Mémoires extraits des recueils de l’Académie de Turin/Sur l’intégration de quelques équations différentielles dont les indéterminées sont séparées, mais dont chaque membre en particulier n’est point intégrable

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SUR L’INTÉGRATION
DE
QUELQUES ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES
DONT LES INDÉTERMINÉES SONT SÉPARÉES,
MAIS DONT CHAQUE MEMBRE EN PARTICULIER N’EST POINT INTÉGRABLE.


(Miscellanea Taurinensia, t. IV, 1766-1769.)

1. La séparation des indéterminées est regardée avec raison comme un des meilleurs moyens que les Géomètres aient imaginés pour intégrer les équations différentielles du premier ordre. En effet, il est clair que quand on a séparé les indéterminées dans une équation, on peut alors regarder chacun de ses membres comme une différentielle particulière qui ne contient qu’une variable ; de sorte qu’il n’y a plus qu’à prendre séparément l’intégrale de l’un et de l’autre membre, en y ajoutant une constante arbitraire. De là il semble qu’on pourrait conclure que lorsque les deux membres de l’équation ainsi séparée ne sont point intégrables, l’équation elle-même ne doit pas l’être non plus ; c’est ce qui est vrai en effet dans la plupart des équations différentielles ; mais il se trouve néanmoins des cas où cette conclusion serait fausse, et qui vont faire la matière de ce Mémoire.

2. Pour commencer par les cas les plus simples nous prendrons l’équation

(A)
dans laquelle tout est séparé, comme l’on voit. Il est d’abord évident que les deux membres de cette équation ne sont point intégrables, au moins algébriquement ; cependant on sait que l’équation en elle-même admet une intégrale algébrique. En effet, comme est la différentielle de l’arc dont le sinus est de même que est la différentielle de l’arc dont le sinus est on aura, en prenant les arcs au lieu de leurs différentielles, et ajoutant une constante quelconque

donc, si l’on suppose que soit aussi exprimé par un arc dont le sinus soit on aura

c’est-à-dire que l’arc qui répond au sinus doit être égal à la somme des arcs qui répondent aux sinus et de sorte qu’on aura, par les théorèmes connus,

(B)

c’est l’intégrale de l’équation proposée, dans laquelle est la constante arbitraire.

3. J’avoue qu’on peut trouver cette intégrale sans le secours des théorèmes sur les sinus, en intégrant chaque membre de l’équation (A) par les logarithmes imaginaires, et passant ensuite des logarithmes aux nombres. De cette manière on aura

d’où l’on tire

et comparant la partie imaginaire du premier membre à la partie imagi-

naire du second, et la partie réelle avec la réelle, on aura comme ci-dessus

ou bien encore, ce qui revient au même dans le fond,

4. Mais si, d’un côté, cette méthode est un peu plus directe que la précédente, de l’autre elle a aussi l’inconvénient de dépendre des quantités transcendantes ; en effet, puisque l’intégrale de l’équation proposée est absolument algébrique, n’est-il pas naturel de penser qu’il y ait aussi une voie purement algébrique pour y parvenir ?

Qu’on multiplie les deux membres de l’équation (A) en croix, on aura

et intégrant par parties

Or l’équation (A) étant multipliée par et ensuite intégrée, donne

donc l’équation précédente deviendra

équation algébrique qui, en faisant revient au même que l’équation (B) du no 2.

5. On pourrait aussi appliquer la même méthode à l’intégration de l’équation générale

(C)

car multipliant d’abord en croix, et prenant ensuite l’intégrale de chaque

membre par parties, on a
(D)

Or l’équation (C) étant multipliée par et ensuite intégrée, donne

De plus on a par la même équation

et de même

Donc, faisant ces substitutions dans l’équation (D), et effaçant ce qui se détruit, on aura cette équation algébrique

ou bien

qui est l’intégrale de l’équation proposée.

6. Voilà donc, comme l’on voit, une méthode bien simple pour intégrer ces sortes d’équations, dont chaque membre en particulier dépend de la quadrature du cercle ou de l’hyperbole ; mais il y a encore d’autres équations plus générales que les précédentes qui admettent aussi des intégrales algébriques, quoique chacun de leurs membres ne soit en aucune façon intégrable.

Ces équations sont comprises dans la formule suivante :

dont l’intégrale est exprimée en général par l’équation

En effet, si l’on différence cette équation, on a

Mais, en tirant de la même équation la valeur de en et ensuite celle de en on trouvera

et de même

de sorte qu’en faisant

on aura

et par conséquent

qui est l’équation différentielle proposée. Or, comme les coefficients donnés ne sont qu’au nombre de cinq, et que les coefficients indéterminés sont au nombre de six, il est clair qu’il en restera toujours un d’indéterminé qui tiendra lieu de la constante arbitraire qui doit se trouver dans l’intégrale.

Cette intégration est d’autant plus remarquable qu’elle n’est due qu’à une espèce de hasard heureux, et qu’il ne serait pas même possible d’y arriver par les méthodes connues des Géomètres jusqu’à présent (voyez dans les tomes VI et VII des Nouveaux Commentaires de Pétersbourg plusieurs excellents Mémoires de M. Euler sur ce sujet). J’ai donc cru que re serait un travail avantageux aux progrès de l’Analyse que de chercher une méthode directe pour intégrer les équations de cette espèce, et voici celle que j’ai trouvée. Elle est fondée sur le principe suivant.

7. Quand on a une équation différentielle du premier degré dont on ne peut trouver l’intégrale, il faut la différentier et examiner si, en combinant cette nouvelle équation avec la proposée, on pourrait trouver une équation intégrale du premier degré autre que l’équation proposée ; car alors, en chassant par le moyen de ces deux équations les premières différences, on aura une équation algébrique qui sera l’intégrale cherchée.

Si l’intégration ne réussit pas de cette manière, il faut passer à la différentielle du troisième degré, et chercher si l’on pourrait ainsi parvenir à une nouvelle équation du second degré ; en ce cas il n’y aurait plus qu’à éliminer les différences secondes et troisièmes par le moyen de l’équation proposée et de sa différentielle. Et ainsi de suite.

8. Cela posé, je vais commencer par chercher l’intégrale de l’équation (C) du no 5 ; pour cela je fais

en sorte que l’on ait les deux équations suivantes :

Je multiplie ces deux équations en croix, et je les quarre pour les délivrer du signe radical, ce qui me donne ces deux-ci :

Je différentie maintenant ces équations en prenant pour constante, et divisant la première par et la seconde par j’aurai

Or, en ajoutant ces deux équations ensemble, et faisant on aura l’équation

laquelle étant multipliée par et ensuite intégrée, donne

étant la constante arbitraire ; d’où l’on tire

Mais

donc on aura enfin

9. Si, au lieu d’ajouter les deux équations différentio-différentielles, on avait retranché l’une de l’autre, on aurait eu, en faisant celle-ci :

qui, étant multipliée par et intégrée ensuite, donne

et par conséquent

Donc, puisque on aura

de sorte que l’équation intégrale sera

étant la constante arbitraire.

10. Les intégrales que nous venons de trouver ne différent point, quant au fond, de celle du no 5, comme il est facile de s’en assurer par le calcul ; mais on peut en trouver encore d’autres plus simples, en donnant seulement un peu plus de généralité à notre méthode.

En effet, si, au lieu de supposer on suppose

étant une fonction quelconque de et on aura ces deux équations-ci :

d’où l’on tire, en multipliant en croix et quarrant,

de sorte qu’en différentiant, et regardant comme constante, on aura

équations qui, étant ajoutées ensemble, en supposant

donnent celle-ci :

Or, soit

et supposons une fonction de et en sorte que l’on ait

on aura

mais

donc, substituant ces valeurs dans l’équation ci-dessus, elle deviendra, après l’avoir multipliée par

Or, puisque la valeur de est indéterminée, on peut la supposer telle que

c’est-à-dire, à cause que

ce qui donne, en multipliant par et intégrant,

étant une fonction quelconque de sans Ainsi on aura, en supposant

et l’équation différentielle deviendra

c’est-à-dire, en mettant au lieu de au lieu de et divisant ensuite par

de sorte qu’on aura, en prenant une constante arbitraire quelconque

d’où, en mettant au lieu de

sa valeur

et faisant attention que on aura l’équation finale

C’est là, ce me semble, la forme la plus simple à laquelle on puisse réduire l’intégrale de l’équation proposée (C).

11. Puisque la différence des deux quantités qui sont sous le signe est il est clair qu’on aura

Donc, mettant au lieu du dénominateur du second membre sa valeur et divisant ensuite le haut et le bas de la fraction par on aura

équation qui, étant combinée avec la précédente, donnera celle-ci :

laquelle étant multipliée par et ensuite quarrée, deviendra

12. La méthode que nous venons d’employer dans le no 10 peut s’appliquer avec le même succès à intégrer l’équation dont nous avons parlé plus haut (no 6).

Soit donc

en sorte que l’on ait aussi

et ces deux équations, étant traitées comme celles du no 10, deviendront d’abord

J’ajoute ensemble ces deux dernières équations, et je fais comme ci-dessus

j’aurai, en divisant par

et mettant au lieu de sa valeur

on aura, après avoir multiplié par et ordonné les termes

Soit fait, comme dans le no 10,

et par conséquent

on aura

ou bien, en divisant par

Cette équation étant multipliée par devient intégrable, et l’intégrale sera

étant la constante arbitraire ; de sorte qu’on aura, en tirant la racine quarrée,

mais

donc, substituant cette valeur et mettant à la place de et à la place de ou bien on aura, après avoir multiplié par

(D)

pour l’intégrale cherchée de l’équation

(E)

13. Si l’équation à intégrer était

(F)

il n’y aurait qu’à changer le signe du second radical de l’équation (D),

et l’on aurait

14. La différence des deux quantités qui sont sous le signe étant

on aura par l’équation (D)

donc, combinant cette équation avec celle que nous venons de citer, on aura

d’où, en multipliant en croix et quarrant les deux membres de cette équation, il viendra

ou bien

et cette équation sera également l’intégrale de l’équation (E) et de l’équation (F) (nos 12 et 13) ; ce qui s’accorde avec ce qu’on a démontré dans le no 6.

15. Considérons maintenant en général l’équation

étant une fonction quelconque de et une fonction quelconque de On aura d’abord les deux équations

d’où l’on tire

et différentiant, en faisant

Soit

on aura, en ajoutant les deux équations précédentes ensemble,

Or

donc, substituant cette valeur, on aura

Maintenant, puisque on aura

de sorte qu’en ne considérant que la variabilité de on aura

de plus on a

donc, faisant ces substitutions dans l’équation précédente, elle se réduira à cette forme

[1]

Or, pour qu’on puisse tirer de cette équation la valeur de de il faut faire en sorte qu’elle ne contienne que les seules variables et c’est ce qu’on ne saurait obtenir, ce me semble, qu’en faisant :

1o étant une fonction quelconque de et une fonction quelconque de pour avoir, en divisant par

2o Il faudra que l’on ait

Supposons donc que représente une fonction quelconque de on aura

donc, multipliant par et intégrant, en regardant comme constant, on aura

dénotant une autre fonction quelconque de donc on aura

Si cette condition a lieu, alors on aura

donc, en multipliant par et intégrant,

étant une constante quelconque ; d’où l’on tire

mais

donc, substituant cette valeur, on aura

c’est l’intégrale de l’équation proposée

16. Voyons à présent quelle doit être la nature des quantités et pour que l’équation de condition

ait lieu, et supposons d’abord que ces quantités soient de la forme suivante :

en sorte que l’on ait

en faisant c’est-à-dire

on aura

et comme cette quantité doit être égale, ou plutôt identique avec la quantité dans laquelle est une fonction de seulement, il est visible qu’il faut :


1o Que l’on ait ce qui donne

2o Que l’on ait

c’est-à-dire

et par conséquent

Donc

de sorte que l’intégrale de l’équation sera dans ce cas

C’est le cas que nous avons déjà examiné (no 12).

Au reste on voit par là que les quantités et ne sauraient contenir d’autres puissances de et de que celles qui ne passent point le quatrième degré.

17. Supposons maintenant en général

en sorte que l’on ait

et l’équation de condition sera

soient différentiés les deux membres de cette équation deux fois de suite en faisant varier seulement, on aura

soient ensuite différentiés les deux membres deux fois, en faisant varier seulement, nous aurons

donc

Cette équation devant être identique, je supposerai d’abord

étant un coefficient constant quelconque, d’où l’on a, en intégrant,

et étant aussi des constantes quelconques, et par conséquent, en intégrant de nouveau,

et

de sorte que l’équation précédente deviendra

laquelle devant être vraie, indépendamment d’aucune équation entre et il faudra que l’on ait

ce qui donne, en prenant des constantes quelconques et

Substituant donc toutes ces valeurs dans l’équation de condition trouvée ci-dessus, on aura

Donc, faisant pour plus de simplicité et prenant une constante quelconque on aura

donc, en mettant à la place de à la place de et à la place de on aura

Ce sont, ce me semble, les valeurs les plus générales que l’on puisse donner aux quantités et pour que l’équation soit intégrable par notre méthode ; et l’intégrale sera

ou bien, en mettant au lieu de et faisant

18. Soit fait

on aura

et de même

on aura de plus

Enfin on aura

Supposons outre cela

on aura

donc

(G)

Ensuite, en faisant, pour abréger,

on aura

donc, en faisant toutes ces substitutions dans les formules du numéro précédent, on aura d’abord

ou bien,

en supposant pour plus de simplicité

de sorte que l’équation

deviendra

dont l’intégrale sera

Il est clair que l’équation est un peu plus générale que l’équation (E) que nous avons appris à intégrer dans le no 12 ; car dans cette dernière équation il n’y a que cinq coefficients indéterminés, au lieu que dans celle dont il s’agit il y en a six ; je dis six, quoique les quantités soient au nombre de sept ; car nous avons vu ci-dessus qu’il doit y avoir entre les quatre dernières de ces quantités un rapport exprimé par l’équation (G).

19. Pour généraliser, s’il est possible, la méthode que je viens d’expliquer, je reprends les équations

et j’en prends les différentielles logarithmiques, en regardant toujours comme constante ; j’ai

donc

ou bien, en mettant au lieu de et au lieu de

Soit maintenant une fonction quelconque de et de et supposons

on aura, en différentiant de nouveau,

donc, substituant au lieu de et leurs valeurs, on aura

Donc, si l’on suppose

(H)
et
(I)

on aura l’équation

laquelle, étant multipliée par et ensuite intégrée, donnera

et par conséquent

mais

donc en faisant

l’intégrale de l’équation sera

étant la constante arbitraire.

20. Toute la difficulté se réduit donc à déterminer les quantités et en sorte que les équations (H) et (I) aient lieu.

Si l’on fait l’équation (H) deviendra

d’où l’on tire

de sorte qu’on aura

Soit le facteur par lequel il faudrait multiplier la différentielle pour la rendre intégrable, en sorte que l’on ait

et l’on aura

donc, regardant comme une fonction de et et supposant constant, on aura

et par conséquent

en prenant l’intégrale dans la supposition de constante : donc, puisque si l’on fait aussi

on aura

dénotant une fonction quelconque de

Ayant ainsi déterminé la quantité il ne restera plus qu’a satisfaire à l’équation (I) qui peut se réduire à cette forme plus simple :

(K)

21. Supposons que soit une fonction de seul, et une fonction de seul, en sorte que l’on ait

et l’on aura d’abord, à cause de

ensuite l’équation (K) étant multipliée par et ensuite intégrée en regardant comme constante, donnera, à cause de

mais

donc on aura

de sorte que l’équation précédente deviendra

laquelle étant multipliée par et intégrée derechef en regardant comme constante, donnera, à cause de

et étant des fonctions quelconques de et de

Or, puisque si l’on suppose en général

on aura

et

donc on aura enfin pour l’équation de condition
(L)

Quoique cette équation ne soit qu’un cas particulier de l’équation (K), elle est cependant en quelque sorte plus générale que celle que nous avons trouvée par la méthode du no 15.

22. Si l’on fait, comme dans le no 16,

on trouvera que l’on peut satisfaire à l’équation (L) dans les cas suivants :

1o En faisant

et

c’est le cas que nous avons résolu dans le même numéro.

2o En faisant

et

3o En faisant

et

et ainsi des autres.

Au reste, tous ces différents cas peuvent se déduire du premier par des substitutions convenables ; c’est de quoi l’on se convaincra aisément en mettant, dans l’équation à la place de et à la place de de sorte que, à proprement parler, les suppositions de et ne donnent point d’autres cas que ceux de et Mais comme ces suppositions sont très-particulières, et que l’équation (L) n’est elle-même qu’un cas très-particulier de l’équation (K) du no 20, il n’est pas impossible qu’on ne puisse découvrir encore par le moyen de cette équation d’autres cas d’intégrabilité de l’équation ce qui ouvre, comme on voit, un vaste champ aux recherches des analystes.


Séparateur

  1. Ce sont les dérivées partielles des fonctions et par rapport à et respectivement, qui figurent dans cette équation ; il faut supposer que soit exprimée en fonction de la seule variable (Note de l’ÉdIteur.}