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Mémoires secrets de Bachaumont/1765/Octobre

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Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome I (1762-1765)p. 439-452).
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Octobre 1765

3 Octobre. — Lettre aux auteurs de la Gazette littéraire, insérée dans celle du 15 septembre 1765. On y attaque fortement M. le bailli de Fleury sur quelques réflexions qu’il a insérées dans ses Nouveaux Mémoires, ou Observations sur l’Italie et les Italiens, par deux gentilshommes suédois. L’auteur de cette lettre paraît être un homme vain et fier de ses titres, qui, offensé des vues philosophiques de M. le bailli de Fleury, qui, se mettant au-dessus des préjugés, regarde comme plus utile à l’État un commerçant actif et industrieux qu’un noble pauvre et oisif, l’attaque vertement, et répand contre lui toute l’amertume dont est accompagné son orgueil.

4. — Il n’a fait que paraître un ouvrage intitulé Lettre d’un patriote à une personne de distinction, sur les affaires de Bretagne[1]. Le gouvernement en a ressenti les plus vives alarmes, et en a fait supprimer tous les exemplaires qu’on a pu trouver. Le contrôleur général, surtout, s’est élevé contre cet ouvrage, absolument destructif du système qu’il a voulu établir dans cette affaire.

5. — Il nous est tombé entre les mains un manuscrit intitulé Mes doutes. Il roule sur la religion, et présente, sous une face aussi nouvelle que modeste, une foule d’argumens qu’on n’a point encore épuisés. La clarté, la méthode et la simplicité de cet ouvrage, le rendent fort dangereux pour les gens qui examinent de sang-froid et sans prévention.

6. — Il paraît un nouvel Éloge de René Descartes, par l’auteur de Camédris, c’est-à-dire par mademoiselle Mazarelli. On sent combien cette tâche est au-dessus des forces de la plume faible et sèche d’une courtisane. Cet Éloge n’a point concouru, dit-on.

7. — Les Italiens ont donné aujourd’hui la première représentation du Petit-Maître en province, comédie en un acte et en vers, mêlée d’ariettes. Les paroles sont de M. Harni, et la musique de M. Alexandre. Quant au drame, c’est un croquis faible et estropié du Méchant. Il y a pourtant quelques endroits qui méritent des louanges. La scène du jardinier et la lettre du dénouement sont des traits fort heureux. Ce dernier se fait par une lettre, ressort trivial et usé, mais dont l’auteur a tiré parti en homme de génie, en ménageant adroitement une suspension fondée sur le caractère même du héros principal. La musique n’a rien de caractéristique, et est d’un genre médiocre.

8. — L’Anti-Contrat Social, par M. P. L. de Beauclair, citoyen du monde. La Haye, 1764, in-8o.

Ce livre, où l’auteur a voulu mettre un ton plaisant et cavalier, est une critique fort au-dessous de Rousseau ; il y a cependant quelques endroits pensés assez fortement. Il est en général peu neuf et ne réfute en rien son adversaire.

9. — M. l’abbé Aubert, l’auteur des Fables, vient de célébrer la convalescence de M. le comte de Saint-Florentin[2]. Tout le monde sait l’accident qui lui est arrivé[3]. L’auteur met beaucoup d’onction et de facilité dans son Épître ; il finit ainsi :


De ta précieuse vie
Ne va plus hasarder le cours,
C’est s’affliger pour la patrie
Que de s’affliger pour tes jours !

C’est au public à juger de cet éloge et à ratifier ces sentimens flatteurs.

10. — Extrait du Discours de M. Le Blanc de Castillon, avocat-général du parlement de Provence, le jour de la rentrée de cette cour, le ier octobre 1765, au palais d’Aix…[4]. Les lois ne sont autre chose que les divers rapports des établissemens nécessaires à la société avec la loi naturelle. La connaissance de la loi naturelle doit être l’unique étude du magistrat. Par elle il aura la clef des lois divines et humaines. Rien ne lui échappera dans le droit public : les matières les plus abstraites de la théologie seront à sa portée, la profondeur du dogme n’aura rien qui l’effraie ; il y ramènera les ministres chaque fois qu’ils s’en écarteront.

Le plus grand et le plus vaste génie du siècle passé a connu la loi naturelle mieux que personne, quoiqu’on puisse dire qu’il a quelquefois été un peu trop loin. Montesquieu a corrigé ce qu’il pouvait y avoir d’outré dans son système ; il a vu toutes les choses dans leurs principes, les besoins divers des différentes sociétés. Il nous rend, pour ainsi dire, les confidens des législateurs ; il met à découvert les ressorts de leur politique, en nous conduisant par la main dans le dédale inextricable des lois…

L’esprit des lois a dégénéré chez presque toutes les nations. On s’est écarté de la loi naturelle : une grande partie de nos lois sont une suite du gouvernement féodal… L’envie d’asservir le peuple fit recourir à la religion… La superstition est le frein le plus propre à gouverner les hommes… On vit alors se répandre une barbare théocratie… On prêcha un Dieu de miséricorde, et l’esprit de ténèbres succéda à l’ange de lumières… Les ministres de l’autel ne s’oublièrent pas, et profitant pour eux-mêmes de ce que le despotisme exigeait d’eux, ils excitèrent aux plus étranges attentats pour soutenir par le fanatisme ce que la piété raisonnée leur refusait… Prêtres, pontifes, législateurs, ils établirent de nouvelles lois, une nouvelle doctrine adaptée uniquement à leur intérêt ; ils entraînèrent dans l’erreur les peuples, les grands et les conciles.

La politique de la cour de Rome lui suggéra de ne mettre sur le siège de Pierre qu’un vieillard décrépit, dont l’imbécillité de l’âge se prête à tout ce que l’esprit d’intrigue peut désirer. Ce superbe pontife, esclave de ceux qui gouvernent sous lui, enchaîne de ses mains au char de l’intérêt la gloire, l’honneur et la vérité.

Pierre disait : « Levez-vous ; … je ne suis qu’un homme. » Mais on a substitué à un Dieu fait homme, un homme dont on a fait un Dieu… C’est de la bouche d’un Hildebrand que l’on a fait sortir des maximes qui sont des imprécations, des oracles qui sont des blasphèmes. Le successeur du prince des apôtres a répandu l’anathème dans l’univers.

La conduite de nos ministres nous fait regretter le paganisme, autant au-dessus du fanatisme qu’il peut être au-dessous de la doctrine chrétienne. Le corps du clergé national, oubliant son plus beau titre, qui est d’être Français, se livre à un esclavage systématique et ultramontain, dans l’intention de censurer des privilèges odieux qui ne sauraient subsister avec la liberté gallicane… Si-nous le suivons dans son enseignement, nous ne serons bientôt plus Français… Hommes, mais fanatiques romains, oubliant leur divin législateur qui dit que son empire n’est pas de ce monde, et qui leur promet de les faire régner dans une autre vie avec lui, ils répondent : « Nous sommes les maîtres du monde, nous aimons mieux dominer ici-bas, que de régner avec vous dans le ciel… Que les rois de la terre, s’il en est encore, n’existent que par une soumission aveugle au Jupiter du Capitole. »

Ce corps antique, respectable, dont l’origine se perd dans la nuit de l’origine de la nation française, ce corps indivisible de la constitution salique, essentiellement chargé du dépôt de la loi, du contrat entre le peuple et le souverain, ce corps, l’espoir unique de la nation, doit, par toutes sortes de moyens, rappeler sous le joug de la loi toute personnelle qui oserait l’enfreindre ; il est même des cas où il n’y a nulle exception à faire : tout infracteur de la loi est traître à l’État.

Tels sont vos titres et vos droits, c’est sur vous seuls que la nation tourne ses regards désolés, elle n’attend de secours que de vous.

Le magistrat, considéré selon toute l’étendue de l’expression, est juge, pontife, législateur : il est la loi qui parle, puisque la loi est appelée le magistrat muet. La religion a ses martyrs, la magistrature doit avoir les siens. Le patriotisme renfermé dans le cœur d’un petit nombre de citoyens vous y invite… Verser votre sang pour le maintien de la loi, s’il le faut, est votre devoir.

13. — Les Comédiens Italiens ont joué hier à Fontainebleau Renaud d’Ast, opéra-comique nouveau en un acte et en vers, mêlé d’ariettes. Les paroles sont de M. Le Monnier, la musique de MM. Trial et Le Vachon. Cet ouvrage n’a point eu de succès.

15. — M. l’abbé de Lille vient de remporter le prix de l’Académie de Marseille, par une Epître sur les Voyages[5]. Ce grand ouvrage de plus de six cents vers, joint une logique judicieuse à tout le brillant de l’imagination. L’auteur possède l’art heureux de parer la raison, et de l’habiller des ornemens de la poésie.

16. — Rousseau, retiré à Motiers-Travers, près de Neufchâtel, pour se soustraire aux décrets prononcés contre lui tant en France qu’à Genève, ne s’y est point encore trouvé à l’abri de ses ennemis. On apprend que la persécution suscitée contre lui par les ministres du saint Évangile a poussé quelques fanatiques à tenter de violer l’asile de sa retraite. Ils sont venus pour l’accabler d’injures et de pierres ; ils ont voulu enfoncer la porte et massacrer M. Rousseau. Éveillé en sursaut, il a crié au secours ; le châtelain, qui logeait à quelques pas de là, est accouru accompagné de beaucoup d’honnêtes gens. Les coquins avaient disparu. Ils ont cherché à engager Rousseau à fuir. Ce philosophe a paru décidé à tous les événemens. Le gouvernement de Neufchâtel a pris des précautions pour prévenir de nouvelles insultes, et mettre ordre au zèle dangereux des enthousiastes.

18. — On a joué hier à Fontainebleau Silvie, ballet héroïque nouveau[6], paroles de M. Laujon, musique de MM. Trial et Berton. Nous parlerons d’abord du poème ; il est précédé d’un prologue et composé de trois actes.

Les principaux acteurs du prologue sont Vulcain, Diane et l’Amour ; le théâtre représente l’antre de Vulcain ; on voit les Cyclopes occupés à leurs travaux. L’Amour descend des cieux et vient demander à Vulcain de nouvelles armes pour soumettre une nymphe de Diane. Vulcain le lui promet. Celle-ci arrive à son tour et vient demander une égide pour garantir la nymphe, et Vulcain avoue son impuissance.

Le corps du poëme est imité de l’Aminte du Tasse, mais l’auteur y a introduit plus de machines et d’appareil. Le style est très-lyrique, et l’ouvrage est dans un genre presque neuf, qui pouvait occasioner sur la scène des innovations très-avantageuses. Le rôle de Silvie était chanté par mademoiselle Arnould, celui d’Amintas par Le Gros, et celui d’Hylas par Larrivée.

Mademoiselle Aveneaux faisait le rôle de Diane dans le Prologue, et n’a pas eu un grand succès. La musique ne répond point la grande opinion que Berton avait donnée de lui par sa belle chaconne d’Iphigénie.

20. — Lettre à M*** relative à M. Jean-Jacques Rousseau[7], où l’on détaille toutes les tracasseries qu’il a essuyées et son histoire de Neufchâtel. On en découvre les ressorts secrets.

21. — M. le contrôleur-général se met au rang des historiens, et vient de faire paraître trois nouvelles Lettres, pour continuer à établir son système de la pleine souveraineté du roi sur la province de Bretagne[8]. Elles sont adressées au sieur ***, président : elles sont datées des 12 juillet, 3 août et 20 septembre. Elles sont accompagnées d’observations en réponse à ces Lettres. Il faudrait être à même de recourir aux sources et de consulter les pièces originales pour décider ce procès, sur lequel le souverain sera toujours à même d’avoir gain de cause.

22. — On devait donner aujourd’hui à Fontainebleau la première représentation d’une comédie nouvelle de M. Sédaine, en cinq actes et en prose. Elle est intitulée le Philosophe sans le savoir. Mais la police y a trouvé différentes choses à réprimander, entre autres un duel autorisé par un père. On a châtré cette pièce absolument, et l’auteur ne peut se résoudre à la donner en un pareil état. Elle n’est d’ailleurs ni intriguée, ni comique. On parle de quelques situations intéressantes.

23. — Le Spinosisme modifié, ou le Monde-Dieu. Ce n’est plus dans les ténèbres et dans le silence que se traîne l’impiété timide ; elle lève aujourd’hui un front altier, elle déchire les bandeaux les plus respectés ; elle se montre à découvert, elle se reproduit de toutes parts, et, telle que ce monstre de la Fable, une de ses têtes à peine abattue, il en renaît plusieurs autres. La brochure dont il est question paraîtrait, au premier coup d’œil et à la légèreté de son individu, une de ces feuilles qu’un souffle fait évaporer : c’est la quintessence la plus subtile des énormes in-folio écrits sur cette matière ; elle n’a que quarante-huit pages, et renferme, en un court espace, tout le poison répandu dans les divers matérialistes qui ont écrit depuis Démocrite, Lucrèce, etc. Elle contient quatre sections, qui traitent de l’étendue, des astres, des êtres pensans, et de la fatalité. Quoiqu’il ne paraisse pas y avoir une grande connexité dans le tout, les assertions que contient le livre sont très-fortes et difficiles à réfuter. Il y a une Épître à messieurs les docteurs en us ; plaisanterie plate, indigne d’un sujet aussi grave.

24. — Les nouveautés de Fontainebleau continuent ; on y a donné aujourd’hui Palmire, opéra en un acte, dont les paroles sont de M. le duc de La Vallière, et la musique de M. de Bury. Un grand-prêtre, qui abuse de la crédulité d’une jeune princesse pour se substituer à un jeune héros qu’elle aime, forme le fonds de toute l’intrigue, qui donne lieu à quelques traits hardis sur les prêtres. En général, les paroles ne sont point mauvaises. La musique a eu besoin de tout le secours de l’art de Jeliotte pour se soutenir : elle est médiocre et n’est pas neuve. À la suite vient un ballet-pantomime héroïque, intitulé Diane et Endymion, ou la Vengeance de l’Amour. On y remarque une intelligence et une exécution intéressante, qui font beaucoup d’honneur à l’invention de l’auteur et aux danseurs. Les décorations en sont charmantes et très-bien entendues. La première, qui représente les Amours forgeant, quoique bien inférieure à la richesse et à l’élégance du Temple de la lune, offre des détails neufs, très-agréables et plus piquans pour les gens de goût.

On a mis sur le livre : Paroles de M. de Chamfort, que mademoiselle Arnould appelle plaisamment le manteau ducal.

25. — Le discours de M. Castillon, avocat-général au parlement de Provence, fait le plus grand bruit : ce magistrat est obligé de le désavouer, et en a écrit à la cour. Le premier président l’a appuyé de son témoignage. Malgré cela, on sent ce que veut dire un pareil désaveu.

26. — La fée Urgèle, opéra à ariettes, a été joué aujourd’hui à Fontainebleau pour la première fois. C’est le conte de Voltaire, intitulé Ce qui plaît aux dames, réduit aux règles d’un drame. Il est en quatre actes : les paroles sont de l’abbé de Voisenon, sous son prête-nom ordinaire, Favart ; la musique est de Duni. Ce spectacle a fait la plus grande sensation à Fontainebleau. Les critiques ne sont pourtant pas contens de la musique ; il en est qui s’étendent jusqu’aux paroles, qui y trouvent des indécences. En général, les décorations, la richesse et l’éclat de la représentation ont beaucoup séduit. Cette comédie doit être jouée à Paris incessamment[9].

27. — Épître de M. Gresset, sur un mariage. On y trouve encore, en quelques endroits, la touche molle et délicate de l’aimable auteur du Ver-Vert et de la Chartreuse ; mais cette pièce est pleine de longueurs, et contient plus de phrases que de pensées.

— M. d’Alembert vient d’adresser aux auteurs du Journal encyclopédique une lettre datée du 18 septembre 1765[10]. Ce philosophe y rend compte du droit qu’il croit avoir à la pension de M. Clairaut ; il ajoute que l’Académie a écrit aux ministres à deux reprises differentes, les 18 mai et 14 août, que cette pension était dévolue à ce géomètre comme plus ancien, et qu’elle a joint d’ailleurs à cette démarche en sa faveur les marques d’estime les plus flatteuses. Il ajoute que jusqu’au moment ou il écrit l’Académie n’a reçu aucune réponse à ses lettres, réponse nécessaire pour le faire jouir de cette pension. Il prétend enfin que sa maladie n’est point une suite du chagrin prétendu que le refus ou le délai de cette pension lui a causé. Il joue la mauvaise santé, et singe Voltaire en cette partie. Il fait encore un étalage de sa philosophie, et, à travers sa modestie, on découvre l’orgueil le plus cynique, dont il a donné déjà trop de preuves.

28. — On voit dans le Journal encyclopédique du ier octobre 1765, une Épître de M. le comte de Schowalow à M. de Voltaire. Cet ouvrage, en vers de dix syllabes, est si bien écrit, qu’il est difficile de croire qu’il puisse être sorti de la plume d’un étranger. Ceux qui sont au fait de toutes les manœuvres littéraires formeront peut-être là-dessus des conjectures que nous n’osons hasarder : nous nous contenterons de citer la fin de cette épître. Après l’éloge le plus pompeux et le plus universel des talens et du cœur de son héros, le poète dit :


J’entends le cri des cœurs reconnaissans
Vous célébrer comme un Dieu tutélaire ;
Je vois fumer leur légitime encens ;
Et si Zoïle, armé de l’imposture,
Voulait ternir vos bienfaits renaissans,
Le monde entier, dans sa volupté pure,
Attesterait à la race future
Que vos vertus égalent vos talens.

M. de Voltaire, trop poli pour n’avoir pas répondu à ces vers, s’exprime ainsi :


J’avoPuisqu’il faut croire quelque chose,
J’avouerai qu’en lisant vos séduisans écrits
J’avoJe crois à la métempsycose :
J’avoOrphée au bord du Tanaïs
J’avoExpira dans votre pays :
Près du lac de Gehève il vient se faire entendra,
J’avoEn vous il renaît aujourd’hui,
J’avoEt vous ne devez pas attendre
Que les femmes jamais vous battent comme lui.

M. le comte de Schowalow a riposté par de petits vers de quatre syllabes, qui pourraient bien être de lui.

29. — On a donné aujourd’hui à Fontainebleau une comédie de M. Vallier en intermèdes, intitulée Églé, ou le Sentiment. Cette pièce étant destinée pour les Français, il a voulu en donner les prémices à la cour. C’est une pièce allégorique ; point d’élégie plus assoupissante ; la cour même n’a pu y tenir, et les bâillemens tenaient lieu de sifflets.

À cette comédie a succédé le Triomphe de Flore, ballet héroïque en un acte, du même auteur, musique de d’Auvergne. Il paraît que c’est ce qui a le mieux réussi jusqu’aujourd’hui à Fontainebleau. Quant à cette dernière partie, Le Gros a déployé dans son jeu et dans son chant une chaleur qu’on ne lui connaissait pas encore.

Sur la bête monstrueuse et cruelle du Gévaudan ; Poëme. L’éditeur de cet ouvrage avertit, avec raison, que l’auteur a une manière qui lui est propre, et qu’il écrit comme personne n’écrit. Il s’excuse de n’avoir point orné ce poëme d’un beau portrait de la bête du Gévaudan, ou bien de celui de l’auteur. Voici le sommaire de ce merveilleux ouvrage : « Exposition des fureurs de la Bête. Digression très-curieuse sur la fête de la Gargouille, qu’on célèbre à Rouen. Réflexions sur la galanterie qui semble régner dans les démarches de la Bête. Portrait dudit Monstre. Réflexions utiles sur la cherté du bois, qu’il occasione. Description des chasses où on l’a manqué. Projet intéressant de faire un beau miracle à l’encontre de cette Bête. Conclusion. » Il ne reste qu’à citer quelques vers de ce poëme. L’auteur parle de l’abord du Monstre :


De certaine distance alors à quelques toises,
Par derrière, à la gorge, ou bien par le côté,
Qu’il attaque sans cesse avec rapidité,
Sur sa propre victime il va, court et s’élance :
Par lui couper la gorge aussitôt il commence.
(Monstre indéfinissable) il est d’ailleurs poltron.
De grande et forte griffe il a la patte armée, etc.

Il voudrait que le Monstre fût auprès d’Amiens, parce que


Notre digne prélat, par sa foi, par son zèle,
Nous en délivrerait avec juste raison,
Par le moyen du jeûne, ainsi que l’oraison ;
Sur le, cou de la bête appliquant son étole,
Il la rendrait plus douce à l’instant et plus molle,
Par un signe de croix, qu’une simple brebis.

Ce poëme, le plus plaisant qui ait paru depuis la fameuse tragédie du Tremblement de terre de Lisbonne, est de la composition de M. le bbaron de R…, gentilhomme de Picardie, et poète d’aussi bonne foi que le sieur André, perruquier[11].

30. — Réponse de M. l’abbé de Voisenon à M. Favart,

Sur la Dédicace de la comédie d’Isabelle et Gertrude :

QuelJe sens le prix de ton hommage :
Quelque dieu de la terre en eût été flatté.
QuelMais tu penses en homme sage,
QuDans l’amitié tu vois la dignité.
QuelTu réunis tous les suffrages,
QuEt le public tiré de son erreur
QuelTe rend ta gloire et tes ouvrages :
Rien ne peut à présent altérer ton bonheur ;
Tes succès sont à toi. J’en goûte la douceur,
Et n’ai jamais voulu t’en ravir l’avantage :
QuelTon esprit en a tout l’honneur.
QuelC’est mon cœur seul qui les partage.

Ce commerce de louanges et de fadeurs ne détruit point l’opinion très-fondée que Favart fait les carcasses des pièces, et que l’abbé de Voisenon habille la poupée.

31. — Un Bénédictin très-savant, nommé Dom Cajot, fait imprimer actuellement une histoire détaillée des plagiats de J. -J. Rousseau[12]. Il démontre que cet auteur a pillé des pages entières, et qu’en lui ôtant tout ce qu’il a pris de part et d’autre, il ne lui resterait rien de ses systèmes hardis, ni de ses pensées fortes et rigoureuses. Le Bénédictin est un savant déjà connu par l’Histoire critique des Cocqueluchons[13], également curieuse par les recherches, et rare pour son style tudesque et ridicule.

  1. Par Charette de La Colinière, conseiller au parlement de Rennes. Amsterdam, Aux dépens de là Compagnie. (Rennes, Vatar), 1765. — R.
  2. Vers à M. comte de Saint-Florentin. Paris, 1765, in-8o.
  3. Il avait été blessé à la chasse assez grièvement pour qu’on fût obligé de lui faire l’amputation de la main. On répandit alors l’épigramme suivante :

    Ci-gît la main d’un grand ministre
    Qui ne signa que du sinistre.

    — R.
  4. Voyez 25 octobre 1765, et 8 mars 1766. — R.
  5. Paris, 1765, in-4o de 18 pages. — R.
  6. Il avait déjà été joué en 1750 sur le théâtre des petits appartemens avec la musique de La Garde. — R.
  7. Goa, aux dépens du Saint-Office, 1765, in-8o. Du Peyrou, auteur de cette lettre, la fit suivre de deux autres. — R.
  8. V. 13 septembre 1765. — R.
  9. V. le 4 décembre 1765. — R.
  10. Cette lettre manque aux deux éditions données jusqu’à ce jour des Œuvres complètes de d’Alembert. — R.
  11. Cet article est emprunté au Journal encyclopédique du ier octobre 1765.</poem> — R.
  12. Les Plagiats de M, J. -J. R., de Genève, sur l’Éducation ; par D. J. C. B. La Haye, 1766, in-12. — R.
  13. Cologne (Metz), 1762, in-12. — R.