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Mémoires secrets de Bachaumont/1769/Novembre

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Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome III (1769-1772)p. 61-74).
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Novembre 1769

Ier Novembre. Il s’est trouvé à la poste une lettre ayant pour suscription : « Au Prince des Poètes, Phénomène perpétuel de gloire, Philosophe des Nations, Mercure de l’Europe, Orateur de la Patrie, Promoteur des Citoyens, Historien des Rois, Panégyriste des Héros, Aristarque des Zoïles, Arbitre du goût, Peintre en tout genre, le même à tout âge, Protecteur des Arts, Bienfaiteur des talens, ainsi que du vrai mérite, Admirateur du génie, Fléau des persécuteurs, Ennemi des fanatiques, Défenseur des opprimés, Père des orphelins, Modèle des riches, Appui des indigens, Exemple immortel des sublimes vertus. »

Cette lettre, tout considéré, a été rendue à M. de Voltaire, quoiqu’elle ne portât pas son nom, comme le seul à qui toutes ces qualités pussent convenir. Bien des gens ne seront pas d’accord qu’elles soient toutes méritées, et il semble que le suscripteur lui eût pu donner des louanges moins équivoques et plus délicates, sans compromettre la vérité.

Les ennemis de M. de Voltaire prétendent que c’est lui-même qui s’est adressé ou fait adresser la lettre[1] : ils appuient cette conjecture sur l’invraisemblance qu’elle pût venir d’ailleurs que des Petites-Maisons, sur la fureur insatiable qu’a ce grand homme de faire parler de lui, et sur mille petites ruses de la même espèce, qu’on sait, à n’en pas douter, qu’il a employées plusieurs fois avec une impudence aussi grossière.

— Messieurs de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, très-alarmés de la Lettre de Raphaël à rome[2], plaisanterie d’autant plus piquante qu’elle est plus vraie, ont interposé auprès du ministre les bons offices de M. le marquis de Marigny, leur directeur. Il a agi si efficacement que la Police a arrêté le pamphlet en question pendant deux fois vingt-quatre heures, a exigé de l’auteur des corrections qui gâtent, comme on s’en doute bien, et émoussent tout le sel de la critique. Heureusement, la fureur du public avait déjà enlevé une infinité d’exemplaires.

Outre cette satisfaction, les artistes offensés ont chargé M. Sédaine, secrétaire de l’Académie de Peinture, de répondre à l’anonyme. Il a répandu une prétendue Lettre de M. Jérome, râpeur de tabac, à M. Raphaël[3]. On sait qu’en pareil genre tout le succès consiste dans cette première fleur de critique qu’il faut saisir, et qui se fane pour peu qu’on la remanie. Aussi l’ouvrage de l’apologiste du salon a-t-il paru froid, diffus, lourd, bassement écrit, et né sous une main plus accoutumée à manier la truelle que la plume. Ce n’est pas que M. Sédaine n’ait un mérite, même littéraire ; mais ce n’a jamais été celui du style, et c’est la principale chose dans les écrits du genre en question. On attribue aujourd’hui plus constamment la Lettre de Raphaël[4] à M. le comte de Lauraguais dont on connaît le goût pour tous les arts.

2. — Dieu et les Hommes, œuvre théologique mais raisonnable, par le docteur Obern, traduit par Jacques Aimon. Tel est le titre d’un volume in-8° de deux cent quatre pages, qui repaît en ce moment la curiosité des incrédules. En effet, cette œuvre, prétendue théologique, n’est qu’une œuvre du diable, et n’en est que plus courue. Le fond, très-rebattu, est enrichi des grâces du style, et les connaisseurs y reconnaissent la touche du philosophe de Ferney. Cet auteur infatigable a voulu, sans doute, donner matière à une nouvelle abjuration pour l’année prochaine, lorsqu’il fera ses pâques avec la ferveur dont il édifie le public depuis deux ans.

3. — M. l’abbé Delaunay, qui se dispose à donner un recueil de pièces fugitives pour servir de supplément aux ouvrages des auteurs vivans, a écrit à M. Piron pour lui demander communication des siennes. Ce poète plus qu’octogénaire, mais tout brûlant encore du feu sacré dont il a toujours été dévoré, a répondu à l’éditeur une lettre qui court dans Paris et qui est marquée au coin original de désordre et d’énergie, bien différent de la froide simétrie de nos beaux esprits modernes, dont tous les ouvrages paraissent sortir de la même toilette.

8. — On a parlé[5] de la fermentation qu’avait occasionée, il y a près de trois mois, le Panégyrique de saint Louis prêché à la chapelle du Louvre devant messieurs de l’Académie Française par M. l’abbé Le Cousturier, chanoine de Saint-Quentin. L’orateur avait été obligé de se disculper par-devant M. l’archevêque, et se flattait d’avoir fait revenir ce prélat des impressions fâcheuses qu’on lui avait données contre lui. D’ailleurs, ce discours imprimé avait eu pour censeur M. Riballier, syndic de la Faculté, docteur très-connu par son attachement à la saine doctrine, et par le zèle ardent avec lequel il a combattu les erreurs répandues dans le Bélisaire de M. Marmontel. Au moment où M. l’abbé Le Cousturier s’y attendait le moins, il vient d’être interdit de la chaire par le prélat, à raison d’hétérodoxie, et ne pourra prêcher l’Avent à l’église des Frères de la Charité, ainsi qu’on l’avait annoncé.

— Un nouvel adversaire s’élève contre l’abbé Morellet, et vient de répandre une brochure ayant pour titre : Doutes d’un actionnaire sur le Mémoire de M. l’abbé Morellet contre la Compagnie des Indes. Le modeste auteur expose ses inquiétudes sur les assertions hasardées du détracteur de la Compagnie.

10. — Les ennemis de madame la comtesse Du Barry, qui depuis sa présentation avaient respecté sa grandeur et démenti en quelque sorte par leur silence tous les bruits injurieux, toutes les calomnies ténébreuses répandues sur le compte de cette beauté, se réveillent aujourd’hui, et publient une anecdote trop opposée à son caractère de modération et de décence pour la croire. Ils prétendent que trouvant qu’elle avait un cuisinier qui ressemblait au ministre, le plus illustre de ses adversaires, elle avait regardé cela comme un grand tort vis-à-vis d’elle, et avait ordonné qu’il ne parût plus en sa présence ; que, peu de temps après, elle en avait plaisanté à souper avec le roi, et lui avait dit : « Je renvoie mon Choiseul, quand renverrez-vous le vôtre ? »

— La prétendue Réponse de Jérome à Raphaël[6] est de M. Cochin, secrétaire de l’Académie de Peinture et de Sculpture, etc., et non de M. Sédaine, secrétaire seulement de l’Académie d’Architecture. Au demeurant, la critique de l’ouvrage reste dans toute sa justesse, et l’on peut dire avec vérité de l’auteur, qu’il est plus accoutumé à manier le burin que la plume.

11. — En attendant qu’on puisse reprendre le grand ouvrage de paver en marbre le reste de l’église de Notre-Dame, on travaille à différentes décorations particulières. On est occupé aujourd’hui à relever la fameuse épitaphe de M. l’abbé de La Porte, qui servira de pendant à celle du cardinal de Noailles. Ce chanoine est célèbre dans le Chapitre par ses bienfaits à l’église et par son zèle à la servir. C’est lui qui, sur la fin du règne de Louis XIV, fut trouver ce monarque, lui représenta que le vœu de Louis XIII, son prédécesseur, concernant le rétablissement du chœur de Notre-Dame n’était pas encore rempli, et offrit à Sa Majesté de faire les avances nécessaires pour mettre au moins en train ce projet. Louis XIV se rendit à ses sollicitations, et l’abbé de La Porte répandit cent mille écus de ses fonds, qui ont depuis été rendus à sa famille. Il est de l’intérêt du Chapitre de ne point laisser dans l’oubli un si bel exemple, et de rappeler des faits aussi intéressans, tous détaillés dans son épitaphe.

12. — On écrit de Rome qu’on a frappé une estampe allégorique et tout-à-fait plaisante. Elle représente le pape dans un berceau qu’agite doucement M. le cardinal de Bernis ; et au bas il est écrit : « Il a beau faire ; il me berce, mais il ne m’endormira pas. » On a attaché cette pasquinade, suivant l’usage, à la statue de Marforio. Elle n’a pas besoin de commentaire. L’auteur de la lettre, à cette occasion imagine une nouvelle charge, non moins vraie ; ce serait de représenter le cardinal dans le berceau, et le pape caressant le poupon et l’endormant véritablement.

13. — On a vu par la suscription[7] dont on a parlé jusqu’où va l’enthousiasme de certaines gens pour M. de Voltaire. Ses ennemis, toujours acharnés contre lui, viennent d’en faire la parodie la plus amère ; il est inutile de la rapporter, c’est précisément l’inverse de l’autre, c’est-à-dire une suite de toutes les qualifications injurieuses que peuvent enfanter la plus basse envie et la haine la plus active.

14. — On a répandu dans le monde une autre pasquinade contre le Très-Saint-Père, dans le goût de celles qu’on s’est souvent permises à Rome, adressée à Marforio. Elle a pour titre : Lettre très-canonique de M. l’abbé Francœur, licencié en théologie, au pape Clément XIV, ci-devant volontaire dans la légion de François d’Assise, collecteur des impôts divins et recruteur d’âmes. C’est une satire de la conduite du pape, depuis son exaltation, tant à l’égard du duc de Parme, qu’avec les princes de la maison de Bourbon, au sujet des Jésuites. C’est aussi une espèce de réponse à la lettre de Sa Sainteté au roi[8] dont on a parlé dans le temps, et qu’on regarda dès-lors comme un trait de politique d’autant plus adroit qu’il portait tout le caractère de l’ingénuité et de la bonhomie. Cette facétie, qui ne peut sortir de la plume d’un bon catholique, n’a pas même le sel de la plaisanterie pour les indévots.

16. — Une historiette de M. le comte de Lauraguais occupe les oisifs, et fournit matière aux propos du moment. Ce seigneur s’est trouvé, il y a quelques jours, dans une rue étroite en face du carrosse de M. de Barentin, l’avocat-général, qui avait avec lui sa femme très-laide. Le cocher de M. de Lauraguais voulait toujours avancer ; celui du robin refusait de reculer : grande dispute entre les valets. L’avocat-général met la tête à la portière, et prodiguant la morgue magistrale, paraît étonné qu’on ne veuille pas le laisser avancer ; il déclare sa qualité, et combien le service du roi exige qu’il ne soit pas retardé dans sa marche. M. de Lauraguais, avec beaucoup de sang-froid, ne tient aucun compte des dires de M. l’avocat-général, ordonne à son cocher de passer outre ; alors la femme tout effrayée se montre à son tour, fait valoir les privilèges de son sexe, et paraît surprise qu’un seigneur aussi bien élevé les méconnaisse. « Ah ! dit M. de Lauraguais, que ne vous montriez-vous plus tôt, Madame ? Je vous assure que moi, mon cocher et mes chevaux aurions reculé du plus loin que nous vous aurions vue. »

17. — Un enfant posthume né en Bretagne après le terme ordinaire, a donné lieu de renouveler en justice la question des naissances tardives. M. Bouvard, médecin fameux de la Faculté, a écrit contre la possibilité du phénomène. Il lui a été répliqué par M. Petit, qui a soutenu l’opinion contraire avec beaucoup de chaleur. Il s’est élevé entre ces docteurs une querelle personnelle, qui a dégénéré bientôt en injures. La victoire paraissait restée à M. Petit ; mais son adversaire vient de répandre trois Lettres[9] en date du 1er novembre, qui renversent au gré des connaisseurs tout le triomphe du vainqueur. On voit avec peine qu’elles soient assaisonnées ou plutôt surchargées d’invectives dignes des athlètes littéraires du seizième siècle. Il est fâcheux que ce genre de combat proscrit aujourd’hui du monde poli se soit encore conservé dans les écoles.

19. — Les ennemis de M. de Voltaire, dont la rage contre ce grand homme ne s’éteindra qu’avec sa vie, ne cessent de répandre contre lui des libelles aussi obscurs qu’eux. L’un de ces Zoïles vient d’en faire un portrait si effroyablement crayonné, qu’il ne peut être reconnaissable qu’à ceux aussi aveugles que l’auteur sur le mérite de ce prince de la littérature, et aussi prévenus sur ses défauts et sur ses vices.

— On a parlé[10] du concert exécuté par des virtuoses pour les élèves des écoles gratuites de dessin ; institution dont on est redevable au magistrat patriote qui préside à la police de Paris, à laquelle il donne sans cesse de nouveaux encouragemens : il est question d’un concert de cette espèce, affiché pour le mercredi 22 de ce mois, jour de Sainte-Cécile, patrone de la musique et des musiciens. M. Gaviniés est à la tête de cette sorte de souscription de talens ; et M. de Chabanon, de l’Académie des Belles-Lettres, mais plus renommé encore par son goût pour le violon, a composé un petit divertissement, dont il a fait les paroles et la musique, qu’il a consacré au profit de l’établissement nouveau. On ne doute pas que l’assemblée ne soit nombreuse et brillante, et que les grands seigneurs et les gens riches ne déploient en cette occasion toute leur magnificence.

‑ On vient de faire une plaisanterie, intitulée : Credo d’un amateur du théâtre. Elle roule sur quelques anecdotes, dont il faut être au fait et qui sont très-connues qui fréquentent les foyers, où cette facétie occasione surtout beaucoup de rumeur. Elle porte d’ailleurs sur M. de La Harpe, aujourd’hui compagnon travaillant sous le sieur Lacombe, entrepreneur du Mercure. Ce petit auteur s’est chargé de la partie littéraire, et principalement de celle du théâtre, dont il prononce les jugemens. Voici ce Credo.

« Je crois en Voltaire, le père tout-puissant, le créateur du théâtre et de la philosophie.

« Je crois en La Harpe, son fils unique, notre seigneur, qui a été conçu du Comte d’Essex[11], est né de Le Kain, a souffert sous M. de Sartine, a été mis à Bicêtre[12], est descendu aux cabanons, le troisième mois est ressuscité d’entre les morts, est monté au théâtre, et s’est assis à la droite de Voltaire, d’où il est venu juger les vivans et les morts.

« Je crois à Le Kain, à la sainte association des fidèles, à la confrérie du sacré génie de M. d’Argental, à la résurrection des Scythes[13], aux sublimes illuminations de M. de Saint-Lambert, aux profondeurs ineffables de madame Vestris. Ainsi soit-il ! »

22. — M. Robbé est un auteur très-connu dans le monde, par ses talens littéraires, par le genre érotique dans lequel il a excellé, et par un fameux poëme sur la vérole, qui n’est pas encore imprimé, mais qu’il a lu et relu si souvent que tout Paris en est imbu. Depuis quelques années ce poète revenu des égaremens de sa vie licencieuse, s’est jeté dans la dévotion ; mais étant d’un caractère ardent, il s’est attaché au jansénisme, a donné dans les convulsions[14], comme le genre de secte le plus propre à alimenter son imagination exaltée jusqu’au fanatisme. Dans cette effervescence de zèle, il a voulu tourner au profit de la religion un talent trop profané jusque-là ; il a entrepris depuis plusieurs années un poëme en cinq chants sur cette matière auguste. Cet ouvrage passe pour achevé et doit s’imprimer bientôt. Un caustique a fait en conséquence l’épigramme suivante :


Tu croyais, ô divin Sauveur,
Avoir bu jusques à la lie,
Le calice de la douleur :
Il manquait à ton infamie
D’avoir Robbé pour défenseur.

25. — On a parlé[15] dans le temps d’une facétie attribuée à M. de Voltaire, intitulée Supplément aux Causes célèbres, ou Procès de Claustre. Ceux qui ont lu le pamphlet savent combien le sieur La Borde Desmartres, sa femme (la demoiselle Boutaudon, nièce de l’abbé Claustre) et l’abbé lui-même, sont tournés en ridicule ; combien même ce dernier est peint sous des couleurs noires qui le font dignement contraster vis-à-vis le Tartuffe de la comédie. Madame Desmartres a écrit au philosophe de Ferney pour se plaindre à lui d’un procédé si injurieux et si peu conforme à son esprit de tolérance, à cet amour de l’humanité que respirent tous ses ouvrages. M. de Voltaire a répondu par un désaveu formel de la plaisanterie, et paraît bien aise, ainsi que madame La Borde Desmartres, que le public en soit instruit. En conséquence, on consigne ici cette protestation.

Lettre de M. de Voltaire à madame La Borde Desmartres.
Ferney, ce 18 septembre 1769.

« Madame, j’ai reçu les mémoires que vous avez bien voulu m’envoyer touchant votre procès. Je ne suis point avocat ; j’ai soixante-seize ans bientôt ; je suis très-malade ; je vais finir le procès que j’ai avec la nature. Je n’ai entendu parler du vôtre que très-confusément ; je ne connais point du tout le Supplément aux Causes célèbres dont vous me parlez. Je vois par vos mémoires, les seuls que j’aie lus, que cette cause n’est point célèbre, mais qu’elle est fort triste. Je souhaite que la paix et l’union s’établissent dans votre famille ; c’est la le plus grand des biens. Il vaut mieux prendre des arbitres que de plaider. La raison et le véritable intérêt cherchent toujours des accommodemens. L’intérêt malentendu et l’aigreur mettent les procédures à la place des procédés. Voilà en général toute ma connaissance du barreau.

« Votre lettre, Madame, me paraît remplie des meilleurs sentimens. M. de La Borde, premier valet de chambre du roi, passe pour un homme aussi judicieux qu’aimable. Vous semblez faits tous deux pour vous concilier, et c’est ce que votre lettre même me fait espérer.

« J’ai l’honneur d’être avec respect, Madame, votre très-humble et très-obéissant serviteur Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi.  »

26. — Le livre de l’Essai sur les préjugés, ou De l’influence des opinions sur les mœurs et sur le bonheur des hommes, ouvrage contenant l’apologie de la philosophie, par M. D. M***[16], est la meilleure preuve qu’on puisse fournir des progrès de la raison humaine depuis quelques années, et de l’énergie qu’elle a acquise chez ceux qui ont réfléchi sur les discussions multipliées de la morale et de la physique, que des sages infatigables ne cessent d’agiter et de répandre. On trouve dans ce traité complet, sous le titre modeste d’Essai, ce que c’est que la vérité, son utilité, les sources de nos préjugés ; que la vérité est le remède des maux du genre humain, qu’elle ne peut jamais nuire ; l’excellence de la raison et les avantages qu’elle procure. On examine si le peuple est susceptible d’instruction ; s’il est dangereux de l’éclairer ; quels maux résultent, au contraire, de l’ignorance des peuples. On établit que la vérité n’est pas moins nécessaire aux souverains qu’aux sujets ; comment la corruption et les vices résultent des préjugés des souverains ; quelles suites funestes a la vénération pour l’antiquité, c’est-à-dire le respect des hommes pour les usages, les opinions et les institutions de leurs pères ; que les préjugés religieux et politiques corrompent l’esprit et le cœur des souverains et des sujets ; que le citoyen doit la vérité à ses concitoyens. On définit la philosophie, les caractères qu’elle doit avoir, le but qu’elle doit se proposer, ce que c’est que la philosophie spéculative : on découvre les motifs qui doivent animer le philosophe, quel courage doit lui inspirer la vérité. On parle de l’antipathie qui subsista toujours entre la philosophie et la superstition ; de l’esprit philosophique et de son influence sur les lettres et les arts ; de la cause des vices et des incertitudes de la philosophie ; du scepticisme et de ses bornes. On prouve que la philosophie contribue au bonheur de l’homme, et peut le rendre meilleur ; quelles sont les vraies causes de l’inefficacité de la philosophie ; que la vraie morale est incompatible avec les préjugés des hommes ; et qu’enfin la vérité doit triompher tôt ou tard des préjugés et des obstacles qu’on lui oppose.

— Les amateurs de l’Opéra sont aujourd’hui calmés sur les craintes qu’ils avaient concernant mademoiselle Arnould. Cette actrice, par une audace sans exemple, avait manqué à Fontainebleau si essentiellement à madame la comtesse Du Barry, qu’elle s’en était plainte au roi. Sa Majesté avait ordonné que mademoiselle Arnould fût mise pour six mois à l’Hôpital : mais madame Du Barry, revenue bientôt à son caractère de douceur et de modération a demandé elle-même la grâce de celle dont elle avait désiré le châtiment, et a sacrifié sa vengeance personnelle aux plaisirs du public, qui aime cette actrice. Le roi a eu peine à se laisser fléchir, et il a fallu toute l’aménité, toutes les grâces de cette dame, pour retenir sa sévérité.

28. — On a découvert que l’auteur de la suscription emphatique[17], à la manière orientale, d’une lettre adressée à M. de Voltaire, dont on a parlé, était un certain abbé De Launay. Cet abbé avait été en Portugal, et s’était insinué dans la confiance d’un frère du roi, au point qu’on avait craint qu’il ne captivât trop sa bienveillance, et qu’il avait été obligé de revenir en France, où il s’était soutenu par les bienfaits de ce prince, qui lui a même laissé une pension à sa mort, mais mal payée, suivant l’usage. L’abbé a contracté beaucoup de dettes ; il a été arrêté, il y a quelques années, et est en prison depuis ce temps, dénué de ressources. Il s’occupe à écrire à tous ceux dont il espère obtenir quelque chose, et fait valoir de son mieux un assez méchant talent qu’il a pour la poésie. Il est connu surtout par deux Épîtres, l’une au chien du Roi, et l’autre à M. l’évêque d’Orléans.

29. — M. de Mairan, cet Académicien connu de toute l’Europe savante, âgé de quatre-vingt-onze ans, trouvé très-mal, il y a quelques jours, d’une indigestion, après avoir dîné chez M. de Fonterrière, fermier-général ; on n’a pu le ramener chez lui tout de suite, et on lui a administré sur le lieu même les secours d’usage, qui ont procuré une double évacuation très-copieuse. Un accident aussi grave avait alarmé sur le compte de ce vieillard, mais il s’en est très-bien tiré et a recommencé à dîner en ville très-peu de temps après.

  1. V. 28 novembre 1769. — R.
  2. V. 24 septembre 1769. — R.
  3. Paris, Jombert, 1769, in-8°. — R.
  4. V. 29 septembre 1769. — R.
  5. V. 31 août 1769. — R.
  6. V. 1er novembre 1769. — R.
  7. V. 1er novembre 1769. — R.
  8. V. 31 octobre 1769. — R.
  9. Voyez la Correspondance littéraire de Grimm, lettre du 15 décembre 1769. — R.
  10. V. 2 et 17 février 1769. — R.
  11. Tragédie de Thomas Corneille. — R.
  12. La Harpe, soupçonné d’avoir composé des vers satiriques contre le principal du collège d’Harcourt, son bienfaiteur, fut renfermé à Bicêtre par ordre de M. de Sartine. Il fut, peu après, transféré au Fort-L’Évêque. Sa détention dura plusieurs mois. — R.
  13. V. 16 mars 1767. — R.
  14. V. 3 juin 1762. ― R.
  15. V. 13 juillet 1769. — R.
  16. Par le baron d’Holbach. Ce livre a été plusieurs fois réimprimé sous le nom de Dumarsais, et en dernier lieu, à Paris, en 1822, dans le format in-18. — R.
  17. V. 1er novembre 1769. — R.