Aller au contenu

Mémoires d’une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante/21/À Miss Pike et M. Roome

La bibliothèque libre.

À Miss Pike et à M. Roome.


Mademoiselle,
Monsieur,

Vous avez pris la parole, l’un et l’autre, dans les derniers jours d’août 1896, pour m’attaquer avec violence sous prétexte de défendre la mémoire d’Albert Pike. Le Cincinnati Cronicle a publié, d’abord, une interview de M. William-Oscar Roome, caissier de la Banque nationale de l’Ohio ; ensuite le Washington Post a publié une lettre de Miss Liliana Pike.

Vous, Monsieur Roome, vieil ami d’Albert Pike, vous avez déclaré ceci à l’envoyé du journal de Cincinnati :

« Prétendre qu’Albert Pike était le souverain pontife des Palladistes, cette secte qui adore Lucifer comme l’Être Suprême, c’est un outrage à la mémoire d’un homme de bien. J’ai connu Albert Pike aussi bien et aussi intimement qu’aucun homme de ce pays. Je n’ai jamais entendu dire qu’il eût aucune relation avec la secte des Palladistes. J’ai connu ses opinions religieuses aussi bien que n’importe qui, et je l’ai entendu lui-même dire qu’il croyait en un Dieu qu’il n’était pas insensé de prier, qu’il croyait à l’immortalité de l’âme et à une vie future. Je l’ai entendu parler des manifestations des morts, et personne de ceux qui l’ont fréquenté ne peut douter de ses croyances d’homme religieux. La religion d’Albert Pike était suffisamment bonne pour que n’importe qui la professant pût vivre et mourir avec une parfaite sérénité de conscience. J’ai chez moi une quantité considérable de ses lettres et un certain nombre de manuscrits qu’il n’a pas eu le temps d’imprimer ; quiconque consentirait à les lire y verrait apparaître les sentiments profondément religieux de mon ami ; le nom de Lucifer n’y est jamais écrit ; quoique n’ayant pas de la divinité la même conception que les catholiques romains, Albert Pike adorait le Dieu souverainement bon, que tout homme sensé doit reconnaître comme le principal et sublime ouvrier de la création des mondes, l’organisateur de l’univers, le suprême père, ami et protecteur de l’humanité, qui lui doit l’intelligence et la raison.

« Si vous avez l’intention de réfuter l’attaque de Diana Vaughan contre Albert Pike, vous ne sauriez le faire trop vigoureusement.

« Cette femme avoue qu’elle a été grande-prêtresse des adorateurs du diable ; mais cet aveu devait demeurer personnel, et lorsqu’elle dit qu’elle était sous les ordres d’Albert Pike, elle ment. Depuis longtemps, nous la savons dans un état d’esprit dont un bon médecin pourrait seul la guérir ; elle s’est convertie au catholicisme, il y a un an. Voici l’histoire : elle s’est rendue à Paris, et je crois que c’est en France que sa conversion s’est faite ; elle a causé d’abord une grande consternation parmi les Palladistes d’Europe en publiant, sous forme de Mémoires, un exposé de leurs pratiques diaboliques. En Europe, ces Palladistes ont un chef, qui ont M. Lemmi, ami du célèbre Crispi ; mais Albert Pike n’eut jamais aucune relation avec ce Lemmi, vous pouvez le dire. Quand Diana Vaughan commença sa publication, Lemmi en faisait acheter et détruire tous les exemplaires, et la malheureuse folle s’irritait de ne pouvoir répandre sa doctrine dans le public. C’est dans son exaspération qu’elle s’est convertie au catholicisme, et alors ses écrits ont échappé à la vigilance du vicaire de Satan : les catholiques propagèrent ses aveux, le Pape lui envoya sa bénédiction par le premier de ses cardinaux.

« Il y a dans ces Mémoires une grande partie technique et sans intérêt, excepté pour ceux qui s’intéressent à l’ancien Ordre de la Rose-Croix socinienne, et de plus beaucoup de matière consacrée à la description des cérémonies religieuses, peu propre à être publiée. Tout cela est sans aucun intérêt, en ce sens que ces divulgations représentent un état d’âme qu’il est impossible d’attribuer à une personne saine d’esprit, dans notre dix-neuvième siècle si éclairé ; mais un tel état d’âme s’explique, quand on connaît certaines dispositions maladives de la personne. Diana Vaughan croit à ces manifestations surnaturelles, aujourd’hui qu’elle est catholique, comme elle y croyait quand elle appartenait à la secte des Palladistes ; son esprit troublé admet cette seule différence, que ce qu’elle croyait divin autrefois, elle le considère aujourd’hui comme l’œuvre du diable. Sa famille, toute composée d’honorables protestants du Kentucky, se vit obligée de la faire interner dans une maison de santé, il y a six ou sept ans ; au bout de quelques mois, on la crut guérie ; ses nouvelles aventures prouvent que la cure fin trop incomplète.

« On ne sait pas au juste où Diana Vaughan réside ; mais nous avons des raisons de croire que c’est dans un couvent français ou dans une campagne des environs de Paris. Aucun des amis d’Albert Pike ne peut comprendre quel intérêt la pousse à introduire ce nom si respecté dans ses aveux d’ancienne prêtresse du diable. Elle est excitée, sans doute, par des moines fanatiques ; il se peut encore, comme on nous l’a écrit, qu’elle soit exploitée par une association composée de deux hommes méprisables, celui qui la tient séquestrée, dit-on, dans sa campagne, et un ancien franc-maçon renégat, qui est le dernier des hommes. La pauvre femme a été accaparée ainsi ; mais, dans sa folie, il faut faire la part de la bonne foi, en ce qui concerne les manifestations surnaturelles dont elle s’imagine avoir été le témoin et l’instrument, et la part de la mauvaise foi, en ce qui concerne le rôle qu’elle attribue à mon regretté ami Albert Pike. Comme elle est orpheline et majeure, ses derniers parents, résidant dans l’Union, n’ont aucun pouvoir sur elle ; le seul qui pourrait avoir quelque autorité est son oncle, un vieillard qu’elle a lassé, qui désire mourir en paix et qui a refusé d’intervenir en aucune façon.

« Voilà toute la vérité sur la conversion de Diana Vaughan ; vous voyez, par tout cela, que c’est une folle, dont on rirait si elle ne parlait que d’elle, mais qui est assez dangereuse, puisque la calomnie contre des hommes s’ajoute à ses rêves de diables. Enfin, ceux qui se servent de Diana Vaughan par fanatisme ou qui l’exploitent par intérêt sont encore plus coupables qu’elle. »

Monsieur Roome, vous savez que ce que vous avez dit là est un tissu de mensonges, y compris ma cure chez le docteur John Miller, à la suite d’une chute de cheval, que vous transformez en internement dans une maison d’aliénés. Vous qui m’aviez montré tant d’amitié, quand je revins aux États-Unis après ma première démission, vous, le fondateur du Triangle de Columbus, le premier de l’Ohio, qui a préféré se dissoudre plutôt que d’obéir à Lemmi, vous qui n’ignorez pas que, loin d’outrager la mémoire d’Albert Pike, je prie et fais prier pour son âme, vous êtes le dernier de mes ex-Frères que j’eusse soupçonné capable de mentir si audacieusement ! Et dans quel but, grands dieux ? Pour tenter de séparer le Palladisme, maladroitement renié, de la Franc-Maçonnerie officielle, dont vous ne dites pas un mot, afin de mieux la servir, vous, trente-troisième et grand auditeur du Suprême Conseil de Charleston !

Patience ! Nous réglerons ce compte, lors de ma conférence à Washington.

Vous, Liliana, dans la lettre au Washington Post, où vous prodiguez les citations d’écrits publics de votre père, pour établir qu’il était spiritualiste, et non athée, — ce que personne ne conteste. — vous m’attaquez avec plus de violence encore que le F▽ Roome.

Vous écrivez :

« La calomnie de Diana Vaughan est si absurde et si monstrueuse, qu’il serait inutile de la réfuter, si tous avaient connu mon père ; mais des personnes crédules qui ne l’ont pas connu pourraient croire qu’elle repose sur quelque fondement… Que Diana Vaughan ait pu croire à ces produits de son esprit malade (les manifestations surnaturelles des Triangles), c’est possible, spécialement après un régime de jeûne, de veilles prolongées et d’infusions de graine de chanvre ; mais une personne qui est capable d’écrire délibérément un mensonge pernicieux calcule bien dans sa folie…

« Diana Vaughan cherche évidemment à jeter du discrédit sur le Rite Écossais en l’identifiant avec sa secte diabolique imaginaire et en attaquant le caractère du grand législateur de ce Rite, le Moïse qui a conduit les membres de l’Ordre de la terre d’esclavage, à travers le désert, à la Terre Promise. Je laisse cela aux Maçons mieux renseignés que moi et dont c’est le devoir de défendre leur Ordre ; mais l’honneur de mon père, c’est un dépôt sacré pour moi, et, tant que je vivrai, je le défendrai.

« Si cette femme n’avait enfreint le commandement de Dieu : « Tu ne porteras pas faux témoignage contre ton prochain », qu’au détriment des vivants, elle aurait mérité d’être condamnée, mais quel châtiment serait trop rigoureux pour cette calomniatrice des morts, pour cette goule qui profane les tombeaux ? » (but what punishment would be too severe for one wbo maligns the dead, for this goul who desecrated the grave ?)

Ah ! Liliana, qu’ils sont loin, les jours où vous me donniez le doux nom d’amie !… Et comment pouvez-vous oser travestir mes intentions de révélatrice au sujet de votre père ?… Je le plains, depuis le jour où la lumière s’est faite en mon âme ; je dis hautement qu’il ne crut jamais adorer Satan.

Soit ! Nous discuterons tout cela en public, à Washington.

En vain, vous prétendez que votre père ne vint pas à Charleston le 8 avril 1889. Dans vos douze lignes de démenti, vous ne citez aucune preuve ; vous niez purement et simplement. Vous dites que, durant toute cette année 1889, votre père ne quitta pas une seule fois Washington.

Ô trop oublieuse Liliana ! le F▽ Webber n’a pas détruit tous les exemplaires du Bulletin du Suprême Conseil de Charleston ! Nous pourrons donc vous montrer quelques preuves, quoique le compte rendu de ma présentation à Lucifer ne s’y trouve pas.

Et si le Palladisme n’est pas maçonnique, pourquoi les francs-maçons de Charleston, vos Frères, ô S▽ Liliana Pike, conservent-ils et honorent ils-le Baphomet ? pourquoi m’avez-vous fait don de votre portrait, où vous êtes accoudée auprès du Baphomet ? Voilà un document que vous ne pouvez nier ; la dédicace à votre « chère Diana Vaughan » est écrite en entier de votre main et signée de votre signature « Lilian Pike ».

Encore un souvenir, pour rafraîchir votre mémoire. Vous avez donc oublié la photographie que fit, dans son jardin, à Charleston, le F▽ Nathaniel Levin ? Je l’ai aussi cette photographie, où votre père et mon oncle sont debout derrière vous et moi, nous deux assises, vous la main appuyée sur mon épaule.

Allons, Liliana, vous avez tort de vous mettre en frais de négations. Vous m’obligez à me défendre contre vous, et je vous assure qu’il m’en coûte beaucoup.

Enfin, Roome et vous, vous n’avez pas eu l’adresse de vous mettre d’accord pour me contredire ; c’est vous qui avez contradiction entre vous deux, et la contradiction la plus pitoyable !

Le diable se laisse souvent prendre en faute, mes pauvres amis.

D. V.