation de Talleyrand, voir, au tome III, la note de la page 528 (note 47 du Livre IV de la Troisième Partie).
  38. En 1508, l’empereur Maximilien Ier, le roi de France Louis XII, le roi d’Aragon Ferdinand le Catholique et le pape Jules II formèrent entre eux, contre la République de Venise, une ligue qui est restée célèbre sous le nom de Ligue de Cambrai.
  39. « La maîtresse de cette auberge était si royaliste qu’elle voyait des princesses partout ; elle me prit pour Mme la duchesse d’Angoulême et me porta presque dans une grande salle, où il y avait une table de vingt couverts au moins. La chambre était tellement éclairée de bougies et de chandelles qu’on perdait la respiration au milieu d’un nuage de fumée, sans compter la chaleur d’un feu qui aurait été à peine supportable au mois de janvier. Lorsque la bonne dame s’aperçut que je n’étais pas Mme la duchesse d’Angoulême, elle fut un peu désappointée ; mais enfin nous arrivions de Gand ; nous étions donc au moins de bons royalistes : elle nous fit fête en conséquence ; et, en partant, nous eûmes une peine infinie à lui faire accepter de l’argent. Dans cette classe, le dévouement est bien plus sans réserve que dans la classe plus élevée. Je me rappelle que cette pauvre femme me disait : « Voyez-vous, madame, je suis royaliste au point que, quelquefois, je me regarde de travers pour n’avoir pas su me faire guillotiner pour nos Bourbons. » (Souvenirs de Mme de Chateaubriand.)
  40. « Nous arrivâmes à Senlis le… juillet. Comme de coutume, nous ne pûmes trouver à nous loger : enfin, il fallut, manque d’auberge, nous présenter avec notre billet de logement chez un vieux chanoine qui nous reçut comme des chiens, ou plutôt nous fit recevoir par sa servante ; car pour lui, il ne voulut pas nous voir. On nous donna une mauvaise chambre avec deux lits plus mauvais encore, et la vieille bonne eut ordre de ne nous rendre d’autre service que d’aller nous acheter de quoi manger, avec notre argent, bien entendu. Du reste, la pauvre fille était aussi serviable que son maître était inhospitalier ; malgré sa défense, elle nous servit de son mieux et nous réconcilia même avec son chanoine, qui vint nous voir le lendemain avant notre départ ; il nous demanda gracieusement si nous ne voulions pas prendre quelque chose, et cela avec d’autant plus d’instances qu’il savait que nous avions déjeuné. » (Souvenirs de Mme de Chateaubriand.)
  41. Gonesse, à 15 kilomètres N.E. de Paris. Philippe-Auguste y est né en 1165.
  42. Les Mémoires du baron Hyde de Neuville sont ici de tous points d’accord avec ceux de Chateaubriand. Au tome II. p. 115, M. Hyde de Neuville s’exprime ainsi : « Nous partîmes, le maréchal Macdonald et moi pour nous rendre à Gonesse. Macdonald insista pour que nous vissions le prince de Talleyrand avant de nous présenter chez le roi… Ce ne fut pas M. de Talleyrand, mais M. de Chateaubriand que nous rencontrâmes le premier, ainsi qu’il le raconte dans les Mémoires d’Outre-tombe. Par respect pour le maréchal, je le laissai rendre compte du motif de notre voyage. Il assura que les choses étaient arrivées au point que la rentrée du roi à Paris était forcément liée à la nécessité de prendre Fouché pour ministre… »
  43. Séance de la Convention du 22 thermidor an III (9 août 1795). — Moniteur du 14 août.
  44. Wellington était né à Duncan-Castle, en Irlande.
  45. J.-B. Machault d’Arnouville (1701-1794), contrôleur général des finances sous Louis XV. Disgracié en 1754, il avait depuis vécu dans la retraite, dans sa terre d’Arnouville. Enfermé en 1794 aux Madelonnettes comme suspect, il mourut dans cette prison.
  46. « À Arnouville, nous fûmes obligés de loger chez le maire, qui, à l’approche de l’armée royale, s’était caché… On manquait de vivres : on ne trouvait plus un pain dans le village ; nous et une douzaine d’arrivants de Gand, nous mourions de faim ; la servante du maire avait mis à l’ombre toutes ses provisions et ne nous avait réservé que ses injures, dont elle n’était pas avare, quand, par bonheur, arriva un certain M. Dubourg, général de sa façon, qui, nous dit-il, avait pris nombre de villes sur son chemin : c’était le plus grand hâbleur qu’on pût voir, et il nous racontait le plus sérieusement du monde (les croyant lui-même) ses hauts faits d’armes de Gand à Paris : on les aurait trouvés incroyables dans la vie d’Alexandre ; mais cette espèce de fou nous rendit un grand service en allant à la quête et nous rapportant d’énormes morceaux de viande, de pain, etc. Je crois qu’il avait fait très militairement emplette de ces provisions ; mais, sans scrupules, nous en fîmes un déjeuner excellent. » (Souvenirs de Mme de Chateaubriand.)
  47. Nous retrouverons mon ami, le général Dubourg, dans les journées de Juillet. Ch. — Sans attendre les journées de Juillet, nous dirons ici quelques mots du « général » Dubourg, qui devait, en effet, avoir beaucoup d’histoires à raconter, car sa vie fut un vrai roman. Frédéric Dubourg-Butler, né en 1778, était, à l’époque de la Révolution, élève de marine. En 1793, il alla en Vendée faire le coup de feu dans les rangs des royalistes. Blessé et fait prisonnier, il allait être fusillé, lorsqu’il fut sauvé par une femme. Le lendemain, on le trouve dans les rangs des républicains, servant dans l’armée de l’Ouest, alors commandée par Bernadotte. En 1812, il est en Russie, attaché à l’état-major d’une division polonaise. Blessé et fait prisonnier, il ne rentre en France qu’après la chute de l’Empire. En 1815, officier d’état-major du duc de Feltre, ministre de la guerre, il suit le roi à Gand, reçoit, à la rentrée de Louis XVIII, le commandement de l’Artois, mais pour tomber presque aussitôt en disgrâce. Il disparaît pendant quinze ans, et surgit le 29 juillet 1830, à l’Hôtel de Ville, s’improvise « général », du droit de l’émeute et du fait de son uniforme, pris chez un fripier, et de ses épaulettes, tirées du magasin de l’Opéra-Comique. Il joue un instant le rôle de chef de la partie militaire du gouvernement provisoire, puis disparaît de nouveau. On ne le reverra plus que le 24 février 1848. Le nouveau gouvernement provisoire lui accorda une pension de retraite de général de brigade. Cette pension lui fut sans doute fort mal payée, car en 1850 le pauvre diable mit fin au roman de sa vie en avalant une forte dose d’opium.
  48. Alexandre-Charles-Emmanuel, bailli de Crussol (1743-1815). Député de la noblesse aux États-Généraux pour la prévôté et vicomte de Paris, il fut un des membres les plus ardents du côté droit. Louis XVIII le nomma pair de France le 4 juin 1814 ; il mourut le 17 décembre 1815.