Méthode et invention nouvelle dans l’art de dresser les chevaux/Epistre a ses files

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A TOUS HONORABLES
CAVALIERS,
ET AUX TRES-EXCELLENS
CAVALLERIZZES.



I E ne ſeray pas long-temps à vous monſtrer comme ce mot Cavalliero en Italien eſt derivé de Cavallo, qui ſigniſie un cheval; & Cavalliero un homme de cheval, ou Chevalier ; tout de meſme que Equus en Latin ſignifie un cheval, d'où eſt derivé le mot Eques, un homme de cheval, ou Chevalier. Mais je vous aſſeure, qu'il n'y a aucune créature de qui l'homme reçoive plus d'avantages que du Cheval, ſoit pour le plaiſir, ou l'uſage, la ſeureté, l'honneur & le proſit tout enſemble. Aimés-le donc & le traités bien pour l'amour de vous meſmes, & ſoiés expert en l'art que profeſſent les Gentils-hommes, qui eſt d'eſtre Cavaliers ; parce qu'autrement un cheval vous eſt de petit usage, & ceux, qui par leur ignorance mépriſent un cheval & la Cavalerie, pourront en étre plûtoſt tués. Je ſouhaiterois à telles perſonnes, pour leur châtiment, qu'elles faſſent condamnées d'aller à pied toute leur vie. Mais les vrais Cavaliers ont plus de jugement & de generoſité.

Il faut, Nobles Cavallerizzes, que je me plaigne un peu à preſent du mal-heur de cet Art, ou excellente Profeſſion, de ce que châcun penſe avoir ſa proviſion de Cavalerie tout auſſy tôt qu’il ſçait mettre une jambe de châque côté de ſon cheval : voire meſme les mecaniques juſques aux Cuiſiniers & Tailleurs (comme auſſy tous citoyens) s’imaginent de monter à cheval auſſy bien qu’aucun Cavalier ; combien qu’ils croient qu’aucune autre profeſſion, quoy que vile, ne ſauroit étre appriſe en moins de huit ou neuf ans. Et la plus-part prennent à diſgrace, s’ils ne ſont tenus auſſy bons hommes de cheval qu’aucun autre, qui certes eſl une injuſtice bien grande, & une choſe tres-fauſſe. Car il n’y aucun Art dans le monde ſi difficile à apprendre, comme à être parfait homme de cheval. Ce n’eſt pas monter une haquenée de Cambridge à Londres, ou de S. Germain à Paris, qui fait un bon homme de cheval. Un tres-brave Gentil-homme, qui étoit & ſoldat & écolier, diſoit, qu’on priſt deux garçons qui euſlènt l’elprit également bon, qu’on en miſt l’un aux écoles, & l’autre à apprendre à monter à cheval, & que celuy-là ſeroit bon Philoſophe, auparavant que celuy-cy fuſt mediocre homme de cheval ; ce qui eſt veritable. C’eſt pourquoy voicy des nouvelles que je vous apporte dans l’Art parfait de dreſſer les chevaux. Liſez-les donc, c’eſt à dire, entendez-les, & les mettés en pratique, & le profit vous en demeurera. Je ne veux pas vous ennuyer par longs diſcours comment les Pages doivent boutonner leurs pourpoins, ou attacher leurs aiguillettes ; ou quand c’eſt qu’ils doivent dire leurs prieres (ce que je laiſſe à leurs Directeurs ſpirituels) ou comment ils doivent lire la Philoſophie morale, laquelle leçon je reſerve à leurs Pédagogues. Je n’ay pas auſſy deſſein de vous troubler de châque boucle, ſangle, clou, ou frange, ny comment il faut épouſſeter une ſelle. Je ne vous preſente non plus la figure d’un chandelier de trois ſols, ny je ne vous dis pas où c’eſt que le Maître Palfrenier doit monter à cheval, ni combien de chappeaux, gans, ou paires de bottes il doit avoir ; parce que j’écris de la façon la plus courte qu’il m’eſt poſſible (non pas aux écoliers, mais aux Maîtres) l’Art de bien dreſlèr les chevaux, lequel n’a jamais été connu. Ce qui m’oblige à ne faire pas un livre de pluſieurs repetitions de choſes qui paroiſſent comme ſecrets, mais en eſſet ne le ſont pas, puis quelles ſont connues à châque Cavallerizze. Je ne veux non plus ſaire un livre entier pour diviſer un cercle en pluſieurs parties ; parce qu’un cercle peut étre diviſé en tant de parties (ce que l’Arithmetique, ou Geometrie peuvent faire, ou quelque methode ennuïeuſe de la meſme nature) qu’un cheval ne ſauroit vivre aſſés pour étre dreſſé. Je ne veux pas d’ailleurs étre ſi court, comme quelques-uns, qui, par la routine de leurs piliers, ſe hâtent tant de dreſſer un poulain, & le rendre cheval parſait, qu’ils le continuent de la ſorte poulain toute ſa vie, ſans le mener jamais hors du lieu où on a de coûtume de le monter. Je ne veux non plus faire comme en quelque païs, où on ſe ſert ſi long-temps du caveſſon fait à la vieille mode, que le cheval ne peut pas aller avec la bride ; ou comme quelques autres font, en d’autres païs, qui ſe ſervent ſi long-temps de la bride, que le cheval ne veut aller, ni avec le caveſſon, ni avec la bride. Mais cette methode enſeigne l’un & l’autre parfaitement, & leur apprend à obeïr à la main, & au talon, avec tant de perfection, qu’ils vont par tout auſſy bien comme en leur lieu ordinaire du Manege ; ce que vous verrés par la verité de mes leçons ſuivantes. Ainſy je demeure,


Messieurs,


Vôtre tres-humble & tres-affectionné ſerviteur,


GUILLAUME
DE NEWCASTLE.