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Mémoires secrets de Bachaumont/1771/Mars

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Texte établi par M. J. Ravenel, Brissot-Thivars éditeurs & A. Sautelet et Compagnie (Tome III (1769-1772)p. 261-274).
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Mars 1771

2 Mars. — Le prince royal de Suède[1] a été proclamé roi à Stockholm le lendemain de la mort de son père. Jamais prince n’a reçu une plus belle éducation et n’en a mieux profité. Ses connaissances s’étendent sur tout, et la justesse de son esprit égale la bonté de son cœur. Il n’y a qu’une voix sur ce jeune monarque, qui ne peut manquer d’être adoré de ses sujets. Il a capté le suffrage de tous ceux qui ont eu le bonheur de le connaître ici. Il a presque toujours été entouré des Philosophes encyclopédistes ; mais M. d’Alembert est celui qu’il a distingué le plus, et qu’il a particulièrement admis à son intimité : tous s’accordent à le regarder comme un sectateur zélé de leur doctrine, et se flattent de trouver aujourd’hui un protecteur puissant dans ce nouveau roi.

3. — Il court dans le monde un Mémoire qu’on attribue à la noblesse, mais qui n’est signé de personne, dans lequel on fait parler ce corps respectable comme devant connaître de tous les faits du point d’honneur, et qui, discutant les inculpations faites aux magistrats dans le préambule de l’Édit de décembre dernier, en infère qu’ils n’ont pu continuer leurs fonctions jusqu’à ce qu’ils en aient été justifiés, leur honneur y étant compromis. Ce Mémoire n’est que manuscrit et anonyme[2], et on le regarde comme apocryphe.

4. — M. l’évêque de Senlis[3] a prononcé aujourd’hui son discours de réception à l’Académie Française, où il a succédé à feu M. de Moncrif. La tâche n’était pas facile à remplir pour louer son prédécesseur, et la sécheresse du sujet s’est répandue sur tout l’ouvrage. M. l’abbé de Voisenon, en sa qualité de directeur, avait un plus beau champ, puisqu’il avait à faire l’éloge du mort et du récipiendaire. Aussi y a-t-il employé toute l’artillerie de son esprit. Il a eu l’art d’égayer la matière et de réveiller les auditeurs par des saillies qui ont été fort applaudies. Jamais séance académique ne s’est terminée plus agréablement.

6. — Plusieurs seigneurs et dames de la cour ont obtenu la permission d’aller à Chanteloup : de ce nombre sont M. le prince de Tingri, le marquis de Beauvau, leurs femmes et autres, etc., ce qui intrigue fort le chancelier et ranime le parti adverse.

8. — Les Comédiens Français ont donné hier, pour la première fois, une petite pièce, qui a pour titre : l’Heureuse Rencontre, en un acte et en vers. Ce petit drame n’offre rien de piquant, et est médiocre, pour ne pas dire plus. C’est l’ouvrage d’un bel esprit femelle[4], qui veut garder l’anonyme et fera bien.

9. — Il paraît, à ce qu’on assure, un libelle sanglant contre M. le chancelier, en forme d’Ode, et l’on dit qu’il est intitulé les Chancelières[5]. On se doute bien qu’il est très-rare, et que l’auteur n’a pu l’enfanter que dans les plus profondes ténèbres.

10. — Le Parlement de Grenoble n’a pas manqué de se signaler, et de déployer, dans la présente occasion l’éloquence noble et touchante qu’on remarque dans toutes ses productions. Il a adressé au roi des remontrances, soutenues surtout par une logique lumineuse, pressante et irrésistible. Il attaque l’Édit de décembre 1770, et met l’auteur en contradiction avec lui-même. Il combat M. le chancelier par ses propres paroles, lorsqu’à la tête du Parlement de Paris il avait eu occasion de porter pied du trône les représentations de son corps.

11. — Il paraît une Épître manuscrite du sieur de Voltaire au roi de Danemark, à l’occasion de la liberté presse que ce prince vient d’accorder dans ses États. Elle est écrite dans ce style familier que ce poète s’est attribué depuis long-temps envers les rois, et qui dégénère en licence indécente et punissable ; il sent moins le génie fier et indépendant que le bas flatteur qui, à la faveur des éloges outrés qu’il prodigue à ce monarque, espère faire passer les injures qu’il dit aux autres. Quoi qu’il en soit, l’auteur approuve d’autant plus Sa Majesté Danoise, que, suivant lui, jamais un mauvais livre ne survit à l’oubli qu’il mérite, et qu’on le peut laisser mourir impunément de sa belle mort ; qu’au contraire, les proscriptions n’empêchent pas les bons de pénétrer, et donnent plus de consistance et de relief aux autres ; qu’enfin ce ne sont les philosophes qui ont troublé la terre et excité les discordes et les guerres. Ces idées, vraies en général et saines, mais répétées en plusieurs ouvrages, et surtout en mille endroits de cet auteur, sont noyées dans un fatras de plaisanteries bouffonnes et satiriques qui déparent infiniment le reste.

14. — Le Parlement de Bordeaux a arrêté des Remontrances au roi[6] sur l’état présent du Parlement de Paris, dans le même esprit que celles des autres Cours qui en ont arrêté. Elles sont du 25 du mois dernier, et sont déjà imprimées. On les annonce comme volumineuses et comme développant la matière d’une manière plus historique que les autres.

16. — Le Parlement de Provence a adressé au roi des Remontrances très-pathétiques sur la situation présente du Parlement de Paris, et rappelé la trop douloureuse histoire de Bretagne, qu’il regarde comme la source de ce qui se passe aujourd’hui. Elles sont rédigées de main de maître et très-longues.

17. — Les Chancelières[7] font la plus grande sensation dans le public, et sont recherchées avec un empressement sans égal, plus sans doute à raison du personnage qu’elles concernent et de l’objet qu’elles traitent, que de leur mérite intrinsèque. Elles ne valent pas, à beaucoup près, les Philippiques, qui parurent dans le temps de la Régence, et attribuées au sieur La Grange Chancel. Le pamphlet en question est plein d’injures atroces, dites presque toujours en termes impropres, sans chaleur, sans élévation, sans enthousiasme. Le style en est dur et grossier autant que les choses. C’est plutôt de la prose rimée qu’une ode. Il y a cependant quelques strophes, ou parties de strophes tout-à-fait différentes ; ce qui annoncerait l’ouvrage de deux mains, ou celui d’un écolier corrigé en des endroits par main de maître. En un mot, c’est plutôt une pièce historique qu’une pièce de poésie[8].

19. — *On a des Remontrances du Parlement d’Aix, singulières par leur tournure, et qui font remonter les évènemens du jour jusqu’à l’affaire de Bretagne, où ce Parlement en trouve l’origine. Cette filiation, très-développée, forme un tableau historique et étendu, extrêmement curieux.

20. — *Le Parlement de Douay a fait, le 13 de ce mois, un arrêté en faveur du Parlement de Paris. Cette démarche est remarquable, en ce que c’est la première fois que cette compagnie prend fait et cause pour une autre, et que jusqu’à présent elle n’avait paru prendre aucune part aux affaires publiques. D’ailleurs on y voit avec plaisir qu’elle traite l’objet d’une manière neuve, en demandant que le procès soit fait légalement aux membres de ce corps, s’ils sont coupables : point capital, pas ou trop peu discuté par les autres Parlemens. Quant au style, il est très-sain, très-pur et très-noble ; il ne se sent en rien du terroir étranger.

21. L’Académie Française a tenu aujourd’hui sa séance publique pour la réception de M. le prince de Beauvau et de M. Gaillard. Jamais on n’avait vu à pareille assemblée un concours si prodigieux de femmes. On en à comptait plus de quatre-vingts, dont une grande partie de dames de la cour, beaucoup de seigneurs, et une multitude immense d’auditeurs de toute espèce. Le discours de M. de Beauvau, qui a ouvert la séance, était court et simple, en un mot, a paru un discours de grand seigneur. On y a cependant remarqué l’adresse

avec laquelle, en faisant l’éloge du roi et de son règne ce récipiendaire y a amené indirectement celui de M. le duc de Choiseul, en pesant davantage sur les temps de l’administration de ce ministre, qu’il a indiqués comme une époque mémorable de la monarchie. On a applaudi au zèle de l’amitié, sans discuter s’il était juste, ou excessif, ou indiscret. M. Gaillard a mieux rempli sont rôle. Il a fait, après les complimens d’usage, une dissertation historique sur les sociétés savantes en France, fait remonter l’origine jusqu’à Charlemagne. Il a présenté un tableau rapide et serré des progrès de ces institutions, et il y a joint des anecdotes précieuses et honorables pour les gens de lettres ; mais il y a trop mêlé ce ton d’emphase, mis à la mode par le sieur Thomas, cette bouffissure philosophique, par où il s’est a annoncé comme un digne sectateur de la cabale encyclopédique qui l’a porté à sa nouvelle dignité. M. l’abbé de Voisenon, encore directeur pour cette cérémonie, a répondu alternativement aux deux récipiendaires par deux discours. Même style, mêmes sarcasmes, même persiflage que la première fois. Sa figure de singe semblait donner encore plus de malice à ses saillies, et il a soutenu à merveille le rôle d’Arlequin qu’il s’était imposé, suivant ses propres expressions en réponse à ses confrères qui lui reprochaient le peu de gravité de ses discours.

Ensuite le sieur Duclos a lu une continuation de l’Histoire de l’Académie, commencée successivement par Pellisson et par l’abbé d’Olivet, depuis son origine jusqu’en 1700. En sa qualité de secrétaire de l’Académie il a cru devoir avancer cet ouvrage jusqu’à nos jours. Ce n’est qu’une chronologie sans suite et sans liaison des variations légères qu’a éprouvées cette compagnie depuis ce temps. Il y a recueilli toutes les anecdotes relatives à son objet : quoique puériles et minutieuses, elles ne devaient pas moins entrer dans ce travail, qui, au fond, est très-peu de chose. L’historien a joint aux faits des réflexions bourrues en style dur, comme lui, qui ont rire, et ne contrastaient pas mal avec les gentillesses, les gaietés du directeur. Il a fini par une apologie prétendue de l’Académie, sur le reproche qu’on lui fait d’admettre dans un corps où il ne doit point y avoir d’honoraires, tant de gens qui ne peuvent qu’y jouer ce rôle ; et le public a trouvé qu’il avait fort mal justifié sa compagnie, ou plutôt qu’il avait élevé une question qu’il n’avait nullement résolue. On ne doit pas omettre que dans l’historique du sieur Duclos, cet Académicien ayant fait mention d’une anecdote concernant le président de Lamoignon, grand-père de M. de Malesherbes d’aujourd’hui, et ayant ajouté, en nommant cet ancien magistrat, « ce nom si cher aux lettres, » tous les spectateurs ont envisagé, comme de concert, M. de Lamoignon de Malesherbes, et l’on a battu des mains pendant plusieurs minutes et à plusieurs reprises : éloge bien flatteur pour ce magistrat, qui se distingue aujourd’hui par sa qualité encore plus rare de patriote, et que la France entière envisage comme un de ses plus chers défenseurs.

Le public, et les femmes surtout, auraient été bien aises d’entendre quelques-unes des fables dont M. le duc de Nivernois a amusé si délicieusement les auditeurs dans plusieurs séances ; mais ce seigneur s’est refusé aux instances qu’on lui a faites, déclarant que, par un réglement nouveau, aucun Académicien ne pouvait rien lire sans avoir communiqué son ouvrage à un comité de ses confrères ; qu’il n’avait pas pris cette précaution, et qu’il ne pouvait répondre aux désirs de l’assemblée. On présume que ce règlement a été fait à l’occasion du discours de M. Thomas, dont on a parlé l’an passé, et qui fit un si grand scandale à la cour et à la ville.

22. — *Tous les jours on reçoit des nouvelles de différens bailliages qui ne veulent pas reconnaître les Conseils Supérieurs ; on parle entre autres de celui de Langres qui a écrit à ce sujet une lettre très-forte à M. le chancelier : même éloquence, même patriotisme dans ces ouvrages.

23. — *On fera simplement mention ici, pour mémoire, d’un écrit intitulé : Lettre d’un Bourgeois de Paris à un Provincial au sujet de l’Édit du mois de décembre 1770, en date du 5 février 1771. Cet écrit ne porte aucun caractère d’authenticité ; il entre dans un détail déjà fait des maux qui peuvent résulter de la funeste loi ; il est instructif, simple, et paraît l’ouvrage d’un bon patriote ; mais ne contenant rien de neuf, on n’en parlera pas plus au long.

— Le sieur Guérin, chirurgien du prince de Conti a eu, il y a quelque temps, une rixe à l’Opéra avec M. le marquis de Langeac, colonel à la suite des grenadier de France. Ce dernier ayant trouvé mauvais que l’autre eût regardé indécemment sa maîtresse, l’a traité comme un gredin, le menaçant de lui faire donner des coups de bâton par ses gens. Le sieur Guérin a pris au collet M. de Langeac, a fait semblant de ne pas le connaître et l’a forcé à venir chez le commissaire. Là, il s’est réclamé du prince son maître, et lui a été renvoyé. Cependant son adversaires jetait feu et flammes… On répand la copie d’une lettre écrite à cette occasion, dit-on, à M. de Langeac, par le prince de Conti.

« On dit, Monsieur, que vous voulez faire périr le sieur Guérin sous le bâton. Je vous prie de songer qu’il est mon chirurgien ; qu’il m’est fort attaché ; que j’en ai besoin, car j’ai beaucoup vu de filles ; j’en vois encore… j’ai eu des bâtards, mais j’ai toujours eu soin qu’ils ne fussent pas insolens… »

24. — *Les pasquinades continuent. On a fait le quatrain suivant, à l’occasion des six Conseils Supérieurs.


La Cour royale est accouchée
De six petits Parlementaux
Tous composés de m……… ;
Le diable emporte la nichée !


*Il paraît une lettre des officiers du bailliage de Villefranche en Beaujolois, ville de l’apanage de M. le duc d’Orléans, adressée à ce prince, du 6 mars 1771, par laquelle ils remettent leurs démissions entre les mains de S. A., plutôt que de reconnaître le Conseil souverain dont on veut les faire ressortir. Cette pièce historique de magistrats subalternes est digne de figurer avec avantage parmi toutes celles de ce genre qui ont paru ou qui paraîtront.

25. — L’impératrice des Russies a fait enlever tout le cabinet de tableaux de M. le comte de Thiers, amateur distingué, qui avait une très-belle collection en ce genre. M. de Marigny a eu la douleur de voir passer ces richesses chez l’étranger, faute de fonds pour les acquérir pour le compte du roi. On distinguait parmi ces tableaux un portrait en pied de Charles Ier, roi d’Angleterre, original de Vandyk. C’est le seul qui soit resté en France. Madame la comtesse Du Barry, qui déploie de plus en plus son goût pour les arts, a ordonné de l’acheter : elle l’a payé vingt-quatre mille livres ; et sur le reproche qu’on lui faisait de choisir un pareil morceau entre tant d’autres qui auraient pu lui convenir, elle a répondu que c’était un portrait de famille qu’elle retirait. En effet les Du Barry se prétendent parens de la maison des Stuarts.

26. — *Il passe pour constant que mardi dernier M. duc de Duras, gentilhomme de la chambre en exercice a remis au roi, de la part des princes du sang, un Mémoire de vingt pages, où ils reprennent toute l’affaire actuelle dès son origine, attaquent directement M. le chancelier, dont ils suivent les opérations, en font voir le vice et les contradictions, et finissent par des protestations entre les mains de Sa Majesté contre tout ce qui a été fait et contre tout ce qui se fera. Il est à observer que M. le comte de La Marche refuse constamment de se joindre aux autres, et n’a rien signé.

27. — *À l’occasion du bruit qui court de l’exil de la Cour des Aides, on a fait le placet suivant au roi, au nom des femmes des conseillers au Parlement.


Nos époux, ô Louis, sont en captivité ;
Nous gémissons loin d’eux, dans la viduité.
Jusqu’à ce jour pourtant une erreur secourable
À nos cœurs désolés apportait quelque espoir ;
Mais enfin, de Maupeou la vengeance implacable,
Nous condamne, dit-on, à ne les jamais voir.
À leur comble montés, nos maux sont sans remèdes :
Laissez-nous pour soutien au moins la Cour des Aides.

28. — *Il paraît deux nouvelles brochures sur les matières présentes. L’une en date du 11 février 1771, a pour titre : Lettre de M***, conseiller au Parlement, à M. le comte de ***. Le but de l’auteur est de prouver, 1° que le Parlement a dû s’opposer à tout enregistrement de l’Édit ; 2° qu’il n’a fait en cette occasion que ce qu’il avait fait dans d’autres, avec succès et avec l’approbation de nos rois, mieux instruits ; 3° qu’il a employé, pour manifester son opposition, le seul moyen légal et honnête qui pût convenir à des magistrats.

L’autre est intitulée : Observations sur l’incompétence de MM. du Conseil pour la vérification des lois. Cette seconde brochure, bien supérieure à la première, démontre, par huit considérations, la nullité de tout ce que feraient MM. du Conseil en pareil genre, et même celle de tout jugement civil ou criminel qu’ils peuvent prononcer. Outre l’avantage d’une logique claire et pressante, elle a celui d’être très-courte, et de résumer en peu de pages les plus puissans argumens sur cette matière. Le style est d’une énergie propre à la chose, et ajoute encore à la force du raisonnement.

29. — Mademoiselle Sainval, une des coryphées de la Comédie Française, destinée à doubler mademoiselle Dumesnil, et qui, avec autant de laideur et un organe très désagréable, annonçait d’heureuses dispositions pour la remplacer, vient de devenir folle par un accès de sensibilité qui lui fait honneur. On raconte qu’ayant eu un frère soldat pendu, l’aréopage comique avait décidé que sa délicatesse ne lui permettait pas de garder sa sœur parmi ses membres, et qu’il fallait la remercier. Cette nouvelle a jeté mademoiselle Sainval dans un désespoir auquel on attribue le dérangement de sa tête. Cette actrice passait pour avoir les passions très-vives, et en a déjà donné des preuves : il faut espérer que accident n’aura pas de suites.

30. — Chanson à l’occasion de la commission de coseiller au Conseil Supérieur de Châlons, sollicitée et obtenue par l’abbé Hocquart, chanoine de Chalons


Sur l’air : Réveillez-vous, belle endormie.

Lorsqu’en France on battait la caisse
Pour y trouver des magistrats,
Certain abbé, fendant la presse,
Fut un des premiers candidats.

C’était suppôt de cathédrale,
Plus fait pour la table et le jeu,
Que pour occuper un’froid’stalle,
Bon seulement à prier Dieu.

Il faut bien faire un sacrifice,
Pour accroître de deux mill’francs,
Le revenu du bénéfice,
Et du piquet et des brelans.

Plein d’une si belle espérance,
Au son de l’or, notre abbé part ;
Arrive au chancelier de France :
On annonce l’abbé Hocquart.

« Ton nom, dit Maupeou, m’extasie,
C’est celui du fameux Hocquart !
À sa place, malgré l’envie,
Tu seras, fusses-tu bâtard.

« Des dispenses recommandées,
On t’expédiera dans le jour,
Bien et dûment enregistrées
Par gens de ma nouvelle cour.

Un préambule est nécessaire :
As-tu bien été baptisé ? »
« — Oui, monseigneur, la chose est claire ;
Claude, est le nom qu’on m’a donné. »

Notre cher, féal et bien Claude[9],
Puisqu’il appert à tout voyant
Que tu l’es vraiment et sans fraude,
Reçois-en notre compliment.

Pour de notre gent moutonnière
Juger procès mus, à mouvoir,
Te dispensons de la prière,
Et par-dessus, de tout savoir. »


PROVISIONS.
Air des Folies d’Espagne.

Savoir faisons aux bêtes Champenoises,
Que par dessein, et non pas par mégard,
Nous nommons, pour juger toutes leurs noises,
Notre féal Claude et bien Claude Hocquart.

31. — Le fameux procès de M. de Valdahon a été jugé au Parlement de Metz, le 22, à huit heures du soir. M. Le Monnier a été débouté de son opposition ; permis aux parties de s’épouser ; trois commissaires nommés par la Cour pour faire le contrat de mariage ; mademoiselle Le Monnier prise sous la sauve-garde du Parlement ; M. Le Monnier condamné à soixante mille livres de dommages et intérêts, et à tous les dépens ; les Mémoires supprimés respectivement de part et d’autre. M. l’avocat général a déclaré ne demander la suppression de ceux de M. de Valdahon et de mademoiselle Le Monnier, que pour effacer jusqu’à la trace des horreurs des imputations, des calomnies avancées dans ceux de M. Le Monnier. Toute la ville a été enchantée de cet arrêt. On a fait des feux de joie : on a cassé les vitres de M. Le Monnier, et l’on a crié : « Vive le Parlement et M. de Valdahon ! » Ainsi, après huit ans de douleur et de traverses, va se terminer heureusement l’histoire de ces deux modèles d’amour, dignes de figurer à côté de tous les héros de ce genre, dont on lit les aventures et les combats dans les romans.

  1. Gustave III. — R.
  2. V. 26 mars 1771. — R.
  3. Armand de Roquelaure. — R.
  4. Mesdames Chaumond et Roset. — R.
  5. V. 17 mars 1771. — R.
  6. Très-humbles et très-respectueuses Remontrances qu’adressent au roi, notre très-honoré et souverain seigneur, les gens tenant sa Cour de Parlement à Bordeaux, 1771, in-12 de 56 pages. — R.
  7. Claude-Antoine Guyot Desherbiers, né à Joinville, le 20 mai 1745, mort au Mans le 5 mars 1828, est auteur des Chancelières. Voyez la Bibliographie de la France, 1830, p. 111. ― R.
  8. Cet article est emprunté au Journal historique de la révolution opérée dans la constitution de la Monarchie Française par M. de Maupeou, chancelier de France ; Londres, 1774-75, 8 volumes in-12. Les emprunts faits à ce Journal par le rédacteur des Mémoires secrets sont tellement fréquens que pour éviter la répétition des mêmes notes nous nous contenterons de faire précéder d’un astérique les articles qui en seront extraits. — R.
  9. Les provisions de chancellerie portent toujours Notre féal et bien-aimé. Par dessein, et non par mégarde, on a mis dans celles de l’abbé Hocquart, au lieu de bien-aimé Claude, simplement bien Claude. Elles sont ainsi enregistrées. On peut les voir au greffe.