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Mémoires secrets de Bachaumont/1766/Septembre

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Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome II (1766-1769)p. 64-72).
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Septembre 1766

1er Septembre. — M. de La Condamine, de l’Académie des Sciences et de l’Académie Française, digne émule de feu M. de Maupertuis, vient de faire ériger aux mânes de ce physicien célèbre un monument qui honore l’un et l’autre[1] : il est placé dans l’église de Saint-Roch. Le fond est une pyramide en marbre, de couleur lugubre. Sur cette pyramide est adossé le médaillon de M. de Maupertuis ; au-dessous de ce médaillon est une épitaphe très-détaillée. La table est surmontée du Génie de l’astronomie, désigné par une flamme qui lui sort du front et par une couronne d’étoiles qu’il tient à la main. À l’autre côté de la table est un autre Génie, qui montre d’une main le globe de la terre, aplati vers ses pôles. Deux volumes placés à côté du globe, désignent deux des principaux ouvrages de M. de Maupertuis. La composition de ce monument est noble et simple, et l’exécution fait honneur aux talons de M. d’Huez. Le médaillon est fort ressemblant, quoique M. d’Huez n’ait jamais vu le personnage : il l’a copié d’après un buste de M. Le Moine.

3. — Extrait d’une lettre de M. de Voltaire. « … J’ai reçu et lu le Mémoire de l’infortuné M. de La Chalotais. Malheur à toute âme sensible qui ne sent pas le frémissement de la fièvre en le lisant ! Son curedent grave pour l’immortalité… Les Parisiens sont lâches, gémissent, soupent et oublient tout[2]. »

Pour mieux entendre ceci, il faut se rappeler ce que nous avons dit et cité du Mémoire[3].

4. — Le père Fidèle, de Pau, si célèbre par son Oraison funèbre du Dauphin, a mis au jour, depuis quelque temps, un livre non moins curieux par le fond et par la forme. Le titre seul annonce le ton original de l’auteur ; c’est le Philosophe dithyrambique[4]. Il attaque dans cet écrit les grands philosophes de nos jours. C’est par l’ironie que le Capucin se propose de combattre leurs erreurs. « Les dithyrambes, dit-il, étaient des ouvrages faits en l’honneur de Bacchus : productions, d’ailleurs, d’un style emphatique, obscur, vrai galimatias. Aristophane appelait les auteurs dithyrambiques des charlatans. » L’ouvrage est divisé en deux parties : dans la première, l’auteur examine quelles sont les qualités nécessaires à un écrivain en matière de religion, et prouve que les déistes n’ont aucune de ces qualités ; dans la seconde, il parcourt les maux que les livres philosophiques, qu’il appelle libelles, ont causés. C’est partout une imagination déréglée, une érudition indigeste, une diction burlesque, un ton de bouffonnerie, qui amuse d’abord, mais qui ennuie à la fin.

6. — Vers adressés à M. de Voltaire
Par M. François, de Neufchâteau en Lorraine, âgé de quatorze ans, associé des Académies de Dijon, Marseille, Lyon et Nancy, en lui envoyant un exemplaire de ses ouvrages[5].
À Neufchâteau, le 15 juillet 1766[6].

Rival d’Anacréon, de Sophocle et d’Homère,
Ô toi, dont le génie a franchi tour à tour,
Ô De tous les arts l’épineuse carrière,
Toi qui chantes les dieux, les héros et l’Amour,
Pardonne à mon audace, ô sublime Voltaire,
Et permets qu’aujourd’hui ma muse téméraire
Et peT’ose offrir ses simples accords ;
EtDaigne accepter cette offrande légère,
EtDaigne sourire à mes premiers transports.
Et DaJe sais que c’est un faible hommage :
Mais si ton indulgence approuve mes efforts,
Un succès si flatteur, excitant mon courage,
UnM’inspirera de plus dignes accens ;
Il saura m’élever au-dessus de mon âge…
Un coup d’œil de Voltaire enfante les talens.

9. — Outre le Mémoire de M. de La Chalotais dont nous avons parlé, on vient d’imprimer deux lettres de lui, plus éloquentes encore. La première, adressée au roi, en douze pages in-12, petit caractère, comme le Mémoire, est du mois d’avril. Il y demande justice et proteste de son innocence. La seconde, du même format et caractère, a vingt-deux pages ; elle est datée du 7 juin. Elle contient les mêmes réclamations qui sont déposées dans le Mémoire. Il s’élève fortement contre ses ennemis, et donne pour principe de ses disgrâces la haine du parti jésuitique et l’inimitié du commandant de la province, le duc d’Aiguillon.

10. — On vient d’imprimer le discours qui a remporté le prix de l’Académie royale des Belles-Lettres de Caen, le 5 septembre 1765. Le sujet était des plus utiles et des plus curieux : « Quelles sont les distinctions que l’on peut accorder aux riches laboureurs, tant propriétaires que fermiers, pour fixer et multiplier les familles dans cet état utile et respectable, sans en ôter la simplicité qui en est la base essentielle ? » C’est celui de M. Dornay, qui a été couronné ; il portait pour épigraphe : Honores mutant mores. Il est traité avec toute l’éloquence et toute la vérité possible. Rien de plus philosophique que ce morceau digne d’un excellent citoyen.

11. — Vers à M. le chevalier de ***,

Sur une indigestion de l’auteur (M. Dorat).

Vous avez tout, grâces, talens ;
Vous buvez des eaux d’Hippocrène :
Du bon Horace et de Turenne
Vous suivez les drapeaux brillans.
Digérez-vous ? voilà l’affaire ;
L’homme n’a rien s’il ne digère.
Car sans cela plaisirs et jeux
S’envolent au pays des fables.
L’esprit fait les mortels aimables :
Mais l’estomac fait les heureux.

.

12. — M. de Calonne se trouvant fortement attaqué dans féloquent Mémoire de M. de La Chalotais, vient d’en présenter un au roi, dans lequel il met sous les yeux de Sa Majesté tout ce qui s’est passé entre lui et M. de La Chalotais. Cette réponse fort détaillée contient treize pages d’impression in-4o, qu’il n’est pas possible d’analyser. On lit à la fin, que le roi a eu la bonté d’écrire de sa main ce qui suit :

1er septembre.

« Je vous autorise à faire imprimer ce Mémoire. Vous n’avez pas besoin de justification auprès de moi, je rends justice à vos talens et à la droiture de votre conduite. Comptez sur toute ma protection. »

Sur cette apostille de Sa Majesté, ce Mémoire a été imprimé à l’Imprimerie Royale. On a mis à la suite une Lettre de M. de Calonne, relative à cette discussion. L’ouvrage, comme littéraire, est d’une logique très-faible, sans énergie, sans finesse : le style en est médiocre, et donne une fort petite idée de l’orateur et de son génie.

13. — Si l’on en croit des lettres venues de bonne part, les prétendus torts de J.-J. Rousseau ne sont pas si bien constatés, qu’on ne puisse les révoquer en doute. Un tiers paraît avoir cherché à aigrir les esprits, en rapportant à chacun d’eux séparément des confidences faites pour les indisposer réciproquement ; de là un malentendu de part et d’autre, qui a occasioné une brouillerie au-delà des bornes de l’honnêteté. On assure que les parties se sont rapprochées, et que sur l’explication qu’elles ont eue entre elles, elles se sont réconciliées.

13. — Recherches sur l’origine des découvertes attribuées aux modernes, etc., par M. Dutens, deux volumes in-8o. Le but de cet ouvrage est de prouver que les différens systèmes qu’on annonce tous les jours comme des découvertes, ont été connus des anciens. Cet ouvrage est plein d’érudition, mais peu consolant.

15. — On a vu avec quelle chaleur M. de Voltaire a soutenu la cause des Calas dans les écrits sortis de sa plume à ce sujet, ainsi que dans son Traité de la tolérance : il vient d’y ajouter un Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven, qui peut servir de supplément. Il y rappelle l’arrêt du parlement de Toulouse, la sentence rendue à Mazamet, dans le pays de Castres, contre les Sirven, et rapporte à cette occasion différens exemples du fanatisme, qui, dans tous les temps, a tyrannisé certains esprits et a produit des excès qui font frémir l’humanité. L’auteur continue à se servir de l’ironie et à traiter, en plaisantant, des matières qui paraissent mériter un ton plus sérieux.

16. — Mademoiselle de La Chalotais, sous le nom de son père et de son frère, comme fondée de leurs pouvoirs et se faisant fort pour MM. de Montreuil, de La Gacherie et de Kersalaun, a fait présenter au roir deux Requêtes tendantes à supplier Sa Majesté de retirer les lettres patentes du 5 juillet dernier, comme étant un obstacle au renvoi qu’ils ont demandé par la cédule évocatoire. La première de ces Requêtes est du 11 août, et la deuxième du 26. Elles sont souscrites par huit des principaux avocats du parlement qui estiment que la procédure faite à Rennes depuis les lettres patentes du 5 juillet dernier, ainsi qu’elle est exposée dans cette Requête, est nulle, par les moyens qui y sont établis, et que cette nullité ne peut que fortifier ceux sur lesquels on a fondé la Requête par laquelle le roi a été très-humblement supplié de retirer ces lettres. Ces deux Requêtes ont près de quatre-vingts pages d’impression in-4o

— Il paraît encore un nouveau Mémoire à consulter et Consultation, sous le nom de la famille de M. de La Chalotais, qui demande si la preuve par comparaison d’écriture[7], sur laquelle on ne pourrait pas prononcer une condamnation à peine capitale, suffirait pour donner lieu à une peine légère, pour faire ordonner un plus amplement informé ou pour mettre hors de cour sur l’accusation. Le conseil qui a examiné la question et l’ouvrage de Le Vayer sur le même sujet, persiste dans sa Consultation du 26 juillet dernier, et recueille de nouveau une multitude de faits qui prouvent les erreurs et les contradictions continuelles des experts ; d’où il conclut que s’il n’y a contre M. de La Chalotais que la seule déposition des experts, en quelque nombre qu’ils puissent être, on ne peut ni mettre hors de cour, ni prononcer un plus amplement informé, et qu’on doit le décharger de l’accusation. La Consultation ajoute de plus que, par l’examen des pièces imputées, tout dépose en faveur de M. de La Chalotais ; que jamais délit ne fut moins vraisemblable ; que la qualité du crime, celle de l’accusé, sa conduite, ses sentimens les plus connus, que tout enfin concourt à établir qu’il n’est pas auteur des billets anonymes, et qu’on blesserait également les lois naturelles et positives, en ne le déchargeant pas de l’accusation. Cette Consultation est signée des mêmes avocats que ceux qui ont souscrit celle des Requêtes, et est aussi du 26 août dernier ; elle contient trente-six pages in-4o.

19. — Par des nouvelles de Varsovie, du 16 août 1766, on écrit que madame Geoffrin, qui est encore en Pologne, ne pouvant se refuser à l’invitation de l’impératrice de Russie, se dispose à partir pour Pétersbourg.

20. — On parle beaucoup d’une réponse de M. de La Chalotais au Mémoire de M. de Calonne : la rareté de cet ouvrage fait qu’on n’est pas encore en état d’en rendre compte.

24. — On a saisi à Bayonne les Mandemens et Instructions de M. l’archevêque de Paris et des autres évêques qui ont écrit dans le même esprit en faveur des ci-devant soi-disant Jésuites, dont on a fait un recueil. On les avait traduits en espagnol, avec une préface, un discours raisonné, et le tout était destiné pour l’Espagne.

26. — On mande d’Espagne que le Père Poyant, recteur des Jésuites, ci-devant secrétaire de l’ambassadeur en Russie, a été arrêté par ordre du ministre espagnol ; que l’on a trouvé chez lui l’édition, d’environ trois mille exemplaires, d’une brochure très-séditieuse en faveur des Jésuites de France, où le roi même est très-peu respecté. On ajoute que cette brochure, quoique imprimée à Saragosse, portait le titre de Paris ; que c’est sur la plainte du ministre de France que le Père Poyant a été arrêté et mis dans les prisons.

27. — Il ne paraît pas qu’on soit parvenu à réunir les esprits de M. Hume et de J.-J. Rousseau, quoi qu’on ait fait pour les réconcilier. L’aigreur du dernier a forcé le caractère pacifique de l’autre, et l’on assure qu’ils vont rendre le public juge de leur différend, en faisant imprimer ce qui l’a occasioné. La singularité de Rousseau n’a fait nulle sensation en Angleterre, et ses ouvrages n’y sont pas accueillis avec la même fureur qu’en France. L’énergie de son style, principal mérite de ses ouvrages, ôte beaucoup de leur prix aux gens qui n’entendent pas parfaitement notre langue.

30. — M. Piron, toujours original, vient de publier un poëme singulier ; il a pour titre : Feu M. le Dauphin à la nation en deuil depuis six mois[8]. Il débute ainsi :


France ! rosier du monde, agréable contrée,
Qui ne m’as, dans le temps, qu’à peine été montrée,
Amour des nations, sociables François,
Peuple chéri du ciel, et chérissant vos rois ;
Également aimé de votre auguste maître,
Qui fit tout pour me rendre un jour digne de l’être,
Tandis que je tremblais, l’adorant comme vous,
D’hériter d’un pouvoir pour vous et moi si doux :
Chers amis, que ma voix touchante et fraternelle
Parvienne à vous du haut de la voûte éternelle,
Et ne vous parlant plus que de félicité
Après un deuil si long vous rende à la gaîté.


Qui croirait ces vers sortis de la main qui a crayonné la Métromanie ?

  1. V. 27 novembre 1766. — R.
  2. Il paraît que cet extrait est tiré d’une lettre à d’Alembert, du 7 auguste 1766. — W.
  3. V. 1er août 1766. — R.
  4. Paris, Vente, 1766, in-12. — R.
  5. V. 28 octobre 1766. — R.
  6. Voyez dans les Œuvres de Vollaire sa réponse commençant par ces vers :

    Si vous brillez votre aurore,
    Quand je m’éteins à mon couchant…

  7. La Chalotais était soupçonné d’avoir adressé au comte de Saint-Florentin plusieurs lettres anonymes ; et des experts, gagés peut-être, avaient déclaré y reconnaître son écriture. — R.
  8. Paris, Ve Duchesne, 1766, in-4o de 12 pages. — R.