Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889/Chapitre IX

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CHAPITRE IX

DEPUIS LE 5 MAI 1793
JOUR DE LA PRISE DE THOUARS
JUSQU’À LA PRISE DE FONTENAY-LE-PEUPLE[1]
CI-DEVANT LE-COMTE
CHEF-LIEU DU DÉPARTEMENT DE LA VENDÉE[2]


Me voici arrivée à la relation des batailles de la Vendée. Je pense en avoir oublié, et je ne rapporterai pas même toutes les dispositions de celles que je décrirai ; je dirai seulement ce que je sais de positif. Le combat de Thouars est très célèbre, et, de plus, fort intéressant pour moi, à cause de la conduite extraordinaire qu’y tint M. de Lescure, et qui le fit connaître à toute l’armée. Le pont de Vrine est situé à une demi-lieue, sur une petite rivière, le Thouet, qui de là coule au bas de la ville ; les Bleus l’avaient presque entièrement coupé, à l’exception d’un passage étroit qu’ils avaient fermé par une charrette pleine de fumier et renversée ; derrière, ils avaient formé un retranchement défendu par cent cinquante volontaires et des canons. En face et tout près du pont est un rocher à pic ; MM. de la Rochejaquelein et de Lescure furent envoyés sur cette hauteur avec mille à douze cents hommes pour commencer l’attaque. On leur avait dit que toute l’armée se trouverait deux heures après aux portes de la ville, mais, au lieu de cela, cette escarmouche dura sept heures. La poudre allait manquer, Henri court à cheval pour en chercher et presser la marche des troupes, M. de Lescure reste seul à commander ; il s’aperçoit que les Bleus commencent à s’ébranler ; alors, n’écoutant que son courage, il prend un fusil à baïonnette, crie aux soldats d’avancer, et, descendant du rocher, il arrive jusque sur le pont ; là il reçoit toute une décharge de mousqueterie et de mitraille qui traverse ses habits ; s’apercevant qu’aucun paysan n’a osé le suivre, il remonte, les appelle, redescend, retourne sur le pont, reçoit une nouvelle décharge, et, se voyant absolument seul, il revient chercher les paysans et retourne au pont pour la troisième fois ; alors, suivi d’un seul soldat, mais voyant arriver MM. de la Rochejaquelein et Forest au grand galop pour le seconder, il franchit le pont le premier, le soldat le second, celui-ci est blessé ; Henri, descendu de cheval, passe le troisième, Forest le quatrième ; ils se jettent dans les retranchements, les paysans accourent en foule, et tous les Bleus qui s’y trouvaient se rendent ; ces messieurs restèrent pour garder le passage et les prisonniers. L’attaque générale commença ; mon père et M. de Marigny prenaient par le pont Saint-Jean, MM. d’Elbée, Stofflet par le côté opposé, M. de Bonchamps par un autre[3].

Au bout de deux heures de combat, la ville se rendit. Pendant la bataille, M. de Lescure et Henri faisaient démolir sans bruit le mur de la ville, à coups de pique, par les soldats ; sitôt que la brèche fut faite, ils entrèrent[4] avec une partie de leur monde pour ouvrir la porte à M. d’Elbée ; ils arrivèrent dans le moment où le général Quétineau lui présentait les clefs de la ville et les drapeaux ; rien ne fut pillé dans Thouars, quoiqu’on pût dire qu’il fut pris d’assaut. Les paysans coururent aux églises prier Dieu, sonner les cloches, et s’amusèrent, suivant leur usage, à brûler les arbres de la liberté, les papiers du district et de la municipalité ; ils ne prirent dans la ville que les armes et autres effets de guerre. C’est ainsi que ces pauvres Vendéens, qu’on appelait Brigands, se conduisaient dans toutes les villes dont ils s’emparaient ; je ne le répéterai plus, parce que c’était de même partout. L’amour de la vérité me force cependant d’ajouter que, lors du commencement de la révolte et de la première prise de Machecoul, on y commit plusieurs actes de barbarie ; c’est l’armée de Charette qui les fit, et je ne sais s’il y était alors ; en tout cas, c’est la seule et unique fois qu’on eut quelque reproche à faire aux Vendéens dans une des armées.

Ce combat fit la réputation de M. de Lescure, tous en parlaient avec admiration ; les paysans qui en revenaient et que je rencontrai à la Boulaye, où pas un ne me connaissait, me vantaient leur nouveau général, et m’assuraient que sûrement il était vrai que le bon Dieu écartait de lui les balles, parce que c’était un saint ; sans cela il aurait été tué, tant il s’était exposé. Cette opinion s’accrédita parmi ces bonnes gens ; ils croyaient qu’en se mettant derrière lui, rien ne pouvait les atteindre et qu’il était invulnérable ; les officiers comme les soldats lui obéissaient à l’envi. Il m’a dit les raisons qui l’avaient poussé à s’exposer si singulièrement ; depuis il l’a fait encore autant, mais par réflexion, pour entraîner ses soldats, n’étant jamais plus de sang-froid que dans les plus grands périls. Il me dit donc que : 1° la joie de se trouver à la première bataille lui avait fait perdre la tête et l’avait rendu téméraire à l’excès ; 2° ayant vu que l’essentiel était d’inspirer de la confiance aux paysans, il avait voulu la mériter sur-le-champ.

Nous perdîmes très peu de monde à Thouars, quoique le combat eût duré onze heures ; les Bleus eurent cinq ou six cents hommes de tués ; nous prîmes beaucoup de canons, de fusils, de poudre, et trois mille prisonniers ; le reste se sauva. On les renvoya presque tous, la plupart étaient des pères de famille de la garde nationale sédentaire des environs ; deux cents à peu près furent gardés prisonniers et suivirent l’armée. Quant à Quétineau, il dit à M. de Lescure : « Monsieur, tout le monde ne vous a pas oubliés à Bressuire ; je vis bien en partant vos volets fermés, mais j’étais loin de vouloir vous nuire. » Comme M. de Lescure savait, ainsi que tous les officiers, qu’il s’était conduit en honnête homme, tout le temps de son commandement, il demanda d’être maître d’en disposer, ce qu’on lui accorda ; il l’emmena dans sa chambre, et lui dit : « Quétineau, vous êtes libre, vous pouvez partir ; je ne vous propose pas de prendre parti avec nous, parce que ce n’est pas votre opinion, mais je vous engage à rester prisonnier sur parole dans la ville royaliste que vous voudrez ; vous y serez bien traité, et cela ne vous compromettra pas vis-à-vis de la république ; au lieu que, si vous allez trouver les Bleus, on vous fera périr pour avoir rendu la ville, malgré votre belle défense. » Quétineau lui répondit : « J’estime davantage mon parti, je ne doute pas qu’on me rende justice, car je n’ai livré la ville que forcé par le gros de l’armée catholique et voyant les paysans entrer en foule par la brèche ; alors j’ai couru au district en disant : « La ville est prise d’assaut, tous vont être passés au fil de l’épée, je n’ai que l’espoir de pouvoir fléchir le vainqueur en ouvrant moi-même les portes sur-le-champ. »

[Un administrateur du district s’étant écrié avec désespoir : « Eh bien, si j’avais un pistolet, je me brûlerais la cervelle », Quétineau, avec un grand sang-froid, en avait pris un à sa ceinture et le lui avait présenté. Le pauvre administrateur se résigna alors à capituler.] Quétineau ajouta que sa femme était dans la république ; que, libre de choisir, il préférait s’en aller, car sans cela il ne pourrait répondre aux accusations de ses ennemis, et prouver qu’il avait fait son devoir[5]. Cet homme conserva toujours ce caractère loyal ; il ne s’abaissa à aucune supplication et partit plein d’estime pour la générosité et la valeur des Vendéens[6].

Quelques soldats prirent parti avec nous, surtout des gens de Loudun : nous y fîmes une bonne recrue d’officiers ; il vint nous joindre de cette ville : MM. de Beauvollier aîné[7], de la Marsonnière[8], de Sanglier et de Mondion.

M. de Beauvollier, frère du chevalier âgé de vingt-huit ans, avait servi ; c’était l’homme le plus actif qu’on pût trouver. J’aurai bien souvent occasion de parler de lui ; il était fort vif, fort sensible et en même temps très dur pour le service, exact, ferme et propre à tous les objets de détail et tout ce qui demandait beaucoup de suite et de soins[9]. Dans le premier moment il se mit officier d’artillerie, ainsi que MM. de la Marsonnière et de Sanglier. Ces deux derniers avaient quarante ou cinquante ans, hommes peu brillants, mais singulièrement braves, honnêtes et pleins de bonne volonté ; le premier avait servi dix-huit ans dans l’artillerie et était fort bon officier[10]. Le chevalier de Mondion[11] était un jeune homme de quatorze à quinze ans, grand et fort pour son âge, d’une belle figure, d’un courage surprenant ; il était plein d’esprit et fort vif ; ses trois frères étaient émigrés. Resté à Paris dans la pension de M. Paulette, il s’échappa avec un faux passeport qu’il avait fabriqué, et il vint nous rejoindre.

M. de la Ville-Baugé[12], habitant de Thouars, qui avait été forcé de prendre les armes contre nous, demanda à servir le Roi dans l’artillerie ; c’était un homme de vingt-neuf ans, extrêmement actif, brave, spirituel, ferme, exact ; il s’attacha beaucoup à M. de Lescure, par estime et par amitié ; il a toujours été regardé comme un des meilleurs officiers[13].

L’armée fut de Thouars à Parthenay, qu’elle trouva évacué ; six dragons, dont le chevalier de Marsanges[14], vinrent la joindre ; ils furent bien reçus des officiers et mal des soldats, qui les prenaient pour des espions ; aussi, au premier combat où ils se trouvèrent, celui de la Châtaigneraie, ils se battirent avec tant de courage, que l’un d’eux fut tué, et les paysans charmés de leur valeur leur crièrent : « Dragons, c’est assez, ne vous exposez pas tant, nous voyons que vous êtes de braves gens ; » effectivement c’étaient des sujets distingués, et ils furent cause que les Vendéens virent depuis avec plaisir les déserteurs, mais il en vint bien peu. De Parthenay, l’armée marcha sur la Châtaigneraie, dans laquelle étaient trois ou quatre mille hommes. La ville fut prise, M. de Bonchamps y entra le premier, sabre à la main[15] ; les chevaliers de Mondion et de Beauvollier y furent blessés, l’un à la jambe, l’autre à la main ; ils ne marquaient pas encore beaucoup à l’armée. M. de Marigny, dans ce combat ainsi que dans celui de Thouars, dirigea avec beaucoup de succès notre artillerie. [Ce fut mon père qui contribua le plus au gain de la bataille : s’étant aperçu qu’une colonne ennemie cherchait à nous tourner, il fit marcher sur elle et nous sauva.] La Châtaigneraie ne fut point pillée, mais on cassa les meubles dans quelques maisons[16].

Ensuite l’armée marcha sur Fontenay, mais les paysans, fatigués d’être depuis longtemps sous les armes, s’en retournèrent pour la plupart ; il ne resta que sept mille hommes à peu près, il y en avait dix mille dans Fontenay. On donna à MM. de Lescure et de la Rochejaquelein le commandement de l’aile gauche ; ils battirent les Bleus qui leur étaient opposés et avancèrent jusque dans les faubourgs de la ville ; mais notre corps d’armée et notre aile droite furent repoussés et prirent la fuite. La bataille s’était donnée avec tant de confusion, que nos canons se trouvèrent engagés à la file les uns des autres, et sans être gardés par des soldats ni des officiers d’artillerie, tous, même M. de Marigny, s’étant mis étourdiment dans la cavalerie, pour charger ; les canonniers perdirent la tête, ne tirèrent même pas et abandonnèrent leurs pièces[17], M. d’Elbée fut blessé à la cuisse, M. de la Marsonnière fut pris avec plus de deux cent quarante paysans. On crut que toute notre aile gauche se trouverait enveloppée et serait détruite ; les fuyards du reste de l’armée le disaient, mais elle se retira en bon ordre, quoique toujours harcelée, et sauva deux canons, n’en abandonnant qu’un dont l’affût était cassé ; nous perdîmes plus de vingt pièces et entre autres la fameuse Marie-Jeanne et tous nos caissons.

[C’est ce jour-là que quatre-vingts paysans, qui faisaient partie de l’aile gauche, s’étant emparés, près de Fontenay, d’un poste important qu’on les chargea de garder, ne s’aperçurent pas de la défaite des leurs. Avertis par hasard, ils retournent sur le champ de bataille, le trouvent désert, et volent toute l’artillerie vendéenne abandonnée. Incertains du parti qu’ils ont à suivre, mais ne désespérant pas de voir leur armée reprendre le dessus, ils ont le courage de rester pour défendre le précieux matériel qu’elle avait perdu. Lorsque les Bleus revinrent de la poursuite, ils eurent à se battre contre cette poignée de braves gens, qui se firent hacher sur leurs canons. Pierre Bibard[18] seul, couvert de vingt-six blessures, fut emmené prisonnier. Comme il était bien vêtu, car il était riche alors, on le prit pour un chef d’importance. Déposé et gardé à vue dans un grenier, il y resta presque nu et en butte aux plus mauvais traitements. Huit jours après, les Vendéens se présentèrent de nouveau devant Fontenay. Dès que l’attaque eut commencé, le soldat républicain qui surveillait le malheureux Bibard se mit à l’accabler de menaces et d’invectives, et, tournant sans cesse contre lui sa baïonnette, il jurait de le tuer, si la ville était prise. Cependant, inquiet et regardant à diverses reprises par la fenêtre, il oublia un instant son fusil ; le prisonnier, presque mourant, se traîna vers l’arme, la saisit, et contraignit son farouche geôlier à se retirer. Après la prise de la ville, ce méchant homme, confronté avec Bibard, attendait en tremblant l’arrêt de mort qui devait suivre des plaintes trop fondées sur la conduite inhumaine et brutale dont il se sentait coupable ; mais le brave Bibard, déposant tout ressentiment, loin d’accabler son ennemi par le récit de ses torts, demanda et obtint qu’on le mît en liberté, puis il lui dit à voix basse : « Souviens-toi que je t’ai pardonné pour l’amour de Jésus-Christ. » Les blessures de Bibard ne se sont jamais entièrement guéries ; quand une se ferme, il s’en ouvre une autre. Malgré cela, il a constamment continué à servir dans les guerres de la Vendée et à s’y distinguer.]

Nous nous trouvâmes sans poudre ; en rassemblant tout ce qui nous restait, nous n’avions en tout que six pièces d’artillerie, une trentaine de gargousses, et tout au plus une cartouche par soldat. Cependant les généraux ne perdirent pas courage ; ils affectaient un air de gaieté et d’assurance, en disant qu’ils prendraient leur revanche au centuple ; ils invitèrent les prêtres à exhorter le peuple pour le ranimer, et surtout à dire que c’était Dieu qui avait permis la déroute, pour marquer son mécontentement de ce qu’on avait fait du dégât dans quelques maisons de la Châtaigneraie.

Ce fut dans cette occasion que nous engageâmes M. l’abbé Pierre Jagault, qui venait nous dire la messe, à prêcher les habitants de Mallièvre ; il monta en chaire sans préparation, pour la première fois de sa vie. Il montra une éloquence si vive, si touchante, si entraînante, que depuis on l’a très souvent sollicité de parler, et bien des personnes le préféraient même au curé de Saint-Laud : c’étaient les deux meilleurs prédicateurs de l’armée.

Un événement aussi singulier qu’imprévu ranima surtout les paysans : un M. de Folleville[19], qui était prêtre et se disait évêque d’Agra in partibus, arriva en Vendée. C’était un grand bel homme, d’une trentaine d’années, peu d’esprit, mais beaucoup de douceur, et l’air entièrement recueilli : cet homme est vraiment jusqu’à présent le mystère de la Vendée, comme le Masque de Fer fut celui du règne de Louis XIV ; on verra par la suite de ces Mémoires qu’après avoir été reçu avec enthousiasme, il fut soupçonné d’être intrus et espion ; jamais rien n’a été éclairci, pas même à sa mort. Quel pouvait être son but ? Car, nous ayant trompés, la contre-révolution faite, il était perdu ; s’il était traître, comment l’a-t-on guillotiné ? À la vérité, les Jacobins étaient bien capables de faire périr leurs espions mêmes. Cependant M. de Folleville disait avoir été sacré à Saint-Germain, secrètement, par des évêques de notre connaissance. La jalousie a peut-être été cause de ce qu’on a dit contre lui, tout cela n’a jamais été bien connu ; ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que cet homme manquait absolument d’énergie, chose si nécessaire dans le rôle qu’il voulait jouer. Je rapporterai, à mesure, tout ce qui le concerne ; la manière dont il arriva en Vendée est fort bizarre. Il était caché à Poitiers[20], sans qu’on sût qu’il était prêtre ; il fut envoyé de force à Bressuire comme volontaire, de là à Thouars avec la troupe ; quand on prit la ville, il était dans une maison, les paysans y entrèrent, il leur montre des sacrés-cœurs cousus dans son habit, les assura qu’il était prêtre ; il se fit présenter par quelques personnes au conseil de guerre, se déclara évêque et témoigna son désir de se dévouer pour l’armée catholique. Donna-t-il des preuves de ce qu’il avançait ? Je ne l’ai jamais su et je ne le crois pas ; mais plutôt, son extérieur et ses propos inspirèrent-ils confiance aux officiers qui le crurent sans beaucoup d’examen et de réflexion ? Ceci est plus probable ; toujours est-il qu’il fut reçu à bras ouverts ; on convint qu’il se rendrait à Châtillon, où il serait reconnu comme évêque. Il y entra le jour de la déroute de Fontenay ; nous ne concevions rien à ce que nous disaient les paysans, et de la déroute et de l’arrivée d’un évêque. Toutes les cloches furent en branle à Châtillon, le peuple ivre de joie courut au devant de lui ; il distribua ses bénédictions, et les soldats oublièrent la défaite pour ne plus penser qu’à l’arrivée de Monseigneur.

[Cependant l’abbé Brin lui fit sur son épiscopat plusieurs questions qui témoignaient de l’inquiétude et de l’incertitude. M. Guillot répondit qu’il avait été sacré pour aller en Amérique ; mais, comme il se trouvait dans l’Ouest, un évêque du pays lui demanda de se charger de son diocèse. À la Boulaye et dans d’autres endroits, il assura que le Pape l’avait nommé vicaire apostolique pour la France.]

Ici je répondrai à une idée que pourraient avoir plusieurs personnes, que c’était un jeu joué par les généraux ; mais si on réfléchit à leur caractère, tel que je l’ai dépeint, aucun évidemment n’en était capable ; de plus, il n’y avait pas encore de généralissime, tout était en désordre à l’armée. Sûrement on a vu des chefs de parti inventer des impostures, mais ici c’était une révolte spontanée, imprévue ; la plupart des généraux ne se connaissaient pas entre eux ; les officiers agissaient tous sans ordres, comme les soldats ; d’ailleurs, c’eût été un trait bien hardi, bien déplacé et bien dangereux, de faire une mascarade sur la religion dans l’armée catholique. Qui aurait pu l’inventer ? MM. d’Elbée, Cathelineau avaient trop de religion ; Stofflet, trop peu d’autorité ; M. de la Rochejaquelein, trop de jeunesse ; MM. Duhoux et de Boisy, trop de nullité ; mon père, MM. de Lescure et de Marigny étaient arrivés à l’armée la veille de la prise de Thouars ; M. de Bonchamps n’y avait nul intérêt, puisque l’évêque fut plus de deux mois sans aller dans le pays qu’il commandait et resta dans le nôtre. Tous enfin étaient bons chrétiens, honnêtes gens et hommes d’honneur. Non, ce fut le désordre, la confusion, la bonne foi et l’enthousiasme qui furent cause de la crédulité et de la légèreté avec lesquelles on le reçut.

[J’ai su depuis, qu’ayant été caché, six mois avant, à Poitiers, il y jouait déjà le rôle d’évêque, et avait trouvé le moyen d’entrer en correspondance avec M. Brin, curé de Saint-Laurent-sur-Sèvre, et les missionnaires de cet endroit, tous gens si respectables : c’est ce qui décida les généraux à le croire évêque. De plus, il était connu par M. de Villeneuve du Cazeau, qui l’avait vu au séminaire ; enfin, son nom de Folleville[21] rendait encore plus croyable qu’il fût évêque.]

Les combattants se rassemblèrent en foule, il se trouva près de quarante mille hommes avec le corps de Bonchamps, mais on n’avait point de poudre ; l’armée alla coucher devant la Châtaigneraie, qui avait été occupée de nouveau par les républicains. Le lendemain, au point du jour, la ville se trouva évacuée, tous les Bleus s’étaient repliés sur Fontenay. L’armée catholique y marcha sur-le-champ et se trouva sur le midi à Pissotte, à trois quarts de lieue de Fontenay ; les Bleus, au nombre de dix mille, avec plus de quarante pièces de canon, étaient rangés en bataille devant la ville. On fit donner l’absolution aux soldats avant le combat. Les généraux leur disaient : « Mes enfants, nous n’avons pas de poudre, allons reprendre Marie-Jeanne à coups de bâton, comme au commencement ; à qui courra le plus vite, on ne peut pas s’amuser ici à tirer. » M. de Lescure commandait l’aile gauche ; les soldats ayant un peu de découragement, il fut obligé d’aller en avant, à quarante pas de sa troupe, seul à cheval ; il s’arrêta en criant : Vive le Roi ! Aussitôt il reçut six coups de canon à mitraille, on avait visé sur lui comme au blanc ; par un véritable miracle, il ne fut pas blessé, quoique ses habits fussent criblés, son éperon du pied gauche emporté, avec un grand morceau de sa botte, au mollet de la jambe droite ; il se retourna en criant aux soldats : « Mes enfants, les Bleus ne savent pas tirer, vous le voyez bien, allons, en avant. » Les soldats transportés s’élancèrent si vite, que M. de Lescure dut prendre le grand trot pour rester à leur tête ; [dans ce moment, les paysans apercevant une croix de mission, se mirent à genoux autour, quoique à portée du canon. Il passa au-dessus d’eux plus de trente boulets. Dans cet endroit, il n’y avait que MM. de Lescure et de Baugé à cheval. Celui-ci dit à M. de Lescure de faire avancer les soldats ; il lui répondit tranquillement : « Laissez-les prier Dieu »[22]. Enfin, ils se relevèrent et coururent sur les ennemis.] Pendant ce temps, M. de Marigny faisait tirer avec succès le peu de gargousses que nous avions. M. de la Rochejaquelein s’était mis à la tête de la cavalerie avec MM. de Dommaigné et de Beaurepaire ; ils firent des prodiges de valeur, et Henri un trait au-dessus de son âge : après avoir battu la cavalerie ennemie, au lieu de la poursuivre, il tomba sur le flanc de l’aile gauche des ennemis, qui soutenait le combat avec quelque succès, et par là, acheva de décider la bataille ; je voudrais savoir d’autres détails sur les circonstances de ce combat, je dis ce que j’en sais[23]. Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/168 Page:Victoire de Donnissan de La Rochejaquelein - Mémoires de Madame la marquise de La Rochejaquelein, 1889.djvu/169

Les Bleus, épouvantés de l’acharnement des Vendéens, furent mis en déroute complète, en trois quarts d’heure. L’aile gauche, que commandait M. de Lescure, arriva à la porte de la ville ; il y entra le premier, mais les soldats n’osèrent d’abord le suivre ; MM. de Bonchamps et Forest l’ayant vu de loin, s’élancèrent pour l’accompagner ; il était temps, il se trouvait seul et sa position était fort critique. Ces trois chefs réunis eurent la témérité de s’enfoncer dans la ville, au milieu de plus de quatre mille Bleus encore répandus dans les rues, et qui, glacés d’effroi, se jetaient à genoux et se mettaient à crier grâce. Quand ces messieurs furent sur la place, ils se séparèrent, prirent trois rues différentes, toujours encombrées de volontaires armés ; ils disaient : « Rendez-vous, à bas les armes ; vive le Roi ! on ne vous fera pas de mal. » Cependant, M. de Bonchamps fut blessé, à peine eut-il quitté M. de Lescure ; un soldat, après avoir mis à terre son fusil en criant grâce comme les autres, le reprit sitôt qu’il eut passé, tira, lui traversa un bras et la poitrine dans les chairs et lui fit quatre plaies : heureusement, dans ce moment, les soldats entraient en foule dans la ville, suivant leurs généraux. Ceux de Bonchamps furieux fermèrent la rue et massacrèrent environ soixante Bleus qui y étaient, pour ne pas laisser échapper le coupable.

Quant à M. de Lescure, il eut le plus grand plaisir qu’un homme puisse ressentir ; en quittant MM. de Bonchamps et Forest, il avait pris la rue des prisons, il les fit ouvrir au cri de Vive le Roi, et se jeta dans les bras de M. de la Marsonnière et des deux cent quarante prisonniers enfermés avec lui. Cet officier et plusieurs des soldats devaient être guillotinés le lendemain même ; il avait soutenu son interrogatoire avec une noblesse et une grandeur d’âme qui méritaient mille éloges. M. de Lescure avait couru les délivrer, de peur qu’ils ne fussent massacrés par les Bleus ; il vola sur-le-champ à une autre prison où étaient les parents d’émigrés et les gens suspects, au nombre de plus de deux cents. Ils avaient vu de loin le combat et, de crainte d’être immolés par les patriotes, ils s’étaient barricadés en dedans. M. de Lescure frappe à coups redoublés en criant : Ouvrez, de par le Roi. Aussitôt les portes s’ouvrent, les cris de Vive le Roi ! retentissent dans la prison ; tous les captifs embrassent M. de Lescure, sans le reconnaître, quoiqu’il fût parent ou ami d’un grand nombre ; il se nomme, et les quitte pour se mettre à la poursuite des patriotes, ainsi que tous les autres officiers.

Forest avait pris la rue qui menait au chemin de Niort, aussi se trouvait-il en tête. Le grand intérêt était de reprendre Marie-Jeanne, l’idole des soldats ; les Bleus, qui le savaient, faisaient tous leurs efforts pour la sauver. On était déjà à plus d’une grande lieue de la ville ; Forest s’était si fort avancé, qu’il était au milieu de plus de cent gendarmes ; heureusement il avait le cheval, la selle et les armes d’un gendarme qu’il avait tué à un autre combat ; de plus, il n’était pas habillé en paysan, n’avait point de cocarde blanche, et comme dans ce temps la plupart des troupes républicaines étaient remplies de nouvelles recrues sans uniforme, ils le prirent pour être des leurs ; un d’eux, lui frappant sur l’épaule, lui dit : « Camarade, il y a vingt-cinq mille francs de promis pour ceux qui sauveront Marie-Jeanne ; elle est engagée, retournons pour l’empêcher d’être prise. » Effectivement, tous les Bleus retournent, Forest se met à faire le brave, disant qu’il veut être le premier, il file doucement et se trouve à la tête des gendarmes, assez en avant, suivi seulement des deux plus hardis. Quand il est près de nos gens, il se retourne en criant : Vive le Roi ! et tue les deux hommes qui le suivaient ; les Vendéens le reconnaissent, fondent sur l’ennemi et s’emparent de Marie-Jeanne, qui était défendue par quelques fantassins[24]. Pour achever ce qui concerne cette pièce, je dirai qu’elle fut ramenée en triomphe par les soldats, en Vendée ; dans tous les villages, les femmes allaient au-devant d’elle, l’embrasser et la couvrir de fleurs et de rubans.

Nous prîmes deux caisses militaires à Fontenay, toutes deux en assignats de quatre cents francs, de nouvelle fabrique, les premiers qui eussent été tirés sans l’effigie du Roi ; une de ces caisses fut pillée par les soldats : voyant qu’ils étaient au nom de la République, ils n’en firent aucun cas, et plusieurs s’amusèrent à se les mettre en papillotes. L’autre était de neuf cent mille francs en assignats de même espèce ; on les garda pour les besoins de l’armée, et afin de donner confiance, on mit derrière : Bon pour quatre cents livres. Au nom du Roi, signé par les membres du conseil supérieur, dont je parlerai ci-après.

Tous ceux qui avaient des assignats s’empressèrent depuis à les soumettre à cette formalité, qui seule les faisait accepter, et, dans le fait, si le Roi fût remonté sur son trône, ne les eût-il pas payés ? Il y en avait peut-être pour trois ou quatre millions en tout, dans la Vendée. Nous prîmes dans le combat de Fontenay au moins trente pièces de canon, de la poudre, beaucoup de fusils, [un grand nombre de drapeaux, entre autres celui du département.] On tua sept cents Bleus, et nous perdîmes fort peu de monde.

Là, M. Carrière[25] nous joignit : c’était un avocat de Fontenay, plein d’esprit et de probité ainsi que M. du Chesnier[26], Saintongeois, qui servait dans les Bleus, homme spirituel, royaliste forcené et d’une bravoure étonnante ; mauvaise tête avec sang-froid, il n’a point, par cette raison, fait le chemin qu’il aurait dû. Nous prîmes environ trois ou quatre mille prisonniers, on ne savait qu’en faire : les tuer, c’était un acte de barbarie ; d’abord, on leur avait crié : Rendez-vous, on ne vous fera pas de mal ; et puis, dans ce temps, les Bleus ne fusillaient pas encore tous les prisonniers. Les retenir, c’était affamer le pays et avoir, au milieu de soi, dans un petit espace de terrain, des ennemis mal surveillés, faute de forteresses et de troupes réglées. On se décida donc à en garder un petit nombre, mais on ne voulait pas que les autres pussent revenir une seconde fois, ni nier qu’ils eussent été pris. On proposa plusieurs moyens, celui de mon père prévalut : on les tondit tous, aux grands éclats de rire de toute l’armée. [À cette époque, on ne connaissait pas encore en France l’usage de porter les cheveux à la Titus.] On les renvoya avec serment de ne point servir contre les royalistes, sous peine d’être fusillés, si on les reprenait (loi qu’on a toujours exécutée) ; on tondit aussi tous ceux qu’on garda, afin de les reconnaître, s’ils s’échappaient.

Ce renvoi des prisonniers avait beaucoup d’avantages : dans cet instant, il y en avait de tous les points de la France ; ils apprendraient donc partout, par leur tête chauve, que les Vendéens les avaient battus et pris ; qu’au lieu d’être des brigands destructeurs, ils faisaient grâce, et formaient bien une insurrection royaliste. Il y avait nécessairement, parmi les Bleus, des individus qui, par aristocratie ou bavardage, parleraient du courage des Vendéens, de leur générosité, de leurs succès, de leurs opinions, de leur projet de rétablir le Roi sur le trône, de leur clémence même envers les acquéreurs des biens nationaux, auxquels on se contentait de dire qu’on reprenait ces biens ; on espérait engager ainsi les autres provinces à imiter notre exemple. Pour les y pousser davantage, on fit imprimer une proclamation, faite par ordre du conseil de guerre, et rédigée par le chevalier des Essarts[27] ; elle mérite d’être lue et a été connue de toute l’Europe, car on prit le soin d’en donner plusieurs exemplaires à chacun des Bleus remis en liberté.

  1. Le 25 mai.
  2. Le chef-lieu fût transféré à La Roche-sur-Yon par décret du 24 mai 1804.
  3. Voir à l’appendice, note 1.
  4. Henri agrandit de ses mains la brèche et la franchit le premier, étant monté sur les épaules de Toussaint Texier, un des plus intrépides parmi les braves. Né à Courlay en bas Poitou le 24 mars 1769, Texier fut nommé sous la Restauration chevalier de la Légion d’honneur, et mourut à Sunay, commune de Châtillon-sur-Thouet, le 29 mars 1847.

    Son frère aîné, Joseph, né le 2 janvier 1763, montra la plus grande valeur, reçut sept balles dans divers engagements, et mourut à Courlay, canton de Cerizay, le 6 janvier 1832.

  5. Quétineau, pendant le séjour de l’armée vendéenne à Thouars, habita constamment la même maison que les officiers supérieurs ; il mangeait avec eux. Quelques-uns eurent le tort de l’insulter, les principaux chefs prirent hautement sa défense. On ne lui ôta point ses armes. On voulut lui persuader de ne pas se livrer à des hommes qui traitaient les malheureux comme des traîtres : « Pensez-vous, dit-il, que je n’aie pas fait mon devoir ? — Général, vous vous êtes conduit comme un brave, tout le monde vous rend justice dans l’armée catholique. » Il redoutait d’être mésestimé des Vendéens, et surtout de son parti. (Note du manuscrit.)
  6. Passeport donné au commandant Quétineau, à Thouars, le 8 mai 1793, par les généraux vendéens.

    « Nous, généraux de l’armée catholique et royale, permettons à M. Pierre Quétineau, breveté lieutenant-colonel d’un bataillon de volontaires, commandant la garnison de Thouars, d’aller où bon lui semblera, convaincue que l’honneur le portera, tant qu’il restera prisonnier, à ne point porter les armes contre nous, à moins qu’un échange ou autre arrangement de droit ne l’ait délivré de sa captivité. Le même sentiment l’engagera, nous l’espérons, à rendre un compte sincère et fidèle de la manière humaine et généreuse avec laquelle nous nous sommes conduits envers les troupes faites prisonnières sous ses ordres, le dimanche 6 du courant.

    « Fait à Thouars, le 8 mai 1793.

    « Donnissan. D’Elbée. Lescure. La Rochejaquelein. Cathelineau. Stofflet. Bonchamps.

    « Le lieutenant-colonel Quétineau. »

  7. Pierre-Louis, comte de Beauvollier, né à Beuxes, près Loudun, le 14 juin 1761, seigneur de Sammarçolles, ancien page du Roi, intendant et trésorier général de l’armée vendéenne, prit part à toute la guerre, fut mis plusieurs fois en prison sous le consulat, puis devint inspecteur des fourrages dans les armées impériales. Il fut blessé et pris à la Bérésina, et retraité par la Restauration comme commissaire-ordonnateur des guerres, chevalier de Saint-Louis. Il mourut au Mans le 11 mai 1843.
  8. Charles-Joseph Levieil, seigneur de la Marsonnière, près Moncontour-de-Poitou, né à Saint-Clair le 12 novembre 1747, lieutenant au corps royal d’artillerie en 1768, avait donné sa démission à la mort de son père en 1776. Il était en prison à Loudun pour avoir envoyé de l’argent à son fils émigré. Il s’échappe après la victoire des Vendéens à Thouars. Il fit vaillamment son devoir dans toute la campagne de la grande armée, et périt à la bataille de Savenay.
  9. Le portrait de M. de Beauvollier l’aîné est très flatté. (Note du manuscrit.)
  10. M. de Sanglier, vieux et malade, ne s’est jamais battu.

    M. de la Marsonnière n’avait pas de brillant ; mais il était un des meilleurs officiers de l’armée, toujours à sa place, sans chercher à se faire remarquer. (Note du manuscrit.)

  11. Louis de Mondion de Chassigny, fils de Jean-Vincent de Mondion, écuyer, seigneur de Chassigny, près Loudun, et de Marie-Louise-Thérèse de la Châtre. Il fut de ceux qui, après la déroute de Savenay, cherchèrent à enlever Ancenis. Il fut pris et fusillé à Angers en janvier 1794
  12. Pierre-Louis de la Ville, chevalier, seigneur de Baugé près Thouars, né le 24 février 1764, fit toutes les guerres de la Vendée, refusa de l’emploi sous l’Empire, fut nommé en 1814 chevalier de Saint-Louis, et en 1815 grand prévôt de la Côte-d’Or, devint maire de Thouars en 1821, et mourut le 16 octobre 1834.
  13. Ajoutez Leriche de Langerie, jeune enfant de douze à treize ans. Il fut, sitôt son entrée dans la Vendée, a une bataille, eut son cheval tué sous lui. On voulut l’éloigner de l’armée sous prétexte qu’il n’avait plus de cheval ; on le mit aide de camp de M. de la Cassaigne, qu’on avait fait commandant de Châtillon ; il se plaignit d’être à un poste où il n’avait rien à faire, il chercha un cheval et suivit comme les autres ; il montra partout un grand courage. (Note du manuscrit.)

    Originaire de Loudun, il fut tué à la dernière affaire de Cholet, sous Stofflet, le 8 février 1794.

  14. Léonard de Marsanges, né le 12 mars 1766, à Bellac en Limousin, fils d’Antoine, chevalier, seigneur de Berneuil et de la Corre, des comtes de Marsanges en Poitou, et de Jeanne du Teil de la Rochère, sous-lieutenant au régiment d’Auvergne en 1782, fut tué au siège d’Angers.
  15. M. de Bonchamps n’est point entré le premier à la Châtaigneraie ; il quitta Thouars avec sa division pour retourner en Anjou. Ainsi il ne se trouva ni à la prise de la Châtaigneraie ni à la déroute de Fontenay. (Note du manuscrit.)
  16. Ce fut à la bataille de la Châtaigneraie que M. de Lescure mit à l’épreuve M. de la Ville-Baugé qui s’était attaché à lui : c’était son premier combat dans notre armée. Il le conduisit dans un chemin étroit et creux, sur la droite de la ville, lui donna deux cents paysans à commander. Il s’agissait d’empêcher le passage d’une colonne républicaine. Après l’avoir placé convenablement, il lui ordonna de rester jusqu’à son retour. Les républicains faisaient un feu terrible ; mais il tint intrépidement à son poste pendant près d’une demi-heure, jusqu’à ce qu’il fut relevé par M. de Lescure. (Note du manuscrit.)
  17. Il n’est pas exact qu’à la bataille ou déroute de Fontenay, M. de Marigny ait abandonné ses canons pour charger avec la cavalerie. La déroute fut si prompte, que tout le monde perdit la tête. On ne fit rien pour sauver les pièces, on les laissa en bataille, à l’exception de deux qui étaient à l’aile gauche, avec MM. la Rochejaquelein et de Lescure. (Note du manuscrit.)
  18. Pierre Bibard, de la Tessoualle, près Cholet, chevalier de la Légion d’honneur, reçut de la Restauration une pension de 300 francs et l’emploi de garde champêtre, qu’il perdit en 1830. Il se retira à Maulevrier, dans un logement qui lui fut donné par les châtelains du pays, avec une petite rente. Il mourut le 7 novembre 1841, à l’âge de soixante-onze ans, pendant une retraite qu’il était allé faire à la communauté de Saint-Laurent-sur-Sèvre.
  19. Guillot dit Folleville (du nom de sa grand’mère maternelle, l’Heureux de Folleville), Pierre-François (et non Jean-Louis, son frère, né le 30 octobre 1760), était fils d’un commissaire de la marine à Saint-Malo. Docteur en théologie, il avait été nommé à la cure de Dol, le 2 avril 1790. Il suivit l’armée vendéenne jusqu’à sa dispersion ; il fut pris à Ancenis, condamné et exécuté à Angers le 16 nivôse an II, 5 janvier 1794. Il avait trente-deux ans.
  20. M. Guillot de Folleville vint de Paris à Poitiers sous le prétexte de fuir la persécution, et alla chez une de ses parentes qui ne le connaissait pas ; il paraissait dans les cercles les plus aimables et y fut goûté. Le matin était donné aux âmes pieuses et à quelques religieuses de la ville : elles l’admiraient comme un prodige de sainteté, Comme il vit des sœurs de Saint-Laurent, il se fit passer pour évêque, peut-être dans le seul but de se faire considérer davantage ; les bonnes sœurs en écrivirent aux missionnaires, la correspondance fut bientôt établie ; personne ne douta de la réalité de son épiscopat. Lors de la guerre de la Vendée, il soutint ce rôle, se fit présenter à l’état-major sous ce titre ; la confiance qu’on avait dans les missionnaires ôta tout soupçon. C’est le cardinal Maury qui poursuivit sa condamnation et obtint le bref du Pape, apporté par M. de Saint-Hilaire, au passage de la Loire. (Note du manuscrit)
  21. C’est à tort qu’on le crut noble. Son grand-père, Jean-Joseph Guillot, était commissaire général et ordonnateur de la marine à Saint-Malo ; son père, Frédéric-Joseph Guillot, était commissaire.
  22. Ce trait est le sujet qu’a choisi M. Robert Lefebvre, premier peintre du cabinet du Roi, pour le portrait de M. de Lescure, commandé par Sa Majesté. (Note de l’auteur.)
  23. À cette bataille, M. de Lescure prit les deux premiers espions que les Vendéens aient arrêtés : il mit pied à terre pour les saisir. L’affaire dura cinq quarts d’heure, on tira tout au plus deux cent cinquante coups de canon. Un bataillon girondin opposa le plus de résistance ; la majeure partie se fit tuer plutôt que de se rendre ; le petit nombre fait prisonnier fut mis en liberté quelque temps après. (Note du manuscrit.)
  24. Malgré le trait hardi de Forest, les autres gendarmes s’étaient avancés ; il y eut un engagement assez chaud pour reprendre Marie-Jeanne, et plusieurs paysans furent tués. (Note du manuscrit.)
  25. M. Carrière avait un extérieur assez agréable, parlait avec facilité ; l’évêque d’Agra se l’attacha, en le faisant nommer procureur général pour le Roi en conseil supérieur. Dans cette place, il ne développa aucun talent, montre seulement des prétentions, et fut un de ceux qui, par vivacité, brouillèrent toutes les affaires. (Note du manuscrit.)

    Mathurin-François-Augustin-Louis Carrière, dit L’Honorey, né en 1761, avocat, membre du comité contre-révolutionnaire de Fontenay ; il fut blessé à la bataille du Mans ; mis hors la loi par le tribunal criminel de la Sarthe, le 25 nivôse an II, 12 janvier 1794, puis arrêté et guillotiné.

  26. François-Xavier-Ambroise Chesnier du Chesne, dit du Chesnier, naquit à Saintes le 5 avril 1769. Il servit d’abord dans la marine royale, puis en 1793 rejoignit l’armée vendéenne ; il fut aide de camp et adjudant général de Charette. Le Roi lui envoya la croix de Saint-Louis. Arrêté à Bordeaux le 4 mai 1796, il s’échappa de la forteresse de Blaye. Il pensa en 1804 à réorganiser la Vendée ; il fut dénoncé et une commission militaire le condamna à mort par contumace, à Nantes, le 14 décembre 1805. Après la Restauration, il se retira près de Saintes, et mourut le 1er avril 1829.
  27. Voir à l’appendice, note II.