Mémoires du baron Haussmann/1/10

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Victor-Havard (1p. 229-252).

CHAPITRE X

LA SOUS-PRÉFECTURE DE BLAYE
Routes. Chemins. Écoles. — Préfet, enfin. Catastrophe.
La Révolution de Février. — Départ de Blaye. — Mon remplacement.

Il convient maintenant de dire quelques mots touchant mon administration dans l’arrondissement de Blaye. Si j’en ai peu parlé jusqu’à présent, il ne faudrait pas croire qu’elle ne me tînt pas à cœur. Il n’était pas dans ma nature de négliger en rien ce dont m’incombait la charge. Mais, M. le baron Sers voyait juste, quand il me prévint que je ne trouverais pas assez d’affaires, dans cette Sous-Préfecture, pour employer tout mon temps et défrayer mon activité. D’ailleurs, je connaissais trop bien mon métier de Sous-Préfet, pour ne pas achever, en deux ou trois heures, ce qui pouvait absorber la journée entière d’un novice.

ROUTES. CHEMINS. ÉCOLES.

Je trouvai l’arrondissement de Blaye presque aussi médiocrement pourvu de voies de communications régulièrement praticables, que l’arrondissement de Nérac, aux débuts de ma carrière, et cela me parut absolument inadmissible, surtout, dans la Gironde.

Car, les temps étaient bien changés. Depuis plusieurs années, la loi dotait les communes et les départements de ressources convenables pour faire cesser un tel état de choses : il n’accusait, dès lors, que l’incurie des administrateurs.

Je pus dresser promptement à seconder mon action, les deux Agents Voyers d’Arrondissement placés sous mes ordres directs, en les initiant aux procédés les meilleurs pour faire l’emploi le plus utile de ces ressources, et, par dessus tout, des prestations en nature, devenus extrêmement familiers pour moi. Je méritai donc finalement, sans trop de peine, le compliment qu’après bien des années, Préfet de la Gironde, présidant le Conseil de Revision, à Bourg, je reçus du vieux Maire, presque infirme, d’une des plus petites communes du canton, simple cultivateur, qui s’était fait conduire à la séance, pour me revoir.

« Vous ne m’avez donc pas oublié ? » lui demandai-je. — « Comment serait-ce possible ? Monsieur le Préfet, » me répondit-il, « vous avez écrit votre nom, en chemins vicinaux, sur tout le sol de notre arrondissement !… »

Une route de poste montait, du port de Blaye vers Saintes, par Étauliers, Mirambeau, Pons, etc. Une autre venait à Blaye, de Saint-André-de-Cubzac (relais de la grande route de Paris à Bordeaux) à travers la vallée du Moron, qu’elle franchissait au pont de Magrigne, et par Pugnac. Une route départementale grimpait, de Bourg, par monts et par vaux, jusqu’à ce dernier relais. Un chemin de Grande Communication, passablement entretenu, mais bien mal tracé, allait de Blaye à Saint-Savin ; un autre, de la route de Saintes à Saint-Ciers-la-Lande ; et puis, c’était tout. — La route de Bourg à Pugnac, prolongée, fut conduite à Saint-Savin, et, de là, par Donnezac, aux limites de l’arrondissement de Jonzac. Je fis ouvrir un magnifique chemin de Grande Communication entre Blaye et Bourg, par le faubourg du Bugeaud et le long des rives de la Gironde et de la Dordogne ; puis, de Bourg, jusqu’à Saint-André-de-Cubzac, où des communications régulières avec Libourne étaient assurées. Le chemin de Blaye à Saint-Savin, mené, d’abord, à Cavignac (autre relais de la grande route de Paris à Bordeaux), fut ensuite continué jusqu’à Guitres, chef-lieu de canton relié à Libourne. Un nouveau chemin de même ordre alla de Bourg à Étauliers, par les revers des plus fertiles coteaux de l’arrondissement. Enfin, j’en fis percer un autre, d’Étauliers à la limite de l’arrondissement de Jonzac, par les plateaux boisés de Marcillac.

Je ne mentionne pas les chemins de Petite Vicinalité, qui devinrent partout circulables pour les charrois, et rendirent facile, en toute saison, l’exportation des produits encombrants, et d’une valeur relativement médiocre, de ces pays essentiellement vinicoles et forestiers, par les routes et les chemins de grande communication.

Pas besoin de dire que, pour ceux-ci, je dus, comme à Nérac, me déplacer beaucoup et dépenser bien des paroles. Il était encore plus difficile, ici que là, de faire abandonner gratuitement, à la voie publique, des terrains encore plus productifs, et arracher des haies encore mieux tenues, pour élargir ou redresser les chemins, quelque désir qu’eussent les propriétaires de les voir mettre en bon état.

Une fois, il ne me fallait pas seulement demander le sacrifice d’une haie : il s’agissait d’une charmille ! Or, celui qui n’a pas vécu dans le Midi, ne sait pas le prix qu’on y met à ces affreux berceaux taillés, et aux « cabinets de verdure » grotesques dont on borde les chemins, pour voir les passants, à l’abri du soleil.

Le propriétaire était un Capitaine au Long Cours. Il vint, furieux, me déclarer qu’il se posterait, avec son fusil, derrière sa charmille, et que le premier qui se présenterait pour y toucher, aurait un mauvais moment.

« Mais, personne, Monsieur », lui répondis-je avec le plus grand calme, « n’y portera la sape sans votre consentement. »

Le lendemain, un agent voyer plantait une ligne de piquets à travers sa plus belle pièce de vigne. Retour du Capitaine, exaspéré.

« Mais, Monsieur, » lui dis-je alors, « puisque vous ne voulez pas me permettre d’élargir et rectifier, aux dépens de votre charmille, la courbe regrettable du chemin contournant votre propriété ; puisqu’il faut vous exproprier, autant vaut substituer, à cette courbe, une ligne droite, et faire profiter ainsi le tracé du chemin, de la dépense que je ne puis éviter, comme je l’espérais. »

Il n’avait rien à répondre.

J’eus la portion qu’il me fallait de la charmille, et pour rien. Le malheureux, sur mon conseil, alla passer une huitaine à Bordeaux, pendant laquelle le travail se fit. Le dégât réparé, je reçus sa visite de remerciement, et, par la suite, aucun autre de mes administrés ne me fut aussi dévoué que lui. Bien plus, il me seconda, par une propagande active, auprès des autres propriétaires ; — « Moi aussi, « disait-il », je refusais, et maintenant, je suis enchanté d’avoir cédé. »

Mon Préfet, le baron Sers, qui, dans ses tournées de Revision, aimait à parcourir, en voiture découverte, avec moi, nos nouveaux chemins, au prix de quelques détours, ne pouvait se lasser de constater les efforts dont témoignaient visiblement de si grands résultats, obtenus avec des moyens comparativement très faibles, et d’admirer combien de loisirs je savais trouver, néanmoins, pour m’occuper de tant d’autres choses.

Car, j’avais eu, d’ailleurs, à mettre en bon état l’organisation des écoles communales, presque aussi négligées, dans le passé, que les chemins vicinaux. Mais, je possédais encore, sur ce terrain, des thèmes tout faits, et dans une grande et solennelle réunion électorale, où je me rendis à Bourg, en 1885, pour y soutenir, en plein vent, la liste des candidats de l’Alliance Conservatrice de la Gironde, je trouvai nombre de gens, plus que mûrs, se rappelant que je les interrogeais, tout jeunes, dans leurs écoles respectives, quarante ans plus tôt, et, prêts à témoigner que l’arrondissement de Blaye n’attendit pas la République, pour jouir d’un service scolaire attentivement surveillé par les autorités administratives. — Je rencontrai même là bien des vieillards que j’avais fait tirer au sort, de 1842 à 1848, et qui se montraient singulièrement émus de me revoir vivant, bien portant, et capable encore de défendre en public, sans trop de fatigue, la cause de l’ordre social.

Il existait à Blaye, sous mon administration, deux pensions médiocres : une, laïque ; l’autre, dirigée par un prêtre. Ni l’une ni l’autre ne poussait les enfants plus loin que la quatrième. Je décidai la Ville à fonder un Collège Communal, où l’on pût faire des études complètes. Cet établissement absorba la pension laïque, et l’autre y mena ses élèves, tout au moins pour les classes supérieures qui lui manquaient.

PRÉFET, ENFIN. CATASTROPHE.

En 1847 (20 février), je dus sans doute à la bienveillance persévérante du baron Sers, ma promotion au grade d’Officier de la Légion d’Honneur, consécration publique donnée à ma candidature, depuis longtemps admise déjà par le Ministre, au poste de Préfet. M. Duchâtel ne demandait pas mieux que de m’y faire arriver. Tout le monde y poussait autour de lui ; mais, il se sentait toujours si peu pressé de ce qui ne le touchait pas personnellement ou ne se rattachait pas à quelque pressante combinaison politique ! Et puis, je ne le gênais pas à Blaye : au contraire.

La même année j’eus le très grand chagrin de perdre mon grand-père paternel.

C’est aussi pendant mon séjour à Blaye, que se maria mon oncle, M. André Haussmann, seul frère de mon père. Il semblait voué au célibat, quand il épousa une veuve, déjà mûre, ayant deux filles bientôt bonnes à marier. Il possédait une belle fortune, et elle, aussi. Je ne pus qu’aller féliciter, pour ma femme et moi, l’un et l’autre, et j’en profitai pour rendre visite à mes parents : ils habitaient Metz, où mon père continuait son service.

Nous reçûmes, de notre mieux, notre nouvelle tante à Bordeaux, dans un voyage qu’elle fit aux Pyrénées, pour mener sa fille ainée aux eaux. Nous la présentâmes à M. et Mme de Laharpe, et nous lui fîmes voir, à cette occasion, notre petite famille, doublée par la naissance de notre seconde fille : Fanny-Valentine, arrivée le 1er décembre 1843, à Bordeaux.

La politique ne me donna pas grand souci, dans l’arrondissement de Blaye.

La réélection de M. le marquis de la Grange n’offrit jamais de difficultés. Il était fort soigneux des petites affaires de ses électeurs, et fort aimé d’eux. Il représentait bien, d’ailleurs, l’opinion de la grande majorité, comme les autres membres du Conseil Général, tous favorables à la politique du Gouvernement. L’élection d’aucun d’eux ne fut jamais laborieuse, non plus que celle des Conseillers d’Arrondissement, à la tête desquels figurait le vénérable M. Pastoureau, Président du Tribunal de Première Instance.

Son fils, jeune avocat de Bordeaux, entra dans l’Administration postérieurement au 10 décembre 1848 ; fut un de mes successeurs, comme Préfet du Var, et parcourut une carrière aussi tourmentée que brillante.

À la mort du Président Pastoureau, son neveu, M. Gellibert, de Bourg, avocat de grand talent, fixé à Blaye par un riche mariage, et avec qui je me liai d’une cordiale amitié, le remplaça dans le Conseil d’Arrondissement, et, un peu plus tard, à la Présidence du Tribunal.

Les conseils municipaux, sagement composés, en général, se renfermaient dans leurs attributions administratives, et je pus toujours présenter au choix du Préfet, des Maires et Adjoints convenables.

Celui de Blaye était, au début, M. de Beaupoil Saint-Aulaire, légitimiste rallié ; homme de manières parfaites, trop parfaites même ; soucieux, par-dessus tout, de sauvegarder sa popularité ; craignant tout ce qui pouvait soulever des débats. Je le peindrai d’un mot, en disant qu’il se faisait malade lorsqu’une affaire devait susciter des difficultés dans le sein du Conseil Municipal.

« Monsieur le Sous-Préfet, voulez-vous que j’aille me mettre au lit ? » me proposa-t-il, un jour où je lui manifestais le désir de faire ajourner une question qui ne me paraissait pas mûre !

Il remplaçait M. Brun, avocat, gendre du Président Pastoureau, homme d’affaires consommé, très laborieux, très actif, mais d’un caractère difficile, processif, et d’un jugement que l’esprit de système faussait parfois. Ses façons impérieuses envers ses subordonnés et ses objections incessantes aux instructions préfectorales, rendirent son administration insupportable à tout le monde. Il conserva, néanmoins, sa situation de Conseiller Général, et je réussis à bien vivre avec ce mal commode représentant du canton chef-lieu. Très catholique, il alliait des tendances légitimistes à des tendances d’opposition parlementaire. Je le maintins, malgré tout, dans le parti gouvernemental, à force de le traiter comme un de ses chefs influents, et de lui témoigner des égards personnels.

M. de Beaupoil Saint-Aulaire ne se montrait pas un moins fervent catholique. Mais, comme il n’existait pas un seul protestant dans l’arrondissement de Blaye, les questions religieuses n’y prenaient pas d’importance. — Mes rapports avec l’Archevêque de Bordeaux, Mgr Donnet, furent toujours faciles, et je devins son ami, grâce au bon vouloir que je mettais à faire réparer les églises ; surmonter les clochers des flèches qu’il affectionnait, et améliorer le service des sonneries de cloches. — M. de Beaupoil Saint-Aulaire, après le mariage de sa fille unique avec M. Darmaing, Procureur du Roi, qui remplaça quelque temps M. Pastoureau, comme Président du Tribunal, et fut transféré bientôt dans un autre siège, pour faire place à M. Gellibert, se retira, fatigué des inquiétudes fébriles, permanentes, de l’Administration, qui troublaient sa vie.

Son successeur fut M. Sebileau jeune, avocat de médiocre valeur, mais fort zélé pour les affaires locales, à qui sa qualité de membre du Conseil d’Arrondissement, toujours prêt à donner pour moi les signatures urgentes, pendant mes fréquentes absences, ne me permettait de préférer personne. La suite montra qu’il ne possédait pas la fermeté de caractère qu’on lui croyait.

Vers la fin de 1847, j’appris que ma nomination, comme Préfet, allait enfin se faire. On me la promettait pour mes étrennes.

Je voyais donc s’ouvrir, devant moi, la carrière dont je n’avais encore fait qu’un long apprentissage, rendu laborieux, presque toujours, pénible, souvent, par les circonstances, et, dans l’avenir, les brillantes perspectives que, désormais, il me serait possible d’atteindre !

Le 1er janvier s’accomplit sans résultat ; mais le mouvement venait d’arriver à la signature du Roi, et j’étais averti, par le Ministre, de me préparer à partir pour Angoulême, en qualité de Préfet de la Charente,… quand éclata la Révolution du 24 février 1848.

Au moment de l’atteindre, j’échouais au port ! Mais, mon malheur était bien secondaire, à côté de ceux qui menaçaient de fondre sur le pays entier !

LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER.

C’est au cri de : Vive la réforme ! que s’écroula soudain le trône du Roi Louis-Philippe, et, du même coup, la Monarchie de Juillet.

Je garde la conviction profonde que cette catastrophe, dont la conséquence immédiate fut la proclamation de la République et l’établissement du Suffrage Universel, aussi large que possible, aurait été facilement conjurée par une certaine extension du droit de vote, au moyen de l’abaissement du cens électoral, déjà réduit de 300 à 200 francs, en 1830, sans qu’aucun changement appréciable en fût résulté dans l’esprit de la plupart des collèges. On pouvait encore le diminuer, avec confiance dans la sagesse des censitaires, pour ôter aux orateurs de la Gauche le prétexte de l’agitation qu’ils propageaient dans le pays.

Sans doute, cette concession, — de moitié du cens, par exemple, — ne les eût désarmés que pour un temps ; mais l’opinion, satisfaite, ne se serait pas mise à leur suite dans une nouvelle campagne, avant une période de quinze à vingt ans de tranquillité, sur cette question. Or, que fallait-il pour raffermir la Monarchie de Juillet, ébranlée depuis la mort, à jamais regrettable, du Prince Royal, Duc d’Orléans, par les appréhensions que faisaient naître l’âge du Souverain et la perspective d’une Régence après sa mort ? Précisément, un calme politique assez long pour que pussent s’accomplir, d’abord, la majorité du jeune Héritier du Trône, M. le comte de Paris, et, le moment venu, la transmission de la Couronne Royale sur sa tête !

J’avais eu de longs entretiens à ce sujet, avec mon Ministre, M. le comte Tanneguy Duchâtel, pendant son séjour en Médoc, aux vendanges de 1847.

Quand il visitait Château-Lagrange, dont les améliorations l’intéressaient beaucoup, il s’y faisait ordinairement accompagner par moi, pour s’aider de mon expérience viticole, dans l’inspection successive des diverses pièces de son cru. Les excellentes récoltes de 1844 et 1846 couvraient déjà la plus grosse part, tout au moins, de son prix d’acquisition, grâce aux travaux de drainage résolument entrepris, sur mon conseil, et sans aucun retard, dans toutes les parties basses de son vignoble, et, lors du séjour dont il s’agit, celle de 1847 promettait aussi d’être fructueuse. Mais, l’état politique du pays se présentait moins riant : il ne craignit pas de s’en ouvrir à moi, dans nos promenades à travers vignes.

J’occupais une position administrative encore trop modeste pour ne pas apporter la plus grande réserve dans l’expression de ma manière d’envisager les gros problèmes politiques dont il se montrait préoccupé. J’osai cependant lui dire, en fin de compte, que, depuis longtemps, j’avais recueilli, sur la question du cens électoral, des observations pratiques, et trouvé presque toujours la même proportion de gens déraisonnables, soit qu’ils fussent aveuglés par la passion ou par l’ambition ; soit qu’ils eussent le jugement faux par nature ou faussé par de mauvais milieux, — parmi les plus gros contribuables que parmi les plus petits.

J’ajoutai que les résultats des élections municipales, dans mes divers arrondissements de Sous-Préfectures, constituaient de bien curieux enseignements à cet égard ; qu’en effet, les listes spéciales qui servaient à ces élections, devant toujours contenir un nombre d’électeurs proportionnel au chiffre de la population, pris dans l’ordre décroissant des impositions de toute nature payées par eux, le cens municipal descendait parfois à quelques francs, et que ce n’étaient pas les communes où le chiffre en tombait le plus bas, qui faisaient les élections les moins sages.

J’en tirais cette conséquence : que les sentiments conservateurs tenaient moins à l’importance de la possession, qu’à l’instinct défensif dont se sent animé le possesseur de quoi que ce soit ; mais, qu’il fallait aussi faire état de l’influence des conditions sociales et des habitudes prises.

À mon avis, un abaissement du cens, devant faire entrer, dans les collèges électoraux, plus de propriétaires, plus de ruraux, que de citadins, industriels et commerçants, eût relevé notablement, au lieu de les affaiblir, les forces conservatrices. Quant aux « capacités » dont l’Opposition réclamait les droits à grand bruit, c’étaient, selon moi, ce qu’on appelle aujourd’hui des « quantités négligeables », surtout, en présence des centaines de mille censitaires que je ne craignais pas de voir ajouter aux listes électorales. Quelques avocats, officiers ministériels, médecins et professeurs de plus ou de moins : la belle affaire !

Certes, il y avait loin de ce système de concessions échelonnées par périodes, à ce que nous allions voir à très bref délai : la suppression complète, absolue du cens électoral ; la dispense de toute justification sérieuse de domicile, et la réduction de la majorité politique, de 25 à 21 ans ; c’est-à-dire, en somme, l’abandon complet de toutes les garanties pouvant résulter d’une possession quelconque, de la fixité de l’existence et de la maturité d’esprit.

D’après la Charte de 1814, on ne pouvait être électeur avant 30 ans passés. C’est en 1830 que la majorité politique avait été ramenée à l’âge de la grande majorité civile : 25 ans.

De nos jours, on contribue à décider, par son vote, du sort du Pays, quand on ne peut pas encore disposer de soi-même par le mariage, sans le consentement préalable de « Papa et Maman ».

Et dire que ces couches d’électeurs de 21 à 25 ans concourent, pour un quart environ, à la composition des listes électorales !

Je me rappelle que nous nous promenions, M. Duchâtel et moi, par le milieu d’une grande et belle pièce de vigne dite « la Sirène », à l’ouest de son habitation de Lagrange, quand j’énonçais de telles idées, si nouvelles pour lui, de la part d’un homme dont les convictions autoritaires n’étaient pas douteuses, et dont il avait éprouvé, d’ailleurs, dans plusieurs occasions déjà, le jugement froid et pratique en matière électorale. Il s’arrêtait, me regardait fixement, et reprenait sa marche, en m’engageant, par une question ou par une objection, à poursuivre le développement de mon système et de ses conséquences probables. Il envoya brusquement à tous les diables son valet de chambre, qui venait, en hâte, l’informer de la visite du Premier Président de la Cour Royale de Bordeaux, et ne voulut rentrer qu’après le complet achèvement de mon assez long exposé. Plusieurs fois, durant la saison, il me remit sur la même thèse, avec un intérêt visible.

Peut-être, ébranlé-je alors, dans son esprit, le parti pris du statu quo. Peut-être, rencontra-t-il chez le vieux Roi, mais plus encore chez M. Guizot, cette intelligence élevée, si singulièrement vouée à l’immobilité politique, — une résistance à toute concession, même plus apparente que réelle, au parti libéral. Toujours est-il que la « réforme électorale », mot de ralliement des opposants de toutes nuances, à laquelle, en fin de compte, le Ministère du 29 octobre, dont le véritable tort était de durer trop, ne sut opposer qu’un refus obstiné de toute transaction, fut sa pierre d’achoppement.

Ah ! si le Duc d’Orléans eût vécu !… Mais, il était dans la tombe depuis plus de cinq ans, et avec lui, toute influence libérale, non suspecte, auprès du Roi Louis-Philippe.

Après la campagne, plus bruyante que dangereuse des banquets, menée par les Députés de la Gauche, le Maréchal Bugeaud, investi du commandement supérieur des forces militaires à Paris, se trouvait en mesure d’y réprimer les tentatives de soulèvement provoquées par les sociétés secrètes dans les quartiers populeux, quand des manifestations hostiles, parties, dans la cour même des Tuileries, des rangs de cette Garde Nationale bourgeoise que le Roi-Citoyen comblait de tant de témoignages de sa confiance, de tant de marques de sa faveur, jetèrent le découragement dans son âme et déterminèrent son abdication.

Je n’ai pas à refaire l’histoire des faits lamentables qui s’ensuivirent, ni de ce départ de Paris, si précipité, si tristement humble, du Roi et de la Reine, ni de leur douloureux voyage sur la terre d’exil !

On a tout dit à cet égard.

On le voit, par ce qui précède : je ne considère pas le cens électoral comme une garantie certaine de la sagesse des votes. Selon moi, dans toutes les couches sociales (auxquelles je n’assimile point le bas-fonds des gens sans aveu, des déclassés), on rencontre, à peu près, dans la même proportion, les sentiments bons et mauvais, et par suite, il est assez indifférent de relever ou d’abaisser la limite du droit de vote. C’est pourquoi j’accepte pour base de notre organisation politique présente et à venir, le Suffrage Universel, sans condition de cens, qui, dans ma conviction, s’impose comme une inéluctable nécessité ; comme le seul moyen de donner aux institutions, aux décisions qu’il consacrera, par Plébiscite ou sur « Referendum », le caractère légitime, indéniable, d’actes émanés de la Volonté Nationale.

L’inscription de l’électeur dans un rôle quelconque de contributions, a du prix, comme preuve de la durée du domicile, condition indispensable, à mon avis, de toute participation aux élections « locales ». Sous ce rapport la loi du 31 mai 1850 était pleine de sagesse. Mais, elle avait le tort de ne pas restreindre son application au choix des Députés, des Conseillers Généraux d’arrondissements et municipaux. C’est la cause de son abandon lors de l’Appel au Peuple de Décembre 1851. On comprend que, pour un Plébiscite, il importe peu que les votes à réunir par un recensement général aient eu lieu dans telle commune ou dans telle autre, et qu’on doive faciliter partout l’accès du scrutin, pour donner à son résultat la plus grande autorité possible.

Quant à l’âge, c’est autre chose. Mais on pourrait, en s’inspirant des dispositions relatives au service militaire obligatoire pour tous, et à la suspension du droit de vote des militaires au service, subordonner l’exercice de ce droit à la libération définitive de l’électeur. — Avant tout, le devoir sacré de servir la Patrie. Ensuite, les droits politiques, ainsi mérités : c’est d’une logique absolue.

DÉPART DE BLAYE. MON REMPLACEMENT.

Le 26 février 1848, au matin, lorsque j’appris la révolution du 24, dont une dépêche télégraphique, retardée par l’état de l’atmosphère, avait porté la nouvelle, dans la journée du 25, à Bordeaux, je me trouvais au château de La Grange, près Blaye, transformé depuis peu sous la propre direction de la Marquise, pour y surveiller, à sa demande, la plantation d’un parterre et d’un boulingrin devant égayer un peu les abords de ce manoir bas et triste, auquel toute vue manquait, même du côté du fleuve, dont un massif de grands arbres (les seuls de la propriété), suivi de prairies d’alluvion impraticables. cachait l’immense nappe d’eau.

Je me hâtai de revenir à la Sous-Préfecture, pour prendre, sans retard, toutes les mesures propres à maintenir l’ordre dans Blaye et sur les points, très rares, de l’arrondissement, qui m’inspiraient quelque défiance. La pensée de déserter mon poste ne pouvait me venir, et j’étais parfaitement résolu, d’autre part, à ne m’en laisser déposséder que régulièrement. J’installai, dans une dépendance de l’hôtel, un piquet de Garde Nationale, relié à celui dont je prescrivis l’établissement à la Mairie, et je m’entendis avec Le Commandant de Place, pour que la garnison de la citadelle, consignée, fît, concurremment avec ces détachements assez nombreux, des patrouilles de jour et principalement de nuit, dans la ville, afin de prévenir toute manifestation offensive de la part des hommes d’opinion avancée. Du reste, ceux-ci comptaient dans leurs rangs, une bien plus grande proportion de bourgeois ambitieux ou déclassés, que d’ouvriers et surtout de marins.

Une lettre de M. le baron Sers me confirma dans ma ligne de conduite, en m’apprenant qu’il resterait à son poste jusqu’à ce qu’il en fût relevé par un nouveau Gouvernement contre l’établissement duquel il ne lui resterait plus aucun espoir de réaction efficace, sinon du côté du Roi ; du moins, de la part de la Régente. Il se montrait certain d’avance que j’agirais de même dans mon arrondissement.

Donc, je me gardai bien de quitter Blaye, même une heure, tant que je ne pus pas aller remettre mes pouvoirs au remplaçant, quel qu’il fût, de mon Préfet. Mais, je n’en préparai pas moins, sans aucune illusion, mon départ, triant et classant mes papiers et mettant toutes mes affaires en bon ordre. J’employai, du reste, une grande partie de mon temps, à réconforter les Maires, qui venaient me consulter de tous les points de l’arrondissement, et nulle part, la République ne fut proclamée pendant les longs jours que dura, dans la Gironde, cet état d’expectative.

Cependant, nous apprenions, par les journaux de Paris, les adhésions quotidiennes des plus grands corps de l’État, des plus hauts fonctionnaires de la Royauté de Juillet, à la nouvelle forme de Gouvernement, et la reconnaissance de son autorité dans les plus grandes villes de France. Le voyage du Roi, de Paris à Dreux, d’abord ; son embarquement secret, au Havre, pour l’Angleterre, ensuite ; le départ de la Régente et des Princes, enfin, ne laissaient plus la moindre espérance à ceux qui s’étaient fait un cas de conscience, comme le baron Sers et moi, de garder leur serment de fidélité jusqu’à la dernière heure, et qui pouvaient se rendre le témoignage d’avoir maintenu leurs subordonnés dans le devoir, en attendant l’investiture régulière des nouveaux chefs dont ils devraient ensuite prendre les directions.

C’est le 14 mars seulement, que M. le baron Sers remit l’administration du département au Commissaire envoyé par le Gouvernement Provisoire pour en prendre possession. J’en fus informé, sans retard, par mon ancien chef.

Dès le lendemain matin, je partis pour Bordeaux, après avoir désigné M. Sebileau, membre du Conseil d’Arrondissement, Maire de Blaye, afin de me suppléer pendant mon absence, et je mis sous sa protection ma femme, qui restait à Blaye, comme autrefois à Nérac, pour régler nos comptes et diriger notre déménagement, avec l’aide de Joseph et de Marianne. Elle voulut garder auprès d’elle nos petites filles, que je lui proposais de conduire, avec leur bonne, chez ses parents.

À la Préfecture, je sus que M. le baron Sers n’avait pas encore quitté Bordeaux, et qu’il était logé chez des amis, tandis que M. Dosquet, son ancien Chef de Cabinet, devenu Secrétaire Général depuis la nomination de mon camarade de classe, Ferdinand Le Roy, comme Préfet, en 1846, restait encore en fonctions. Je montai sans retard l’interroger. Il me dit que le Commissaire du Gouvernement, auquel je venais apporter ma démission, s’appelait Chevallier ; qu’il paraissait animé de sentiments républicains bien modérés pour un délégué de Ledru-Rollin ; qu’il avait, en effet, commencé par lui demander son concours, tout au moins temporaire, afin de préserver, de son mieux, des effets de la révolution accomplie, le cours régulier des choses, et qu’il entendait rendre aussi peu dommageable que possible, pour les intérêts privés, le changement de régime consommé dans l’ordre politique.

Averti de ma présence, le Commissaire-Préfet me fit introduire immédiatement auprès de lui par l’huissier Baptiste, ahuri de tout ce qu’il voyait, et vint à moi, les mains tendues, en me disant qu’il était décoré de Juillet ; qu’il avait connu mon père au Temps, en 1830, et qu’il n’acceptait pas la démission que je venais lui donner ; qu’il avait reçu de Paris, le matin même, l’indication du nouveau Sous-Préfet à nommer pour Blaye ; mais qu’il faisait son affaire de mon maintien, vis-à-vis du nouveau Gouvernement.

Je lui répondis que je ne pouvais absolument pas, sans déshonneur, devenir le représentant de la politique du Gouvernement Républicain, après avoir servi, durant dix-sept ans, celle de la Monarchie de Juillet à peine écroulée.

Il me cita de très hauts fonctionnaires, notamment M. Dupin aîné, Procureur Général à la Cour de Cassation, ami personnel du Roi Louis-Philippe, membre de son Conseil Privé, qui se mettaient à la disposition du Gouvernement de l’Hôtel de Ville. Mais, je n’en maintins pas moins ma démission.

Alors, il m’offrit la Présidence du Conseil de Préfecture de la Gironde. Il devait le reconstituer, par suite de la démission des titulaires, et me fit observer justement qu’il ne s’agissait pas là de politique, mais de pure administration, et spécialement, de contentieux administratif. Nous pourrions, ajouta-t-il, M. Dosquet et moi, l’aider puissamment à résister aux démagogues bordelais, qui le poussaient à tout bouleverser dans le pays, en lui fournissant les moyens d’opposer les règles, à leurs passions, afin d’en contenir l’effort.

Certes, je ne pouvais, pour reconnaître cet extrême bon vouloir à mon égard, faire moins de lui demander quelques heures de réflexion. Il m’accorda. J’employai ce délai, tout d’abord, à me rendre chez M. le baron Sers, pour lui conter l’accueil, tout à fait inattendu, que je venais de recevoir, et lui soumettre ma répugnance extrême à participer, sous quelque titre que ce fût, à l’action d’une administration révolutionnaire. Que penseraient de moi, d’ailleurs, les Conseillers de Préfecture démissionnaires, si j’acceptais ainsi d’occuper la place de l’un d’eux ?

M. le baron Sers n’approuva pas mes scrupules. C’était sur son avis que M. Dosquet gardait la position de Secrétaire Général, et que l’ancien Sous-Préfet de La Réole, M. Armand Ducos, frère du conventionnel de ce nom et père de M. Théodore Ducos, Député bordelais de l’Opposition de Gauche, qui l’avait chaudement recommandé à M. Chevallier, devait rester au service, précisément comme Conseiller de Préfecture. Il voyait un très grand intérêt, pour le maintien de l’ordre, à faire entourer convenablement le nouveau représentant de l’autorité dans Bordeaux, et se faisait fort de me couvrir vis)à-vis de tous, à commencer par les membres de la Famille Royale et du Ministère Guizot-Duchâtel, en prenant sur lui-même la responsabilité du parti qu’il me conseillait et qu’il me prescrivait, au besoin, d’adopter.

Je sortis, néanmoins, fort perplexe de chez mon chef. Il fallut, pour me décider, que son avis me fût confirmé par celui de deux Conseillers de Préfecture démissionnaires. Ceux-ci me dirent qu’ils seraient demeurés à leurs postes, s’ils avaient eu la moindre chance de prendre, sur le Commissaire du Gouvernement, l’action modératrice que j’étais en passe d’exercer.

Je demandai à M. Chevallier, quand je le revis, qui ferait partie du Conseil de Préfecture, avec le vieil Armand Ducos et moi. Sans hésiter, il me désigna trois avocats bordelais : MM. Poumereau, Soulié-Cottineau et Chevalier, jeunes gens d’opinions libérales, mais honorablement appréciés au Palais de Justice, et ne pouvant, sous aucun point de vue, me faire craindre la moindre compromission de leur part. — Peu de temps après, M. Chevallier, qui se retira, fut remplacé par M. Delprat, autre membre, également estimable, du Barreau bordelais.

J’appris que le candidat indiqué, de Paris, pour la Sous-Préfecture de Blaye, était un sieur Gornet, de la commune d’Eyrans, médecin de campagne, connu pour ses opinions républicaines, mais de mœurs fort paisibles, dont le frère aîné, beaucoup plus ardent, nommé, d’abord, Adjoint ; puis, Maire de la République, administrait le XIIe arrondissement de Paris, le plus mauvais de tous. Je préférais de beaucoup cet honnête garçon à nombre de brouillons de Blaye, qui pouvaient prétendre à la Sous-Préfecture, et je le dis à M. Chevallier, qui le nomma de suite, et voulut, pour ôter à ma sortie de Blaye tout caractère de disgrâce, mettre, dans son arrêté de nomination (17 mars 1848), après les mots : « en remplacement de M. Haussmann », non pas celui de : « révoqué », ni même la qualification plus adoucie de : « démissionnaire » ; mais cette mention : « appelé au Conseil de Préfecture de la Gironde ». — Il insista, par la même raison, pour me donner la délégation spéciale d’aller installer mon successeur.

Je ne m’attardai pas à Bordeaux. De retour à Blaye, j’y trouvai le docteur Gornet, qui m’attendait avec impatience. Prévenu directement par son frère, il était venu d’Eyrans, dès la veille au soir, demander à M. Sebileau de le mettre en possession des bureaux de la Sous-Préfecture, et celui-ci l’aurait fait, sans les observations de ma femme. Elle lui dit, avec une certaine sévérité, que, ne tenant pas de moi pareil mandat, il devait attendre ma rentrée à Blaye, ou, tout au moins, l’arrivée du pli renfermant la nomination de M. Gornet, annoncée de Paris, et les instructions du Commissaire-Préfet.

Ces Messieurs furent on ne peut plus étonnés de ce que je leur appris. Je fis déchirer le procès-verbal d’installation du nouveau Sous-Préfet préparé par M. Sebileau, dans son zèle à saluer le soleil levant, dès avant les très justes remontrances de ma femme, et j’en dressai moi-même un autre, en vertu de mon mandat spécial. Puis, j’envoyai convoquer à domicile tous les fonctionnaires, pour leur présenter sans retard mon successeur, et prendre officiellement congé d’eux.

Cela fait, et mes visites rendues le jour même et dans la matinée suivante, je quittai Blaye définitivement, avec les honneurs de la guerre, escorté jusqu’au bateau par l’élite de la ville, au milieu des témoignages de sympathie de la population entière.

Ma femme y resta quelques jours encore, avec nos domestiques, pour finir ses emballages. Jusqu’à son départ, M. Gornet lui laissa l’entière disposition des appartements de la Sous-Préfecture, et lui montra constamment les plus grands égards.

Moins bien chanceux que M. Armand Ducos et moi, nos anciens collègues, MM. Marcotte de Quivières (encore un de mes camarades du collège Henri IV), Sous-Préfet de Bazas ; Denjoy, Sous-Préfet de Lesparre ; et Davesiès de Pontès, Sous-Préfet de Libourne, avaient été remplacés purement et simplement.

M. Marcotte de Quivières, fils d’un ancien Directeur Général de l’Administration des Eaux et Forêts, s’était marié â Bordeaux, pendant son séjour à Bazas. Il fut élu membre du Conseil Général de la Gironde, lors de la reconstitution de ce corps. Il ne rentra pas dans l’Administration, sous la Présidence, ni sous l’Empire. Il devint Agent de Change à Paris, fonction plus profitable assurément que celles de Sous-Préfet et de Préfet.

M. Davesiès de Pontès rentra dans l’Administration ; mais sa carrière n’y fut pas heureuse. Je l’eus pour Sous-Préfet à Joigny, durant les derniers temps de mon séjour dans l’Yonne, comme Préfet, en 1851.

M. Denjoy, natif de Lectoure (Gers), débuta dans la vie publique par le modeste poste d’inspecteur départemental de l’Instruction Primaire. Nommé Sous-Préfet de Loudéac, en 1844 ; puis, disgracié par M. Duchâtel, à la suite d’un échec électoral, et replacé par lui, tout récemment, à Lesparre, il avait à peine eu le temps de se faire connaître de nous avant sa destitution, qu’il ne prit pas en patience, comme MM. Marcotte de Quivières et Davesiès de Pontès subirent la leur. Parlant fort bien, avec éloquence même, il entreprit une campagne réactionnaire dans des réunions politiques, à Lesparre, d’abord ; à Bordeaux, ensuite ; et put la mener avec tant de succès, qu’il parvint à se faire admettre, par les conservateurs, comme candidat à l’Assemblée Nationale Constituante, dans ce département de la Gironde, où son nom était généralement ignoré, quelques semaines plus tôt, hors du petit arrondissement de Lesparre.

On sait le rôle courageux de M. Denjoy dans l’Assemblée de 1848. Il fut Conseiller d’État, sous l’Empire.

Mes amis de Bordeaux voulaient me faire porter également sur la liste des candidats à l’Assemblée, que dressait la Société du Libre Échange, réunion économique, présidée par M. Duffour-Dubergier, ancien Maire de Bordeaux, qui se transformait, de fait, en association politique anti-républicaine. M. le baron Sers insista pour que je restasse à Bordeaux, où je serais plus utile qu’à Paris. Denjoy, dont il appuyait les prétentions, une fois là-bas, me tiendrait au courant de tout ce que j’aurais besoin de savoir. Je me rendis, comme toujours, à son opinion.