Métaphysique des mœurs (trad. Barni)/Doctrine du droit/Introduction du traducteur

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Traduction par Jules Barni.
Auguste Durand (p. v-cxcv).




INTRODUCTION DU TRADUCTEUR.


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ANALYSE CRITIQUE DE LA DOCTRINE DU DROIT.


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Analyse


La Critique de la raison pratique a posé les fondements de la morale, en reprenant et en achevant l’œuvre déjà commencée dans l’ouvrage auquel Kant avait donné le titre même de Fondements de la métaphysique des mœurs : elle a solidement établi et mis en pleine lumière le principe fondamental de la moralité, la loi du devoir ; et, après en avoir déterminé l’origine et les caractères, elle a montré le lien qui l’unit, d’abord à l’idée de La liberté, ensuite à celles de l’immortalité de l’âme et de l’existence de Dieu. Ce n’est pas tout : il s’agit maintenant d’élever l’édifice dont on n’a fait encore que jeter les fondements : après avoir fixé dans la raison pure, comme l’unique base de la morale, le principe du devoir, il faut entreprendre de construire le système rationnel de la morale même, le système des devoirs, ou ce que Kant appelle la métaphysique des mœurs. Telle est l’œuvre dont les deux premiers ouvrages n’étaient que la préparation ; c’est la doctrine succédant à la critique. Elle est à la critique de la raison pratique ce que la métaphysique de la nature est à la critique de la raison spéculative.

Caractère de la métaphysique des mœurs.

Cette doctrine, comme Kant l’indique par le nom même qu’il lui donne (1)[1], doit tirer exclusivement ses principes de la raison : ils sont essentiellement à priori, et ne sont des lois morales qu’à ce titre. S’il y a pour lui une vérité évidente, c’est que la morale repose sur des principes à priori. Essayez de la fonder sur des données expérimentales, sur le plaisir par exemple et les moyens d’y parvenir, choses que l’expérience seule peut nous enseigner ; ses règles n’auront plus rien de nécessairement universel : elles varieront suivant les inclinations particulières de chacun. Or est-ce là le caractère des préceptes de la moralité ? Ne s’imposent-ils pas invariablement à chacun, quels que soient ses penchants ou ses goûts ? C’est qu’ils commandent au nom de la raison même ; là est le fondement de leur valeur universelle. Ils expriment ce qu’elle nous ordonne de faire, quoi qu’il puisse d’ailleurs advenir. La connaissance de cette sorte de lois ne dérive donc pas de l’expérience, c’est-à-dire de l’observation de notre nature sensible en particulier ou en général du cours naturel dés choses ; elle a sa source à priori dans la raison. Qu’à la considération des devoirs que la raison nous prescrit par elle-même, on joigne celle des avantages qui peuvent résulter pour nous de leur observation, ou des inconvénients que nous pourrait causer la conduite contraire, ce peut être un poids de plus dans la balance de nos délibérations ; mais à coup sûr ce n’est pas à cette dernière espèce de motifs que la morale emprunte la valeur de ses préceptes. Si donc elle n’a d’autorité absolue qu’autant qu’elle se fonde sur des principes à priori, la science de ces principes doit avoir un caractère essentiellement rationnel. Telle est la métaphysique des mœurs (1)[2]. Cette science existe naturellement chez tous les hommes, puisque tous conçoivent les lois morales comme des préceptes universels, comme des commandements absolus ; mais elle y reste ordinairement à l’état de connaissance vague et obscure. La tâche du philosophe est de la dégager, de l’éclaircir, de l’élevers à la hauteur d’un système.

Kant ajoute d’ailleurs que, comme il s’agit d’appliquer à l’homme les principes de la morale rationnelle, il faut bien tenir compte aussi de notre nature, que nous ne connaissons que par l’expérience. « On ne peut, dit-il 2[3], fonder la métaphysique des mœurs sur l’anthropologie, mais on peut l’y appliquer. » Seulement, si l’on ne veut sortir des limites de la métaphysique des mœurs, et tout perdre en tout confondant, on ne doit envisager ici la nature humaine qu’autant qu'il est nécessaire pour y déterminer l’application et les conséquences des principes universels de la raison, et il faut bien prendre garde d’en couvrir l’origine ou d’en altérer la pureté.

Notre philosophe renvoie même à une science ultérieure et distincte tout ce que l’expérience peut nous apprendre relativement à la pratique des lois morales, la connaissance des conditions subjectives ou des circonstances particulières qui en peuvent favoriser ou contrarier l’exécution dans la nature humaine, celle par exempt des meilleurs moyens à suivre pour inculquer et développer dans les âmes les principes moraux. Cette anthropologie morale, fondée sur l’observation de la nature humaine, forme la seconde division de la philosophie pratique (1)[4], dont la métaphysique des mœurs est la première. Elle est égaiement indispensable, mais elle ne doit venir qu’après celle-ci, et elle en doit toujours rester distincte.

Division ie la métaphysique des mœurs.

Le caractère de la métaphysique des mœurs ainsi déterminé, voyons comment elle se divisera (2)[5]. C’est en général une grave et difficile question, selon Kant, que celle de la division d’un système de connaissances : il faut en effet que cette division représente le système dans son intégrité et qu’elle permette à l’esprit de passer sans solution de continuité du concept divisé aux membres de la division et de ceux-ci à leurs subdivisions. Quelle sera d’abord la division fondamentale de la métaphysique des mœurs ? Quelle que soit la nature des actes qu’une législation prescrive et de quelque source qu’elle émane, il y a toujours deux choses à distinguer : d’une part, la loi même par laquelle elle présente une certaine action comme devant être faite, ou comme objectivement nécessaire ; et de l’autre, le mobile qu’elle met en jeu dans le sujet auquel elle s’adresse, pour le déterminer à lui obéir. D’où il suit que, tout en prescrivant les mêmes actes, une législation peut différer d’une autre par la nature du mobile sur lequel elle s’appuie. D’après cela il doit y avoir deux sortes de législations distinctes : ou bien en effet on placera dans la considération même de la loi le principe qui doit déterminer la volonté, et l’idée du devoir que cette loi lui prescrit en sera aussi le mobile ; ou bien au contraire on cherchera un mobile qui assure l’obéissance à la loi ailleurs que dans la simple idée de cette loi, c’est-à-dire dans certaines inclinations ou certaines aversions de notre nature sensible. Dans le premier cas, la législation est proprement morale ; dans le second, elle est juridique. Tout le monde distingue dans les actions la moralité de la légalité : une action n’est vraiment morale que si elle a pour mobile le respect du devoir ou de la loi qui la prescrite pour qu’elle soit légale, il suffit qu’elle soit extérieurement conforme à la loi, quel qu’en soit d’ailleurs le mobile. Il résulte de cette distinction même que les actes imposés par la législation juridique ne peuvent être qu’extérieurs. En effet, la légalité n’exige qu’une chose : c’est que les actes soient extérieurement conformes à la loi ; quant au principe intérieur ou au mobile qui les détermine, c’est une affaire de pure moralité. Elle ne peut donc s’appliquer qu’à des actes extérieurs. Au contraire la législation morale veut qu’on donne pour mobile à l’obéissance à la loi le respect de la loi même, et par là elle se distingue de la législation juridique, laquelle est tout extérieure ; mais à son tour elle n’exclut pas les actes extérieurs, car elle embrasse tous les devoirs, tant extérieurs qu’intérieurs.

Distinction des devoirs de droit et des devoirs de vertu.

Précisons et expliquons avec Kant l’importante distinction qu’il s’agit d’établir ici, et qui doit servir de fondement à la division de la métaphysique des mœurs. Tout devoir par cela seul qu’il est un devoir, appartient à la morale ; mais, si ce devoir, en même temps qu’il nous est prescrit par la morale, peut être l’objet d’une législation extérieure, il a en outre un caractère juridique. Par exemple, la morale nous fait un devoir de remplir les engagements que nous avons contractés envers nos semblables, et ce devoir nous peut être justement imposé par une législation extérieure ; il a donc aussi un caractère juridique. Or, quoiqu’il s’agisse ici d’un seul et même devoir ; il faut bien distinguer ces deux choses : le point de vue moral proprement dit et le point de vue juridique. Au point de vue purement moral, le respect du devoir doit être l’unique mobile de notre conduite ; mais, comme ce respect est un acte intérieur qui échappe à toute législation extérieure, ce n’est pas sous ce rapport que le devoir peut être l’objet d’une législation de ce genre. Il ne saurait l’être qu’au point de vue juridique : ici la seule chose qu’on puisse exiger de nous, c’est que nous remplissions nos engagements ; le mobile qui nous — détermine à agir ainsi ne relève que de notre conscience. Il y a donc dans la morale en général deux espèces de législations : l’une, la législation morale proprement dite, qui ne peut être qu’intérièure, quoiqu’elle comprenne aussi des devoirs extérieurs, puisqu’elle s’applique à tous les devoirs ; l’autre, la législation juridique, qui à ce titre ne peut être qu’extérieure. L’une et l’autre peuvent prescrire les mêmes devoirs, mais elles diffèrent par le mode d’obligation qu’elles imposent. Kant réserve à la première le nom d’éthique, pour la distinguer de la seconde, qui appartient aussi à la morale, mais y forme une division spéciale. L’éthique est l’ensemble de nos devoirs, en tant qu’ils ne relèvent que de la législation intérieure : elle s’étend, comme on vient de le voir, aux devoirs mêmes qui peuvent être l’objet d’une législation extérieure ; mais elle a aussi ses devoirs qui lui sont propres : tels sont, par exemple, les devoirs envers soi-même ou la bienfaisance envers autrui. Ce sont là, dans le langage de Kant, des devoirs de vertu, et la théorie qui les enseigne est la doctrine de la vertu. La législation juridique embrasse l’ensemble des devoirs qui peuvent être l’objet d’une législation extérieure et ne relèvent pas simplement de la conscience, comme, par exemple, l’obligation de tenir ses engagements. Ces derniers ne sont plus simplement des devoirs de vertu, mais des devoirs de droit ; et la théorie qui les expose, une doctrine de la vertu, mais la doctrine du droit.

Doctrine du droit et doctrine de la vertu.

Telle est la division fondamentale de la métaphysique des mœurs. Elle comprend deux parties : l’une, la doctrine du droit, contenant l’ensemble des devoirs qui peuvent donner lieu à une législation extérieure, et que Kant appelle, pour cette raison, des devoirs de droit ; l’autre, la doctrine de la vertu, contenant l’ensemble des devoirs qui échappent à toute législation de ce genre, et qui, ne relevant que de la conscience, sont ainsi de purs devoirs de vertu. A chacune de ces deux parties de la métaphysique des mœurs ou de la doctrine générale des devoirs, il a consacré un traité spécial. Le premier porte le titre d’Éléments métaphysiques de la doctrine du droit (1)[6]. Il est précédé, outre la préface (2)[7], de deux introductions : l’une, à la métaphysique des mœurs en général ; l’autre, à la doctrine du droit en particulier. J’ai tiré de la première les considérations générales qui précèdent (1)[8] ; l’analyse de la seconde va nous introduire dans cette partie de la philosophie morale de Kant qui s’appelle la doctrine du droit. Distinction du droit positif et du droit naturel.

D’après la définition que je viens d’en rapporter, la doctrine du droit est l’ensemble des lois qui peuvent être converties en une législation extérieure 1[9]. Il ne s’agit pas ici de ce que prescrivent en réalité ou ont prescrit les lois établies dans tel lieu ou dans tel temps, ou de ce qu’on appelle le droit positif, mais des principes immuables qui doivent servir de fondement à toute législation extérieure. ou du droit naturel. Ce sont là deux choses fort distinctes. Au-dessus de tous les codes, il y a des règles qui, loin de tirer leur valeur de quelque législation écrite, fournissent à chacune son type et son critérium : ce sont les lois qui émanent de la raison même. Tant qu’on-ne s’est pas élevé jusque-là, on a beau être versé dans la connaissante du droit positif, on ne peut savoir si ce qu’il contient est juste en soi, et l’on manque en général de la règle nécessaire pour reconnaître le juste et l’injuste. « Une doctrine du droit purement empirique, ajoute Kant fort ingénieusement 2[10] ; peut être, comme la tête de bois dans la fable de Phèdre, une fort belle tête, mais, hélas ! sans cervelle. »

Qu’est-ce que le droit ?

C’est donc à la raison et non à la législation écrite qu’il faut s’adresser pour déterminer d’abord ce que c’est que le droit 3[11]. Or, si l’on considère à ce point de vue le concept du droit et qu’on l’envisage dans son rapport à l’obligation qui y correspond ? voici les caractères que L’analyse y découvre : 1° Il ne s’applique qu’aux relations extérieures des personnes entre elles : La sphère du droit n’est pas la sphère individuelle, c’est-à —dire celle de la personne même ou des actes qui ne sortent pas d’elle ; il ne commence qu’avec les rapports des personnes entre elles ou ne s’applique à leurs actes qu’autant que par ces actes elles peuvent agir les unes sur les autres. L’idée du droit est donc celle d’un rapport entre les personnes. 2° Il faut ajouter que ce rapport ne se fonde pas sur le pur désir ou Le simple besoin : une personne peut désirer une chose ou en avoir besoin, il ne s’ensuit pas qu’elle ait le droit de l’exiger d’une autre : ou que ce soit pour moi un devoir de droit de la lui procurer ; je puis, en la lui refusant, manquer de bienfaisance, mais sans violer le droit. Le rapport exprimé par l’idée du droit n’est donc pas celui de ma liberté au désir ou au besoin d’autrui, comme quand il s’agit simplement de la bienfaisance ; c’est un rapport entre la liberté de chacun et celle de tous les autres. 3° Dans ce rapport réciproque, il n’y a pas lieu de considérer le but particulier que chacun peut se proposer dans l’usage qu’il fait de sa liberté ; toute la question est de savoir si cet usage n’a rien de contraire à la liberté même, en tant qu’elle est réglée par une loi générale, laquelle consiste justement dans l’accord de la liberté de chacun avec celle de tous les autres. Par exemple, je n’ai pas à m’inquiéter, au point de vue du droit, si l’individu qui m’achète de la marchandise pour son propre commerce y trouvera ou non son avantage ; il suffit que le marché que je conclus avec lui ou que le rapport de nos deux libertés soit tel que l’exige l’accord de la liberté de chacun avec celle de tous. C’est là ce que Kant exprime en disant qu’il faut ici faire abstraction de toute matière de la volonté, et n’envisager que la forme du rapport des deux libres arbitres, pour voir si l’action de l’un peut se concilier avec la liberté de l’autre, suivant une loi générale. 11 arrive ainsi à cette définition : « Le droit est l’ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s’accorder avec celle de tous. »

Principe général du droit.

De là ce principe général 1[12], que toute action telle qu’elle permet à la liberté de chacun de"s’accorder avec celle de tous, est conforme au droit ou est juste. Au contraire toute action qui ne peut se concilier avec la liberté générale porte atteinte au droit ou est injuste. Quand donc j’agis de telle sorte que ma conduite ne trouble en rien l’accord de la liberté de chacun avec celle de tous, elle est conforme au droit ou juste ; celui qui m’y fait obstacle porte atteinte à mon droit, ou commet une injustice à mon égard : sa conduite ne peut s’accorder avec le principe de la liberté générale. Telle est donc la règle fondamentale du droit : « Agis extérieurement de telle sorte que l’usage de ta liberté puisse s’accorder avec celle de chacun, suivant une loi générale. » Cette règle du droit doit être elle-même, au point de vue moral, le mobile de ma conduite : mon devoir est de m’y conformer par respect pour elle ; mais, au point de vue du droit, il suit de ce qui précède qu’on ne peut exiger de moi autre chose sinon que ma conduite y soit extérieurement conforme. En effet, quel que soit le mobile qui me fasse agir, que ce soit le respect même de la liberté d’autrui ou tout autre, pourvu que je ne porte pas atteinte à cette liberté par mes actes extérieurs, le droit est sauf, puisque la liberté l’est ; il n’y a rien de plus à demander, à ce point de vue. Le reste regarde, non le droit, mais la vertu.

Le droit implique la faculté de contraindre.

Kant ajoute 1[13] que le droit implique la faculté de contraindre. Celle-ci découle nécessairement de celui-là. En effet, dès qu’un certain usage de la liberté est conforme à la loi de la liberté générale, ou est juste, tout ce qui y fait obstacle étant par là même contraire à cette loi ou injuste, la résistance à cet obstacle s’accorde elle-même avec le principe de la liberté générale, c’est-à-dire est juste. Celui qui a le droit pour lui peut donc légitimement contraindre les autres à n’y point porter atteinte ; cela résulte de son droit même (2)[14]. Le droit renfermant la faculté de contraindre, ou, pour mieux dire, ces deux choses étant identiques, on peut le représenter, dans son sens strict, comme la possibilité de l’accord d’une contrainte générale et réciproque avec la liberté de chacun 1[15]. Le droit, au sens strict, ne concerne, comme on l’a vu plus haut, que les actions extérieures : on ne peut exiger que les hommes se déterminent intérieurement d’après un motif purement moral, mais seulement qu’ils n’agissent pas extérieurement de telle sorte que la liberté de chacun ne puisse plus subsister avec celle de tous. Sans doute le droit se fonde en dernière analyse sur la conscience qu’a chacun de nous d’être obligé de se conformer à la loi ; mais on ne peut nous forcer à donner pour mobile à nos actions le respect de cette loi même, tandis qu’on peut très-bien nous contraindre à ne pas faire extérieurement de notre liberté un tel usage qu’elle ne s’accorde plus avec celle de tous. La possibilité de cette contrainte extérieure représente donc le droit, dans le sens strict du mot. Et, comme une contrainte par laquelle tous se forceraient les uns les autres à ne faire de leur liberté d’autre usage que celui qui se peut concilier avec la liberté de tous, n’aurait rien que de conforme à la liberté de chacun, en tant qu’elle est réglée par une loi générale, puisqu’elle ne ferait qu’assurer l’accord de cette liberté avec celle de tous, il suit que le droit, que nous avions défini tout à l’heure par l’accord de la liberté de chacun avec la liberté générale, peut être aussi défini par l’accord de la contrainte générale avec la liberté de chacun.

Droit équivoque.

Tel est le droit strict : il implique la faculté de contraindre ; mais on peut aussi concevoir un droit large, c’est-à-dire un droit où cette faculté ne puisse être déterminée par aucune loi 2[16]. Dans cette sorte ou cette prétendue sorte de droit, Kant distingue le droit de —l’équité et celui de la nécessité, le premier, dit-il, qui admet un droit sans contrainte, et le second, une contrainte sans droit. Mais il ajoute aussitôt que l’ambiguïté qu’on trouve iciprovient de ce qu’il y a.des cas où le droit est douteux et où l’on ne peut s’en rapporter à la décision d’aucun juge. Considérons avec lui ces deux espèces de droit.

Equité.

Il y a certains cas où, tout en fondant ma réclamation sur un droit, je ne remplis pas toutes les conditions nécessaires pour qu’un tribunal public puisse prononcer en ma faveur ; ce sont ceux où l’équité seule est en jeu. Celui qui invoque le principe de l’équité fait plus que réclamer l’observation d’un certain devoir de vertu, comme s’il sollicitait la bienfaisance d’autrui : il parle au nom du droit ; mais il ne saurait le faire valoir devant un autre tribunal que celui de la conscience. Supposons, pour emprunter à Kant un de ses exemples, que, dans une association commerciale fondée sur le pied de l’égalité des bénéfices, l’un des associés ait montré beaucoup plus d’activité que les autres, il peut, au nom de l’équité, réclamer pour lui quelque chose de plus qu’un égal partage, et la société ne serait que juste en faisant droit à sa demande ; mais il n’y a point de tribunal ou de juge qui puisse la contraindre à cet acte d’équité, attendu que, dans le contrat de société, rien n’a été stipulé à cet égard. Il ne suffit pas d’en appeler à l’équité : c’est, dit Kant, une divinité muette, qui ne peut se faire entendre d’ailleurs qu’au tribunal de la conscience. L’associé dont nous parlons a pour lui l’équité, mais les autres ont le droit strict. Aussi est-ce ici le cas d’appliquer la maxime : summum jus, summa injuria.

Kant regarde comme contradictoire l’idée d’un tribunal d’équité (1)[17]. Il ajoute seulement que celui qui est juge en sa propre cause doit toujours consulter l’équité. « C’est ainsi, dit-il 2[18], que la Couronne supportera elle-même les pertes que d’autres auront essuyées à son service et qu’elle est priée de réparer, quoique, suivant le droit strict, elle pût rejeter cette demande, sous prétexte qu’ils s’y sont exposés à leurs risques et périls.

Droit de nécessité.

A côté des cas dont il vient d’être question, et où l’on a pour soi l’équité et par conséquent aussi le droit, mais sans être en état d’obtenir satisfaction d’aucun tribunal public, il en est d’autres où, en violant non-seulement l’équité, mais le droit strict, on échappe nécessairement à la juridiction de tout tribunal extérieur. Ce sont ceux où, pour se soustraire lui-même à une mort imminente, un homme ôte la vie à un autre qui ne lui a fait aucun tort, en se fondant sur ce que l’on appelle le droit de nécessité. Il ne s’agit pas ici de ce droit qu’a chacun de repousser et même de tuer un injuste agresseur qui en veut à sa vie, ou du droit de légitime défense : dans ce cas, la modération peut être un acte de vertu, mais elle n’est pas un devoir de droit ; il s’agit du droit qu’on aurait de faire périr, pour se sauver, une personne qui ne se serait rendue coupable d’aucune violence, de celui, par exemple, qu’aurait un naufragé d’arracher à un de ses compagnons d’infortune sa planche de salut pour se sauver lui-même. Quoiqu’on allègue en ce cas un prétendu droit de nécessité, il est certain qu’une telle action serait contraire au droit ; celui-ci, en effet, défend d’exercer aucune violence à l’égard de quiconque ne nous en fait aucune. Mais il est certain aussi que cette action ne pourrait être punie par aucun tribunal. En effet, la peine dont la loi menacerait le coupable ne pouvant être plus grande que la mort, elle serait sans effet : la crainte d’une mort incertaine ne prévaudrait pas sur celle d’une mort imminente. Il n’y a donc pas de loi pénale possible à l’égard d’une action de ce genre (1)[19]. Est-ce à dire qu’elle ne soit pas coupable ? de ce qu’une action échappe à la loi pénale, il ne s’ensuit pas qu’elle soit légitime. C’est par une étrange confusion que les juristes concluent de l’impunité légale de certains actes à leur impunité absolue ou à leur légitimité. On a beau dire que « nécessité n’a pas de loi, » il n’y a pas de nécessité qui puisse rendre juste ce qui est injuste.

Les deux sortes de cas dont nous venons de parler contiennent une équivoque qui vient de ce que l’on ne distingue pas les sentences du tribunal de la conscience et celles du tribunal public. Ce que chacun déclare et a raison de déclarer juste en soi ne saurait toujours se faire admettre par les tribunaux ; et ce qu’il déclare et a raison de déclarer injuste en soi y peut être parfois absous. Il y a ici deux choses fort distinctes et qu’il faut bien se garder de confondre : le droit, tel qu’il dérive de la raison, et le droit, tel qu’il peut être déterminé par les lois et les tribunaux publics (1)[20].

Division générale de la doctrine du droit.

Après avoir montré en quoi consiste la doctrine du droit par opposition à celle de la vertu, et ce que c’est que le droit lui-même, il reste à en indiquer la division générale 2[21]. Rappelant d’abord les formules d’Ulpien : Honeste vive, neminem læde, suum cuique tribue, Kant pense qu’en interprétant ces trois formules classiques dans un certain sens, qui n’est peut-être pas celui de l’auteur (1)[22], mais qu’il est très-permis de leur donner, on y peut fonder une division générale des devoirs de droit. La première formule, en nous ordonnant de vivre honnêtement, exprime l’obligation que nous impose le droit de l’humanité dans notre propre personne, c’est-à-dire le devoir qui consiste à ne pas abdiquer sa dignité d’homme, en faisant de sa personne un instrument au service d’autrui ; il s’agit ici, comme on le voit, d’un devoir purement interne. La seconde formule nous défend de faire tort à aucun de nos semblables, dussions-nous pour cela rompre toute liaison avec eux et fuir toute société ; elle s’applique à des devoirs externes. La troisième enfin, en nous prescrivant de rendre à chacun le sien, nous fait un devoir d’entrer dans un état de choses où, la propriété de chacun étant mise à l’abri des attaques d’autrui, tous puissent conserver ce qui leur appartient ; cette dernière formule aussi s’applique à des devoirs externes, mais elle donne un caractère nouveau aux relations des hommes entre eux.

Cette division des devoirs de droit correspond à la division suivante du droit lui-même : on sait qu’il ne s’agit ici que du droit naturel, non du droit positif ; c’est-à-dire de celui qui a directement sa source dans la raison, non de celui qui émane de la volonté de quelque législateur. Il faut distinguer d’abord en général dans le droit naturel le droit inné, que chacun tient de la nature même, indépendamment de tout acte juridique, et le droit acquis, qui suppose quelque acte de ce genre ; puis, dans le droit acquis, le droit privé, qui existe indépendamment de toute société civile ou politique, et le droit publie, qui préside à l’établissement et à l’organisation de cet état de société.

Droit inné.

Le droit inné, ou ce que Kant appelle le mien et le tien intérieurs, par opposition au mien et an tien extérieurs, qui sont nécessairement acquis, ne donne lieu à aucune division : il est unique 2[23]. Il n’est autre chose en effet que cette liberté naturelle dont chaque homme est doué par cela seul qu’il est homme, et qui est inviolable en chacun de nous, en tant du moins qu’elle peut s’accorder avec celle de tous. C’est sur elle que se fonde l’égalité naturelle entre tous les hommes, car c’est elle qui fait que nul ne peut être contraint par les autres à rien qu’il ne puisse exiger d’eux à son tour. C’est elle qui fait que l’homme est son propre maître, sui juris, ou qu’il peut se gouverner comme bon lui semble, pourvu qu’il respecte le même droit dans les autres. C’est d’elle enfin que dérive la faculté de faire à l’égard des autres tout ce qui ne porte pas atteinte à leur propre liberté, de leur communiquer ses pensées, etc. Tous ces droits sont déjà contenus dans celui de la liberté naturelle. Il n’y a donc pas là de division essentielle à établir : en fait de droit inné, il n’y a point, à proprement parler, des droits, mais un droit. On peut bien, pour résoudre avec plus de commodité les cas litigieux, le spécifier suivant ses diverses applications ; mais au fond il n’y a qu’un seul et même droit inné : à savoir la liberté inhérente à la personnalité humaine. C’est pourquoi aussi Kant pense qu’on peut renvoyer aux prolégomènes de la doctrine du droit ce qui regarde le droit inné, pour ne s’occuper dans cette doctrine même que du droit acquis, ou du mien et du tien extérieurs, la seule espèce de droit qui puisse donner lieu à une division systématique.

Droit acquis privé et public.

La première division à y introduire est celle du droit privé et du droit public. On divise quelquefois le droit naturel en droit naturel proprement dit et droit social ; mais, comme Kant le remarque fort justement 1[24], cette division n’est pas exacte. En effet ce qui est opposé à l’état de nature, ce n’est pas l’état social, car l’état de nature est lui-même un état de société ; c’est l’état civil ou politique, c’est-à —dire l’état d’une société régie par des lois et des pouvoirs publics, d’une société civilement ou politiquement constituée. Par conséquent ce qu’il faut opposer au droit naturel proprement dit, c’est-à dire au droit considéré au point de vue de la société naturelle, ce n’est pas le droit social, mais le droit civil, c’est-à —dire le droit qui gouverne la société politique. Le premier est le droit privé ; le second, le droit public. Droit privé et droit public, telle est donc la division générale que Kant va suivre dans la doctrine du droit, où nous entrons maintenant avec lui (2)[25]. Droit privé.

Cela en général est mien de droit, dont un autre ne peut faire usage sans mon consentement qu’en me lésant moi-même 1[26].

Possession du mien et du tien extérieurs en général.


Il y a, on l’a vu plus haut, un mien et un tien intérieurs : nous n’avons plus à nous en occuper ; mais il y a aussi un mien et un tien extérieurs, et c’est là pour Kant le texte de la théorie du droit privé. Le mien et le tien sont extérieurs, lorsqu’ils s’appliquent à des objets distincts du sujet, je ne dis pas placés dans un autre lieu, car la condition d’espace ne fait rien ici et l’on va voir qu’il en faut pouvoir faire complètement abstraction. Qu’ils occupent le même lieu que moi dans l’espace ou qu’ils soient placés dans un autre, dès qu’ils se distinguent de moi, ils se distinguent du mien et du tien intérieurs. Mais ai-je en effet le droit de déclarer miens les objets extérieurs que je puis choisir et employer pour mon usage ? Sans doute, pourvu que cet exercice de ma liberté ne porte pas atteinte au principe de l’accord de la liberté de chacun avec celle de tous. Sous cette condition, qui est le principe même du droit en général, mon droit à cet égard est évident. Il serait en effet contradictoire de le nier : ce serait dire que des choses faites pour être utiles et n’appartenant à personne doivent rester sans usage et sans maître, bien qu’en les prenant pour miennes ma liberté extérieure pût s’accorder avec celle d’autrui, suivant une loi générale. Tout ce que l’on peut exiger de moi dans l’usage extérieur de ma liberté, c’est que je ne porte point atteinte à la liberté extérieure d’autrui, en tant qu’elle-même s’exerce suivant la loi générale ; me défendre en outre de l’appliquer aux objets extérieurs, pour les faire miens et en user à ce titre, serait contraire à cette liberté même et à la loi qui la règle, par conséquent au droit.

Postulat juridique de la raison pratique.


C’est pourquoi Kant considère comme un postulat juridique de la raison pratique 2[27], c’est-à-dire comme une supposition requise à priori par la raison pratique au nom de l’idée du droit, la possibilité de déclarer mien un objet extérieur quelconque, tombant sous ma liberté. On peut encore, selon lui, considérer ce postulat comme une loi permissive de la raison pratique 1[28] : il nous permet en effet d’acquérir une faculté, que nous n’avions pas naturellement, celle d’imposer aux autres l’obligation, qu’ils n’auraient pas d’ailleurs, de s’interdire l’usage de certains objets que nous avons pris une fois en notre possession.

Pour que je puisse affirmer qu’une chose est mienne, il est nécessaire que je l’aie en ma possession : autrement je ne pourrais être lésé par l’usage qu’en feraient les autres et me plaindre d’une injustice commise à mon égard. Mais en quel sens faut-il entendre cette condition de la possession ? S’agit-il d’une possession purement physique ou de quelque autre espèce de possession ? Évidemment la première ne suffit pas : pour avoir le droit d’appeler mienne cette pomme, ce n’est pas assez que je la tienne à la main et que je la possède ainsi physiquement ; il faut encore que je puisse m’en déclarer le possesseur, alors même que je n’en suis plus le détenteur, et à ce titre la revendiquer comme mienne, en quelque lieu qu’elle se trouve. De même je ne saurais dire que ce terrain est mien parce que j’y suis assis ; pour le qualifier ainsi à juste titre, il faut que je puisse affirmer qu’il sera encore en ma possession, lorsque j’aurai changé de place. Il y a donc une espèce de possession fort distincte de la possession physique, et elle se reconnaît précisément à ce signe qu’elle en doit pouvoir être entièrement indépendante ; seule, cette dernière espèce de possession fonde le mien et le tien extérieurs. Si je ne faisais que posséder physiquement un certain objet, celui qui viendrait me le disputer, celui, par exemple, qui voudrait m’arracher cette pomme que je tiens à la main, ou me chasser de cette place où je suis assis, celui-là porterait sans doute atteinte à ma liberté personnelle, ou à ce que Kant appelle le mien intérieur ; mais je ne saurais l’accuser d’attenter à un mien extérieur, puisque je ne saurais affirmer que je serais en possession de la chose alors même que j’aurais cessé d’en être le détenteur.

La distinction qu’on vient de voir s’applique aux diverses classes de choses qui peuvent faire partie du mien et du tien extérieurs et que Kant ramène à trois : 1° les choses corporelles, placées hors de nous, comme celles dont nous venons de parler ; 2° les obligations qu’une personne contracte envers une autre ; 3° la personne même dans son rapport avec une autre personne (1)[29]. Tout comme une terre n’est pas véritablement mienne par cela seul que je l’occupe physiquement, mais qu’il faut que je puisse la déclarer telle, quelque part que je me trouve ; ainsi je ne saurais regarder comme mon bien une chose venant d’un autre, par cela seul qu’elle est tombée en ma possession, mais il faut que, quelqu’un s’étant engagé âme la fournir, je puisse faire valoir cette obligation et déclarer ainsi la chose mienne, soit que je la possède déjà ou que je ne la possède point encore. De même enfin, pour être fondé à appeler miens certains individus habitant ma maison, une femme, des enfants, des domestiques, il ne suffit pas que je leur commande actuellement, ou que je les tienne en mon pouvoir ; il faut que je puisse encore les revendiquer comme tels, en quelque lieu qu’ils se trouvent, et quand même je ne les aurais plus en ma possession.

Définition du mien et du tien extérieurs.

De ce qui précède, Kant tire la définition du concept du mien et du tien extérieurs. Il en donne d’abord une première 2[30] : « Le mien extérieur est la chose hors de moi dont on ne pourrait m’empêcher d’user à mon gré sans me léser, c’est-à-dire sans porter atteinte à ma liberté, en tant qu’elle peut s’accorder, suivant une loi générale, avec la liberté de chacun. » Mais cette définition n’est qu’une définition de nom : elle sert à distinguer l’objet de tous les autres, au moyen de l’exposition du concept de cet objet, mais sans toucher en rien à l’explication de ce concept, ou à ce que Kant appelle sa déduction (3)[31], c’est-à —dire sans montrer comment il est possible. Une autre définition est donc nécessaire. Cette seconde définition, qu’il considère comme une définition de chose (1)[32], Kant l’énonce ainsi : « Le mien extérieur est celui dont on ne peut me ravir l’usage sans me léser, encore que je n’en sois pas en possession (que je ne sois pas le détenteur de l’objet). » Cette définition nous renvoie à l’idée d’une possession distincte de la possession physique ; car, puisqu’elle nous présente le mien extérieur comme indépendant du fait de la possession physique, et que, d’un autre côté, je ne puis me trouver lésé par l’usage qu’un autre ferait d’un certain objet sans mon consentement, et par conséquent appeler cet objet mien, si je ne le possède de quelque façon, il suit qu’il faut admettre une espèce de possession distincte de la possession physique. Cette nouvelle espèce de possession, Kant la désigne sous le nom de possession intelligible (possessio noumenon), et il appelle possession phénoménale (possessio phoenomenon) (2)[33] la possession physique ou la détention.

La question de la possibilité du mien et du tien extérieurs n’est pas encore résolue. On a ramené l’idée du mien et du tien extérieurs à celle d’une possession purement juridique ; mais comment cette possession elle-même est-elle possible ? Cette question à son tour est ramenée à celle-ci : Comment une proposition de droit à priori et synthétique est-elle possible ?

Déduction.

Toutes les propositions de droit sont des propositions à priori, car elles sont des lois de la raison. Mais toutes ne sont pas synthétiques ; celle qui a pour objet la légitimité d’une possession empirique est au contraire analytique, car elle ne contient rien de plus que ce qui résulte de cette possession même, suivant le principe de contradiction. Si je tiens une pomme à la main et que quelqu’un veuille me l’arracher, il est évident qu’il porte atteinte à ma propre personne, à ma liberté naturelle et au droit que j’ai d’être respecté comme homme. Nous ne sortons pas encore ici du mien intérieur 1[34] et du droit que chacun de nous porte en soi à titre de personne. Ici donc nulle difficulté : la proposition qui condamne comme contraire au droit la violence exercée sur moi pour m’arracher une chose dont je suis le détenteur est une proposition analytique. Mais que je sois le légitime possesseur d’un objet extérieur, encore que je ne le possède pas physiquement, et que celui-là porte atteinte à mon droit qui use de cet objet sans mon consentement, ce n’est plus là simplement une proposition analytique : il n’est plus ici question du mien intérieur, mais du mien extérieur ; c’est une proposition synthétique : elle dépasse les limites du concept de la possession empirique ou de la détention. Or comment cette extension du concept de la possession, comment cette proposition synthétique est-elle possible ? Là est le problème à résoudre {2)[35]. S’il s’agissait d’un principe théorétique, il faudrait, pour montrer comment est possible le concept donné, y substituer une intuition à priori, c’est-à dire y ajouter la condition du temps ou de l’espace ; c’est ainsi que l’on détermine le concept de la possession empirique d’un objet. Ici au contraire, comme il s’agit d’un principe pratique, il faut faire entièrement abstraction de toutes les conditions sur lesquelles se fonde la possession empirique, afin d’étendre le concept de la possession au delà de ces limites. Or, selon Kant, la possibilité d’une possession distincte de la possession empirique, ou, comme il s’exprime encore, la déduction du concept de cette nouvelle espèce de possession se fonde sur ce postulat juridique de la raison pratique, à savoir que « c’est un devoir d’agir envers autrui de telle sorte qu’il puisse regarder comme siennes les choses extérieures ? 1[36] » En effet, s’il est nécessaire d’agir suivant ce principe de droit, il faut admettre en même temps la possibilité d’une possession autre que la possession physique : autrement ce principe même n’aurait pas de sens. Voilà de quelle simple façon Kant résout le problème qu’il s’était posé. De l’idée qu’il veut établir, il fait une conséquence immédiate d’un postulat de la raison pratique ou d’une loi de la liberté. On ne saurait remonter au delà, puisque la liberté, dont cette loi règle l’exercice, ne peut être elle-même conclue que de l’impératif catégorique, comme d’un fait de la raison.

Application.

Il est aisé maintenant d’appliquer à des objets d’expérience le principe de la possibilité du mien et du tien extérieurs 1. Pour cela, il faut s’élever au-dessus du concept de la possession empirique ou de la simple détention, et concevoir la possession comme une manière d’avoir indépendante de toute condition d’espace et de temps, de telle sorte que le concept de la possession d’un objet extérieur ne désigne plus im rapport physique, mais un rapport purement intellectuel. C’est en effet en ce sens seulement qu’il peut y avoir un mien et un tien extérieurs. C’est par là aussi que ce mien et ce tien contiennent pour tous les autres l’obligation de s’abstenir de leur usage, car telle est l’idée renfermée dans cette expression : cet objet extérieur est mien. Ainsi se fonde le droit extérieur : il est indépendant des conditions d’espace et de temps, et repose sur un rapport purement intellectuel. Je n’ai point de droit extérieur sur ce champ, par cela seul que je l’occupe actuellement démon corps, mais seulement si je continue de le posséder, en quelque lieu que je sois. Vouloir faire de l’occupation incessante d’un objet extérieur la condition de sa possession reviendrait à soutenir qu’il n’est pas possible d’avoir à titre de sien quelque chose d’extérieur, ce qui est contraire au postulat déjà invoqué. De même mon droit extérieur sur une chose qu’un autre s’est engagé à me fournir, subsiste indépendamment du temps qui sépare l’engagement antérieurement contracté du refus ultérieur de le remplir. Autrement il n’y aurait plus de droit ; car ce serait comme si cette personne me disait en même temps, sans laisser aucun intervalle entre ces deux déclarations de sa volonté : « Je veux et ne veux pas que cette chose l’appartienne, » ce qui est contradictoire. 11 en est de même enfin à l’égard de la possession juridique d’une personne, d’une femme, d’un enfant, d’un serviteur ; le droit est ici, comme dans les cas précédents, indépendant des circonstances accidentelles d’espace ou de temps (1)[37].

Nécessité de l’état civil.

On a vu dans quel sens on peut avoir quelque chose d’extérieur à titre de sien 2[38] et sur quel principe repose la légitimité du mien et du tien extérieurs. Il faut ajouter que ce mode de possession ne peut être réalisé que dans une société régie par un pouvoir législatif public, c’est-à-dire dans l’état civil. En effet, en l’absence de tout pouvoir de ce genre, quelle garantie aurait ma possession particulière contre les prétentions d’autrui ; et, si je n’ai point cette garantie, pourquoi respecterais-je à mon tour ce qu’autrui nommerait sien ? On ne peut m’imposer l’obligation de m’abstenir de ce que les autres déclarent leur appartenir, si l’on n’impose aussi aux autres l’obligation de s’abstenir à leur tour de ce qui est mien. Il faut ici quel’obligation soit réciproque ; autrement elle n’est plus. Or il n’y a qu’un pouvoir public, s’exerçant au nom de la volonté de tous, qui soit capable de garantir cette réciprocité, et par conséquent de maintenir l’obligation elle-même, en contraignant chacun à inspecter ce qui appartient à chacun. Dans un état où il n’y aurait que des volontés privées, nulle déclaration individuelle n’aurait force de loi, puisqu’il n’y aurait point de pouvoir public qui garantît à chacun le sien ; des lors il n’y aurait plus de mien ni de tien extérieurs. Ils ne sont donc possibles en ce sens que dans l’état civil. Ce n’est pas à dire cependant que cet état constitue et détermine le mien et le tien extérieurs : il les garantit, mais ne les crée pas ; il les suppose au contraire, puisqu’il a précisément pour but de les assurer. Le mien et le tien extérieurs et les droits qui s’y fondent préexistent à l’établissement de l’état civil ; même dans l’état de nature, il peut déjà y avoir un mien et un tien extérieurs réels, en ce sens que le droit de posséder quelque chose d’extérieur et d’en interdire l’usage à tout autre y existe déjà. Mais, comme ils ne trouvent leur garantie que dans l’état civil, je ne saurais ici parler de mon droit et le défendre légitimement qu’à la condition de me montrer moi-même disposé à entrer dans cet état et de contraindre les autres, autant qu’il est en mon pouvoir, à y entrer avec moi.

Mien et tien provisoires.


Si donc il peut y avoir un mien et un tien extérieurs dans l’état de nature, ils ne sont toujours que provisoires, puisqu’ils exigent qu’on ait en vue l’établissement de l’état civil, qui seul peut en rendre la possession péremptoire.


Kant n’a encore parlé que de la possession, dont il a déterminé le sens juridique ; mais la possession de quelque chose d’extérieur (et il ne s’agit ici que de celle-là) en suppose l’acquisition. Il a dit en quel sens on peut avoir à titre de sien quelque objet extérieur ; mais de quelle manière le peut-on acquérir, voilà ce qu’il faut aussi examiner 1[39]. Acquérir quelque chose (2)[40], c’est faire que quelque chose devienne sien ; l’acquisition est originaire, lorsque la chose que je fais mienne ne dérive pas de ce qu’un autre avait déjà fait sien.

Principe général de l’acquisition extérieure.


Le principe de l’acquisition ressort de la loi de la liberté extérieure ou du postulat de la raison pratique déjà posé : d’après ce postulat ou cette loi et sous la condition qu’elle prescrit, ce que je soumets à ma puissance et applique à mon usage, ce que je veux enfin qui soit mien est mien par cela même. Il est facile de déduire de là les divers moments que comprend le fait de l’acquisition originaire.

Moments de l’acquisition originaire.


Il faut d’abord que je prenne possession de l’objet. La condition de cette prise de possession, c’est qu’il n’appartienne à personne et que j’aie l’avantage de la priorité sur quiconque voudrait aussi s’en emparer ; autrement mon acquisition serait une atteinte portée à la liberté et aux droits d’autrui. Voilà donc un premier moment de l’acquisition originaire de quelque chose d’extérieur : l'appréhension d’un objet qui n’appartient à personne, ou ce que l’on appelle généralement la première occupation. Ce n’est pas tout : je ne dois pas me borner à prendre possession de l’objet ; il me faut encore déclarer que j’entends le faire mien et en interdire l’usage à tout autre. En effet, pour que l’acte de ma volonté puisse être respecté, il est nécessaire que je l’aie fait connaître ou que je l’aie rendu en quelque sorte public. La déclaration de possession est donc le second moment de l’acquisition originaire d’un objet. Enfin vient l’appropriation, qui n’est que la conséquence des deux moments précédents : c’est la possession elle-même recevant de ces deux moments un caractère juridique, et devenant dès lors indépendante des conditions de temps et d’espace. Tels sont les trois moments que Kant distingue dans le fait de l’acquisition originaire. Remarquons encore que cette espèce d’acquisition n’est jamais que l’effet d’une seule volonté ; car, si elle en exigeait plusieurs, résultant d’un contrat entre deux ou plusieurs personnes, elle dériverait de quelque chose qu’autrui aurait déjà fait sien, et par conséquent elle ne serait plus originaire.

Division de l’acquisition du mien et du tien extérieurs.

Le principe de l’acquisition posé et les moments de l’acquisition originaire ainsi déterminés, il faut voir comment se divise en général l’acquisition du mien et du tien extérieurs 1[41], afin de l’étudier successivement dans toutes ses divisions. Or on peut l’envisager sous deux points de vue principaux : celui de la matière ou de son objet, et celui de sa forme ou de son mode. Sous le premier point de vue, on peut acquérir soit une chose corporelle, soit les obligations d’une autre personne, soit cette personne même ; sous le second, le droit est ou réel, ou personnel, ou personnel d'espèce réelle, et ces trois dernières divisions correspondent aux trois précédentes. Telles sont donc celles que suivra Kant dans l’étude qu’il aborde maintenant. Il commence par le droit réel.

Droit réel ; sa définition.

On définit ordinairement le droit réel on le droit sur une « le droit que nous avons sur tout possesseur de cette chose [42] ; » et c’est là une bonne définition. En effet, comme on l’a vu, le droit de revendiquer une chose extérieure auprès de quiconque en serait le détenteur et de le contraindre à nous la restituer, est le signe de la possession juridique de cette chose. Mais sur quoi se fonde-t-il ? Est-ce sur un rapport immédiat entre moi et la chose possédés ; en d’autres tenues, mon droit à l’égard des choses corporelles se rapporte t-il directement à ces choses mêmes ? s’il en était ainsi, le devoir correspondant toujours au droit, il faudrait se représenter les choses comme demeurant obligées envers leur premier possesseur, alors même qu’elles seraient sorties de ses mains. Or il est absurde de supposer un rapport de ce genre entre les choses et nous. Aussi bien, si l’on feint qu’il n’y ait qu’un seul homme sur la terre, n’y aura-t-il point, à proprement parler, de droit réel pour lui, puisque entre les choses et lui il est impossible de concevoir aucun rapport d’obligation. Le droit réel lui-même se rapporte donc immédiatement- aux personnes, non aux choses : il a son fondement dans un certain rapport, à l’égard des choses, entre les autres personnes et nous. Ce rapport n’est autre que la possession originairement commune des choses ; là est le principe du droit réel. En effet, toutes choses étant originairement communes à tous, c’est-à-dire était à la disposition de tous, chacun a le droit de s’emparer de chacune, pour en user particulièrement, pourvu qu’il reconnaisse le même droit à tous les autres, etquhainsi la liberté de chacun s’accorde en cela avec celle de tous. C’est delà que se tire le droit d’exclure tout autre possesseur de l’usage particulier de la chose que l’on s’est appropriée. Si donc on veut donner du Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/41 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/42 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/43 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/44 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/45 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/46 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/47 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/48 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/49 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/50 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/51 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/52 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/53 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/54 Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/55 Page:Kant - 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    à la division qu’il établit lui-même dans la morale, que l’idée du devoir est plus large que celle du droit, puisqu’il distingue des devoirs de droit les devoirs de vertu, c’est-à-dire les devoirs placés au-dessus de la sphère du droit. On pourrait dire aussi que la morale ayant essentiellement pour but de gouverner l’homme, la première chose pour elle, c’est le devoir ; le droit ne vient qu’ensuite et elle ne l’envisage que dans son rapport avec le devoir lui-même.

    que jusque-là la vraie philosophie n’existait pas encore. Il y a eu sans doute plusieurs manières de philosopher, c’est-à-dire diverses tentatives pour établir le système de la philosophie, et toutes ces tentatives ontpu avoir leur mérite et leur utilité ; mais il n’y a qu’une seule manière de philosopher qui soit la bonne, qu’un seul système qui soit le vrai ; toute la question est de savoir si on l’a trouvé en effet. Malgré cette explication, je crois que le reproche adressé ici à Kant subsiste, et que, pour s’étendre à tout fondateur de système, il n’en reste pas moins juste. Comment un philosophe, si grand qu’il soit, peut-il prétendre qu’avant lui la philosophie n’existait pas, et qu’elle n’a commencé qu’avec lui ? J’accorde à Kant qu’il n’y a qu’une seule vraie philosophie ; mais je crois, avec Leibnitz, que les divers systèmes particuliers en représentent quelque côté, et, avec le XIXe siècle, que nul ne peut se flatter de l’embrasser tout entière. Kant conçoit la philosophie. comme un système dépendant d’un principe qui lui communique son unité. Or l’unité est sans doute la condition de toute forme systématique, et la forme systématique le caractère de toute science digne de ce nom ; mais la question serait de savoir si, en philosophie du moins, cette unité résulte d’un seul principe ou si elle n’est pas elle-même un tout complexe. — Enfin, la Préface répond à une objection qui contestait l’originalité de l’une des idées fondamentales de la philosophie critique : on prétendait avoir retrouvé presque mot pour mot dans un ouvrage du mathématicien Hausen, publié en 1734, une définition que le père de cette philosophie donnait pour une idée entièrement neuve et par laquelle il prétendait distinguer la métaphysique des mathématiques. Comme il s’agit là de l’un des points les plus difficiles de la philosophie kantienne, et qu’il est d’ailleurs tout à fait en dehors du sujet qui va nous occuper, ce n’est pas ici le lieu de nous y arrêter.

    s’arrête ? Cela semble, sinon absolument impossible, du moins bien difficile, même pour les intelligences les mieux exercées.

    par Kant dans la morale considérée comme système général des devoirs, on voit qu’elle se divise en deux grandes branches, comprenant l’une, les devoirs de droit, et l’autre, les devoirs de vertu, et que la première se subdivise à son tour en deux parties : le droit privé et le droit public. Ces deux branches ensemble constituent dans le système la doctrine élémentaire (Elementarlehre), à la suite de laquelle vient la méthodologie, qui comprend la didactique et l’ascétique. Nous retrouverons plus tard (dans notre travail sur la seconde partie de la métaphysique des mœurs) ces dernières divisions, que Kant se borne ici à nommer (Voy. dans la trad. franç. de la Doctrine du droit le tableau de la p. 61). — Les devoirs de vertu, comme il sera expliqué plus tard, concernant toujours une fin qu’ils nous commandent de nous proposer, on peut les déterminer par là, de même qu’on détermine les autres par l’idée de droit ; et, comme les idées de droit et de fin peuvent être rapportées à celle du devoir sous un double point de vue, suivant que l’on envisage l’humanité qui réside en notre personne ou l’homme même, de là sort une division du principe du devoir, suivant qu’on l’applique d’une part au droit de l’humanité en nous ou au droit de l’homme, et d’autre part à la fin de l’humanité en nous ou à la fin de l’homme. Dans le premier cas, il est parfait : c’est alors qu’il est devoir de droit ; dans le second, il est imparfait : c’est alors qu’il est devoir de vertu. Dans l’un et l’autre cas, on a, sous le premier point de vue, le devoir envers soi-même, et sous le second, le devoir envers autrui (Voy. le tableau de la p. 59). — Si maintenant on cherche le rapport du droit au devoir dans les êtres où il peut se rencontrer, on voit qu’il n’y a lieu d’admettre pour nous un rapport de ce genre, ni à l’égard d’êtres n’ayant ni droits ni devoirs, comme les animaux, c’est-à dire d’êtres privés de raison, qui ne nous obligent pas et par lesquels nous ne saurions être obligés ; ni à l’égard d’êtres qui n’auraient que des devoirs et pas de droits, car on ne peut concevoir de tels êtres, qui seraient des hommes sans personnalité, comme les esclaves et les serfs ; ni enfin à l’égard d’un être qui n’aurait que des droits et pas de devoirs, comme Dieu. L’idée d’un tel être est pour nous transcendante ; et, s’il est à la fois nécessaire et salutaire, au point de vue pratique, de l’admettre et de s’y appuyer (Voy. sur ce point la Critique de la raison pratique, et l’Examen, p. 170 et 316), elle ne saurait, selon Kant, déterminer de devoirs spéciaux. Reste le rapport juridique de l’homme aux êtres ayant des devoirs et des droits, c’est-à-dire à ses semblables ; c’est le seul en effet qui soit réel (voyez le tableau de la page 60). — Le devoir et le droit étant des termes corrélatifs, Kant se demande (p. 57) pourquoi la morale est ordinairement désignée sous le titre de doctrine des devoirs (c’est le titre que, entre autres moralistes, lui donne Cicéron : De officiis), et non sous celui de doctrine des droits ; il répond que c’est que « nous ne connaissons notre propre liberté, de laquelle émanent tous les droits comme tous les devoirs, que par l’impératif moral, lequel est un principe de devoir, d’où l’on peut ensuite dériver la faculté d’obliger les autres, c’est-à-dire le concept du droit. » Il n’est pas vrai que nous ne connaissions notre liberté que par le moyen de l’idée du devoir, mais il est très-vrai que l’idée du devoir ne va pas sans celle de la liberté, et que sans ces deux idées celle du droit n’existerait pas pour nous. Kant pourrait ajouter, conformément

  1. (1) On sait qu’il entend en général par métaphysique, — il le rappelle lui-même dans son introduction (trad. franc. p. 22), — un système de connaissances à priori fondées sur de simples concepts.
  2. (1) Doctrine du droit : Préface, trad. franç., p. 23, et Introduction à la métaphysique des mœurs, » II. De l’idée et de la nécessité d’une métaphysique des mœurs, p. 19-25. — Cf. Fondements de la métaphysique des mœurs et Critique de la raison pratique, aux endroits relevés dans mon Examen de ces deux ouvrages, p. 5, 7, 21, 25, 36, etc.
  3. 2 Trad. franç., p. 23.
  4. (1) Kant n’a point consacré d’ouvrage spécial à cette partie de la morale telle qu’il la conçoit ; mais il a donné à son traité d’Anthropologie un but et un caractère pratiques : Anthropologie in pragmatischer Hinsicht.
  5. (2) Introduction déjà citée : III. De la division de la métaphysique des mœurs, p.25-29.
  6. (1) Dans la préface (trad. franç., p. 4), Kant explique pourquoi il donne à son ouvrage le titre d’Éléments métaphysiques de la doctrine du droit, au lieu de celui de Système métaphysique du droit. C’est que l’idée du droit y devant être aussi considérée dans son application aux cas particuliers fournis par l’expérience et ces cas ne pouvant donner lieu à une division parfaitement méthodique et absolument complète, on ne saurait afficher ici la prétention d’établir un véritable système. Il se bornera donc à poser dans le texte les Éléments ou les principes du système, sans prétendre construire le système entier. L’application de l’idée du droit aux cas de l’expérience sera l’objet de scolies détachés.
  7. (2) Dans cette préface, après l’explication que résume la précédente note, Kant répond à quelques critiques. On lui reprochait souvent l’obscurité de son langage, on l’accusait même de l’affecter pour se donner l’apparence de la profondeur (trad. franc., p. 4 et 5). Ce dernier reprocha était assurément fort injuste, mais le premier l’était beaucoup moins. Il est certain que notre philosophe a beaucoup abusé du langage scolastique. Cela accordé, il faut aussi reconnaître avec lui que, si toute doctrine philosophique, sous peine de se rendre justement suspecte, doit pouvoir se traduire en résultats clairs pour tout le monde et devenir ainsi populaire, la science critique de la raison ou en général la pure métaphysique ne saurait toujours se contenter du langage vulgaire, et qu’elle a souvent besoin de se créer une langue qui exprime exactement ses idées. Disons-le à notre tour : si la philosophie, pour exercer dans le monde la salutaire influence qu’on a le droit d’en attendre, doit sortir de l’école et travailler à se rendre populaire, elle n’a point, comme science, à se soucier de la popularité ; avant tout elle doit rechercher l’exactitude et pousser la sévérité aussi loin que possible. La philosophie populaire est sans doute une fort belle chose ; mais il y a aussi une philosophie scientifique, et l’on ne doit pas, par amour pour la première, enlever à la seconde son caractère propre. Pour que celle-ci soit une science, il faut bien qu’elle s’applique à remplir toutes les conditions d’une véritable science, et que par conséquent sa langue soit scientifique. Seulement l’abus est voisin de l’usage, et je conviens que le philosophe allemand a poussé l’usage jusqu’à l’abus. Il se plaint d’ailleurs avec raison de ces maladroits imitateurs qui introduisent sans nécessité dans le langage ordinaire des expressions techniques, bonnes pour l’école, mais déplacées partout ailleurs ; il serait injuste de le rendre responsable de ce ridicule. S’il ne faut pas, quand on veut traiter La philosophie comme une science, sacrifier à la forme populaire la sévérité scientifique, il ne faut pas non plus, dans des discours et des écrits populaires, parler au public un langage qui n’est fait que pour la science. — On avait encore reproché à Kant (p. 6-8) d’afficher une singulière présomption en prétendant qu’avant l’apparition de la philosophie critique il n’y avait pas encore eu de philosophie. Il n’y a rien là, selon lui, que de fort naturel, puisqu’il ne peut y avoir en définitive qu’une philosophie vraie, de même qu’il n’y a qu’une raison humaine, et qu’ainsi quiconque propose un nouveau système de philosophie déclare par cela seul
  8. (1) Outre ces considérations générales, Kant consacre deux chapitres de cette introduction, le Ier et le IVe, à des définitions qui doivent servir de prolégomènes à la métaphysique des mœurs. Tel est le titre même qu’il donne au second de ces deux chapitres (p. 29-40) ; le premier est intitulé : Du rapport des facultés de l’âme humaine aux lois morales (p. 13-19). Comme ces définitions préliminaires ne sont pas sans importance, quoique j’aie cru devoir les détacher pour hâter et simplifier la marche des idées, je vais les reprendre ici et les examiner brièvement ; aussi bien ai-je à cœur de ne négliger dans cette analyse critique aucune partie de l’œuvre de Kant. Il commence par rappeler une définition, qu’il a déjà plus d’une fois exposée (V. la Critique de la raison pratique, Préface, trad. franç., p. 139, et la Critique du Jugement, Introduction, III, trad. franç., p. 23), celle de la faculté de désirer (en allemand Begehrungsrermœgen) : c’est, selon lui (p. 13), la faculté de causer, au moyen de certaines représentations, les objets de ces représentations mêmes. « La vie, ajoute-t-il, est la propriété qu’a un être d’agir conformément à ses représentations (cf. Critique de la raison pratique, ibid.). On pourrait lui demander d’abord de quelle vie il entend parler ; si c’est de la vie en général ou simplement de la vie psychologique et morale. Dans le premier cas, en effet, sa définition serait trop particulière : elle ne s’appliquerait plus exactement à la vie physique ou organique. Je ne vois pas qu’il ait songé à cette distinction ou à cette difficulté. Quant à la faculté de désirer, qu’il définit : la puissance que nous avons de causer, par le moyen de nos représentations, les objets de ces représentations, c’est-à-dire, en termes plus simples, de réaliser ou au moins de tendre à réaliser ce dont nous avons l’idée, on lui objectait (V. Critique du Jugement, loc. cit. ; V. aussi les Remarques explicatives sur les Éléments métaphysiques de la doctrine du droit, trad. franç., p. 237) que, s’il y a des désirs qui nous poussent à les satisfaire et qui, en ce sens, sont des causes d’activité, ou ont une puissance causatrice, il y en a aussi qui, se rapportant à des choses chimériques ou impossibles, sont tout à fait vains et stériles. Il répond à cela (ibid.) que tout désir, quelque vain qu’en soit l’objet, implique toujours une tendance, qui ne se manifeste pas sans doute au dehors lorsque nous sentons notre impuissance à le réaliser, mais qui n’en a pas moins intérieurement son action. Je ne recherche pas si l’objection qu’on lui adressait est bien résolue par là ; mais il en est, ce me semble, une plus grave à faire à sa définition : c’est qu’elle confond à tort le désir, qui sans doute est un mobile d’action, mais qui n’est jamais qu’un mobile, avec la cause agissante que ce mobile détermine. Autre chose est concevoir un désir, celui, par exemple, de boire ou de manger ; autre chose, agir de façon à le satisfaire. Le second fait a beau être la conséquence du premier, il n’en reste pas moins distinct. Cette distinction subsiste, alors même que l’action produite est instinctive et irréfléchie, puisque, même dans ce cas, agir n’est plus simplement désirer ; qu’estce donc quand la cause agit volontairement, librement, au lieu de suivre en aveugle le mobile qui la pousse ? Comment dès lors la confondre avec ce mobile ? Ce n’est point là d’ailleurs la seule difficulté que soulève la théorie de Kant sur ce qu’il appelle la faculté de désirer. Après avoir établi qu’à tout acte de cette faculté ou à tout désir est naturellement lié un plaisir, qu’il désigne sous le nom de plaisir pratique, pour le distinguer de celui qui n’a nul rapport au désir, comme le plaisir du goût, et qui, en ce sens, est purement contemplatif (cf. Critique du Jugement et Examen de la Critique du Jugement), il distingue deux cas : ou bien c’est le plaisir qui détermine notre faculté de désirer, et qui est ainsi la cause de ses actes ; ou bien au contraire c’est l’acte même de cette faculté qui engendre le plaisir, lequel n’est plus ici cause, mais effet. Telles sont les déterminations de l’âme qui ont leur principe dans les lois de la raison pratique. Mais, en rapportant ces actes à la faculté de désirer, Kant ne confond-il pas encore ici des choses essentiellement distinctes, savoir : soit le désir avec la volonté, soit, sous le nom de faculté de désirer, la volonté avec la raison pratique elle-même ? Il distingue sans doute deux espèces de faculté de désirer : l’une inférieure, l’autre supérieure (V. Critique de la raison pratique, trad. franc., p. 1S9) ; mais, s’il veut parler de l’acte par lequel nous nous déterminons à obéir à la loi de la raison, ce n’est plus un désir, c’est un acte de volonté ; et, s’il veut parler du principe même de notre détermination, ce n’est plus un acte de la volonté, c’est une conception de la raison. Toute cette confusion vient de ce qu’il n’a pas suffisamment reconnu la nature propre de la volonté, ou ce qui la distingue essentiellement de la faculté de désirer d’une part, et de la raison de l’autre. Il définit ici (p. 16) la faculté de désirer, en tant que le principe qui la détermine est en elle-même et non dans les objets : à la faculté de faire ou de ne pas faire à son gré, » qu’il désigne aussi sous le nom d’arbitre ; mais cette définition, qui peut convenir en effet au libre arbitre ou à la volonté, ne s’applique pas du tout à la faculté de désirer. D’un autre côté, il confond, comme il le déclare lui-même expressément (p. 17), la volonté avec la raison, en la considérant plutôt dans le principe auquel elle doit se conformer que dans sa nature intime. Aussi dit-il plus loin, (p. 37) que « les lois morales procèdent de la volonté, » et que non pas la volonté, mais « l’arbitre seul peut être appelé libre. » Mais sa définition du libre arbitre ou de la liberté présente elle-même une confusion qui vient de la même cause ; je l’ai déjà relevée ailleurs (V. Examen de la Critique de la raison pratique, p. 276-281), et je n’ai plus besoin d’y insister. « Le libre arbitre, dit-il d’abord (p. 17), est celui qui peut être déterminé par la raison pure ; » cela serait bien s’il ajoutait que c’est aussi la faculté de s’en écarter. Mais il repousse (p. 37) cette définition qu’on en donne ordinairement : « la faculté de choisir entre une action conforme et une action contraire à la loi. » Ce n’est point là, selon lui, l’idée qu’on doit se faire de la liberté : « celle-ci ne peut jamais consister dans le pouvoir qu’aurait le sujet raisonnable de faire une chose contraire à la raison ; » cette faculté serait plutôt une impuissance qu’une puissance. J’ai indiqué la conséquence à laquelle conduirait cette définition prise à La lettre, et j’ai essayé de la concilier, en l’interprétant, avec l’idée de la responsabilité humaine, proclamée par Kant lui-même. Mais, comme je l’ai fait remarquer aussi, il est évident qu’il y a ici dans sa pensée une confusion qui vient de ce qu’en voulant définir la liberté, il songe plutôt au but moral qu’à la nature essentielle de cette faculté. — Kant reproduit ici les résultats qu’il a développés ailleurs (cf. Critique de la raison pratique et Examen de la Critique de la raison pratique) sur l’idée de la liberté : on sait qu’il en fait une idée purement rationnelle, mais transcendante pour la raison spéculative, et dont la raison pratique seule peut établir la réalité objective par le moyen de la loi morale ; on se rappelle le lien qu’il établit entre la première et la seconde (ibid. V. particulièrement, p. 51, 82, 253, de l’Examen). — On se rappelle aussi comment il joint (ibid., p. 27, 74, etc.) l’idée d’impératif à celle de la loi morale, et comment il distingue l’impératif catégorique, source de l’obligation morale, des impératifs conditionnels, qu’il nomme techniques. Il n’est pas nécessaire que je reprenne à mon tour toutes les définitions déjà connues que Kant replace dans ses Prolégomènes de la métaphysique des mœurs,. je m’attache seulement à celles qui se présentent ici pour la première fois. Les suivantes (p. 31 et suiv.) n’ont pas besoin de commentaire : c Toute action qui n’est contraire à aucune obligation est licite ; » — « tout usage de la liberté qui n’est limité par aucun impératif contraire prend le nom de droit ; » — « une action qui n’est ni défendue ni ordonnée est moralement indifférente. » Je ferai remarquer seulement que, s’il ya des actions qui, n’étant ni ordonnées ni défendues, sont moralement indifférentes, toute action n’a pas nécessairement ce caractère, par cela seul qu’elle ne peut être ni défendue ni ordonnée : il y a tel acte qu’on ne saurait ordonner, mais qui n’en a pas moins une valeur morale. — Kant se demande, au sujet des actions moralement indifférentes, si, outre la loi impérative, qui prescrit certaines actions, et le loi prohibitive, qui en défend certaines autres, il ne faut pas reconnaître encore une loi permissive qui laisse chacun libre de faire ou de ne pas faire à son gré certaines choses ; et il répond que, s’il y a une loi de ce genre, elle ne concerne pas seulement les actions indifférentes, lesquelles, à proprement parler, n’exigent point de loi particulière, mais des actions qui, sans être indifférentes au point de vue purement moral, sont cependant permises au point de vue du droit. — La distinction établie par notre philosophe entre ces deux points de vue est trop longuement développée dans le texte de ce travail pour qu’il soit nécessaire d’y revenir ici ; j’y renvoie le lecteur, et termine cette note par ces quelques simples et justes définitions : les actes émanant d’une volonté libre sont imputables à leurs auteurs ; ceux-ci en sont responsables. L’idée de l’imputabilité ou de la responsabilité a donc, comme l’idée de la personnalité, son fondement dans celle de la liberté. L’imputation est judiciaire, lorsque l’on juge que le fait entraîne des conséquences juridiques ; elle n’est plus alors du seul ressort de la conscience, mais elle relève du juge ou du tribunal. — Le jugement de mérite ou de démérite est lui-même une conséquence de celui d’imputabilité : lorsque ce dernier a pour objet une action qui dépasse la limite de ce que la loi peut exiger de nous, il la déclare méritoire ; lorsqu’au contraire l’action ne remplit pas la loi, elle est déméritoire ou coupable. Dans ce dernier cas, elle a pour effet juridique la peine ou le châtiment. Dans le premier cas, elle appelle une rémunération ; mais une légitime rémunération des actions ne peut exister en fait dans aucune relation juridique : à ce point de vue, la rémunération n’est plus qu’une récompense dont la promesse est employée par la loi comme un mobile ou comme un moyen d’encouragement. Quant aux actions qui ne contiennent que ce qui est dû, c’est-à-dire exigé par la loi, elles n’ont aucun effet juridique. — On pourrait croire qu’en parlant ici d’actes méritoires, Kant oublie qu’il a renfermé ailleurs toute la morale dans les limites du devoir (V. Examen de la critique de la raison pratique, Conclusion) ; mais, comme il distingue deux espèces de devoir, les devoirs de droit, qui seuls peuvent donner lieu à une législation et à une contrainte extérieures, et les devoirs de vertu, qui échappent à toute législation et à toute contrainte de ce genre, c’est dans l’accomplissement de ces derniers qu’il place le mérite moral. — Il fait remarquer aussi que le jugement d’imputabilité s’étend aux bonnes conséquences de toute action méritoire, comme aux conséquences de toute action injuste, mais qu’on ne saurait imputer à quelqu’un qui n’a fait que ce que la loi exigeait de lui, ou qui n’a pas fait ce qu’elle n’exigeait pas, les conséquences, bonnes ou mauvaises, de sa conduite. — Enfin, il faut mesurer le degré de l’imputabilité d’après la grandeur des obstacles opposés à l’agent soit par la nature, soit par le devoir : ainsi plus il en rencontre du côté de la nature et moins il en rencontre du côté du devoir, c’est-à-dire moins le devoir est impérieux, plus aussi l’action est méritoire. Au contraire, moins sont grands les obstacles naturels et plus le devoir commande impérieusement, plus aussi la transgression est coupable. « C’est ainsi, dit Kant(p. 40, que l’état de l’âme, suivant que le sujet a commis l’action dans un moment de passion ou de sang-froid et de propos délibéré, établit dans l’imputation une différence qui a des conséquences. »
  9. 1 Trad. franç., p. 41.
  10. 2 P. 43.
  11. 3 P. 42-43.
  12. 1 P. 44.
  13. 1 Page 45.
  14. (2) On voit quel est pourtant le principe du droit et comment ce principe implique essentiellement la faculté de contraindre. Il examine ailleurs (De l’Essai de G. Hufeland sur le Principe du Droit naturel, V. dans ce volume la traduction de cet écrit, p. 267-272) cet autre principe qui consiste à placer dans une obligation antérieure le fondement du droit et qui justifie la contrainte par cette obligation même. Suivant G. Hufeland, dont le système repose sur ce principe, c’est un devoir pour nous de travailler au perfectionnement des hommes, et particulièrement à notre propre perfectionnement ; c’est par conséquent aussi un devoir de repousser tout obstacle apporté à ce perfectionnement, soit chez les autres, soit surtout en nous-mêmes ; et c’est de ce devoir que dérive le droit de contrainte à l’égard d’autrui. G. Hufeland regarde donc ce droit lui-même comme une obligation ; ce qui autorise un homme à contraindre les autres, c’est qu’il y est obligé ; autrement, selon lui, le droit de contrainte ne s’expliquerait pas. Or, selon Kant, le principe mis. ici en avant dépasse de beaucoup ce qu’il s’agit d’expliquer. En effet, si la contrainte n’est légitime que parce que c’est pour nous une obligation de l’exercer, et si c’est sur cette obligation que repose notre droit, il suit que nous n’en pouvons jamais rien rabattre, ce qui est évidemment exagéré. En outre comment, avec ce principe pris pour critérium, déterminer exactement, même dans les cas les plus ordinaires de la vie, jusqu’où s’étend le droit et où il
  15. 1 Trad. frane., p. 46.
  16. 2 Appendice à l’introductio, de la Doctrine du droit. Du droit équivoque, trad, fraîiç., p. 49-53.
  17. (1) Oui, si par équité on entend cette sorte de droit large, dont il vient de nous donner un exemple, qui échappe à toute détermination précise et ne peut en aucun cas impliquer aucune contrainte. Mais n’y a-t-il pas aussi des cas où la loi peut et doit attribuer, en une certaine mesure, soit aux tribunaux ordinaires, soit à certains tribunaux spéciaux, la faculté de consulter l’équité et d’y fonder ses arrêts ? Nos justices de paix, qu’on nomme si bien des bureaux de conciliation, ne sont-elles pas pour beaucoup de cas des tribunaux de ce genre ? Sans doute il faut bien prendre garde d’ouvrir la porte à l’arbitraire, mais la loi ne peut tout prévoir et régler, et, le pût-elle, 11 faudrait bien se garder aussi d’étouffer l’esprit sous la lettre.
  18. 2 P. 52.
  19. (1) Je ne vois pas que la loi soit nécessairement désarmée en présence d’un homicide qui n’est pas celui d’un injuste agresseur qu’on fue pour n’être pas tué par lui, mais d’une personne inoffensive qu’on livre à la mort pour se sauver soi-même. Si des crimes tels que ceux que Kant suppose échappent à la loi, n’est-ce pas plutôt à cause de l’impossibilité de les bien constater ? Mais, s’il pouvait être bien établi que quelqu’un a privé de la vie, pour sauver la sienne, une personne qui ne lui faisait aucun mal, la loi ne serait-elle pas parfaitement fondée à le punir ? La raison que Kant donne ici n’est pas suffisante, et elle n’est pas d’ailleurs conséquente avec la théorie qu’il exposera plus tard sur le fondement de la pénalité.
  20. (1) Nous verrons plus loin Kant expliquer et résoudre plusieurs contradictions juridiques par la distinction qu’il indique ici. En attendant, il est vrai de dire que les conditions auxquelles est nécessairement astreinte la justice civile et sans lesquelles elle serait livrée à l’arbitraire, peuvent, dans certains cas, déterminer des jugements, non-seulement contraires à l’équité, dans le sens large où on l’entendait tout à l’heure, mais même àce qui serait en soi strictement juste. Ainsi, en matière de réclamations, elle ne saurait connaître en général que ce qui a été régulièrement stipulé, et le défaut de telle formalité, qui doit être légalement exigée, l’empêche de faire droit à une plainte d’ailleurs tout à fait légitime. Sa décision, dans ce cas, n’est pas juste en soi ; mais elle l’est en ce sens qu’elle est telle que l’exige la légalité, dont les formes nécessaires sont la sauvegarde universelle contre l’arbitraire individuel. Le juge est enchaîné par les exigences de la loi ; il ne peut s’y soustraire qu’autant qu’elle-même le lui permet. Cela admis, il faut ajouter que, dans certains cas et dans une certaine mesure qu’elle déterminera, elle doit lui laisser cette latitude, et que, dans tous les cas, autant qu’il le peut sans en violer la lettre, il en doit surtout consulter l’esprit.
  21. 2 P.53-55.
  22. (1) Le sens donné ici à ces formules est en effet très-arbitraire.
  23. 2 P. 56.
  24. 1 P. 61.
  25. (2) Ainsi, pour embrasser d’un seul coup dVil les divisions établies
  26. 1 Trad. franç., p. 65.
  27. 2 P.66.
  28. 1 P. 68.
  29. (1) Il fait correspondre ces trois espèces de choses extérieures auxquelles peut s’appliquer la qualification de mien et de tien aux trois catégories de la substance, de la causalité et de la réciprocité.
  30. 2 P. 70.
  31. (3) Ceux qui ont quelque connaissance de ses ouvrages savent la différence qu’il établit entre l’exposition et la déduction d’un concept, et l’importance qu’il attache à cette distinction. (Y. particulièrement Examen de la critique du Jugement, p. 59, et Examen de la critique de la raison pratique, p. 102-103.)
  32. (1) On voit aussi par là en quel sens il entend la distinction reconnue par tous les logiciens, mais d’ordinaire mal éclaircie, entre la définition de nom ou de mot et la définition de chose. Cf. sur ce point le Manuel de philosophie de Matthiœ ; trad. Poret, p. 115-116.
  33. (2) Il a soin d’ajouter qu’il ne prend pas ici le mot phénoménal dans le sens que lui donnait la critique de la raison pure, lorsqu’il s’agissait de désigner les choses telles qu’elles nous apparaissent, par opposition aux choses telles qu’elles sont en soi. 11 applique maintenant ce mot aux objets comme à des choses réelles ; car la question n’est plus de savoir comment les choses nous sont données ou connues et quelle est la valeur objective de la connaissance que nous en avons. De quelque façon qu’on résolve cette question spéculative, l’idée rationnelle et pratique du droit n’en a pas moins la même valeur et les mêmes effets. Il n’oppose donc l’expression de possession phénoménale à celle de possession intelligible que pour mieux distinguer par là de la possession qui est purement physique celle qui a un caractère juridique.
  34. 1 V. plus haut, p. XVIII.
  35. (2) Ce problème, Kant l’applique ici à l’exemple de la possession d’un fonds de terre particulier, et il indique àce propos quelques-unesdes idées que lui suggère la question de la possession de la terre ; mais, comme nous retrouverons plus loin ces idées développées à leur place, il est inutile de nous y arrêter en ce moment.
  36. 1 P.76.-2 P.76.
  37. (1) Kant traduit (p. 80) sous la forme d’une antinomie et de sa solution la difficulté que nous venons de le voir soulever et résoudre touchant la possibilité de la possession de quelque chose d’extérieur. La thèse est celle-ci : « Il est possible d’avoir comme sien quelque chose d’extérieur, encore qu’on n’en soit pas en possession, » l’antithèse : * Il n’est pas possible d’avoir comme sien quelque chose d’extérieur, si l’on n’en est pas en possession. » Cette antinomie conduit la raison à distinguer, pour la résoudre, deux sortes de possession, l’une empirique, l’autre purement intelligible ; et la solution consiste tout simplement à montrer, à l’aide de cette distinction, que la contradiction n’est qu’apparente et que les deux propositions sont vraies. — Il rappelle d’ailleurs que la possibilité d’une possession purement intelligible des choses extérieures ne peut que se déduire du postulat de la raison pratique, laquelle, ajoute-t-il, n’a besoin ici d’aucune intuition à priori, mais procède, ainsi que l’y autorise la loi de la liberté, par la seule élimination des conditions empiriques.
  38. (2) Le chapitre que nous analysons en ce moment a pour titre : De la manière d’avoir comme sien quelque chose d’extérieur.
  39. 1 P.82, 83.
  40. (2) C’est l’objet du chapitre II : De la manière d’acquérir quelque chose d’extérieur. Trad. franç., p. 84 et suiv.
  41. 1 P.87.
  42. 1 P.88.
  43. Kant s'élève ici (p. 292) contre « ce système de crédit, invention ingénieuse d'une nation commerçante, où les dettes croissent indéfiniment, sans qu'on soit jamais embarrassé du remboursement actuel, parce que les créanciers ne l'exigent pas tous à la fois » et pour les raisons qu'on vient de voir, il attribue aux autres États le « droit de se liguer contre celui qui se permettrait pareille chose. » Mais n'oublie-t-il pas fort mal à propos en cette occasion le sage principe qui fait l'objet de l'article suivant ?