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Mémoires secrets de Bachaumont/1770/Janvier

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Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome III (1769-1772)p. 91-104).
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Janvier 1770

1770.

6 Janvier. — On débite des quolibets sur M. l’abbé Terray. On dit que le roi va payer toutes ses dettes, parce qu’il a trouvé un trésor enterré (en Terray.)

9. — On a parlé plusieurs fois des Éphémérides du Citoyen, espèce de journal patriotique, où la secte connue sous le nom d’économistes, dépose tous les ouvrages qu’elle continue à répandre depuis quelques années sur différentes branches de l’administration, et sur l’administration même. Ces enthousiastes, comme tous les sectaires, y débitent leurs assertions avec autant de mépris pour leurs adversaires que de confiance en eux-mêmes, et l’on ne peut disconvenir que le ton général de ce livre ne soit un ton de morgue et de pédantisme qui ne peut que faire grand tort aux vues, d’ailleurs très-utiles, de ces citoyens estimables. Dans un de leurs volumes, enhardis par le succès de quelques parties de leur système, ils ont eu l’audace d’attaquer enfin de front et à découvert le règne de Louis XIV, comme le règne de cet esprit réglementaire qui leur déplaît, et qu’ils prétendent n’être bon qu’à introduire un odieux despotisme. M. de Voltaire n’a point vu sans indignation flétrir un règne dont il a écrit les fastes mémorables, et qu’il a représenté comme un des plus beaux siècles de l’univers ; il s’est cru obligé d’en prendre la défense. On se doute bien avec éloquence victorieuse il soutient une pareille cause ; mais ce dont on ne se doute pas, c’est la modération avec laquelle il épargne ces journalistes, pour lesquels il montre tous les égards dus à de pareils philosophes. Il donne dans ce petit ouvrage[1] de trente pages un modèle d’une critique saine, juste et sage, que ces écrivains polémiques observent trop rarement, et dont M. de Voltaire s’est aussi malheureusement trop souvent écarté. Une simple brochure de cette espèce suffirait pour faire la réputation d’un auteur qui n’aurait pas d’autres titres littéraires.

10. — Outre la justification éloquente du siècle de Louis XIV par le philosophe de Ferney, il paraît de lui d’autres pamphlets, qui ne lui mériteront pas les mêmes éloges de la part des dévots et même des gens attachés aux anciennes routines. Ces petits ouvrages clandestins ont pour titre : Les Adorateurs, ou les Louanges Dieu, ouvrage unique de M. Imhoff[2] ; une Requête à tous les Magistrats du royaume[3] sur l’abus des fêtes, etc. ; une Instruction du gardien des Capucins de Raguse à frère Pediculoso partant pour la Terre-Sainte[4] ; Tout en Dieu, commentaire sur Malbranche, par l’abbé de Tilladet[5]. On présume facilement que M. de Voltaire n’avoue pas ces écrits ténébreux, mais ses principes soutenus qu’on y retrouve, et surtout le malheureux charme de son style, n’en décèlent que trop l’auteur, et ils sont recherchés avec l’avidité ordinaire du public pour tout qui sort de sa plume.

14. — La chute du Saint-Père, le jour de son entrée Rome, a été célébrée par Marforio. On a gravé une estampe, où sa Sainteté est représentée tombant de cheval comme saint Paul ; et saint Ignace, qui en est le témoin, lui rappelle ce trait de l’Apôtre et lui crie : « Clément ! Clément ! pourquoi me persécutes-tu ? »

15. — Les Comédiens Français ont donné samedi la première représentation des Deux amis, drame bourgeois de M. Caron de Beaumarchais, annoncé depuis long-temps sous différens titres, tels que le Bienfait rendu, le Marchand de Londres, la Tournée du fermier-général, etc. Cette pièce, prônée d’avance avec beaucoup d’emphase, a attiré une affluence prodigieuse, et madame la duchesse de Chartres l’a honorée de sa présence. L’auteur y a fait entrer des scènes si analogues aux circonstances du jour, qu’il avait excité une curiosité générale. C’est une double banqueroute qui fait l’intrigue du drame ; mais le sujet, défectueux en lui-même, a encore révolté par la manière dont il a été présenté. On y a pourtant trouvé des scènes heureuses et produisant le plus tendre intérêt. Quoique les spectateurs, en général, paraissent avoir proscrit cette pièce, elle a encore des défenseurs. Elle a eu un succès plus marqué hier, mais qu’on attribue à un redoublement de cabale. S’il se soutient, on en parlera plus amplement.

16. — M. l’abbé Chauvelin, ancien conseiller de grande chambre et conseiller d’honneur du Parlement, est mort avant-hier âgé de cinquante-quatre ans. Né avec une complexion faible, et disgracié de la nature, il était épuisé par les plaisirs et par le travail. Coryphée, tour à tour, du théâtre et du jansénisme, il s’était fait une célébrité par l’audace avec laquelle il avait attaqué le colosse des enfans d’Ignace. Le succès de son entreprise l’avait rendu très-recommandable dans son parti. On avait frappé des médailles, des estampes, toutes plus emphatiques les unes que les autres, pour célébrer son triomphe[6]. Depuis quelque temps cependant, il était dans une sorte d’oubli, occasioné peut-être par sa mauvaise santé : il était attaqué d’une hydropisie de poitrine. Dimanche matin il s’est levé comme à son ordinaire, à six heures. À huit heures il a donné audience à ses médecins ; il plaisantait avec eux, lorsqu’il lui a pris une faiblesse, dans laquelle il a passé, sans qu’il ait pu recevoir les sacremens. Il était ancien chanoine de Notre-Dame, et doit en conséquence être enterré dans la cathédrale.

19. — La Requête à tous les magistrats du royaume, composée par trois avocats d’un Parlement, est un ouvrage grave, purgé de toutes les mauvaises plaisanteries que M. de Voltaire a trop prodiguées depuis quelque temps dans les agréables productions qu’il ne cesse d’enfanter dans sa retraite. Cette brochure-ci, écrite avec autant de chaleur que d’onction, est une espèce de sermon moral, ou de plaidoyer en faveur du peuple. Après une peinture aussi vraie que touchante des calamités accumulées sur cette nombreuse portion de l’humanité, il attaque la Quadragésime et les fêtes, division naturelle de ce petit discours. Quant au carême, il fait sentir l’absurdité de l’arbitraire, dans les Commandemens de l’Église, de laisser un homme maître à son gré de prescrire les alimens qu’on mangera, et de forcer à jeûner et à faire maigre des malheureux ne mangeant presque jamais de viande et toujours mourant de faim. Il exhorte les magistrats à décider si la différence du sol n’exige pas une différence dans les lois, et si cet objet n’est pas essentiellement lié à la police générale, dont ils sont les administrateurs. Dans cette première partie donc, le peuple demande la permission de vivre. Dans la seconde, il demande la permission de travailler, par la suppression de ces fêtes, dont M. de Voltaire prouve l’inutilité, l’indécence et le danger. Il prouve encore que la puissance législative, ayant seule institué le dimanche, c’est à elle seule à connaître de la police de ce jour, comme de tous les autres ; qu’en un mot, l’agriculture doit dépendre des magistrats, et non du sacerdoce ; que c’est aux juges qui sont sur les lieux à examiner quand la culture est en péril, et non à un évêque renfermé indolemment dans son palais.

20. — M. de Voltaire n’a pu se contenir avec la même réserve dans la petite brochure intitulée : les Adorateurs, ou les Louanges de Dieu : ouvrage unique de M. Imhoff, traduit du latin. Il ne l’a pas soigné avec autant de sagesse que la Requête aux magistrats, et l’esprit satirique de l’auteur y perce à chaque page. Cependant il y a d’excellentes choses. Des deux adorateurs dialoguant ensemble, l’un est un profond raisonneur, qui disserte en philosophe sur l’existence de Dieu, son essence, la création du monde, et toutes les autres questions abstraites qui divisent depuis si long-temps les écoles, sans qu’on ait acquis de plus profondes connaissances en métaphysique. L’autre, guidé par une âme vive et active, admire moins et sent davantage. Il s’embarrasse peu de connaître, il demande à jouir : il paraît pénétré de reconnaissance d’être un être végétant, sentant et ayant quelquefois du plaisir. Mais cette même faculté, qui le rend si pénétrable à la joie, le rend susceptible aussi de douleur ; et comme il y a plus de mal que de bien cet univers, il gémit, il se plaint, et voudrait trouver le remède à tant de choses qui l’affligent. C’est alors qu’il se sent obligé d’avoir recours aux réflexions, aux raisonnemens de l’autre, qui lui donne beaucoup d’argumens et aucune consolation réelle : il l’exhorte à se résigner et à espérer ; il croit que tout est nécessaire tout est nécessaire comme cela, et finit par le prier, s’il connaît quelque chose de plus positif, de le lui apprendre. Il résulte pour morale de ce traité, d’après le développement de la façon d’être de chacun des acteurs, que la sensibilité est, sans doute, le don du ciel le plus funeste, et qu’on doit préférer d’ergoter en aveugle comme le premier adorateur, avec une âme froide et sèche, à sentir et à se contrister, ainsi le second, avec un cœur trop ouvert à toutes les impressions. M. de Voltaire, dans un ouvrage court et aussi frivole en apparence, a concentré les connaissances profondes d’une infinité de traités de métaphysique et de physique, enrichies de toutes les grâces d’une imagination brillante.

20. — Les représentations successives des Deux Amis ont encore essuyé beaucoup de contradiction. Dans l’une, à l’occasion de l’imbroglio fort mal développé du drame, un plaisant s’est écrié du fond du parterre : « le mot de l’énigme au prochain Mercure. » L’auteur a cependant été obligé de faire beaucoup de changemens, qui répugnaient à son amour-propre, mais que les Comédiens ont exigés.

22. — Il paraît une chanson, de plusieurs couplets, contre les beaux esprits, ou plutôt contre quelques beaux esprits qu’on passe en revue. Ils n’ont pas lieu d’être contens de la manière dont on fixe sur leur compte les regards du public ; mais cette méchanceté est dénuée du sel qui donne du piquant et de la vogue à de pareils ouvrages.

23. — Il paraît un écrit, intitulé : Réflexions sur les divers écrits qui ont paru sur la Compagnie des Indes. On l’attribue à M. de Godeheu, ancien directeur de la Compagnie des Indes. Il a, sans doute, été destiné à éclairer les actionnaires avant l’assemblée, et à les disposer à voter favorablement pour la continuation de leur commerce. L’auteur établit sommairement : 1° qu’on doit continuer le commerce de l’Inde, puisque cette suppression procurerait à nos rivaux tous les ans une supériorité de vingt millions : 2° que ce commerce ne pouvant se faire que par une compagnie, l’État doit la dédommager politiquement de ses pertes, tant qu’elle ne lui sera pas à charge d’une somme plus considérable que celle calculée ci-dessus. Il détruit ensuite radicalement la brochure intutilée : Balance des services de la Compagnie des Indes envers l’État, et de l’État envers la Compagnie des Indes, en affirmant que l’auteur est coupable d’une grande ignorance des faits, puisqu’il cite comme réels des dons imaginaires de la part du roi, et qui n’ont jamais existé que dans les arrêts du Conseil, par une convention de forme, essentielle aux circonstances.

23. — Le sieur d’Auberval, un des coryphées de la danse du théâtre lyrique, vient de faire construire dans sa maison un salon qui lui coûte environ quarante-cinq mille livres, et que tout Paris va voir. Il est admirable par le goût, l’élégance et la richesse de la décoration et des ameublemens. Il y a en outre un jeu de mécanisme, au moyen duquel on peut, quand on veut, en faire une salle de théâtre. On n’admire pas moins le travail d’une espèce de vestibule, qui se monte et se démonte en dix minutes, et qui s’établit dans la cour pour mettre à couvert toute la livrée des gens qui assisteront aux bals, objet principal auquel ce salon est destiné. Il paraît que plusieurs femmes de la cour et des seigneurs voulant s’exercer de loin à briller aux divertissemens qui doivent avoir lieu lors du mariage de M. le Dauphin, ont imaginé de faire des répétitions chez le danseur en question ; que de là est venue l’idée de la construction de ce salon, et que, pour se dédommager des frais d’un tel établissement, le sieur d’Auberval a eu la permission de donner des bals. Il répand dans le public un prospectus de la souscription, dont on y peut voir les détails. Les princes se proposent aussi de se servir de ce lieu pour répéter également les fêtes qu’ils voudront donner. Plusieurs se sont fait ménager des loges en cet emplacement, et l’on attend avec empressement l’ouverture de la nouvelle école chorégraphique.

Au commencement de 1674, Louis XIV fit demander au corps de la mercerie un secours d’argent. On proposa à ce corps, en récompense, le premier rang parmi les six corps, le droit de donner tous les ans plusieurs sujets au consulat, et l’affranchissement d’une espèce de servitude à laquelle son commerce était assujetti depuis quelques années. Le corps chargea les gardes en charge d’offrir au roi cinquante mille livres, et d’accepter l’affranchissement de la servitude du commerce ; mais de déclarer que, content de son rang entre les six corps et de l’usage établi pour le consulat, il priait qu’il n’y fût rien changé. Peu de temps après, M. de Colbert annonça aux gardes en charge que le roi, content du zèle que le corps avait témoigné pour son service, leur rendait les cinquante mille livres, et leur donnait deux mille écus pour faire prier Dieu pour Sa Majesté, décorer leur chapelle et boire à sa santé. En conséquence les gardes firent célébrer dans l’église du Sépulcre les prières de quarante heures pour Sa Majesté et pour la prospérité de ses armes. Cela se fit avec la plus grande solennité. Tous les jours il y eut au bureau une table de vingt couverts, à laquelle dînèrent les prélats qui avaient officié et les prêtres de leur suite. On manda toutes les pauvres familles des marchands auxquelles on distribua des aumônes. Enfin, pour remplir entièrement les vues du roi, ils firent décorer la chapelle des marchands merciers par un tableau du célèbre Le Brun, qui se voit au retable du maître-autel du Sépulcre. Le dernier jour des quarante heures on apprit que la citadelle de Besançon s’était rendue le 22 mai. Dans les réjouissances publiques pour cet événement, on fit un grand feu de joie devant la porte du bureau et de chacun des gardes en charge, chez lesquels il y eut jusqu’à deux heures après minuit table ouverte pour les honnêtes gens. Au dehors on distribua des bouteilles de vin à tous ceux qui en voulurent ; on ne laissait passer personne sans le faire boire à la santé du roi. Ces fêtes furent répétées pour la prise de Dôle, rendue le 6 juin. Il y eut de plus au bureau une grande collation, à laquelle M. le lieutenant-général de police, M. le procureur du roi et les anciens gardes furent invités.

Voulant transmettre les témoignages publics de leurs sentimens pour Sa Majesté, les marchands merciers prièrent M. de Santeuil de faire un poëme sur ce sujet, et M. Corneille voulut bien le traduire. C’est ce poëme et cette traduction qu’on vient de remettre au jour, sous le titre de Poëme à la louange de Louis XIV, présenté par les gardes des marchands merciers de la ville de Paris, avec une magnificence typographique digne du sujet. On a placé en tête l’historique de l’anecdote ci-dessus, amplement détaillée dans un registre d’anciennes délibérations du bureau de la mercerie, et très-curieuse par le fond et par plusieurs circonstances que le lecteur remarquera facilement. Quant au poëme, il est en aussi beau latin qu’on en pouvait faire dans le dix-septième siècle. La traduction est de Corneille, mais en comme on l’a observé, c’est-à-dire qu’il y a de très-beaux vers, mais en général beaucoup d’incorrection, d’emphase et peu de sentiment.

24. — Les Comédiens Italiens donnent depuis quelque temps l’Arbre enchanté, comédie italienne en cinq actes, avec grand spectacle et divertissement[7]. Cette pièce attire beaucoup de monde, et achève de leur donner chambrée complète, même à leurs plus mauvais jours. Arlequin y joue un grand rôle, non par ses lazzis, mais avec sa baguette. Les yeux sont le seul sens qui s’y satisfasse. Il y a une multitude de magnifiques décorations ; le jeu s’en exécute avec beaucoup de rapidité et de précision, et le machiniste est l’auteur qui retire le plus de gloire de cette comédie, qui n’est proprement qu’une optique.

26. — Enfin la fameuse nouvelle salle de l’Opéra s’est ouverte aujourd’hui, et au moyen des précautions multipliées qu’on avait prises, le concours prodigieux des spectateurs et des voitures s’est exécuté avec beaucoup d’ordre. Une grande partie du régiment des gardes était pied extraordinairement. Les postes s’étendaient depuis le Pont-Royal jusqu’au Pont-Neuf, c’est-à-dire environ jusqu’à un quart de lieue de l’Opéra ; ce qui ne pouvait manquer d’opérer une circulation très-libre dans entours du spectacle si couru ; mais ce qui a gêné désagréablement tout le reste de Paris. La police n’a pas été si bien exécutée pour la distribution des billets. Outre le tumulte effroyable que l’avidité des curieux occasionait, il a redoublé par la petite quantité qu’on en a distribué, soit de parterre, soit d’amphithéâtre. Messieurs les officiers aux gardes, les gens de la Ville et les directeurs avaient accaparé la plus grande partie des billets. Cette interversion de la règle ordinaire a courroucé M. le comte de Saint-Florentin, qui, comme chargé du département de Paris, avait donné les ordres les plus justes à cet égard. Une autre supercherie n’a pas moins indisposé le public ; c’est aussi la transgression de l’arrangement pour la quantité de billets. La cupidité en ayant fait lâcher beaucoup plus que le nombre fixé, le parterre s’est trouvé dans une gêne effroyable, et le premier acte, ainsi que partie du second, ont été absolument interrompus par les cris des malheureux oppressés. Indépendamment de ces raisons de mécontentement des spectateurs, la salle a essuyé beaucoup de critique ; a trouvé l’orchestre sourd, les voix affaiblies, les décorations mesquines, mal coloriées et peu proportionnées au théâtre ; les premières loges trop élevées, peu avantageuses pour les femmes, le vestibule indigne de la majesté du lieu, les escaliers raides et étroits : en un mot, un déchaînement général s’est élevé contre l’architecte[8], le machiniste, le peintre, les directeurs et les acteurs ; car l’opéra[9], très-beau en lui-même, a paru tout-à-fait mal remis. Il n’y a que les habillemens et les danses qui aient trouvé grâce et reçu beaucoup d’applaudissemens.

27. — Les Comédiens Italiens ont donné, lundi 21 de ce mois, la première représentation de la Nouvelle École des Femmes, comédie en trois actes du sieur Moissy, qui a toujours eu beaucoup de succès, et que l’auteur a bien voulu mettre en ariettes pour lui en procurer davantage. Le sieur Philidor a fait la musique. Les gens de goût trouvent absolument la pièce dégradée, affaiblie par cette nouvelle métamorphose ; mais les partisans de l’opéra comique prétendent, au contraire, qu’il lui manquait un degré de perfection, et qu’elle est admirable avec ces embellissemens.

28. — Les Comédiens Français ont donné avant-hier la première représentation du Marchand de Smyrne, petite pièce en un acte et en prose, avec ses agrémens. Ces histrions avaient annoncé le drame en question avec les plus grands éloges, et l’un d’eux avait osé assurer l’avant-veille, en plein foyer, qu’il aurait un succès prodigieux. Quoique le public soit partagé à l’égard de la pièce, on paraît convenir généralement que c’est très-peu de chose, et qu’elle ne mérite pas l’annonce emphatique qu’en faisaient les acteurs. Elle est du sieur de Champfort, jeune homme qui mérite quelque encouragement.

30. — Les carrosses de madame la Dauphine font la curiosité du jour. Les amateurs vont les voir chez le sieur Francien, sellier, où l’on doit les emballer incessamment pour les envoyer à Vienne. Ce sont deux berlines, beaucoup plus grandes que les carrosses ordinaires, mais plus petites que ceux du roi. Elles ne sont qu’à quatre places. L’une est revêtue d’un velours ras cramoisi en dehors, où les quatre Saisons sont brodées en or sur les principaux panneaux, avec tous les attributs relatifs à la fête. L’autre est en velours bleu de la même espèce, et représente les quatre Élémens en or aussi. Il n’y a aucune peinture dans tout cela, mais l’ouvrage de l’artiste est d’un fini, d’un recherché qui équivaut presque à ce bel art. Les couronnemens sont très-riches : l’un des deux mêmes paraît trop lourd. L’impériale est surmontée de bouquets de fleurs en or de diverses couleurs, dont le travail n’est pas moins précieux. Ils sont d’une souplesse qui les fait agiter au moindre mouvement, et les rend flexibles au gré du plus léger souffle. Le sieur Trumeau est l’auteur de toute la broderie, aussi élégante que magnifique, et M. le duc de Choiseul, comme ministre des affaires étrangères, a ordonné ces superbes équipages, qui font infiniment d’honneur au goût de ce ministre.

31. — Le carrosse de M. l’évêque de Tarbes ayant, dans un embarras, accroché et maltraité un fiacre, au point de ne pouvoir conduire une dame qui était dedans, le prélat, jeune et galant, après s’être confondu en excuses, a descendu de sa voiture, a déclaré à la dame qu’il ne souffrirait pas qu’elle restât à pied, lui a donné la main pour monter dans son carrosse, et lui a demandé où elle voulait être conduite. Il s’est trouvé que cette personne allait à l’hôtel de Praslin, chez le sieur Beudet, secrétaire de la marine. Ce dernier est de la connaissance de l’évêque, qui a offert ses services à la dame auprès de ce commis, et a dit qu’il profiterait de l’occasion pour le voir et la ramener chez elle. Arrivés à l’hôtel, Monseigneur a donné la main à la dame, ce qui a beaucoup fait rire tous les domestiques ; mais les éclats ont encore plus redoublé de la part des spectateurs, quand on a introduit ce couple chez le sieur Beudet, qui, lui-même, aurait bien voulu éviter la publicité de cette visite. Quoi qu’il en soit, l’évêque, intrigué des ricanemens, des chuchotemens qu’il voyait, a insisté pour en avoir l’explication, et l’on n’a pu lui dissimuler que la femme dont il s’était si charitablement chargé était une certaine Gourdan, très-renommée par sa qualité de surintendante des plaisirs de la cour et de la ville. On sent bien que le prélat n’en a point demandé davantage, qu’il n’a point insisté pour la ramener, et que s’il l’est allé voir depuis, ç’a été dans le plus parfait incognito. Cette anecdote, qui paraît sûre, fait infiniment d’honneur à M. de Tarbes, dont les confrères n’auraient pas tous également connu cette célèbre entremetteuse.

  1. Défense du Siècle de Louis XIV. — R.
  2. V. 20 janvier 1770. — R.
  3. V. 19 janvier 1770. — R.
  4. V. 6 février 1770. — R.
  5. V. 5 février 1770. — R.
  6. V. 10 août 1762. — R.
  7. Représentée pour la première fois le 9 janvier 1770. — R.
  8. Moreau, de l’Académie d’Architecture. — R.
  9. Zoroastre, paroles de Cahuzac, musique de Rameau. — R.