Méthode pratique d’orchestration symphonique/De la partition d’Orchestre

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Enoch & Cie Éditeurs (p. 58-62).

DE LA PARTITION D’ORCHESTRE

DES MOYENS À EMPLOYER

Ici l’on ne saurait donner de règles bien précises car il n’y en a pas : le plus souvent chacun s’arrange comme il l’entend pourvu que le résultat en soit bon.

Lorsqu’il s’agit d’orchestrer une composition quelconque, il faut d’abord avoir l’original pour piano, ou bien un canevas écrit sur deux, trois ou quatre lignes.

Le mieux est avant tout de décider à peu près ce que l’on se propose de faire, et d’inscrire sur l’original avant d’en commencer l’orchestration ; les annotations nécessaires, telles que : Fl. solo, Hb. solo, Tutti, Demi-Tutti, Vons, Vcelles, Bois, Cuivres, Quat: etc., de façon à dresser, pour ainsi dire, un plan au milieu duquel on puisse se reconnaître.

Après on commencera la Partition, d’abord en brouillon, et ensuite, quand on se sera assuré que tout est bien, on recopiera sa partition au net.

Il ne faut pas d’abord se préoccuper des petits orchestres, ni se demander s’il manquera tel ou tel instrument ; on procédera comme pour un grand orchestre ; quand tout sera fini, on examinera le travail avec soin. On fera bien de commencer par l’orchestration de tout le quatuor ; ensuite tous les solos ou autres dessins importants qui auront été donnés à des instruments susceptibles de faire défaut, devront être reproduits en petites notes sur la partie d’un ou plusieurs autres instruments qui seront aptes à les remplacer.

Il est important de s’habituer à écrire en même temps : les deux Flûtes, les deux Hautbois, les deux Clar., les deux Cors, les deux Bassons, les deux Cornets, les 1ers Trombones, les 2mes Vns et Altos (ensemble), et pour finir, les instruments à percussion, d’abord les Timbales, ensuite Grosse-Caisse[1].

En un mot, il ne faut pas vouloir écrire d’un bout à l’autre toute une partie comme celle du 1er Cor par exemple, et faire ensuite la partie de 2me Cor ; il faut au contraire s’habituer à être fixé immédiatement sur la façon d’écrire en même temps, surtout les parties : de Flûtes, de Hautbois, de Cors, de Bassons et des 1ers Trombones[2]. On fera, si l’on veut, la partie de 2me Clar. et de 2me Cornet, après avoir fait les 1res.

Il ne faut pas craindre non plus de vérifier plusieurs fois le travail, en comparant telle partie avec telle autre, se rendre compte de l’ensemble, etc. ; on devra également veiller à ne pas trop doubler certains passages. Enfin et surtout il faut éviter les fautes de musique, de goût et d’harmonie.

Un bon orchestrateur doit, pour bien se rendre compte de son travail, entendre, pour ainsi dire, son orchestration, et en juger tous les effets à la simple lecture de son manuscrit ; mais il est évident que cette qualité ne peut s’acquérir qu’avec une certaine expérience.




Je me permettrai de recommander au lecteur le procédé suivant, résultat d’une longue pratique, bon pour tous les genres de musique, Fantaisies, Ouvertures, morceaux de genre, etc. Sur du papier à 24 portées (à l’italienne) on trace les barres de mesures d’un bout à l’autre du morceau, ou bien voici ce que je fais de préférence : Tout en faisant ma partie de 1er Violon à sa place réelle (sixième ligne en commençant par le bas) je tire mes barres de mesures sur tout le quatuor et au fur et à mesure que j’avance. Quand le quatuor est fini, on retourne la partition en sens contraire et en commençant par la fin du morceau on trace ses barres de mesures sur toute la longueur et jusqu’au bout. Ensuite je mets les accolades et les noms d’instruments (abrégés) à toutes les accolades ainsi qu’à certaines lignes qui servent de points de repère (au Hb. et à Tuba) afin de bien se reconnaître dans la partition. Voici les indications abrégées : Fl., Hb., Cl., C. (pour Cors), B. (pour Bassons), Tuba. Timb., (pour Timbales), et c’est tout, aux Cornets, aux Trombones et à la Gr.-Caisse je ne mets rien.

Il est aussi inutile d’indiquer le nom des instruments au quatuor ; mais à la 1re page il faut tout désigner en entier.

Et quand ce 1er travail est fini (en supposant que toute la partition soit réglée avant d’avoir fait le 1er Violon), je fais ma partie de 1er Violon d’un bout à l’autre (d’après le canevas), avec petites notes à défaut, ainsi que toutes les indications nécessaires ; c’est-à-dire, faire un bon 1er Violon conducteur. On indique le mot Tutti quand tout l’Orchestre doit jouer ; Demi-Tutti quand il n’y a que le quat: avec Bois et Cors ; et l’on désigne les solos de Fl., de Hb. ou Cl., etc. ; Harm: quand il n’y a que les Bois seuls avec ou sans Cors ; Cuivres ou Fanfare quand il n’y a que les cuivres qui jouent ; Quat: quand il n’y a que le Quat: seul qui joue ; et enfin toutes les indications nécessaires qui sont sur le canevas.

Il faut aussi désigner : les Mouvements, que l’on inscrit deux fois, en haut et en bas de la partition ; mettre l’armure ; les changements de tons ; et toutes les nuances.

Dans les morceaux d’importance, mettre quelques Grosses Lettres qui servent de points de repère pour les répétitions, et quelques fois pour faire des coupures. En somme, il faut que le 1er Violon soit complétement fini avant de faire les autres parties.


Maintenant je ne mets plus de petites notes à aucun instrument, on fera cela à la fin. Quand les instruments ne jouent pas, je laisse les mesures en blanc, et je procède ainsi jusqu’à la fin de mon orchestration ; comme pour grand orchestre. Je continue en faisant successivement (d’un bout à l’autre) et dans l’ordre suivant, les parties de : Vcelle, C.'B., 2mes Vns-Altos, Flûtes, Cltes, Hautbois, 3me Tromb: 1ers Tromb:, Cors, Bns, Tuba, Timb., Triangle, Tamb: et Gr.-Caisse.


La partie de Violoncelle doit être intéressante ; il faut bien se garder de toujours doubler la basse, il lui faut des contre-chants, des basses-tenues, quelques accords par-ci par-là en double cordes ; des Pizziccati, des arpèges, quelquefois le chant et très souvent aussi simplement la basse comme à la C.-B.

A présent il faut faire la partie de C.-Basse.

2me Vn et Alto. Ici il est très important de toujours donner les bonnes notes aux 2mes Vns et les moins bonnes aux Altos, il faudrait autant que possible s’arranger pour que l’harmonie soit toujours bonne sans les Altos, pour qu’au besoin on puisse se passer de cette dernière partie, parce qu’il y a beaucoup de petits orchestres qui n’ont pas d’Altos, et qui ont des 2mes Vns.


Maintenant que le quat: est fini, on continue par : la partie des deux Flûtes, des deux Clarinettes (en accolade), et des deux Hautbois (sur la même ligne). Détail très important ; il faut s’arranger pour que la 1re Fl., la 1re Clar., et le 1er Hautbois fassent toujours une bonne harmonie, à cause des petits orchestres ; évitez certaines dissonances, comme les quintes dim:, les 7mes ; ainsi que les quartes qui seraient trop à découvert, c’est-à-dire qu’il ne faut pas compter sur la 2me Fl., le 2me Hb. et la 2me Clar.

Les deux Cornets (en accolade), puis le 3me Trombone. Ici il est encore très important de veiller à ce que le 3me Trombone fasse toujours une bonne harmonie avec les deux Cornets, de façon à ne pas compter du tout sur les 1ers Trombones, encore en prévision des petits orchestres.

Ensuite le 1er et 2me Trombone (sur la même ligne).

Puis la partie des deux Cors (même ligne) et Bns (même ligne) et que ces deux parties soient en harmonie très correcte ; souvent le 2me Cor fait la même note que le 1er Bn, quelquefois le 2me Cor peut servir de basse aux Bassons ; il faut aussi s’arranger de façon à ne pas compter sur le 2me Basson, il n’y a qu’à surveiller si le 1er est en bonne harmonie avec les Cors. Autant que possible il faut éviter les quartes et les quintes dim: dans la partie des Cors.

Il va sans dire (comme pour les autres instruments à vent) que l’on emploie très souvent pour certains passages plus ou moins doux, soit : un ou deux Cors sans les Bns, soit : un ou deux Bns sans les Cors.

Il reste à faire la partie de Tuba, de Timbales et de Triangle (même ligne, le Triangle au-dessus) et de Tamb: et Gr.-Caisse (même ligne, le Tamb: au-dessus).

Voilà donc la partition finie, comme pour un très grand orchestre ; à part le 1er Vn (qui est bien complet), toutes les autres parties n’iraient pas pour divers orchestres réduits ; c’est-à-dire qu’il y aurait souvent des vides occasionnés par les instruments manquants. Il s’agit donc d’y remédier en ajoutant des petites notes partout où on le juge nécessaire.

On commence (pour ces petites notes) par remplir le Vcelle (toujours d’un bout à l’autre), ensuite : les 2mes Vns et Altos, la Fl., la 1re Clar., les Cornets, le 3me trombone et le Tuba.

Voir aussi Hb., la 2me Clar, et au besoin les Cors et les 1ers Tromb:, quoiqu’il soit assez rare d’y mettre des petites notes.

Quand il n’y a que le quat: seul qui joue, il est inutile de mettre des petites notes aux instruments à vent, à moins toutefois de quelque chose de très intéressant au 2me Vn ou Alto ou Vcelle, que l’on puisse mettre à déf: à la 1re Clar.

A la partie de Tamb: et Gr.-Caisse, il faut mettre le Triangle en petites notes à la place du Tambour (bien entendu s’il n’a rien à faire) ; On sait que la partie réelle de Triangle (en gros), se met à la partie de Timbales.

Ensuite on met les nuances à toutes les parties (elles sont déjà au Vn conducteur) mais elles ne sont pas toujours semblables à celles du 1er Vn ; bien souvent certains instruments jouent fort (f), pendant que d’autres jouent demi-fort (mf) on piano (p).


Il faut aussi : mettre des répliques aux instruments qui comptent beaucoup de mesures (ceci pour les morceaux importants), bien examiner tout son travail ; voir s’il n’y a pas d’erreurs dans les transpositions (Clar., Cornets, Cors) ; Voir l’armure de toutes les parties ; et enfin recopier la partition au net.

Maintenant je conseillerai au lecteur qui veut réellement se donner la peine d’étudier sérieusement l’Orchestration, de se procurer quelques morceaux connus et de s’exercer à les orchestrer d’après la partie de piano et ensuite comparer son travail avec l’orchestration de l’auteur. Et pour bien se rendre compte du procédé expliqué dans ce livre, il faudrait faire le sacrifice d’acheter, à orchestre complet, une ou plusieurs de mes Fantaisies sur les Opéras célèbres (Paris, chez Margueritat, 21, Boulevard Bonne-Nouvelle) et de les copier en partition d’orchestre en réglant la partition comme il est dit page 56 (ces Fantaisies ne sont publiées qu’en parties séparées et non en partition d’Orchestre), on pourrait choisir celle de Carmen ou la 2me de Faust, le Trouvère, la Traviata, Rigoletto, etc.

Il serait bon aussi de se procurer plusieurs 1ers Vns et quelques parties de Piano de ces Fantaisies pour bien examiner tous ces canevas.


Ce travail est le résultat de vingt ans de pratique et d’expérience, et je souhaite bien sincèrement que ces quelques conseils soient profitables à tous mes Confrères qui commencent à étudier l’orchestration pratique.


  1. Cependant, le débutant éprouve de la difficulté à écrire les deux Fl:, les deux Clar:, les deux Cornets. etc. en même temps ; il est évident que ceci n’est pas une règle absolue, et que l’on peut écrire à la rigueur la 2me partie après avoir complètement terminé la 1re.
  2. Il est préférable de faire d’abord la partie de 3e Tromb. et ensuite celle des 1       ers.