Mémoires extraits des recueils de l’Académie royale de Berlin/Sur le Problème de Képler

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SUR LE
PROBLÈME DE KÉPLER[1].


(Mémoires de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres
de Berlin
, t. XXV, 1771.)


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Ce Problème consiste, comme on sait, à couper l’aire elliptique en raison donnée, et sert principalement à déterminer l’anomalie vraie des planètes par leur anomalie moyenne. Depuis Képler, qui a le premier essayé de le résoudre, plusieurs savants Géomètres s’y sont appliqués et en ont donné différentes solutions qu’on peut ranger dans trois classes. Les unes sont simplement arithmétiques et sont fondées sur la règle de fausse position ce sont celles dont les Astronomes se servent ordinairement dans le calcul des éléments des planètes ; les autres sont géométriques ou mécaniques, et dépendent de l’intersection des courbes celles-ci sont plutôt de simple curiosité que d’usage dans l’Astronomie ; la troisième classe enfin comprend les solutions algébriques, qui donnent l’expression analytique de l’anomalie vraie par l’anomalie moyenne, aussi bien que celle du rayon vecteur de l’orbite, expressions qui sont d’un usage continuel et indispensable dans la théorie des perturbations des corps célestes.

L’équation, par laquelle on doit déterminer la relation qui a lieu entre l’anomalie moyenne et l’anomalie vraie, est transcendante et ne peut par conséquent être résolue que par approximation, de sorte qu’on est obligé d’avoir recours aux suites infinies : or on ne peut déterminer directement que l’anomalie moyenne par l’anomalie vraie ; et pour avoir l’expression de celle-ci par le moyen de celle-là, il faut employer la méthode du retour des suites, qui est non-seulement longue et pénible, mais qui a aussi l’inconvénient de donner des séries irrégulières où l’on ne saurait connaître la loi des termes. J’ai donné, dans un Mémoire imprimé dans le volume de l’année 1768[2], une méthode particulière pour résoudre, par le moyen des séries, toutes les équations, soit algébriques ou transcendantes ; comme cette méthode joint à l’avantage de la facilité et de la simplicité du calcul celui de donner toujours des séries régulières et dont le terme général soit connu, j’ai cru qu’il ne serait pas inutile d’en faire l’application au fameux Problème de Képler, et de fournir par là aux Astronomes des formules plus générales que celles qu’ils ont eues jusqu’à présent pour la solution de ce Problème c’est là l’objet du présent Mémoire

I.

Soit une demi-ellipse dont le grand axe est égal à le demi-petit axe égal à la demi-excentricité égale à

demi-ellipse dans demi-cercle
demi-ellipse dans demi-cercle

en sorte que soit de plus le rayon vecteur égal à l’angle de l’anomalie vraie égal à le rapport de l’aire entière de l’ellipse à l’aire comme l’angle de quatre droits, que je nomme à l’angle qui sera par conséquent l’angle de l’anomalie moyenne ; il s’agit de déterminer tant que par

Pour cela on décrira sur le grand axe le demi-cercle et ayant mené par le point la droite perpendiculaire à et tiré par les droites et on considérera que par la nature de l’ellipse l’aire elliptique a à l’aire la même proportion que l’aire entière de l’ellipse a à l’aire entière du cercle, laquelle est de sorte qu’on aura aussi

et par conséquent

Or, nommant l’angle qu’on appelle, d’après Képler, l’anomalie de l’excentrique, on aura

donc

donc

Maintenant on aura

et, à cause de

donc

De là on aura

donc

ou bien

Si l’on voulait avoir l’expression de l’angle on différentierait cette équation, ce qui donnerait

ou bien

et, substituant pour sa valeur on aurait

Ainsi l’on aura d’abord en et ensuite et en

II.

Il faut donc commencer par tirer la valeur de de l’équation

ce qui ne peut se faire que par approximation ; or, de toutes les méthodes connues d’approximation, je crois que la plus simple et la plus générale est celle que j’ai exposée dans mon Mémoire sur la résolution des équations littérales. J’ai prouvé dans ce Mémoire que si l’on a une équation quelconque, telle que


[ dénotant une fonction quelconque de ], et qu’on veuille avoir la valeur d’une autre fonction quelconque de telle que faisant la série

exprimera la fonction cherchée, en y mettant après les différentiations, à la place de D’où il suit qu’ayant l’équation

on trouvera

Ainsi, faisant notre équation

donnera sur-le-champ

de sorte qu’il n’y aura plus qu’à exécuter les différentiations indiquées en prenant constant.

III.

Supposons premièrement pour avoir la valeur de en et l’on aura et par conséquent

Pour pouvoir trouver facilement les valeurs des différentielles des puissances de il sera à propos de réduire ces puissances en simples sinus ou cosinus d’angles multiples de Or on sait que

Donc, substituant ces valeurs dans la formule précédente et faisant les

différentiations indiquées, on aura

Ainsi l’on connaîtra l’anomalie de l’excentrique par l’anomalie moyenne ensuite de quoi on pourra trouver le rayon vecteur et l’anomalie vraie par les formules

mais on peut aussi trouver les valeurs de et de directement de la manière suivante.

IV.

Il est clair que pour avoir la valeur de

il n’y aura qu’à faire dans la formule générale de l’Articte II ce qui donnera et de sorte qu’on aura sur-le-champ

Donc, substituant les valeurs de en sinus et cosinus

d’angles multiples de et exécutant les différentiations indiquées, on aura
V.

De même, pour avoir la valeur de on fera

par conséquent aussi

ce qui donnera

Donc, substituant ces valeurs dans la formule de l’Article II, on aura

or

de sorte que l’équation précédente deviendra

d’où l’on aura

VI.

Si l’on voulait avoir la valeur de l’angle même il faudrait faire (Article II)

donc

or

donc, substituant ces valeurs dans la formule de l’Article II, et ordonnant les termes par rapport à on aura

et il ne s’agira plus que d’exécuter les intégrations et les différentiations indiquées, ce qui sera facile dès qu’on aura réduit les produits des sinus et cosinus de à des sinus et cosinus d’angles multiples de

Mais, pour rendre le calcul plus simple, il est bon de faire en sorte que l’expression de ne contienne, que des puissances de c’est pourquoi on changera la quantité en celle-ci (Article I)

laquelle, étant ensuite réduite en série, donnera

de sorte qu’on trouvera, après quelques réductions fort simples,

Réduisant maintenant les puissances de en sinus et cosinus de multiples de par les formules de l’Article III et exécutant les intégrations et les différentiations indiquées, on aura

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

VII.

Nous avons donné plus haut (Article V) la valeur de si l’on voulait aussi avoir celle du logarithme de la même tangente, on la trouverait avec la même facilité en faisant

et par conséquent

ce qui étant substitué dans la formule de l’Article II on aurait

c’est-à-dire, en réduisant les puissances de en sinus et cosinus de

multiples de et exécutant les différentiations indiquées,
VIII.

Les séries que nous venons de trouver dans les Articles précédents sont ordonnées par rapport aux puissances de l’excentricité or, comme leur loi est assez claire, il ne serait pas difficile de les ordonner par rapport aux sinus ou cosinus des angles multiples de ainsi qu’on le pratique communément ; cependant, pour ne rien laisser à désirer sur ce sujet, je vais donner ici d’autres séries équivalentes à celles-là, et disposées de cette dernière manière.

Pour y parvenir je remarque (comme je l’ai déjà fait dans le Mémoire cité, no 17) que, si l’on prend la fraction

qu’on la développe suivant les puissances de ce qui donne

et qu’ensuite on change en en en et ainsi des autres puissances de on aura la valeur de la fonction (Article II).

Supposons que les fonctions et soient exprimées par des sinus et des cosinus de il est facile de voir qu’en employant les exponentielles imaginaires, on pourra toujours développer la fraction en une série de cette forme

où les coefficients seront des fonctions de Donc, dès qu’on aura développé ces coefficients suivant les puissances de il n’y aura qu’à mettre, dans à la place de et zéro à la place de dans à la place de à la place de à la place de à la place de dans à la place de à la place de à la place de et en général dans à la place de à la place de à la place de on fera les mêmes substitutions dans mais en prenant avec le signe et nommant les quantités dans lesquelles se changeront les coefficients et celles dans lesquelles se changeront les coefficients on aura pour la valeur de cette expression

laquelle se réduira facilement à une série de sinus ou cosinus d’angles multiples de

IX.

Soit, comme plus haut, et la fraction qu’il s’agira de développer, pour avoir la valeur de sera

Or, comme

on aura

cette fraction peut se partager en celles-ci

en faisant

d’où l’on tire

et par conséquent

Maintenant on aura

et de même

donc la fraction deviendra

où l’on aura

De sorte que si l’on fait, pour abréger,

et qu’on remarque que

on aura

et il ne s’agira plus que de développer, suivant les puissances de les quantités

Considérons, en général, la quantité

et faisant en sorte que

j’aurai

d’où je tire, en multipliant les deux membres de cette équation en croix et différentiant après les avoir carrés,

équation par laquelle on pourra déterminer commodément en Or il est facile de voir, par la nature de la quantité que la valeur de développée suivant les puissances de sera de cette forme

où le premier coefficient sera Substituant donc cette série à la place de , et égalant à zéro les termes homogènes, on aura

d’où l’on tire

et par conséquent, à cause de

Donc

et de là

de sorte qu’en faisant successivement on aura

X.

Reprenons le cas de l’Article III où l’on demande l’anomalie de l’excentrique par l’anomalie moyenne On fera donc et ce qui donnera la fraction

qui peut se développer en une série de cette forme

où l’on aura (Article précédent)

Donc, substituant pour les valeurs trouvées dans le même Article, et faisant les réductions enseignées dans l’Article VIII on aura

ou bien

où les coefficients seront déterminés ainsi

c’est-à-dire, en faisant

XI.

Pour avoir de la même manière la valeur du rayon vecteur

on fera, comme dans l’Article IV

d’où l’on aura la fraction

laquelle peut se réduire à ces deux-ci

de sorte qu’on aura (Article IX) une série de cette forme

dans laquelle

Donc, substituant les valeurs de en et faisant les réductions convenables (Article VIII), on aura, pour la valeur de la série

ou bien

dans laquelle on aura les valeurs suivantes des coefficients

ou bien, en faisant

XII.

Voyons maintenant comment on pourra trouver, par la même méthode, la valeur de l’angle de l’anomalie vraie ; pour cela il faudra faire, comme dans l’Article VI,

ce qui donnera (Article VIII) la fraction suivante

Or on a déjà trouvé (Article IX)

et l’on trouvera, de la même manière, en mettant à la place de

Donc, mnltipliant ces deux séries l’une par l’autre, on aura la valeur de la fraction

laquelle sera exprimée de cette manière

en supposant, pour abréger,

Faisant les substitutions et les réductions convenables (Article ), on trouvera, pour la valeur de l’anomalie vraie une expression de cette forme

c’est-à-dire,

dans laquelle les coefficients seront tels, que si l’on fait, en général,

et qu’on dénote par les valeurs de qui répondentà on aura

XIII.

Les valeurs des coefficients dépendent, comme on voit, de l’excentricité et du rapport du grand axe au petit axe de l’ellipse ; or, si l’on suppose l’excentricité fort petite, ce qui est nécessaire pour que les séries soient convergentes, et qu’on veuille que les valeurs des coefficients soient exprimées par des séries ordonnées suivant les puissances de il faudra mettre à la place de sa valeur et développer ensuite ce radical suivant les méthodes ordinaires ; donc, comme les expressions des coefficients dont il s’agit ne renferment d’autres fonctions de que les puissances de il est bon de voir comment il faut s’y prendre pour réduire facilement en série chacune des puissances de

Qu’on demande donc, en général, la valeur de  ; il est facile de voir que cette valeur sera la même que celle de que nous avons donnée dans l’Article IX, en y faisant seulement ce qui rend

ainsi l’on aura sur-le-champ

de sorte qu’en faisant successivement et supposant, pour plus de simplicité, on aura

Ainsi il n’y aura qu’à substituer ces valeurs dans les expressions de et après avoir fait les multiplications nécessaires, on pourra facilement ordonner les termes par rapport aux puissances des

XIV.

Il est clair que la méthode employée dans ce Mémoire peut servir aussi à résoudre avec facilité les équations de la forme

ou de celle-ci

(lorsque les coefficients sont fort petits), et d’autres équations semblables qu’on ne pourrait résoudre par les méthodes connues que d’une manière indirecte et très-laborieuse.

Supposons, par exemple, qu’on demande la valeur de en par l’équation

on fera, dans la formule générale de l’Article II,

et l’on aura

c’est-à-dire,

donc, si l’on fait en sorte qu’il s’agisse de déterminer par l’équation

on aura

Ainsi, si l’on avait la série

et qu’on en demandât la somme, il faudrait tirer la valeur de de l’équation et ce serait la somme cherchée.


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  1. Lu à l’Académie le 1e novembre 1770.
  2. Œuvres de Lagrange, t. III, p. 5.